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lundi 19 octobre 2015

DE PASSAGE A FLEURY, AFFRE LE TENOR / Fleury d'Aude, Languedoc

    Au café Billès, ils sont une petite troupe dont mon grand-père, ses copains : Félix Pujol, Zéphyrin, Henri Coural sûrement. Ils se pressent autour du gramophone. Attentifs à l’aiguille en suspens au-dessus du disque, ils espèrent déjà le ut, le ut dièse sinon le contre ut que le ténor va faire monter de son organe. Le sillon grésille avant que le speaker n’annonce « Roméo et Juliette, cavatine, chanté par Affre de l’opéra ». Le recueillement est à son comble quand retentit le carillon de porte. « Chut, s’il vous plaît ! » intiment-ils presque en chœur à l’importun qui n’a plus qu’à refermer derrière lui, précautionneusement.


    « Ah ! lève toi ! lève toi ! Parais ! Parais !.. » nasille le pavillon. Le nouveau venu s’approche, discret. Mais voilà-t’y pas qu’il se permet d’intervenir, de gâcher le moment ! Les mines teigneuses vont l’agonir de reproches quand il achève de les sidérer :
    « Plutôt que d’écouter ma voix sortie du fond des âges, je vais vous le chanter Roméo ! » annonce le nouveau venu en grimpant lestement sur une table ! Il a le sens du théâtre ! Ils se regardent, stupéfiés ! Et quand il entonne «Ah ! lève-toi soleil, fais pâlir les étoiles...» ils en restent babas !
    On s’en voudrait même qu’il ne déchire sa gorge, pour eux, spécialement, a cappella et en toute simplicité. Heureusement il a de la ressource, Affre ! Et quel coffre !
    Mais comment auraient-ils pu reconnaître le ténor de Saint-Chinian en cet homme petit et fort ? Et la barbiche et la moustache à la Van Dick restent indémodables encore vers 1920 ! Et puis qu’est-ce qui a bien pu amener Affre à Fleury, ce jour-là ? 



    Auguste Affre dit Gustarello (les documents liés à l’opéra disent “Agustarello”) est né le 21 octobre 1858 à Saint-Chinian dans l’Hérault chez un père fileur. Menuisier mais aimant la musique et doté d’une belle voix, il s’inscrit à l’orphéon du village.
    A 25 ans, il est remarqué lors d’un concours à Narbonne. Monsieur Rabaud (Hippolyte-François ?), violoncelle à l'Opéra, professeur au Conservatoire, et Marcelin Coural, maire de Narbonne (1), le poussent à rejoindre le Conservatoire de Toulouse. Auguste y étudiera de 1885 à 1887 avant d’intégrer le Conservatoire de Paris et d’être engagé à l’Opéra en 1890.
    Sa polyvalence en fit une valeur sûre du répertoire : aussi bien Eléazar que le prince Léopold dans La Juive, Ascanio dans le titre éponyme de Saint-Saëns, le Duc de Rigoletto, Fernand dans La Favorite, Roméo et aussi le modeste Tybald dans Roméo et Juliette, Laërte d'Hamlet, Don Gomès de Henry VIII, Lohengrin. Il chanta aussi Jonas du Prophète et le grand-prêtre Shahabarim, de Salammbô. 
     A Lyon, il créa Paillasse de Leoncavallo et l'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau.
    Revenu à Paris, il fut Radamès en 1895 (Aïda), Faust un an plus tard, Raoul des Huguenots (1897), Samson (1898), Arnold de Guillaume Tell (1899), Vasco de l’Africaine en 1902...
    Sa voix souple et sonore permit de reprendre des oeuvres difficiles :  la Statue d'Ernest Reyer (Sélim) et l'Enlèvement au sérail (Belmont) en 1903, Armide (Renaud) en 1905.

    Peu de renseignements concernant sa vie privée. On sait seulement qu’il s’est marié le 5 mai 1881 avec la fille de son patron menuisier. La page qui en fait mention
http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=2623
ne manque pas d’humour : “...ce fut un mariage d’amour, qui dura 18 ans, mais 18 ans seulement car Affre divorça le 19 mai 1899...”.
    Le site nous apprend aussi qu’Auguste Affre vendit sa villa à Cabourg pour se retirer sur la Côte-d’Azur. Il mourut à Cagnes-sur-Mer le 27 décembre 1931 à l’âge de 73 ans après avoir chanté Le Credo et Minuit Chrétien pour Noël.
    Il repose au Père-Lachaise. Un buste et un hommage de Saint-Chinian honorent sa mémoire. 

    Souvent, la vie des gens célèbres se caractérise par cette distance qu’ils prennent avec leur terre natale. Affre s’exila, comme plus tard Trénet tandis que Léon Escalaïs choisissait de revenir dans son village natal. Nous reparlerons de lui une fois prochaine.

(1) Charles Trénet soutient qu’un Affre de l’Opéra, ouvrier de son grand-père, chantait la Marseillaise dans la tonnellerie. Il doit mal interpréter des souvenirs qui lui ont ét racontés car, si Affre a été menuisier à Narbonne, la tonnellerie de son grand-père ne date que de 1914. A cette époque, le ténor de 56 ans, retraité de l’Opéra où il était entré en 1890, a peut-être rejoint le domaine viticole acquis dans le Narbonnais. Les sources ne le citent plus après ses rôles dans la Gloire de Corneille (Polyeucte) de Camille Saint-Saëns, le 6 juin 1906 puis dans La Thamara (Nour-Eddin), de  Louis Bourgault-Ducoudray, en 1907 (livret de Louis Gallet). En 1908, Affre quitte l’Opéra mais chantera encore en province, à la Nouvelle-Orléans et à La Havane.
    Notons que Charles Trénet a lui-même vécu quatre ans à Saint-Chinian (1919 -1923), entre sa sixième et sa dixième année quand son père y était notaire. 

Voir aussi http://www.artlyriquefr.fr/personnages/Affre%20Agustarello.html (extraits numérisés)
D’autres extraits d’époque sur disque sont disponibles sur youtube notamment.



photo du café Billès aujourd'hui disparu / livre "De Pérignan à Fleury" 2009.
pour le portrait d'Auguste Affre, voir les sites conseillés (pas une photo libre de droits). 
Vue générale de Saint-Chinian / auteur Guillaume "Frozman" Calas / commons wikimedia. 
Les Allées de Saint-Chinian / Auteur "Moi, propriétaire du copyright et qui le mets dans le domaine public..." / commons wikimedia. 

mardi 6 octobre 2015

“ LA VIE EST A PEINE PLUS VIEILLE QUE LA MORT” / Československo / Holoubkov ma forêt perdue...

 “ LA VIE EST A PEINE PLUS VIEILLE QUE LA MORT.” Paul Valéry.    

Vendredi 2 octobre 2015. 13 heures à Mayotte, une de moins sur un chemin à l’orée d’une forêt tchèque, de celles qui annoncent déjà la taïga russe, le galop des Cosaques vers l’est lointain et, dans l’autre sens, la chevauchée des hordes aux yeux bridés. Aujourd’hui, pourtant, ce n’est pas l’enfant qui se laisse aller à sonder ses mystères profonds et magiques, c’est l’adulte qui, par la pensée, passe et repasse sur ce chemin familier où certains se retrouvent écrasés par la force du destin, parce qu’on n’en revient pas quand sonne l’heure. Vendredi à midi, tonton a pris ce chemin sans retour ; il a rejoint les nôtres, ceux qui reposent dans la clairière et vivent dans nos souvenirs. 

                                                                                     Tonton Stáňa (août 1965).

    Est-ce que je peux être là-bas malgré les kilomètres par milliers qui nous séparent ? Comment est-ce possible alors que l’installation d’une guirlande et des lampions est prévue, qui plus est, parce que ce 2 octobre marque aussi les neuf ans de mon dernier ? Qui se permettrait de gâcher la fête, d’entamer chez les enfants un pécule d’optimisme si précieux pour la suite ? Pas moi en tout cas ! Va aussi pour la musique malgache : quel que soit le ferment, tout vient, tout irradie de l’intérieur... comme quand tu t’exclamais, tonton, avec gourmandise, à propos du métissage de mon fils « Takovej pěknej čokoládovej ! » (un si joli "chocolaté") ! 

                                                      Florian vers ses 3 ans (juillet 2009)

                                                                                          Tonton Stáňa (juillet 1969)

Sa mère a fait des gâteaux au chocolat, justement ! La Vzpominka na Zbiroh de Vačkař, ce sera pour un autre moment, au calme. “To chce klid”... On le dit ainsi, non, au pays des sombres forêts ? J’ai posté des photos pour les miens, sur facebook en me demandant s’il était convenable de s’afficher ainsi ? Mais puisque ça vient de l’intérieur... Et puis nous savons tous que tout et son contraire trouvent à se justifier urbi et orbi ! Il y a des pays où les gens banquettent et trinquent sec pour un enterrement !
    Chacun garde les portraits, les scènes et les décors qu’il peut, distillés, passés par le filtre des ans, contrairement au film accéléré qui défile pour ceux sur le point de franchir le pas, s’il faut en croire ce qui en est dit. Mes images convergent, lumineuses, dans le clair-obscur du chemin où l’armée des sapins tolère une délicate bordure de noisetiers. Dessous, des framboisiers dont la tendre verdure avait attiré une biche, une fois. Instantané fugace et fragile d’un regard partagé, exaltation même de la vie avant qu’elle ne se fonde dans la coulisse ! Sûr que pour l‘avoir précédée, elle est plus forte que la mort ! Sa sérénité rassure, grandissante, palpable quand le chemin donne dans la lumière foisonnante, au grand soleil du matin.
    Dormez tranquilles, cœurs aimants... Une première ligne d’arbres garde et protège la clairière. Derrière, en renfort, la forêt veille sur l’empreinte d’un passé qui seul peut répondre de  nos traces. La famille, les amis s’en retournent et moi je reste là, les yeux baissés, la semelle roulant mes pensées avec le gravier léger, du laitier peut-être, là où la biche s’est enfuie.
    Oui, tonton, chacun partagera ses images, ses sensations, en prenant soin d’éviter les sujets qui fâchent. Nos tableaux familiers s’animeront, dans la cuisine, au jardin, près du clapier, sous les pommiers, autour du taborak, le feu de camp, dans la forêt pour les myrtilles, les champignons, pour la bière du samedi dans la fumée de l’auberge, au lac... Dis, tu te souviens du brochet qui voulait se réfugier dans les roseaux ?
    Par-dessus les pointes des sapins, une locomotive poussive halète son effort dans la côte et si l’herbe est désormais lavée du poussier des escarbilles, l’écho des bouffées se répète comme ces voix qui se sont tues mais continuent à porter...
    Excuse-moi tonton, je pars chercher tante Joséphine : j’allais l’oublier, avec ses fleurs, sur la photo de famille... 

                                                                    Tante Joséphine, assise, avec des lunettes (1985).

dimanche 4 octobre 2015

Yves, pêcheur du Golfe (XIII) : “ L’ALLEMAND”, “MARCEL”, “LE BEAU MONDE !” / Fleury d'Aude en Languedoc


“ L’ALLEMAND”. En été, à la traîne, dès 6 heures du matin, il y avait déjà 200 personnes qui badaient. Un a demandé s’il pouvait photographier et filmer. J’ai répondu qu’il n’y avait pas de problème... Pourquoi refuser à partir du moment qu’on ne te gêne pas dans ton travail ?
A la fin du bol, il a même demandé s’il me devait quelque chose. Quelle question !
Chaque année, il revenait, je me souvenais de lui et une fois, j'ai eu l’idée de lui demander ce qu’il faisait des films.
“C’est que les hivers sont très rigoureux en Allemagne et nous avons beaucoup de plaisir, en famille et avec les amis, à regarder ces beaux souvenirs de l’été, de la Méditerranée !” 

“MARCEL”. Quand j’étais aux Cabanes, j’étais copain avec Marcel, un type qui avait échoué de l’autre côté de l’Aude, dans une paillote entre la plage et l’embouchure.... Les gens laissaient entendre qu’il avait un passé louche ; ils ne l’aimaient pas ; il le leur rendait bien, mais moi il m’avait à la bonne ; il vivait surtout de chasse, de pêche, de braconne s’entend... Il savait y faire... Il portait des alouettes aux restaurateurs de Béziers ou des hirondelles à la place... va voir la différence, une fois plumées ! Il avait entrepris de m’apprendre la pêche à la ligne. Si tu savais tous les loups qu’il a pu prendre en remontant l’Aude. Boh, moi, je suivais sans trop profiter des leçons... tu comprends, quand tu as les bastets du maître-nageur (voir le premier épisode) et la peau déjà cuite par le sel, la canne et lou moulinet (en occitan ce “t” final se prononce), c’est pour les demoiselles. Par contre lui, je sais pas comment il faisait mais avec une carabène et un coton, il était fort... et il ne s’en cachait pas, au contraire même... Il avait le chic pour s’en aller ferrer, en deux temps trois mouvements, juste au nez d’un de ces beaux messieurs de la ville, avant de recommencer devant le suivant alors qu’eux ne prenaient rien ! Ils en étaient babas, je te dis que ça !..
Les gens l’aimaient pas... soi-disant qu’il avait tué un garde-chasse et qu’il était là parce qu’interdit de séjour... Va savoir...” 



“LE BEAU MONDE !”. “ Tu sais qu’on peut être bête, saes (1), quand tu penses que pendant des années, pour le 14 juillet et le 15 août, on a régalé du beau monde... Ah, parlons-en du gratin ! C’est ma tante qui invitait la bonne société de Mazamet mais c’est nous qui étions bons pour la bouillabaisse, depuis le matin !.. ma pauvre mère surtout, aux fourneaux, dès l’aurore ! Et pour des gens riches qui portaient même pas le pain ! Cal esse bestio, saes !(“Il faut être bête, tu sais !")
(1) contraction de sabes, “tu sais” du verbe saupre = savoir alors que le nom “savoir” se dit “saber”... sauf fausse interprétation de ma part...
photos 1 & 2 La plage entre Les Cabanes et Saint-Pierre.
3 & 4 commons wikimedia hirondelle auteur Haltostress / alouette auteur Ómar Runólfsson Denmark
5, 6 & 7 assortiment, bouillabaisse.



lundi 28 septembre 2015

Yves, pêcheur du Golfe (XII) « AVEC LA LÈBRE , TU AS DE LA BIDOCHE ! »

« Yves, tu parlais des loups et des dorades... La dorade, justement, on n’en voit plus beaucoup alors qu’elle rentrait dans les étangs par bancs entiers...
- Si, si, à Sète, ils sont toujours à "quicho-pourrit" (1), au bord du canal, quand elles sortent de Thau, à l’automne... Et en mer, ça revient, figure-toi. L’autre jour, il en a pêché une de 3 kilos et ils foutent des coups de filets avec 50-80-100 kilos. Maintenant, ils prennent aussi du merlan... A l’époque y en avait pas... Et une autre fois, que je te raconte avant d’oublier, ce fut une pêche "monumentale" : on était aux dernières villas de Narbonne-Plage et on voyait les sardines, à 100 mètres, qui poussaient dans la "mélette" (2)... 


- ... Les thons dans le maquereau, les maquereaux dans la sardine, les sardines dans la mélette...
- Et oui, l’éternel recommencement... Enfin, faut le dire vite ! En attendant, on va faire bol ! J’ai calé une maille, j’ai encerclé, on la voyait sauter, dis... On a eu 7,5 tonnes de sardines, et attends, il devait y en avoir le double sinon 20 tonnes mais j’ai levé les plombs pour ne pas crever le filet. Écoute, c’est pas compliqué, à 9 heures le soir, avec le mareyeur, on était encore à charger le camion. Aqui tabe, can sei annat per l’argent, là encore, quand je suis allé encaisser, il m’en a donné 2F 50 du kilo !


- Aujourd’hui, j’ai vu le maquereau à 6,90 euros.
- C’est qu’on mange plus du poisson comme avant, c’est devenu du luxe alors qu’avant les pauvres pouvaient se le payer et je te dis pas par chez nous, tout frais pêché...
- Et oui, quand l’appariteur annonçait Saborit sur la place avec lou bairat (le maquereau) de Las Cabanos !
- Tè, on avait beau dire que la viande était idéale pour les travailleurs de force, seuls les riches en mangeaient souvent... Tiens, tu parles de Fleury... Tu sais que j’étais bien avec Soldeville justement, le boucher... Ero un cassaire, c’était un chasseur et moi aussi j’ai eu chassé quand j’étais jeune aux Cabanes et quand je tuais le lièvre, Isidore, s’appelabo : «Isidore, on fait échange standard...

         - Qu’est-ce que tu me proposes ?
        - Et bé, voilà, je te propose (j’étais maquignon aussi...)... le lièvre il fait 4 kilos contre autant de bidoche !
        - Ça marche qu’il répond le boucher ! Garde-moi les ! Tout ce que tu peux tuer, je prends !
Ma mère était contente « tu as fait une bonne affaire » qu’elle m’a dit... Eh, faut se débrouiller ! Lui, je pouvais y compter. Une fois j’en ai eu trois de lièvres (3) ! Il venait, Isidore, aux Cabanes, il tournait même dans les campagnes...
Il avait une fille, qu’il la couvait comme la prunelle de ses yeux...

(1) littéralement : pressé, serré au point de pourrir comme le fruit du panier qui gâte les autres.
(2) « Meleto, s. f., nom de divers petits poissons de mer qui ont une bande argentée sur les côtés ; argentine, joel athérine.../... PROV. « Per prene un toun, asardo uno meleto. »  Mistral / Trésor du Félibrige.
« melet » peis = sardinelle / « meleta » peis = sprat Dictionnaire occitan-français Arve Cassignac. 
(3) en occitan, "lèbre, lèbro" est du genre féminin. 

Photos autorisées 1. Banc de sardines (wikipédia). 
2. Publicité dessin de Benjamin Rabier. 
3. Le lièvre de la Fontaine toujours de B. Rabier. (si quelqu'un le demande, pour le prix d'un, j'ajoute celui qui est avec la perdrix, plus conforme aux lièvres d'Yves !)

dimanche 27 septembre 2015

Yves, pêcheur du Golfe : LES COUPS DE TRAÎNE. (XI) / Fleury, Golfe du Lion


Quand on faisait des coups de traîne à 10, 12 mailles, j’ai eu porté 2-300 kilos de rougets quand même ! Y avait de tout, des demoiselles, des maquereaux, ils faisaient des sous et moi j’étais payé avec un lance-pierre, je débutais... Pendant une paire d’années, j’étais pas payé : il fallait apprendre, on était matelots et ils en profitaient. 

La vente du poisson : une fois j’ai fait un gros coup, té, en face de chez toi, à droite du poste... Eh bé, c’était pour la fête de Sète, oui pour la Saint-Louis ; là j’avais que des copains : on fait un bol on en a eu une quinzaine, 20 kilos, des loups, et des beaux, de belles portions de 2-3 kilos. 




On remet le filet dans la barque. Un me dit « On pourrait faire un bol de l’autre côté, Marc y est allé, y a un trou, il pourrait y avoir quelques loups ! ». Allons-y, c’était tout près, on calait à 300 mètres. On va, on cale, je te dis pas : 350 kilos de loups et des pièces de 3-4 kilos !


- Qu’est-ce qu’ils peuvent manger si regroupés ?
- J’en sais rien, c’était dix, douze ans avant que j’achève, alors entre 1980 et 1982. E aro, per vendre aco ? ( Et maintenant, pour vendre ça ?) Je me débrouillais, j’avais des ramifications, je servais des restos à Port-Vendres et personne n’en voulait ! Jusqu’à Monaco, Nice, Marseille ! Couchanlegi est venu le chercher : y en avait 320 kilos sans compter ce que les copains ont pris... Quand y’a du poisson, faut pas faire le radin.
Je suis allé encaisser trois jours après, j’en ai eu péniblement 12 euros... pardon c’était en francs ! Que dalle quoi ! Ils sont durs en affaires et c’est pire chez nous... A cette époque le loup se vendait  entre 25 et 30 Francs parce que, à Sète, dans l’Hérault le poisson s’est toujours mieux vendu que dans l’Aude, toujours beaucoup plus payé qu’à La Nouvelle ! Au lieu de 8-10 ici, là bas, 12- 15... L’océan vient le chercher, la Côte-d’Azur qui arrive, les "Italianos". - Et dans les PO ?     
- C’est pareil que dans l’Aude, les mêmes types et maintenant à La Nouvelle, n’en parlons pas, c’est géré par les copains des copains de la chambre de commerce... Attendi, il y a quelques temps, une paire d’années, le jeune avait pêché une dorade de 4-5 kilos, ils n’ont pas pu la vendre mais ils ne l’ont pas retrouvée la dorade... elle avait fait des petits... ça n’avait pas traîné ! 



Photos autorisées : 
1. avec un rouget grondin /commons wikimedia, auteur Calcineur.  
2. loup wikipedia 
3. loup pêché à Marsillargues / iha.fr 
4. Dorade wikipedia

mercredi 23 septembre 2015

SALUT POILU, C'EST ENCORE MOI ! (fin) / Pézenas, Languedoc, France


Qu’on ne s’offusque pas, surtout : cette familiarité n’a rien de condescendant. C’est l’affection qu’elle exprime, la complicité unique entre un grand-père et son pitchoun en serait une bonne illustration, quand l’aïeul blague et que le petit rit... Même que le Poilu a vu quand le passant a souri... Un passant convaincu, qui plus est, d’un clin d’œil en prime, je peux en témoigner, oui, mais pas pour le mot d’esprit dont l’enfant rit encore. Sûr que, plus vivant que jamais, le combattant insiste auprès des adultes, suggérant que rien et que tout séparent un soldat tué d’un papé toujours debout, rappelant combien l’horreur de la guerre n’est qu’ordinaire pour des êtres pourtant dotés de raison sinon de conscience.
Et cette façon directe de s’adresser aux présents, sans la moindre pique, sans la solennité guindée des cérémonies... N’allez pas vous méprendre : la communauté ne serait pas sans les rituels, sauf que ceux qui donnent dans l’emphase, l’affectation en excès, plutôt que de ranimer la flamme, l’étouffent plutôt, à leur corps défendant...


C’est vrai que j’ai pensé “épatant” et presque “formidable”, sans qu’il soit question ici de surenchère, de provocation, ou de cette prétendue arrogance que de vils dirigeants étrangers nous prêtent pour mieux flatter des leurs, les bas instincts... Bien sûr que la guerre, déplorable, haïssable pour certains, n’a rien de formidable. Loin de gommer le tragique de notre Histoire intemporelle, il s’agit ici d’apprécier seulement ce que l’atmosphère, dans le Square du Poilu, a de vivant, de moderne, d’accessible et surtout pas d’émoussé.
Et pour être passé devant toi plusieurs fois par jour, une année durant, sans pour autant te croiser, à l’âge où la fascination pour un grand-père entretient l’optimisme sinon l’euphorie, la vie indéfectible, le monde beau et gentil, je te salue, Poilu... Finalement, c’est toi qui es venu à ma rencontre... C’est mieux ainsi. 

Dans la quête d’un bon angle, si je papillonne en évoquant les grenouilles de tes voisins asséchés, les poissons, je tiens à te confirmer que nous t’avons aperçu, cet été, avec notre oncle Pierre, sur le front d’Alsace, sur les crêtes de l’Hartmannswillerskopf... Trois générations sinon quatre, main dans la main avec nos Poilus, les drapeaux claquant vers le ciel dans le silence et le vent froid... Un grand moment...
Et maintenant, au grand soleil, entre nous, tu le vois ce bonhomme de huit ans qui voltige sur le gros ressort de l’aire de jeux, il y était, dans la froidure, sous son béret, comme les grands ! Et c’est bien qu’il soit là aujourd’hui... Il lui reviendra un jour que ta présence sereine répète inlassablement que les folies mènent aux catastrophes. Dans nos villes, nos villages, tes semblables apaisés, désabusés mais forts d’une conviction profonde, bien que raillés, un temps méprisés, ne le cèdent en rien, pas plus aux fantassins des combats glorieux qu’aux victimes pour l’exemple. 
Tu sais ce qu’a pu dire Valéry :
"La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas." (Paul Valéry).
Salut Poilu, à la prochaine ! Tape à nouveau sur mon épaule, pour que ce frisson ne meure ! Ce sera beau, fort comme une première fois ! 

photos 1. square du Poilu depuis le haut du cours Jean Jaurès. 
2. la ville depuis le square. 
3. Salut Poilu !
4. Une grenouille du bassin aux poissons, à sec. 

jeudi 17 septembre 2015

SALUT POILU, C‘EST ENCORE MOI... / Pézenas, Languedoc, France

“Qu’importe si tu rechignes à remonter ton cours, les flots, un jour, t’emporteront.” 

Sur le web, chacun grappille ce qu’il veut bien cueillir ou transplanter à son profit. Une lapalissade, d”un genre qui affleure la conscience des hommes au point de ne plus savoir laquelle des deux vient effleurer l’autre, arrive ainsi et résonne non sans raisons...
 
Celle-ci est venue flotter avec le bois peut-être charrié par la Peyne, lorsqu’un épisode pas toujours cévenol (je préfère dire “aigat") marque une fin d’été déjà teintée d’automne (https://www.youtube.com/watch?v=AezveVDQA2g attention la vidéo date d’un an). Quoi qu’il en soit, c’est la Lergue qui vient de faire les unes des eaux en furie. En attendant, ma jolie rivière piscénoise s’est invitée chez moi et j’ai pu lui exprimer le plaisir que j’ai eu, à la revoir au mois d’août  : “Je n’ai pas trop changé, qu’elle m’a fait ? ” 

Cela vous étonne qu’on puisse parler à sa rivière, sans être cabourd ou caluc (1) ? Ce n’est pas plus déplacé que de s’adresser à son dieu pour un déiste ou à sa vigne pour un vigneron. J’ai échangé quelques mots aussi, avec le Poilu, vous savez, celui du jardin public, en haut du cours Jean Jaurès, au niveau de la route de Roujan... C’était fin avril, (http://dedieujeanfrancois.blogspot.co/2015_04_01_archive.html), je lui avais promis de revenir, pour des photos, manière d’arranger la pauvre impression du cliché étique d'alors. 

 
Et puis, avant l’alerte aux fortes pluies, un post des amis de Pézenas, justement, ou de la ville, ou encore de l’Office du Tourisme, m’a fait l’effet du réveil qui sonne. Entre parenthèses, cette communication s’est envolée, comme fait exprès, malgré mes recherches sur le monument aux morts (face de bouc, je t’en veux !).
C’est que la dépêche semblait vouloir lui donner la parole, à notre Poilu sur sa canne ! La dénomination d’abord, “Square du Poilu”, marquant plus de proximité, de sentiment qu’un habituel “Monument aux Morts". 
Les autres morts, puisque vous le demandez, ceux de 40-45, d’Indochine, d’Algérie, loin de s’en formaliser, ne sont pas mécontents, au contraire, d’avoir ceux de 14 comme porte-parole.
 
Le square du Poilu me plaît vraiment ! Au point de le trouver carrément “épatant”... J’exagère ? Vous trouvez ?
(à suivre)

(1) “fada” en Provence... 

photos 1 & 2 La Peyne depuis le pont désaffecté du chemin de fer. 
3 & 4 Le poilu de Pézenas. 

samedi 12 septembre 2015

UNE LUTTE ÉPIQUE DES PÊCHEURS DU GOLFE (IX) / Fleury d'Aude en Languedoc

« ... Figure-toi que le 14 juillet 1949, c’est facile à retenir, nous avions quelque chose de lourd, de costaud dans le filet, une masse sombre... Ce ne pouvait être qu’une épave, une périssoire entre deux eaux... Oh ! mais quand on a vu qu’elle se laissait pas faire, la forme mastoc, on s’est demandé ce que ça pouvait être...
Tu peux me croire, d’ailleurs, si je me souviens, Bouscarle a pris la photo... demande à Francis, il doit l’avoir...C’était une tortue noire, mais noire ! Nous étions trois bateaux dont le Troukebek (me souveni pas coumo s’escris), celui de Francis, et neuf hommes en tout ; j’ai plongé pour passer les cordes. Ça a bien bataillé trois heures, par le plus petit bout, pour s’approcher de la jetée de La Nouvelle. Oh ! mais quand elle a vu le bord, elle s’est agitée ; alors on y est monté dessus, à deux... Adieu ! elle nous a envoyés en l’air comme si de rien n’était : on faisait pourtant 80 kilos chacun ! C’est qu’elle avait des dents énormes ! et quatre en plus ! Je ne te dis pas ! 
   Un a dit “Il faut la vendre !” Justement, un forain proposait de la prendre pour l’exposer. Y avait une foule, peut-être des milliers de personnes ! On voulait la tirer vers une rampe de mise à l’eau... Oh ! cinq ou six coups de nageoire et les 60 qui tenaient la corde se sont retrouvés dans le canal !  Enfin, mètre après mètre, on est arrivé à la monter sur le plan incliné. C’était déjà 6 heures du soir et depuis 3 heures, une camionnette était arrivée de l’aquarium de Banyuls... Quelqu’un avait dû téléphoner... Tu aurais vu comme elle a explosé le plateau de la 402 !
Ils l’ont mise dans un bassin, paraît-il... Combien de temps elle a tenu ? C’est qu’il lui fallait 30 à 40 kilos de sardines par jour ! puis la carapace s’est retrouvée à l’entrée de l’aquarium, elle y est peut-être encore... Et nous, on se l’est donnée depuis le matin pour un croustet en guise de repas, c’est tout ce qu’on avait gané !
- Quel dommage, réagis-je en imaginant leurs mines déconfites devant les sandwiches, si j’avais su... nous y étions justement, dans l’embouteillage de Banyuls, il y a quelques jours à peine, de retour d’Espagne par la Côte Vermeille... » 


Nada, à ce jour, de la part de l’aquarium sur la tortue géante : pas un mot, pas une photo de l’entrée, pas le moindre indice !
Il s’agit vraisemblablement d’une variété marine très grosse (les mâles peuvent atteindre 900 kilos !), comme tend à le confirmer, en dépit des silences de Banyuls, ma recherche opiniâtre... en rien comparable, néanmoins, avec la lutte épique des pêcheurs du Golfe avec un chélonien à la bouche dotée, qui plus est, de crochets monstrueux  !  (1) (à suivre)

(1) « T'es sûr, Yves, que tu replonges passer les cordes, maintenant que tu as  vu ce qu'elle avait derrière le gargaillou ? » (pour vous rendre compte l'adresse d'un cliché non libre de droits : https://www.google.fr/search?site=imghp&tbm=isch&source=hp&biw=1366&bih=631&q=tortue+luth&oq=tortue+luth&gs_l=img.3..0l10.4947.7901.0.9075.11.11.0.0.0.0.293.1738.2-7.7.0....0...1.1.64.img..4.7.1736.OHoXaxihl4w#tbm=isch&q=tortue+luth+dents 
et pour voir les autres  :
https://www.google.fr/search?site=imghp&tbm=isch&source=hp&biw=1366&bih=631&q=tortue+luth&oq=tortue+luth&gs_l=img.3..0l10.4947.7901.0.9075.11.11.0.0.0.0.293.1738.2-7.7.0....0...1.1.64.img..4.7.1736.OHoXaxihl4w#q=tortue+luth+dents&tbm=isch&tbas=0
 
photos autorisées : 1. cheloniaphilie / http://www.image-gratuite.com/ 2. flickr.com

vendredi 11 septembre 2015

SOUCIS ET MALHEURS D’UN PÊCHEUR DU GOLFE (VIII) / Fleury d'Aude en Languedoc

« Et oui, tu vois, je faisais la traîne l’été et l’étang l’hiver, pratiquement la moitié de l’année pour chaque pêche...
- Le poisson se vendait bien ou sont-ce les mareyeurs qui en tiraient le plus grand profit ?
- Faut pas chercher à comprendre... les mareyeurs ils t’attendent... comme celui de la Nouvelle... Je lui demande s’il prend les crevettes, tu sais, les crevettes grises. Il me dit “écoute, si tu me les fais cuire, je te les prends !” On était à la Nautique, on avait un baraquement  avec une gazinière et même une cuisinière à bois. Un jour, pour te dire, j’avais fait cuire quatre-vingts kilos, eh, de crevettes... Je les amène... Tu as vu les sous toi ? Je les attends encore...
- C’est un voleur alors ?
- Oh, oh...
- On ne peut pas le dire comme ça ?
- Et non, et non...
- Un drôle de lascar quand même ! Sûr qu’il les a vendues ! Et dire qu’il venait à Fleury...
- A Fleury ?
- Oui, même que l’appariteur clamait “ La sardine Tiaide est sur la place !” et qu’un ami de Trausse avait bien fait rire mon père en s’étonnant “Es uno especialitad d’aici ? ”. 


 - J’ai eu travaillé avec le père... lui était un gangster... “ Tu peux venir avec moi ?” qu’il me dit un jour. Je devais avoir 14 ans ; il avait une espèce de camionnette ; on va à Palavas. A l’époque, je sais pas si tu en as entendu parler de ça, y avait la “seinchole” (1), au mois d’août... comme ça, les thons venaient au bord, les barques les encerclaient, ils prenaient parfois 30, 40 tonnes de thons !.. Eren partits amé Justin et le temps que le type tournait le dos, il lui a piqué trois thons de 23-24 kilos comme ça, zaou, de par terre à la camionnette ! 
- Tu sortais en mer aussi ? 

- Oui mais je suis resté au sardinao (2), on faisait le sardinao et le thon... Ton oncle, lui, était au lamparo...
- C’est vrai qu’il m’a eu donné du poisson, à quai, quand il rangeait et nettoyait encore à bord...
- Enfin, laisse tomber Yves, songeur : c’est le pêcheur qui se la donne et toujours l’intermédiaire qui ramasse. »
C’est vrai qu’entre la confiscation des ressources par les grosses unités prédatrices (chalutiers, thoniers) (3), la toute puissance des mareyeurs, sans parler de la pression des touristes rois, du bétonnage des côtes, des pollutions successives, des "changements climatiques”, et j’en passe, la grande majorité des petits métiers a logiquement disparu quand les pêcheurs comme Yves ont pris la retraite.

(1) certainement en rapport avec la seinche (Littré 1874), l’encerclement des thons à Palavas.
http://fpmm.net/wp-content/uploads/2014/09/FPMM-Palavas_specimen.pdf
Pour un ancien de Victor Hugo, comment ne pas penser à monsieur Sinsollier, surnommé “Sinsolle”, qui nous fit aimer l’Histoire (pour moi, plutôt la géographie). Et ne me dîtes pas que, contigue aux anciens ateliers de mécanique encore marqués de cambouis où Salant et Guionie nous faisaient voltiger (enfin, il faut le dire vite...) sur les barres parallèles, la salle (qui fut aussi celle de la prof de musique), éclairée seulement par une verrière au plafond, ne laissait pas d’autre possibilité d’évasion... 


(2) nom du filet à sardines.
(3) quand je pense que les gros prennent impunément des dizaines de milliers de tonnes, notamment au large de la Libye, et qu’Yves, lui, a été contraint de brûler les barques construites de sa main ! L’égalité de traitement par l’administration “ ne vaut pas mieux qu’au siècle de Louis le quatorzième... “Suivant que vous serez puissant ou misérable...". Pire encore concernant la complicité des instances européennes... Un repenti de la pêche industrielle n’a-t-il pas déclaré : " Quant aux inspecteurs de la Cicta montés à bord, s'ils n'ont rien vu, c'est qu'un "paquet de cigarettes suffit à les acheter".”
http://www.lepoint.fr/actu-science/thon-rouge-les-revelations-fracassantes-d-un-pecheur-repenti-09-11-2011-1394264_59.php 
voir aussi http://www.midilibre.fr/2015/09/02/chalutiers-c-est-la-fin-de-l-hemorragie,1208127.php même si nous voulons insister sur une "hémorragie" plus préoccupante...

photos : 1. pêche au thon / Tunisie 1910. 2. Vela latina Par Joan Sol from Premia de Mar, el Mediterrani (Yvonne2) via Wikimedia Commons. 3. carte Palavas : auteur :"Map commune FR insee code 34192

vendredi 7 août 2015

LE TEMPS POUR UN PÊCHEUR DU GOLFE... (VII) / Fleury en Languedoc


    Entre le temps qui passe et celui qu’il fait, Yves continue de raconter la mer et la rivière nourricières.

    « Les prévisions du temps... on regardait le matin... j’ai appris avec les vieux. Ils se levaient tôt et regardaient la montagne « Ah, veit (avuèi = aujourd’hui), auren de vent, auren de gregau... »
    I coumprenio pares... Je n’y comprenais rien et eux te le disaient avant qu’il arrive « Y a des motons à la montagna : lou cers bufara. » Quand lou solel es arribat, te fatiguès pas (Quand le soleil s’est montré c’était ça...). ou alors ils annonçaient « Ah, veit auren lou vent à la mar...» 
    Ils regardaient du côté de la montagne, en visant les collines de Nissan. Sinon, ils regardaient toujours vers l’Est, jamais dans l’autre secteur, pas du côté de l’Espagne car ce qui arrivait de mauvais venait toujours de l’Est.
    Une fois, avec cette neige du grec qui casse tout... je devais avoir 17 ans. Il a tellement neigé, la rivière était gelée, on pouvait pas aller jusqu’au pont de Fleury, comme d’habitude, et on est allé chercher du pain à Valras en passant par le bord de la mer. Il en était tombé 25 cm au bord de l’eau quand même ! J’avais jamais vu ça. c’était petit vent du nord, et l’eau des vagues se gelait. Quand nous sommes repassés il y avait 50 ou 60 centimètres de dentelle de glace... je m’en rappellerai toujours. Attends, pour geler l’eau de mer ! Tout le monde, avec des sacs ; entre ceux qui allaient gaiement et ceux qui marchaient moins vite, on était une trentaine pour rapporter du pain à tout le village.
    Une autre fois, quand on a été au pont de Fleury, on voyait rien et il y avait tant de neige qu’on savait plus où était la route, et les caves (les fossés), à côté.  Tu savais pas si tu étais sur la route ou dans une vigne. A des endroits on en avait jusqu’au ventre. Celui qui était devant était mouillé jusqu’à la taille. On se relayait, trempes comme des canards ! A la boulangerie, chez Vizcaro, enfin Fauré encore, Paul s’est étonné : « D’ount sortissès ? » (D’où sortez-vous ?) On était partis à 7 heures du matin, et le retour aux Cabanes, à 4 heures, avec le bateau. Je devais avoir 17, 18 ans. Quand il neigeait, couillon, c’était la catastrophe... /...  Autrement, ils regardaient ou la montagne ou l’Est :
« De qué va faire ? » (Qu’est-ce que ça va donner ?) 
~ Sara vent à la mar... (le vent viendra de la mer). »
    Quand il y avait des éclairs à la mer "lamp à la mar, vent à la terra"... Et c’est vrai, le vent du Nord ne tarde pas... Aujourd’hui, pour le temps, les plus fiables, c’est la météo marine (1), ils repassent les bulletins en boucle, tant c’est important.  


~ Et la lune ? 


~ La pleine lune, c’est pas terrible pour la pêche. Ce sont surtout les courants qui gênent, plus que la lumière, parce que les courants sont désordonnés et il vaut mieux une direction unique, dans un sens ou dans l’autre, de l’est ou de l’ouest. Autrement ils étaient bons... A la traîne ils plongeaient d’abord une bouteille attachée deux ou trois mètres sous un liège et ils voyaient si en surface et dessous les courants se contrariaient. Ils constataient si le courant de grebi donnait ou bien le gregau. On était arrêtés à une maille de la terre (100 mètres), à réfléchir, à calculer, stoppés sur les avirons pendant un quart d’heure, vingt minutes, une demi-heure. Si c’était franc, on calait « la pouncho dins lou pounent » fallait aller vers l’Espagne. C’était plus mauvais quand il y avait le vent d’est parce que, dans ce sens là, il fallait "embasser" la terre à l’envers... Ils aimaient pas trop là... Après, les courants proches de la terre étaient forts, alors ça te prenait le filet, tu coulais ! Tu aurais rigolé ! tu arrivais au bord en coulant, tu aurais vu comme ça peltirait (tirer avec force) ! Au lieu de partir par ce bras (celui vers l’embouchure), il fallait démarrer par l’autre. Avec les courants forts, pour un noyé au niveau de Pissevaches, ils nous ont demandé de faire bol pour essayer de récupérer le corps. O ! adieu, on l’a retrouvé aux Ayguades, trois ou quatre jours après... »

(1) et surtout pas nos rigolos des différentes chaînes qui nous embrouillent en donnant le temps huit jours à l’avance, manière d’escamoter leur propension à laisser croire « Tout va bien, vacancez tranquilles... », en minimisant un rafraîchissement ou en exagérant jusqu’à 4 ou 5 degrés la température de l’eau pour que celui qui n’a pas pu partir s’en veuille davantage de savoir le veinard au bord de la mer... 

photos autorisées : 1. ciel d'orage en mer / Rémi Jouan / commons wikipedia. 
2. pleine lune sur la Méditerranée / pixabay.fr

jeudi 6 août 2015

LES BOGUES DU CAPITAINE AU LONG COURS (VI) / Fleury en languedoc

LES BOGUES DU CAPITAINE AU LONG COURS (VI)
« La bogue (1), ils en sont friands à Toulon, malheureux ! J’avais un copain, il était à la Seyne ; sa mère vendait sa pêche. Un jour il fait une soixantaine de kilos de bogues.
"Qu’est-ce que tu vas en faire ?", je lui dis, nous, là-bas, on les jette...
~ Vous les jetez ? mais tu veux pas rigoler, ça vaut un prix d’or !
~ Ça vaut un prix d’or ? Nous, on les donne aux goélands !
~ Mais vous êtes cabourds (2) ! C’est prisé ici !
Du coup, plutôt que de les jeter, la fois d’après, je les porte au chef, un grand chef de cuisine qui nous régalait de ses pâtés, au déjeuner. Je lui précise que c’est vraiment pas terrible, la bogue. 


Une semaine après, pour les déjeuners aux copains il me met deux gros bocaux.
~ Et qu’est-ce que c’est ?
~ C’est du pâté de poisson... Justement, ce jour-là, on était partis des Cabanes avec les tracteurs ; on avait fait en remontant et quand on a été au milieu des culs nus, midi, une heure moins le quart, c’était l’heure de manger ! Stoppez ! On avait un grand plateau que je mettais à la barque et je sors ça.
~ Et qu’est-ce que tu nous portes ?
~ Ma foi, du pâté...
Un commence à goûter c’est pas mauvais ! C’est bon ! Viro reviro (Tourne, retourne-toi), ils avaient tout flambé !
Quand j’ai revu le chef, je lui demande ce que c’était :
~ Ce sont les poissons que tu m’as donnés... C’est du pâté de bogues.
~ Ils m’en ont pas gardé  ! 


Le chef, lui, m’en avait gardé un peu et c’est vrai que c’était bon !
Ils nous en a donné du pâté, cinq ou six fois et ils se jettaient dessus comme la misère sur les pauvres ! Aurio vist aquo. J’étais au milieu comme un capitaine au long cours, ils étaient autour... et quand ils ont su que c’étaient des bogues, ils en sont tombés sur le cul !
C’était une sacrée escouade... C’étaient pas des fainéants, ajoute Yves comme pour excuser leur appétit. Ils étaient vaillants, tu sais... Quand tu fais cinq ou six bols ou sept...
~ Tu dis que tu avais les tracteurs quand même...
Non mais, tu sais, quand on voyait qu’y avait du poisson parce que le poisson, une heure tu en as et puis y en a moins. Alors quand il y en a, tu tires à la main : deux bols alors que le tracteur t’en fais un seul... il permet de reposer l’équipe quand ça baraille (bouge) moins. Sinon, fallait se la donner... et pas pour des bogues de préférence... Ce sont des combines qui viennent vite. Tu le comprends : c’est en forgeant qu’on devient forgeron.  


(1) Boops boops, communément appelée bogue est une espèce de poisson marin de la famille des sparidés. La bogue, Boops boops (Linneus, 1758) est une espèce largement répandue aussi bien en Atlantique oriental qu'en Méditerranée. Elle présente un caractère semi démérsal et vit au-dessus du plateau continental sur tous les fonds jusqu'à 490 m ; elle est plus abondante dans les cent premiers mètres.
Elle doit son nom de bogue a la taille de ses yeux qui sont particulièrement grands par rapport a sa tête, comme un insecte (en anglais bug). WIKIPEDIA. 
(2) à l'origine "mouton qui a le tournis" ; signification dérivée : "idiot". 

Photos autorisées 1. Bogue / Roberto Pillon / Commons wikipedia. 
2. Banc de bogues / Albert kok / Commons wikipedia. 
3. Photo d'Yves. Scène de senne de plage (la traîne).

mardi 4 août 2015

MESQUINERIES ET JALOUSIES DE PÊCHEURS (V) / Fleury en Languedoc


    Yves continue de parler de ce que fut son époque, pas parfaite certes, surtout concernant le caractère des hommes, parce qu’il a plutôt connu les jalousies, les mesquineries des pêcheurs, loin d’une solidarité des gens de mer, bien virtuelle, à peine moins indifférente que celle des terriens...

    « ... Moi ça me faisait rien, hé, d’affronter la tempête, tu sortais la journée... là on gagnait des sous. Une fois j’avais pris mon père, j’avais mis quatre ou cinq heures à sortir le filet de la glace... et la glace te coupait les mailles comme un couteau... Y a des jours tu dégageais vingt à trente tonnes d’herbes. Enfin tu t’en sortais. Maintenant c’est fini.
    ~ Vous aviez le même type de bateau ?
    ~ Oui, des barques sauf qu’à l’étang elles sont plus basses et ont le derrière carré pour mettre le moteur. Les miennes, je les ai faites, tu verras les photos. Y avait du poisson et on gagnait sa vie. Je suis allé jusqu’à la retraite sauf que jusqu’à vingt ans, j’étais pas déclaré... A 55 ans, ils m’ont dit qu’il m’en manquait cinq. Là, ça devient dur l’hiver à l’étang, plus que la traîne en été. On vivait à Narbonne-Plage, je faisais les trajets jusqu’à la Nautique pour prendre la barque... L’étang je n’y retournais qu’en septembre parce que il faisait chaud et c‘est là où c’est que tu vois que les gens sont pas... enfin je comprends pas, je ne suis pas un intellectuel, mais la moitié de l’année, j’étais à la mer... Enfin, ils auraient pu réfléchir qu’avec les eaux chaudes, ils prenaient 50 kilos d’anguilles pour en jeter 40. A chaque réunion je le disais mais ils étaient nés comme ça ! Alors aqui aurios vist (alors là tu aurais vu), j’avais la cabale contre moi !


    J’avais déjà eu du mal à entrer à Bages. Les pêcheurs de l’étang avaient fait obstruction ; j’avais même dû aller m’expliquer auprès des autorités, à Port-Vendres ; l’administrateur maritime était même venu en réunion pour confirmer qu’habitant la commune de Narbonne, j’avais bien le droit de pêcher à l’étang. Ils étaient pas commodes, jaloux pour quelques kilos d’anguilles de plus ou de moins... Une fois, j’en prends un bon paquet et je me dis que ça vaudrait le coup de caler encore... Oh, adieu, ils avaient encerclé la place... tu comprends, tout le monde se surveillait aux jumelles... 


    Et puis, c’est pas pareil qu’à la mer. J’ai dû monter tous les filets, en partant de zéro, et il en faut pour barrer l’étang. Et quand mon frère est venu, qu’il n’y avait plus rien aux Cabanes, il a fallu en faire autant ; ça m’a bien pris entre deux et trois ans... Pendant que Thérèse était aux commissions, figure-toi que j’alignais mes mailles dans la voiture, en attendant... Et après on dira qu’il n’y a que les femmes qui tricotent...  » 


Photos autorisées : 1, 2 Bages, l'étang et La Nautique (flickr.fr)
3. Vignes et village de Bages (Aude) (iha.ma). 

dimanche 2 août 2015

LES BASTETS DU MAITRE-NAGEUR (IV) / Fleury en Languedoc

A l’Aude et à l’étang.

«... L’étang (1), c’est un métier très rude, plus que la mer, tè ! Ouh là, y a pas de comparaison ! Attention entendons-nous bien : si tu veux faire le travail, parce que, comme je te dis, si tu attends que le vent soit tombé pour ramasser le poisson le lendemain, il vaut mieux que tu restes au lit, tu ramasses rien : tout est mort, on dirait de la bouillie, c’est tellement quiché, mais si tu y vas le jour du vent tu en sauves pas mal. Sur une tonne tu récupères 4 ou 500 kilos, la moitié, tandis que le lendemain tu perds tout...
Sinon, y a de tout, du loup, des muges quand il y a de l’eau qui tombait, de la Berre là-haut, il y avait des carpes
~ Les poissons d’eau douce, on n’est pas très forts ici...
~ Quoique, le mulet... l’eau douce, ça allait le coco, il fait la tangente lui.
~ Des gens disent qu’ils l’estiment autant que le loup...
~ Je vais te dire une chose, ça vaut ce que ça vaut : je préfère mieux le muge que le loup. Ça n’a pas de goût le loup, c’est fin oui, mais le muge... Un jour le petit-fils me dit, « Papé, tu sais, moi, le poisson... » Attends, je vais te faire quelque chose : je coupe les filets, j’enfarine, je passe à la poêle... Il m’a dit papé, du comme ça, tu peux m’en donner... les filets de loup, c’est pas pareil... Ne confondons pas : le muge c’est un charognard, c’est comme le rouget, il se nourrit de quoi ? il bouffe dans la fangue. Sinon, je te dis, à mon goût,... que celui-là, il n’avait pas goût à vase quand il montait dans la rivière. Dans l’Ayrolle, il y a Campignol à côté, il y a peu d’eau, alors là, la vase tu la trouves...




Il y a cinq ou six variétés de muges : le dorin, le mulet, le camard, la pointue, attends, y en a une autre... La lissette ça devient pas tellement gros ; le dorin n’est pas gros non plus, il a les ouïes orangées. Je les pêchais à l’étang et plutôt dans l’Aude.

Les anguilles, la mordorée et puis la verte et puis les grosses, les "mazères", costaudes (des deux mains, il forme un rond de 5 ou 6 centimètres de diamètre... Y en a qui sont plus grosses que les congres... j’en ai pêché une, une fois, dans l’Aude, elle faisait 6 kilos, on l’a mesurée avec Marceau, un mètre trente, je crois. A l’étang, elles étaient moins grosses, jusqu’à deux et trois kilos pour les "mazères".
~ Tu as connu la période où les camions les prenaient vivantes en Italie ?
~ Oui mais avant, à la rivière, on les vendait pas, on les jetait pacque les vieux ils avaient une tactique à la tchaou, ils cherchaient pas. Au globe, en une nuit, on pêchait 80 à 100 kilos, on les jetait. Des fois tu en gardais quelques unes  pour un Lespignanot qui demandait : « Ouais, Marceau tu me garderas quelques anguilles ? » Mais là, on a perdu des sous, je le pensais mais j’étais gaffet (apprenti) et le patron ne voulait pas chercher d’autres débouchés. On pêchait du loup, du muge et des plies, d’un kilo un, un kilo deux. Elles remontaient presque au pont de Fleury, on avait un poste à L’Horte de L’ami. Boh, il y avait plus de poisson quand même... » (A suivre...)


(1) Yves a pêché dans l’étang de Bages et de Sigean, il parle aussi de celui de l’Ayrolle et de Campignol qui lui est contigu.

Photos autorisées 1. Étang de Bages depuis l'île de Sainte-Lucie / merci Joyce11 / wikimedia commons
2. Mulets sur le marché : merci Classiccardinal / Wikimedia commons. 
Photos suivantes 3, 4, 5, 6 : rivière (fleuve) Aude entre le pont de Fleury et l'embouchure.

vendredi 31 juillet 2015

LES BASTETS... (III) « Pilier, ce sont les reins et les jambes...» / FLEURY en Languedoc

    


C’étaient des temps pas tendres mais ouverts aux espoirs, et qui donnent à réfléchir sur la période que nous vivons, un présent apparemment plus facile mais corrompu parce qu’une minorité cupide impose sa loi à une majorité sans courage qui devra aussi en répondre, à l’heure du bilan.
    A 83 ans, Yves veut bien témoigner du travail, de la vie, de la mer : il n’a plus voulu de l’école et parle de son apprentissage de pêcheur à la traïne, à 13 ans. 


   
    «... et le second essai, le bol du matin, à l’aurore... Des fois on venait jusque sous "Tintaine" (presque à Gruissan), on se tapait déjà 8, 10 km à pied... et ce filet en coton, mouillé qui plus est, il pesait lourd et puis fallait pas mettre le pied dessus : il te foutait un coup de pied au cul... Enfin, j’aurais été plus intelligent, j’aurais continué à l’école... Mais je regrette rien... c’est un boulot rude quand même.
    Après attends, oooh il m’avait trouvé une autre combine. Il était bien le vieux Garibaldi alors il m’avait foutu à la barque, on avait des corbeilles en osier, des brassets on disait, Après le premier bol, depuis Tintaine j’allais porter 400 ou 500 kilos aux Cabanes, à la rame et arrivé, retour à l’expéditeur !
~ On comprend qu’après la journée, pas besoin de faire du sport... 
~ Oh ! podes y anar (tu peux y aller), à 17 ans, je suis allé jouer au rugby, je devais faire 80 kilos, je jouais pilier. Il y avait Serin, l’international, et un toubib qui s’appelait Olive, il était sympa et te trouvait toujours quelque chose pour soigner un bobo... Ils venaient pêcher à la ligne, moi j’avais commencé à Fleury. Ils m’ont dit si ça me disait d’aller jouer à Béziers, pour ça allez voir mon père. Quand ils lui en ont parlé, il se sont fait jeter comme du poisson pourri C’étaient des coriaces, ils sont revenus à la charge et la troisième fois mon père a dit « Le matin quand il va rentrer y a pas de rugby qui tienne, y a lou traval ! »... Des fois c’était rude et devant ça y allait, mais si je me levais pas, à six heures, il me foutait en bas du lit... Puis j’ai joué jusqu’à ce que je parte à l’armée... » (à suivre)


 
Notes : en 1947 - 1948, non qualifié en poules de huit pour les huitièmes de finale (dans la poule de Lourdes qui sera champion).
1948-49, Non qualifié (dans la poule du FC Auch et du Stadoceste tarbais qui perdent en 1/8èmes.
1949 - 50, 1/16èmes : Béziers -Bègles (10-3) / 1/8èmes Castres Ol -Béziers (6-3).
1951 -52, 1/8èmes : Vichy - Béziers 14-12 (Lourdes sera champion). 

photo1 Saint-Pierre années 60 (pardon mais je ne sais plus à qui je l'emprunte...)
photo 2 Hugolesage "sunrise St-Pierre-la-Mer (commons wikipedia)