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vendredi 12 août 2022

LE PÊCHEUR DE TENILLES

 L’eau est froide. On dirait qu’elle crispe chacun des pores, qu’elle horripile chacun des poils. Il est tôt ce matin, plus encore si on considère la montre avec un tour d’avance sur le soleil (années 50-60). Ici on parle d’heure vieille. Vieille ou nouvelle, il faut y être, tôt, à l’instar des opiniâtres convaincus que la vie ne peut se gagner qu’à la sueur du front et qu’il est mauvais de flemmarder au lit. Même la religion affirme que ce qui tombe du ciel ne peut être que de l’ordre des nourritures célestes. 

Yves le pêcheur s’accommode de cette vérité première : mieux vaut en adopter les principes que réaliser qu’on y est soumis. Au petit matin, il a souqué ferme et traversé le fleuve avant de récupérer son vélo à peine caché au pied de la bâtisse du Chichoulet, un petit mas sur l’autre rive. Et le voilà parti sur son bicycle grinçant, sans frein, rouillé plus encore par les bruines salées de la mer que par les pluies ; fixé au cadre et sur le porte-bagages, l’engin de pêche et les sacs de jute pour rapporter le produit de ses efforts. 

D'après photo. 

Mais qui a été le premier à trouver la ressource ? A qui a-t-il confié sa découverte ? Qui a vendu la mèche ? Encore faut-il être courageux pour la récolter cette manne ; se lever tôt pour écouler la production au meilleur prix, l’offre et la demande sans l’avoir formalisée dans des études en classe. L’école ? Yves ne voulait plus y aller ! Marin-pêcheur depuis l’apprentissage, autant se mettre à son compte. Pour faire bouillir la marmite il cale son vélo sous un tamaris. Ensuite l’eau froide qui pique les jambes puis glace le ventre ; faut être rude ! C’est qu’il faut le rejoindre, loin au large, le banc de sable, sans avoir pied, chargé de l’engin. Sans combinaison comme aujourd’hui. C’est qu’avec un gisement exceptionnel, on en fait trois fois plus en trois fois moins de temps : vingt-cinq kilos environ en une heure et demie ! Griserie des sous qu’on va ramasser... Porté par son souvenir, il a dit « C’est le Mexique ! » Encore faut-il le gagner, cet eldorado, chargé du butin mais fatigué, frigorifié, à la limite de ses forces pour regagner le rivage. "Fallait être jeune !" ajoute-t-il quand même. 

Yves... quelques années plus tard... 

J’y suis, mais en touriste, seulement à supporter l’eau froide qui pique jusqu’aux genoux. Les tenilles ne baraillent (1) qu’avec le « Nord », le vent de terre, forçant jusqu’à s’appeler Cers, cousin germain du Mistral. Même cette situation a changé : de plus en plus de vents marins, de moins en moins de ce « Cercius » des Romains, chassant les miasmes, purifiant l’air et pour cela honoré dans un temple non loin de Sallèles-d’Aude. La mer va mal, passée par pertes sans profits... Finis ces arrivages de poissons bleus, sardines, maquereaux, anchois, qui faisaient le bonheur de toute une population adaptée aux ressources locales, synchrone avec la ronde des saisons, le cycle naturel, profitant avec modération des ressources de la planète... oh la tranche de thon, et sa sauce tomate, de temps en temps avant qu'on aille  trop loin dans une prédation déraisonnable. Finis ces bancs de tellines, ces cranquettes (2), crabes verts sinon enragés, qui, à l’occasion, avec les étrilles nageuses donnaient une soupe si goûteuse. Désormais, la mer semble morte, le peu de coquilles desséchées sur l’estran en atteste. Et pourtant, parce qu’il est au bout du connu, nous l’aimons ce présent sans lequel le futur ne se projetterait pas. Il porte le passé, il porte les bonheurs qu’on n’a pas su apprécier, pourtant plus forts que les malheurs que le temps, heureusement, émousse ; il est en train de mettre à nu le délire mortifère du système économique de la mise à mal, par une minorité, de la survie de tous... ne parlons pas de cet anachronisme barbare qui nous fait retomber dans une guerre si proche.  

(1) varaia, en occitan = se promener, s'agiter, rôder.  

(2) de cranquièiro en occitan = lieu où on trouve des crabes. 

mercredi 15 juin 2022

"Per Pentocousto, la guino gousto" / Pour Pentecôte la guine goûte.

Mamé Joséphine. 

<< Per Pentocousto la guino gousto >>* ! disait mamé** Joséphine (Pour Pentecôte goûte les guines). 

~~ E ho ! répondait l'oncle Noé, i pas poussiplé ! Lou qué se passéjo, souben trapara parès ! Es qué cal coumta amé lou coumpeut (Et oui ! ce n'est pas possible ! Celui qui se promène souvent ne trouvera rien ! c'est qu'il faut compter avec le Comput). E ho, es pas atal, cal coumta cinquanto jour dempèi Pasco ! (Et oui ! c'est pas comme ça, il faut compter cinquante jours depuis Pâques !) e am aquèl coumpeut as de guinos ou as de flours ! (et avec ce Comput, soit tu as des guines soit tu as des fleurs) >> 

Ce qui n'est pas facile non plus est de trouver le nom de ce petit cerisier autrefois favorisé en bordure des vignes, surtout dans la plaine, sinon plutôt sauvage Mais vous allez m'aider, m'éclairer !  

Prunus_fruticosa_(Zwerg-Weichsel)_IMG_2184 wikimedia commons Auteur HermannSchachner. Au fruit on s'y tromperait mais les guiniers du Midi n'ont pas les mêmes feuilles. 

En français il y a bien la guigne, fruit du guignier, autre nom du merisier (wiki) guignier cerisier qui porte les guignes (prunus avium juliana).

D'après le site sensagent, la guigne est une  petite cerise rouge à longue queue et très sucrée. Le littré précise que sa forme est semblable au bigarreau, plus petite, très sucrée, avec une chair d'un rouge noir.  

Le Centre national de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) dit la même chose mais cite "guynier", variété de cerisier, 1508 ainsi que "en a. prov. on trouve guinier dès 1350" (impossible de trouver la traduction des abréviations).

"La vie secrète de la nature" (Atlas) mentionne que c'est Lucullus*** qui rapporta un prunus avium dont la forme sauvage, (le merisier) ne porte que des petits fruits à gros noyaux de peu d'intérêt bien que le bois soit prisé par les forestiers. Avec les merises, on fait le kirsch, le marasquin dans le Sud-Est, le ratafia à Grenoble sinon le guignolet (avec les fruits ? avec les feuilles ? les recettes sont plurielles)... Le guignolet nous remet sur la piste du guinier. 

Les merisiers ont donné une première catégorie de cerisiers à fruits doux dont les fameux bigarreaux avec la variété Burlat. Dans la deuxième catégorie, on trouve les griottes (jus foncé) et les amarelles (jus rosé), appréciées outre-Rhin... parfois dans la recette de la forêt-noire. L'ancêtre serait le prunus cerasus originiare du SE de l'Europe ? Cultivée, cette variété qu'on trouve aussi en Italie fonce et devient plus sucrée. 

Les planches de Gründ indiquent que, contrairement au cerisier, le griottier est sans feuilles à la base des ombelles. 


Suite à cette approche franque des "cerasus" classés "prunus", et qui plus est avec l'homonymie malvenue de la guigne en tant que déveine, malchance, je n'ai trouvé de réconfort qu'en espépissant**** ce qu'il me reste de langue occitane dans sa déclinaison languedocienne. Et voici lou guiniè, cerisier à fruits acides et encore l'agrioutiè donnant des agriotos (d'où le nom griotte). Sont encore mentionnés dans le Trésor du Félibrige de Mistral : guindouliè et guindoulo, cerise aigre en Languedoc... Aïe voilà que Béziers s'en mêle pour nous compliquer le propos vu qu'ils disent guindoulo pour la jujube ! Laissons ! 

Alors, les guines qui, dans les petits profits tirés de la nature, apportaient un plus à la vie rustique de nos aïeux, viendraient, non sans évoquer le cerasus fruticosa, ce cerisier nain des steppes peut-être en rapport avec la cerise naine d'Europe, du "cerasus vulgaris" subspontané dans le Midi. J'en ai cueilli quelques unes, pour Pentecôte et mon arrière grand-mère Joséphine, manière de marquer le coup comme on dit ! 

<< Per Pentocousto la guino gousto >>

Bien sûr, ce propos reste ouvert à toute proposition voire contradiction... vos remarques étant toujours les bienvenues !    

* mentionné dans le Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral. 

** on dit mamé même pour l'arrière-grand-mère Joséphine Palazy épouse Hortala. 

*** peut-être à l'occasion des guerres contre Mithridate jusqu'en Arménie...   

**** ou espupissa, littéralement s'épouiller en parlant des poules, enlever les duvets après avoir plumé un volatile et, partant, "... éplucher, trier, scruter, examiner minutieusement..." (Trésor du Félibrige, Frédéric Mistral). 






dimanche 29 mai 2022

L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation.

 Les ânes... Pour Porfiri Pantazi, le "Russe" de Pérignan, les déclinaisons phonétiques du mot "âne" relevaient du mystère. Quand devait-il dire un "nâne", des "zânes", un petit "tâne" ? C'est vrai que les "zânes" restent des compagnons de travail parfois durement traités, par exemple en Afrique. Chez nous, l'égoïsme a vite mené à les gommer des mémoires comme on l'a fait ensuite des chevaux de trait, compagnons de travail pourtant livrés aux bouchers... Néanmoins, en retrouvant un bon cap, une question grave de vie ou de mort, cette Histoire qui est la nôtre n'a pas dit son dernier mot...  

C'est que, petits, notre première rencontre avec lui a eu lieu pour Noël : l'âne est à l'honneur dans la crèche. 

Ensuite à l'école "J'aime l'âne si doux marchant le long des houx..." du poète Francis Jammes qui les aimait au point de vouloir être accepté dans leur paradis. 

Troisième rencontre, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, puisque, avec Jacky le copain de classe, on l'a promené sous les grands pins du parc, au domaine de Grange Rouge, la propriété des grands-parents Lapointe. 

Puis, il y a Hugues Aufray 
"... en Provence, 
Au milieu des moutons, 
Dans le Sud de la France, 
Au pays des santons..." 
La fin quand même, il aurait pu ne pas en rajouter, parler de la mort suffisait à bouleverser les petits. A propos, au pays des santons comme en Italie, ne vend-on pas du saucisson d'âne ? 

Et puis, ces jeunes mariés au pays des maisons blanches rehaussées du rouge des géraniums. Ils vont à la corvée d'eau, c'est touristique presque d'accompagner les ânes sauf que le second bloque des deux fers, dans un refus typique de l'espèce. Demi-tour du marié devant, pour le cas pas exotique, qui enfant fit ses classes auprès de l'abuelo (le grand-père) : quelques claquements de langue et plus de problème pour arriver au puits.    

Un jour, devenu adulte et curieux de lectures, on aime cette traversée des Cévennes de Robert-Louis Stevenson en équipe avec Modestine la petite ânesse si docile et serviable. 

A quelque temps de là, à nouveau dans la vie vraie, c'est mamé Antoinette pour les quelques années à la ferme avec un âne au caractère bien trempé. On va parler de leur équipage à part tout à l'heure. 

Grains entiers frits wikimedia commons Auteur Superbass

Par la suite, comme une parenthèse triste avec d'un côté des êtres transportés de progrès mais inconscients des dégâts collatéraux à la nature et si oublieux dans leur ingratitude envers tous ces compagnons de jadis, ânes, mules, chevaux jusqu'aux cochons et aux volailles et pigeons. Il en fallut du temps pour que l'instinct de conservation ne nous ramène à un mea culpa de meilleures intentions : les municipalités ont installé des petites fermes pour que les enfants sachent de quoi ont l'air tous ces animaux domestiques jadis familiers. Peut-être la hantise du "Dessine-moi un poisson !"...  


  
L'an passé, dans les photos en noir et blanc de nos papiers, j'ai trouvé un petit âne gris certainement des années 50 - début 60. Était-il lié au vieux Cazal qui, au village, promenait ainsi sa carriole à peu près à la même époque ? 


Toujours l'an passé, au bord de l'Aude, un âne parqué (ou était-ce une dame ?) venait jusqu'à la clôture pour saluer les promeneurs. Devais-je lui dire que son coin "Nego saumo" n'était pas favorable à son espèce puisqu'au moins un jeune âne s'était noyé par là ? 

Equidae_Equus_africanus_asinus wikimedia commons Auteur NasserHalaweh

Voudrait-on les reléguer aux oubliettes qu'ils viennent poser leur tête sur notre épaule. On parle d'un élevage d'ânes à Coursan, à l'honneur ce mois-ci sur Audemag du Conseil Départemental. 



Raison de plus pour parler de l'âne de mamé Antoinette, une brave femme qui vivait à Vinassan, du côté de la cave coopérative ou du moins de ce qu'il en reste, s'agissant, bien que déplacée, d'une fontaine artésienne. (à suivre)


samedi 23 avril 2022

LESPIGNAN tous azimuts (3)

carte IGN Vue d'ensemble

Vue des abords sud du village avec les détails évoqués ici et dans les deux articles précédents. 

En liminaire ma reconnaissance à l'égard de l'IGN dont les cartes aident à situer et traiter le sujet. Merci également au fonds de documents libres de wikimedia commons, en l'occurrence aux maquettes très explicatives d'André Lopez, contribuant à donner corps à ce volet, pour l'histoire et les paysages bordant l'ancien golfe marin des Romains. Merci aussi à ma petite sœur sur sa poussette. 


Sept petits kilomètres nous séparent de Lespignan et sans encore aborder la localité, la plaine de l'Aude, les zones humides, les grenouilles, la Dame Blanche, les bergers et la pastresse nous ont bien fait commenter sinon jaser (c'est ça, montrez-moi du doigt !). 

Lespignan carrière La Cambrasse-Les Escaliers Author LOPEZ André

Lespignan ex source Valère-carrières Gouldeau Wikimedia commons Auteur LOPEZ André

Et il y aurait encore à dire à propos des alentours : au bord de la garrigue, les vestiges d'une villa romaine au lieu-dit Vivios, fouillée par l'abbé Giry ; toujours sur ce rebord, tracés au cordeau, les fronts de taille des carrières vieilles de deux millénaires, formant les marches géantes d'un coin "Les Escaliers". En suivant vers le levant ce seuil de garrigue où arbres et plantent profitent d'une eau latente, Gouldeau, une autre carrière, a barre sur l'entrée de l'étang de Vendres, là où les grues s'offrirent à mon enchantement. Reste à imaginer un quai et des bateaux de charge emmenant les blocs, qui sait, jusqu'à Narbo Martius, fille aînée de Rome hors l'Italie. 

Les pruniers morts ou quasiment (non renouvelés ? Il y a bien 30 ans qu'ils y sont... )

Au bord de la rivière, les vergers à pruneaux, des arbres pour changer des vignes mais un peu comme les poires de La Bâtisse, plus loin en aval, cinquante ans en arrière, pour un temps seulement, pourtant sur les riches alluvions apportées par le fleuve, qui ont comblé les avancées de la mer... La Clape, non loin, en face, était une île ! 



Ce chemin au bord de la rivière, à vélo : un plaisir.  Un cabanon, une borio carrément, une petite ferme permettant certainement un séjour de plusieurs jours pour la vigne et les foins, une borio aux acacias (des robiniers en réalité) et aux volets troués où nichaient des chouettes. 



A deux pas, avec la même possibilité d'habiter que précédemment, un îlot d'arbres vénérables, des peupliers blancs, sauf erreur, si imposants que dessous, le toit de la métairie abandonnée n'en voit pas le soleil. Des gens du genre peu recommandable ont dégueulassé au moins l'intérieur. Dommage ! Comment s'appelle cet endroit, là où aboutit le chemin des Lintostes ? La carte ne le dit pas, un Lespignanot nous le dira. 



lundi 18 avril 2022

Pays de loin, pays de près, LESPIGNAN (1)

L'Aude, il paraît, serait une frontière naturelle dans le sens sud-nord, ainsi certaines espèces seraient restées bloquées, du moins longtemps cantonnées en deçà du fleuve. Avant 1800, pas un seul pont ! A Fleury, pour aller vers Lespignan, un bac avant le pont suspendu puis l'actuel, depuis 1930, en béton Portland-Loisne et même "super-Loisne" pour l'arche ! Est-ce pour cette raison que dans notre langue maïrale, à sept kilomètres à peine, ce n'est pas le même mot pour dire le chien ou le balai (ca pour gous, balajo pour engranièiro) ! 


Sans quoi, en guise de rivalités historiques, pas plus qu'entre villages audois, ce droit de regard machiste, abusif et ringard sur les filles qui se mariaient ailleurs, le rugby penchant pour Narbonne ou Béziers, la pêche à la rivière suivant la rive occupée... Relevons plutôt les connivences et le vivre ensemble : à Aude, le canardage à coups de tures (mottes de terre) des "Parisiens" qui avaient la bonne idée de déranger pêcheurs et poissons en remontant le fleuve au moteur, à la mer, la cohabitation amicale entre locaux, Fagots, Coursanots, Vinassanots, Nissanots, Lespignanots... chez les garçons la camaraderie avec les "frères" de Clotinières qui passaient aussi l'été à Saint-Pierre. 

N'hésitez pas à compléter voire à reprendre, à me reprendre, témoins directs ou non de ces années 60 (on ne répond, on ne corrige que ceux qu'on aime)... 


Avant, vers les coteaux où se niche Lespignan, il suffisait de passer le pont (1) ; l'ancienne route tournait de suite à gauche (il en reste des traces). Bien sûr la saignée de l'autoroute (ah s'ils l'avaient prévue ailleurs... pardon d'être aussi égoïste que concernant l'implantation d'une centrale nucléaire, d'un cosmodrome ou de la septième giga-station balnéaire du Golfe) ne coupait pas la plaine. Plus encore qu'aujourd'hui, de vieux tamaris où la mésange rémiz suspendait son nid, dit-on, bordaient le bitume. La départementale aux tournants serrés n'était pas bien large et la remorque d'un camion-citerne trop à gauche a failli nous tuer papa, fraîchement nommé à Henri IV à Béziers (rentrée 1957), dans sa pauvre petite Dauphine noire (2)... Etonnant ce coin ! Aux marges du surnaturel, une fois, le noir de la route teinté de rouge lors d'une pluie de minuscules grenouilles et ne me dites pas "Ce n'est pas vrai !" J'y étais, dans la nouvelle Renault passée au bleu "séraphin" (impossible de trouver cette nuance référencée, pas plus sur le Net que sur mes grimoires, enfin, mes vieux compilateurs lexicographiques). Etonnants encore, les trois-ponts, non, pas ceux de Narbonne, ceux, moins banals et industrieux, en dos-d'âne, de cette départementale des tamaris, à passer en décélérant en haut pour chatouiller le ventre et faire rire les gosses. (à suivre) 

(1) "Il suffit de passer le pont c'est tout de suite l'aventure..." Georges Brassens... et comme c'est Pâques à Lespignan aussi, quelques rimes de plus : 
".../... L'herbe est douce à Pâques fleuries...
Jetons mes sabots, tes galoches,
Et, légers comme des cabris,
Courons après les sons de cloches !../...
Il suffit de trois petits ponts,
C'est tout de suit' la tarantelle...
Non, pas possible, Georges serait venu gratter ses cordes par là ? 
je vous taquine avec ce que j'ai cru et bien voulu entendre, il a chanté "il suffit de trois petits bonds"... je l'aime trop pour le trahir surtout qu'en parlant de sa mie, il avoue "...nous irons en enfer ensemble...", ce que je ne peux que partager... 

(2) 619 BW 11 pour la noire, 304 CS 11 la bleue. Ne me demandez pas mon plaque d'aujourd'hui tantl'immatriculation ne veut plus rien dire... 


dimanche 13 février 2022

LE POUMAÏROL (13) Passage dangereux pour les mineurs !

Pour couper aux restrictions liées au covid, deux copains se sont mis d'accord pour une petite virée pas loin et pourtant dans une contrée à la vie rude, dans la Montagne Noire sauvage, à l'écart de l'axe Mazamet-Carcassonne. 
Depuis Narbonne, en passant par Minerve, ils ont suivi le cours étonnant de la Cesse avant de monter vers le Plateau du Poumaïrol.  
"ATTENTION : ces individus ne souhaitent pas révéler leurs visages, nous les avons appelés Serge et Roger ; sur quelques lignes, ils se laissent aller à un certain vocabulaire réservé aux adultes et pas encore à une jeunesse chaste, innocente et fragile... du moins, c'est ce qu'on croit.  
Roger : avec plus d'eau, des conditions idéales pour une forêt dense, même si elle est cultivée depuis longtemps. Beaucoup de petites industries du verre dans le coin ; il en fallait du bois ! 
 
Les Verreries-de-Moussans Eglise St-Thomas wikimedia commons Author Fagairolles 34
 

Serge : et oui, les Verreries-de-Moussan... Dire que j'y suis monté en bonne compagnie à l'arrière de la 203 du copain lui aussi en couple ! 
 
Roger : hééééé tu n'en avais jamais parlé ! 
 
Serge : et oui, à propos d'amour, on ne dit jamais tout... 
 
Roger : ou l'inverse : on en dit trop quitte à en rajouter... sauf pour nous qui avons dépassé ce plafond de verre depuis longtemps ! 
 
Serge : le printemps débutait à peine... chacun dans une chambre de la maison inoccupée, de sa grand-mère, sauf l'été. Du concret, pas le virtuel des filles du Poumaïrol ! Pas même le souvenir d'avoir eu froid !

Roger : tu vas bien, c'est loin derrière nous... Être ou avoir été...
 
Serge : et oui, bien cinquante ans en arrière ! 
 
Roger : c'est sûr que tu n'as pas regardé les châtaigniers, les hêtres, les épicéas, les pins et les séquoias ! tu ne t'es pas demandé pourquoi la forêt était si dense, seule comptait la gonzesse qui avait tout pour plaire ! Qu'est-ce que ça a donné ? 
 
Serge : ah ! m'en parle pas... du plaisir, on s'aimait... c'était avec mon ex... Hélas, ces deux lettres suffisent pour connaître la suite... Que la vie passe vite quand même... 
 
Roger : ne nous plaignons pas, nous n'avons pas connu la guerre ! quel reproche injuste, définitif, trop commode de la part des parents qui n'ont pas d'autre argument ! Dans ce coin, pourtant, des familles gardent en mémoire des faits plus tragiques. On laisse à droite la route du col de Serières qui redescend, justement, vers les Verreries-de-Moussan... Dis, avec ou sans protection l'amour des années 60 ? 
 
Serge : tu es bien indiscret, animal ! Sans si tu veux savoir... Je te renvoie à la chanson de Stromae qui a fait beaucoup de bien dans la psychologie machiste, question pureté ou impureté de la femme... "Rendez-vous aux prochaines règles..." : au moins nous savions qu'elles nous protégeaient, enfin, je n'en sais pas plus, on ne savait rien, les tabous et non-dits empêchaient tout... Je n'ai retenu que ça, comme pour les paroles de Stromae, le leitmotiv, sans rien chercher le sens profond du morceau... Il fait déjà partie des chanteurs qui comptent, une classe au moins au dessus... Hé ! ne raconte pas tout dans tes articles, attends d'écrire un jour des pages olé olé pour les plus de dix-huit ans... 
 
Roger : Holà ! il faut être connu pour se le permettre ! La Fontaine, Apollinaire, Miller, le seul que j'ai lu... tu vois, je ne suis pas initié...
 
Serge : c'est que dans ce domaine, la théorie peut venir après la pratique... Gare-toi un moment qu'on ne capte pas partout par ici...   
 
Roger : tu as de la chance ! Là on peut stationner, il y a un point de vue... et puis allume mon bidule, mon module, enfin mon capteur que je ne sais plus comment ça s'appelle !
 
Serge : bon, c'est encore sur Wikipedia que les références sont les plus complètes. la littérature érotique et même porno a existé de tous temps et je te dis pas les illustrations, de même que la libido des religieux des deux sexes !  Ah ! Kessel, "Belle de Jour", Léautaud, je ne savais pas, et Aragon dis, "Le con d'Irène" ! Virginie Despentes "Baise-moi" ! fallait oser !
 
Roger : et cette femme, devenue chroniqueuse, attention, pas commode, agressive, qui donne pas envie... son nom m'échappe... 
 
Serge : je la cherchais aussi : elle est marquée dans les autobiographies, ça y est, je l'ai : "La vie sexuelle de Catherine M.", Catherine Millet ! 
 

 
Roger : oui, c'est ça ! je suis d'une inculture crasse... On va le voir ce point de vue, manière de se laver l'esprit de ces pulsions lubriques ? J'y suis monté en été, dans les bruyères fleuries, un temps frais avec une brume étonnante, si près de la Méditerranée. Dans le vallon en dessous, le ruisseau, la Cesse, je l'ignorais à l'époque. Tu as regardé la carte ? le Roc Suzadou ça s'appelle, dans les sept-cents mètres à quicon proché (à quelque chose près)... 
 
 
Serge : oui, j'ai vu, ensuite ça grimpe encore mais dans deux ou trois kilomètres, ce sera le plateau du Poumaïrol d'où les filles fraîches descendaient pour les vendanges, les pommes, les châtaignes en remontant, les olives, les sarments à nouveau dans la plaine... 
 
Roger : quelle belle histoire ! Heureusement que ce numéro de Folklore de l'hiver 1974, ils publiaient à chaque saison, nous est tombé sous les yeux ! Chez elles, une vie rustique entre huit et neuf-cents mètres d'altitude, avec le froid, la neige, les brouillards, le printemps et l'automne plus courts et seulement une paire de vaches, le foin pour l'hiver, des pommes-de-terre...
 
Serge : oui, je l'ai là, l'article, il dit aussi qu'ils cultivaient des navets noirs, des oignons qu'elles tressaient par douzaines les jours de pluie, les moungils, une variété de haricots qu'elles triaient à la veillée... ah, pour un cassoulet ! Le nôtre on l'a bien digéré, tu as vu ! Enfin, une économie de subsistance, du lait, des fromages sûrement, peut-être aussi des stères de bois de chauffage, des charbonnières... c'est sûr que les quatre sous gagnés en bas étaient les bienvenus... Ah ! je lis aussi qu'ils entretenaient des glacières remplies de neige l'hiver et qu'ils descendaient la glace l'été, pour les cafés de Carcassonne.
 
Roger : c'est sûr que les Mountagnols appréciaient de remonter avec l'argent des vendanges, ça me fait penser aux Ariégeois... la montagne était pauvre et faisait beaucoup d'enfants. 
 
Serge : c'est après la guerre de 14 que le plateau a commencé à se dépeupler... 
 
Roger : avant, peut-être, regarde, mon grand-père Jean, né en 1897, sa famille avait déjà quitté les montagnes de Montagagne, au-dessus de la haute vallée de l'Arize et de La-Bastide-de Sérou (1). 
 
(1) En 1926, 45 familles soit 285 habitants vivaient encore sur le plateau. En 1960 les familles n'étaient plus que 4 avec 18 personnes ; l'école a fermé en 1962, l'activité agricole a été abandonnée. Dans les années 70, alors qu'il ne restait que les vieux, de nouvelles familles sont venues, même si leurs visées étaient plus personnelles, apporter du sang neuf pour que le Poumaïrol ne meure pas. 

 

vendredi 11 février 2022

LE POUMAÏROL (12) un fameux cassoulet !

Décembre 2020. Roger et Serge, copains de toujours, ont décidé de faire un pied de nez au covid. Ils ne sont pas à court d'idées quand il s'agit de partir quelques jours, en célibataires. Cette fois, c'est un article de 1974 de la revue Folklore, traitant du département de l'Aude et des contrées voisines, qui les a décidés pour un pays perdu dans les brumes, aux confins du Tarn, de l'Hérault et de l'Aude, le Poumaïrol. Les filles de là-bas, aussi pimpantes qu'exotiques, descendaient s'embaucher dans la plaine, des vendanges aux olives et au ramassage des sarments de vigne...  
 
Roger : et non... à la tienne, va, que je n'en reviens pas de ton blanc, bio et pourtant bon, même si les sulfites, à faible dosage, ne donnent plus le mal de tête comme avant...
Serge : c'est le nom je crois qui fait peur, je parle des sulfites... le Saladou c'est gentil, au début d'une boucle à l'ouest de Ferrals, comme un plateau d'où la vue donne sur les Corbières et jusqu'aux Pyrénées ! Passage, ensuite, par le Serre d'Alaric, pas l'Alaric de Gaston Bonheur, à portée de l'Aude, qui change le temps qu'il fait, pas loin de Carcassonne, dans le couloir du Cers... tu les a entendus ces couillons, se gargariser de longue avec la "tramontan" quand ça souffle à 120 km à l'heure ? 
Roger : moi je les collerais à l'oral, ces météorologues au rabais !
Serge : surtout que Météo France le reconnais, le Cers... un des plus vieux noms de vent en France quand même !  
Roger : oui mais ton Serre d'Alaric, il est au pays des filles ? 
Serge : tu es terrible, tu sais ! oui, en descendant de "la" Serre d'Alaric, plutôt, au féminin, je crois, pour dire la montagne, ça doit venir de l'occitan... on y arrive au pays du Poumaïrol, pour consoler tes pieds qui chauffent, et pas qu'eux, pour des rêves fantasmés !
Roger : à mon âge qu'est-ce qu'il me reste sinon des rêves qui font revisiter ma vie en mieux ? Quoique, tu sais, Lacarrière Jacques, cet auteur amoureux-fou de la Grèce et qui a écrit au moins deux versions de son livre "Chemin Faisant", des Vosges à Leucate, par le Massif-Central, justement, il a quand même eu au moins deux ou trois aventures amoureuses en route... je te dis pas la puissance érotique d'une rencontre dans la platitude désertique et glacée du Causse Méjean, quand il cogne à une maison, que c'est une femme seule qui lui ouvre et que tout est possible... au premier regard, ils ont su qu'il y aurait une suite...  
Serge : tu vas bien toi, il devait être bien plus jeune que nous... 
Roger : "ça c'est vrai"... 
Serge : ne nous refais pas la Mère Denis que cette pub nous ensuque d'un petit coup de vieux en prime !
Roger : si tu avais connu mamé Antoinette, une grand-mère formidable à Vinassan... un grand bol d'oxygène de penser à elle... avec son tablier, on aurait dit la mamé de la pub !
Serge : je comprends... moi j'ai eu un grand-père formidable, comme tu dis, qui finalement ne languissait pas trop de redescendre dans le Midi, la guerre finie, la première s'entend... Il racontait, m'oubliait tant il entrait dans les détails, parfois de ce qui se dit avec les yeux, mais finissait toujours par m'aviser : "Ne le dis pas à ta grand-mère !".
Roger : hum, ton cassoulet ! 
Serge : je m'y mets rarement mais si je me lance, tu me connais, il faut que ce soit bien ! D'abord tu fais tremper tes lingots toute la nuit... 
Roger : dans l'Ariège ils font avec des cocos, enfin, certains... sinon figure-toi que je me souviens d'un que je n'ai pas mangé, tellement mon père en a bien parlé, c'était à Sainte-Colombe-sur-l'Hers, un restaurant connu pour sa recette mais qui a fermé une paire d'années plus tard. Ils y sont allés pour, en janvier, enfin, en hiver... le feu dans la grande cheminée... on en oublie que le système et le foie sont devenus plus fragiles... Combien tu mets de haricots ? 

2006 photos familiales

janvier 2006. Photos familiales

janvier 2006. Photos familiales. Ste-Colombe-sur-l'Hers.

Serge : toujours pareil, que j'aie du monde ou que je congèle. Là c'est pour quatre personnes, 500 grammes de haricots. Pour la recette, que veux-tu, chacun a la sienne, je serais bien en peine de te dire si le mien rappelle Carcassonne, Toulouse ou Castelnaudary ! Dans l'eau de pluie je les laisse tremper ; le matin, je les cuis dans l'eau froide avec un pied de cochon, les couennes, un oignon piqué de clous de girofle, le bouquet garni ; quand ça a bouilli, une heure de cuisson encore, à petits bouillons... Ah, j'oubliais, je sale à mi cuisson. Ensuite je fais revenir la viande et les couennes du bouillon, je réserve, puis, dans la même cocotte, sans la laver, deux oignons hachés, quatre ou cinq gousses d'ail et les couennes ; je mets tout dans la cassole. Par-dessus,  les haricots, les tomates, quatre ou cinq, les viandes sauf les bouts de saucisse, je mouille en allongeant le jus de cuisson... au four, pour finir, à 180 degrés ; trois heures après, j'ajoute la chapelure, la saucisse et si j'y pense, je casse la croûte au moins une paire de fois. C'est comme pour la bouillabaisse, faut se lever matin !
Roger : c'est du boulot mais c'est bon... Qu'est-ce que tu as mis comme viande ? 
Serge : oh je le fais simple, sans être au top de la gastronomie, je m'arrange pour mettre un peu plus d'un kilo de viande, presque un kilo et demi disons : là je n'avais que des côtes dans l'échine et de la poitrine, pas de jarret, puis des couennes, du confit de canard, de la saucisse de Toulouse.  
Roger : avec ce rouge de Fleury, super ! 14 degrés quand même, c'est beaucoup et demain il pourrait rester des traces... En Europe de l'Est, la police contrôle de bon matin et certains sont loin du zéro réglementaire ! 
Serge : oui ! faut voir ce qu'ils picolent aussi ! Si ce n'était que la bière... et suite à une nuit courte, pardi ! 

Un petit tour du camion, sans trop s'éloigner, manière d'apprécier la nuit si tranquille dans ce coin perdu. Démarrage, au matin, vers neuf heures. Trois degrés au thermomètre : supportables. 
 
La route du Poumaïrol à la belle saison.

Serge : c'est beau, des arbres partout avec la route qui monte ! 
Roger : et là les bois sont nus ; en été par contre, quelle verdure !
Serge : et oui, à l'opposé du versant méditerranéen, ils nous étonnent ces grands arbres, un dépaysement complet... des séquoias même ! et de belle taille !
 

jeudi 13 janvier 2022

LE DELTA DE L'AUDE, UNE PETITE CAMARGUE

En préalable à une balade romantique entre Saint-Pierre et Les-Cabanes, j'en étais resté à démontrer qu'il n'existait aucun lien entre le fait d'être né quelque part et de s'en trouver pour autant "imbécile heureux" (1). Quitte à me demander encore, peut-être sans raison, si nous n'aurions pas plutôt tendance à plaindre un apatride que le contraire, je tourne le dos à la polémique. Dans les facettes nourricières du milieu propre à influer sur les gens, natifs et autres, le delta de l'Aude, aux terres gagnées sur la mer et qui ont rattaché La Clape, hier encore une île, au continent. 


 Saint-Pierre-la- Mer, au pied de la garrigue. A partir des pins de Périmont, la balade vers Les-Cabanes-de-Fleury vient compiler le présent sur les strates de souvenirs plus anciens. Ne suivons pas, le long de la Clape, le sentier vers l'Oustalet, là où nous allions couper les carabènes (2) de la véranda devant la tente. Non, il faut se décider à traverser la zone lagunaire, ces confins que l'étang occupe plus ou moins l'hiver, en période de grandes eaux. 


 L'été en principe, on peut passer même si la surface craquelée reste traître, cachant sous une mince couche sèche, un sable noir, vaseux et collant où l'on s'embourbe en moins de deux. Bien que du coin, j'y bloquai une fois les roues du vélo dans une gangue très adhérente. Étaient -ce les vapeurs du gris-de-gris mis en bouteille au domaine de Gaysart qui m'avaient rendu distrait ? Ce qui est sûr est qu'elles avaient rendu la mésaventure très joyeuse, du moins avant que de devoir nettoyer... Mais je me répète, j'ai déjà raconté ça, fin août me semble-t-il... tout comme de s'embourber avec la voiture... "Non papa, on va s'embourrer ! " redoutait mon aîné... 

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/08/pissevaches-saint-pierre-la-mer.html


 Suite à ces espaces plutôt familiers, il fallait et il faut toujours passer la chaussée de la Grande-Cosse, inondable peut-être, en cas extrême, redescendre un peu plus loin, s'engager de l'autre côté où la piste se dirige résolument vers les dunes du littoral. La carte indique bien qu'elle rejoint un ancien lit de l'Aude. Le Payroulet, les Terres Salées, des territoires où l'eau douce le dispute au sel, où le privé veut prendre le pas sur le public : qu'en est-il de cette clôture barrant initialement le passage ? Ou, est-ce ouvert parce que les taureaux camarguais n'y sont plus ? 


 Plus loin, une petite rivière empêche de passer... Étrange : il n'a pas plu depuis belle lurette... N'est-ce pas pour dissuader ? inciter à faire demi-tour ? L'eau pour l'agriculture ?  l'eau pour la chasse ? Et la multiplication des pompages à la rivière, autorisés ou non, qu'en est-il ? Par moments, des salves de coups de fusil derrière la chaussée qui clôt le vaste domaine de Saint-Louis, jadis aux Salins du Midi. Choquant, en pleine journée... Il me semble qu'à l'affût, le gibier se tire le soir, la nuit, le matin mais qu'il se repose durant le jour. Non, excusez mes craintes mais ce n'est peut-être que du ball-trap. Le pouvoir de l'argent donne aussi celui de détruire à grande échelle, est-ce la raison de cet a priori négatif et accusateur ? Pour en finir avec cette eau, si c'était pour entretenir les zones humides afin d'en préserver la biodiversité ?  


 Aujourd'hui, le réalisme voudrait me fermer les portes du rêve alors qu'en post-adolescence romantique, à l'âge des premiers émois, des amours incertaines, c'est ici, sur la piste de limon, de sable et de sel, que je revoyais celle à laquelle je m'accrochais toujours, touché par les destins croisés de l'Arlésienne, Mireille, Magali, la condition première étant le moment de la journée. Il faut que le soleil donne fort, à la verticale presque, quand la nature et les hommes l'évitent. Alors on se retrouve seul, écrasé sous la chape implacable. Alors, la survie commande de rejoindre la forme incertaine, dansante, d'un tamaris ou d'un pin... Sauf qu'entre maléfice et enchantement, sur la platitude désolée de la sansouire, là où des croûtes de sel rappellent un chott du Sahara, les mirages savent faire danser aussi comme une silhouette disloquée et floue d'une femme en perdition : c'est Mirèio, l'héroïne de Mistral, empêchée d'épouser Vincèn, son amoureux aux origines trop modestes. En dernier recours, elle va aux Saintes-Maries-de-la Mer, implorer les saintes mais elle n'y arrive que pour y mourir, frappée d'insolation lors de la dure traversée de la Camargue. Autre histoire contrariée, celle de Jan qui se défenestre pour avoir, par respect des conventions sociales, renoncé à la femme qu'il aime, une "coquette" déjà promise mais à un parti moins intéressant, l'Arlésienne. Et comme pour conforter toute cette mythologie, dans les années 60, on entend à la radio  :  

"... Magali, Magali,
Qu’est-ce qui t’a pris de t’en aller pour le pays de nulle part
Parce qu’un gitan t’a regardée en faisant chanter sa guitare?
Magali (3)..." 

Tout y est : le refrain en occitan "... L’amour que pourra pas se taïre, e ne jamaï se repaua, Magali...", les gitans, le soleil qui rend fou ; en prime, l'évocation de la grande steppe de la Crau, créée par la Durance, encore une fille folle de Provence. 

Mais il faut absolument rejoindre les pins là-bas. Ce n'est que dans leur ombre bienfaisante que la fièvre s'apaisera même si on aime prolonger en imaginant le chaume sur les murs blancs de chaux de la maison du gardian, une cabane de sénils comme dans la Salanque ou celles, à l'origine, des pêcheurs de l'embouchure de l'Aude.  

Plus prosaïque, alors que Mistral est récompensé du Nobel de littérature pour son poème en occitan (autre chose qu'une collection de la Pléiade, à la réputation surfaite, truffée d'auteurs d'extrême droite sinon fascistes), encore pour une histoire de femme, la Vénus d'Arles (1er siècle avant JC), force est toujours de constater qu'elle reste détenue à Paris (4)... Entendez-les donc, ces racistes historiques rejetant la "race du Sud" mais s'accaparant la culture méditerranéenne ! 


 Pourtant, rien ne saurait gâcher la fin de cette balade. Au bout de la piste, le camping, puis toute la poésie du fleuve vers les Cabanes-de-Fleury, d'autant plus qu'en septembre, le pays respire à nouveau après la saison touristique (une pensée pour Gilbert Bécaud)... Le Cers a, une fois de plus, lavé et le ciel et nos âmes... 

(1) "... Je suis né quelque part
Laissez-moi ce repère..." Maxime Leforestier.
 
(2) arundo donax, roseau poussant en rideaux en bordure de cours d'eau ou dont la présence indique aussi celle de l'eau, ici les résurgences des infiltrations dans la garrigue.  Où les copains de la Barjasque allaient-ils donc couper les leurs pour leur campement sur la plage ? 
 
(3) Robert Nyel 1962. 
 
(4) demandez aux Agathois comme ils ont dû se battre pour rapatrier l’Éphèbe d'Agde, plus de vingt ans après sa découverte ! 

 

Maison_de_Frédéric_Mistral,_Maillane,_1914 wikipedia Domaine Public Source BNF, Auteur Agence Rol. La porte à mouches, les moustiquaires à guillotine à la fenêtre, les chaises en paille pour prendre le frais après la chaleur de la journée...