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samedi 2 octobre 2021

LES VENDANGES EN FAMILLE / Fleury-d'Aude en Languedoc

"... Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux,
Dès l'aube, à mi-coteau, rit une foule étrange..." 
Les Vendanges - Aloysius Bertrand. 
 
Bien sûr les chansons à boire aidant à cueillir, parfois grivoises, paillardes, dans l'excès pour masquer le naturel amoureux et charnel, l'attirance... En famille, c'est un autre registre, tout en retenue, d'autant plus que le jeudi ou en fin de semaine, les enfants mènent aussi la rangée. Et puis l'oncle Noé savait aussi jouer de charme et de tendresse...  
 
Chanson : 
"... « Michaëla la brune, Ce soir au clair de lune, Comme par le passé, Nous irons nous griser / De baisers » ? C’est « pâle de fureur : (qu’) Antonio le pécheur / luTT (à prononcer comme "luth", l'instrument NDM) ce mot qui lui brisa le cœur » après lui avoir impérieusement demandé : 
« Quel est donc ce billet / Entre tes seins cachés, / Michaëla ? » C’était aussi une chanson qui revenait régulièrement aux vendanges..." (1) 
 
A onze heures, le repas à la vigne : 
"... Nous avions sans doute au menu, mamé Ernestine et moi, une omelette avec des tomates en sauce, ou bien des pâtes – nouilles ou coquillettes – avec de petits morceaux de viande, je ne sais plus quel était le « plat de résistance ». Etienne, lui, avait surtout un long morceau de saucisse qui faisait envie. Mais ni gril, ni poêle. Pendant que le feu crépitait au-delà du chemin poudreux, dans le minuscule champ de luzerne qui séparait nos deux vignes, à quelques pas de là il s’était mis en quête, le long de la rivière voisine, d’une branche fourchue qu’il finit par trouver, une espèce d’Y énorme auquel il eut tôt fait d’appointer les deux branches à l’aide de son couteau de poche. La saucisse une fois piquée dessus, il tint quelques instants ce gril rustique au-dessus des braises, retourna le tout. Une bonne odeur vint nous caresser les narines tandis que les gouttes de graisse tombaient dans le brasier en grésillant, et il eut lui aussi un repas de roi..." (1)
 
"... 1939. 
En arrivant à « Joie », nous mangeons. Plat du jour : macaronis et confit de canard et de poule. Nous reprenons le travail à midi moins le quart. Le soir, nous remplissons 33 comportes..." (1) 
 
Des "voyages" de comportes : 
 "... Un chariot de comportes. Pour charger les comportes pleines sur le deuxième rang, on balançait aussi la comporte en comptant « un, deux, et trois). Et le 3 coïncidait avec l’arrivée de la charge sur le plateau. Un jour, Fernand Monbiéla (de Poitiers, mari de l’institutrice de l’école maternelle, par ailleurs comique troupier déjà apprécié dans ses chansons par papé Jean à une gare de triage durant la guerre 14-18), sans doute peu partisan de cette méthode, remarqua ironiquement : « Et si nous comptions jusqu’à mille ? » Cela aurait été beaucoup plus fastidieux que la situation enviable de ce jeune médecin qui conseillait à sa jolie patiente, en l’auscultant : « Respirez bien, mon enfant, et comptez jusqu’à mille ! »..."(1)
Coquet, le brave Mérens : "Nous l'avons sur des photos de vendanges..."

"Coquet. Le petit et vaillant cheval noir répondait au nom de « Coquet ». C'était un Mérens, petit cheval d'Ariège (le GDEL écrit même « race fçse de poneys (!) ») vaillant comme pas un. Un jour, racontait mon père, il avait fait quatre gros voyages de comportes (sans doute seize ou dix-huit chaque fois) de la Pointe de Vignard (notre vigne la plus éloignée, à quatre kilomètres du village), ce qui lui totalisait 32 kilomètres dont seize à pleine charge (3), avec les côtes de Liesse et de Fleury. Il a tenu le coup, mais en arrivant le soir, trop fatigué, il s'est couché au lieu de manger. Papé Jean racontait cela avec une admiration non dissimulée. J'ai connu ce cheval à l'écurie jusqu'en 1935 à peu près.(1)

(1) Extraits du livre "Caboujolette" François Dedieu 2008 autoédition. 
(2) traduction : "Ils traitent le monde comme des bêtes. Nous n'avons jamais agi ainsi. les vendangeurs couchaient à la maison et mangeaient avec nous."
Fermée généralement par deux volets, la pourtalièiro est la grande ouverture au-dessus du portail, souvent servie par uno carello (une poulie de fer aux montants scellés dans le mur) et permettant de monter la vendange, le foin, la paille. 
(3) 38 kilomètres, mesure prise sur Géoportail IGN. Donc 19 à pleine charge !

Dans le bleu du ciel, uno carrelo...

 
 
 

 

mercredi 21 octobre 2020

ALCANTARA 3 / Un voyage en bateau 1953.

Puy Gaudy avec vue de Sainte Feyre Creuse wikimedia commons Auteur mattderu
 
"M et Mme Petiot étaient nos "correspondants de guerre" dans la Creuse pendant la seconde moitié du conflit mondial 39-45. Du fait que nous n'avions guère à Fleury que notre vin comme ressource, nous souffrions beaucoup du rationnement extrême de la nourriture. Il était devenu assez courant de rechercher un correspondant dans le Centre pour échanger tout à fait légalement du vin contre du beurre, du lard, des pommes-de-terre. Pour ma mère, ce voyage à Cholet via Limoges où l'on changeait de train fut sans conteste le plus long de sa vie. En entendant le haut-parleur répétant "Ici LIMOGES, ici LIMOGES, sept minutes d'arrêt BUFFET. Correspondance pour...", elle ne put s'empêcher de s'interroger : "Et ba disoun aco, buffez ?" Elle pensait à nos vendanges sous le soleil brûlant. Nous nous arrêtions un court instant de couper des raisins et disions pour plaisanter, redressant notre dos douloureux : "Deux minutes d'arrêt. Buffez !", ce dernier mot traduisant en occitan (bufar = souffler) l'idée de souffler un peu, d'observer une courte pause. 

 Le 28 mai au matin c'est Paris ; les bagages à faire transporter de la gare d'Austerlitz à la gare Saint-Lazare ; les papiers officiels à retirer au Ministère ; les visites non moins officielles à effectuer - je ne pourrai d'ailleurs les faire toutes -. Des amis, parents de mon beau-frère nous ont gentiment offert leur hospitalité. Et le 30 mai, à neuf heures du matin, la capitale va doucement s'estomper derrière le train-paquebot qui nous emporte tous les trois, mon épouse Jirina, notre petit garçon de deux ans et demi, et moi, vers Cherbourg et vers notre destinée. 

Bientôt s'offre à nos yeux le beau paysage normand, vert intense des prairies, du bocage, des milliers de pommiers : 

"L'odeur de mon pays était dans une pomme. 
Je l'ai mordue avec les yeux fermés du somme, 
Pour me croire debout dans un herbage vert. 
Et qui donc a jamais guéri de son enfance ?" écrivait Lucie Delarue-Mardrus.  

Après Lisieux, Mézidon, Caen qui a tant souffert durant la dernière guerre après le grand débarquement du 6 juin 44. Bayeux désormais liée au premier discours du général de Gaulle en France libérée, Bayeux ancienne résidence des ducs de Normandie, qui souffrit beaucoup de la guerre de Cent Ans mais fut miraculeusement épargnée en 1944 lors des combats du débarquement, pourra toujours présenter sa longue broderie dite "tapisserie" de la reine Mathilde. Nous roulons tout près d'Isigny au beurre réputé, traversons Carentan et devinons sur la droite Ste-Mère-Eglise dont il fut beaucoup parlé dans les communiquésde l'OKW (Oberkommando der Wehrmacht) en juin 44. Valognes enfin et CHERBOURG. J'ai eu tout juste le temps de penseraux vaches normandes, au Perche et à ses beaux chevaux gambadant en liberté aux confins du bocage normand, à tous ces fromages, livarot, camembert cher à Marie Harel, au pays d'Auge dont mon père qui détestait la tradition du "trou normand" au calvados, imitait la prononciation des autochtones avec le "o" de pot et non celui, plus courant en Occitanie, de "port". 
 
Pommier_normand_-_panoramio wikimedia commons Author aapel

 
Tout cela est désormais derrière nous. Et, devant, c'est bien la gare maritime. Visa des passeports : Sûreté Nationale RG sortie, petit cachet en losange apposé sur nos visas de service N° 2211 et N° 2212 "valables un voyage, pour se rendre au Brésil" délivrés le 12 mai 1953. Formalités douanières : nos bagages ont bien suivi et sont tous là. Nous grimpons à bord d'un imposant bâtiment, l'ALCANTARA, magnifique paquebot britannique, malgré son nom de baptême, tout juste arrivé de Southampton, et qui ne va pas tarder à lever l'ancre. Il sera dix-sept heures.   

lundi 1 juin 2020

L'ESPAGNOL / Bernard Clavel, Jean Prat.

L'Espagnol ! 

Qu'il sonne ce nom quand on est du Sud puisque leur immigration est aussi sobre qu'ancienne... Et comme il fait sonner faux l'ouverture contemporaine tous azimuts au nom de principes aussi aveugles qu'éculés. 

Qu'il carillonne ce nom au souvenir de ces colles de vendangeurs dignes et qui apportaient dans nos villages centrés sur leurs vignes un exotisme, un intérêt et une acceptation de la différence. 

Qu'il est poignant ce tocsin lorsque 450.000 Républicains passent en France lors de la Retirada pour être hébergés si indignement. 

Pourtant, en dépit de notre veulerie gouvernementale (malheureusement c'est un travers récurrent de nos politiques), les rapports entre humains eux, rapprochent et savent être généreux. 

Pablo et Enrique sont réfugiés. Ils arrivent dans le Revermont, sur les premiers contreforts du Jura, pour les vendanges. Si Enrique, obnubilé par la lutte contre les fascismes ne s'attache ni aux gens ni au pays, ce ne sera pas le cas de Pablo. 

Quand on aime la terre et qui plus est quand ce sentiment devient passion parce que la vigne sous n'importe quelle latitude sait nourrir un amour paysan exclusif et parce que Bernard Clavel a su si bien dépeindre la réalité des relations humaines, la mentalité petit propriétaire, les rapports de couple ou homme-femme, ceux intergénérationnels avec des vieux aussi dignes que respectés (un abime avec leur situation en EHpad et le covid... terrible la régression !), la vie familiale avec une fille trisomique. 

Une histoire, un livre formidables avec en prime, ce qui est rare, une adaptation magnifique de Jean Prat à la télé (disponible sur le site de l'INA).
Jean-Claude Rolland qui joue le rôle de Pablo s'est suicidé en prison alors qu'il ne s'agissait que d'une banale pension alimentaire non versée... 

Et quand on est pour les sensations fortes et non pour une ligne de vie plate, L'Espagnol, le livre, son auteur et le film vous font vite passer d'un pic d'exaltation à un repli de détresse... mais sans ces forces qui déstabilisent, remettent en question et obligent à plonger au fond de soi, que vaudrait la vie ?  


jeudi 7 novembre 2019

SARDO & CANSOUS / La sarde et les chansons des vendanges

Libations et chansons au dessert mais même dans les vignes des airs égaient parfois les vendangeurs. 

Marie Laforêt Mostra di Venezia 1994 Wikimedia Commons Auteur Gorup de Besanez
Quand la mort de la fille aux yeux d'or a récemment été annoncée, comment ne pas penser aux Vendanges de l'Amour ?

 https://www.youtube.com/watch?v=aj42vpjJBQU

Et, tant que nous y sommes, pourquoi ne pas se demander si d'autres chansons ne marquent pas un moment aussi important de l'année, de la vie même des hommes, au même titre que la moisson ? Entre parenthèses, avant la vigne, l'Aude comptait beaucoup pour la production de blé et à ce titre, la plaine de Coursan était particulièrement renommée.

Une vraie colle quand le net lui, répond aussitôt :
"Trois jours de vendanges", zut de l'opéra et ce n'est pas faire injure au genre que de demander les paroles faute de ne rien comprendre.

https://www.youtube.com/watch?v=k-3ZyRQgHb0

En suivant, "Vendanges à Porto" par Yvette Giraud (1916 - 2014)... pas de quoi faire le dégoûté mais ça fait rengaine, de celles que la profession se permettait, sur un 45 ou un 33 tours derrière un titre phare, comme "Les Lavandières du Portugal"... Sinon une belle voix grave et une belle carrière au Japon !

https://www.youtube.com/watch?v=_hPvM13Wy34

Avec les Zouilles, en 1989, c'est dur de couper les raisins, c'est dur dur dur aussi pour les portugaises même si la musique est pas mal...

https://www.youtube.com/watch?v=JhMeBxwVnP0

Et là, l'envie me démange d'aller en vendange même si ces paroles s'entonnaient plutôt au dessert d'un bon repas... Oh qu'ils étaient joviaux et rougeauds les convives. Jusqu'alors, m'interrogeant sur la forme de grappillage avec un petit panier percé, j'ai cru que c'était seulement leur état qui les mettait en joie, aujourd'hui je réalise seulement les idées égrillardes à peine cachées sauf qu'enfant nous n'avions pas les codes et que quand nous fûmes en âge, c'était passé de mode de s'échauffer par ce biais :

"...  Ninette, ma Ninette, vois ce beau raisin
Oh ! Fit la fillette, y en a plein la main ;
Que la grappe est belle, que les grains sont noirs
Le bon vin, dit elle, coulera du pressoir..." 

http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/paroles/petit_panier_le.htm

Chanson de vendange Wikimedia Commons Author L.L

Retour à l'ordi. En 2009, pour Gérald Genty, auteur-compositeur-interprète, "... j'en ai marre du sécateur (...) le premier qui regarde sa montre c'est toujours une sale rencontre..." On sent le vécu, les sous à la fin... parent éloigné "t'es porteur", parent proche "...sur le tracteur...". C'est gentil.

 https://www.deezer.com/fr/track/3766197?autoplay=true

Encore de la rengaine cent pour cent "tralalala" avec Lily Fayol (1914 - 1999). Franchement franchouillard...

https://www.youtube.com/watch?v=Owmg1GQn3yQ

Marie Laforêt encore en italien cette fois "la vendemmia dell' amor" : l'occasion de dire que les échanges semblent grippés... Qui sait ce qui a du succès en Italie maintenant, ou en Espagne (Y volvamos el amor) ? Dommage si cette réflexion alimente l'idée que l'Europe n'est que celle du pognon...

Luis Mariano redonne lui aussi dans la recette qui rapporte avec le rythme gnagna de ses "Vendanges à Madeira".

https://www.youtube.com/watch?v=x70hKIptyCE

Et pour ceux qui aiment le genre, "La Marche des Vendanges" d'Edouard Duleu (1909 - 2001).

 https://www.youtube.com/watch?v=3yLTZjK9aHM

Bouquet final avec les Petits Chanteurs à la...

"... s'il picole c'est qu'il doit boire, pinot pinot pinot noir... buvons à sa santé et à celle des cocus pinot pinot pinot..."  

Comment ? les petits chanteurs ?? oui mai à la Gueule de Bois fallait préciser, genre barbus...

https://www.youtube.com/watch?v=uG907s1tn9A

Alors est-ce sain d'abonder pour un florilège pas en rapport avec les Vendanges de l'Amour" (1964) de Marie Laforêt (1939 - 2019) ?  Le seul rapport n'est-il pas avec l'adolescence ? Et puis cet esprit famille à l'époque... L'oncle Noé notre vedette avait ses airs de vendanges : 

« Lous anciens rasclaboun,                  « Les anciens raclaient,
Nous autris rasclan,                                 Nous autres raclons,
Lous joubés ba saboun,                           Les jeunes le savent
Elis rasclaran,                                          Eux ils racleront… »

Ah ! L’envie me démange
D’aller en vendange… etc… »

Air connu... Par contre, pour Michaëla, on en sait moins... Il semblerait que ce soit Micaëlla mia, chanson napolitaine  1910, paroles F.L. Benech / musique Léo Daniderff ? (3) :

"... Quelques paroles (j’ignore la suite) de Michaëla  (et non Manuela, 1er succès de Julio Iglesias).

« … Quel est donc ce billet                       
Entre tes seins caché                                  
Michaëla ?                                                 
Et, pâle de fureur,                                     
Antonio le pécheur                                    
LuT (1)  ce mot  
Qui lui brisa le cœur :
« Michaëla la brune,
Ce soir au clair de lune,
Comme par le passé,
Nous irons nous griser
De baisers… »

L'oncle Noé à droite.
Et  pour finir comme les barbus de tout à l'heure :
« J’ai mal occu… j’ai mal occu…
J’ai mal… occupé ma jeunesse :
J’ai troP (2) été, j’ai troP été,
J’ai trop été dissipateur »

 (Caboujolette / 2008 / François Dedieu).


(1) Il faut bien prononcer le “T”, comme dans “luth”.
(2) bien faire entendre la liaison.  
(3) voir https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/09/vendanges-ambiance-fleury-daude-en.html
Cela parait futile mais papa aurait aimé l'évocation de cette piste pour cette chanson marquant nos pages de vendanges à Fleury... Il n'empêche, pour être heureux, chacun se doit de chercher et de cumuler ses petits bonheurs, ses bonnes émotions, comme des perles de couleur pour un collier ou un bracelet...  



 


 

samedi 2 novembre 2019

LA SARDO, le festin qui clôt les vendanges ! (suite & fin) / les vendanges à Fleury.

Jean Camp
Suite de la sarde dans la Clape, quelque part vers la chapelle des Auzils : extrait de Vin Nouveau, un roman de Jean Camp paru en 1929.

"... Le maître s'est assis au centre de la table. A sa droite la "moussègne" qui dirigeait la file ardente des coupeuses ; à sa gauche, Elida, la plus jolie fille du pays qui va se marier dans quinze jours. [...] Placide et les femmes mûres passent les pots et les plats. [...] nous sommes ici entre paysans qui savent que le pain qu'ils broient et les mets dont ils se nourrissent sont des choses sacrées et qui coûtent à produire.
On mastique à grand bruit, posément [...] les quartiers de viande disparaissent avec tranquillité. de larges rasades les accompagnent. les cruches vont et viennent de la barrique aux mains des dîneurs. Les chiens rôdent autour, langue pendante, et broient les os dépouillés qu'on leur lance généreusement. [...] Parfois, hilare et ruisselant de graisse, un mallorquin rote bruyamment et soulève des tempêtes de quolibets ou de protestations [...]
le maître rit à cette liesse qu'il a voulue; il remplit le gobelet de la moussègne qui proteste et qui sent chavirer sa tête ; il glisse une galanterie à Elida qui, rouge de chaleur et de plaisir, se renverse, le corsage tendu, et rit aux anges, en coulant de loin, un regard à son promis. les saladiers sont vides, les gigots avalés, les os aux chiens, les cassoulets engouffrés, tandis que les vins guillerets de la plaine coulaient à flots.
Et voici l'heure ardente et douce des desserts. Les matrones portent à bras tendus les tours frissonnantes des flans dorés nageant dans une mer de crème, les pyramides sucrées des coques (...) Les grappes croulent (...) On se lance des grains à la tête. Les gars ont ouvert leur gilet, leur chemise et montrent le poil de leurs pectoraux. Les filles ont la gorge nue, les lèvres écarlates, les pommettes chaudes. des refrains s'élèvent, titubant (...) et cassés soudain par une rafale de cris confus [...]
Le maître a quitté son siège [...] Les vendangeurs s'égaillent à la recherche d'un retrait vers lequel ils traînent une fille, consentante et folle qui se pend à leurs bras, les baise à pleine bouche et secoue sa crinière brune en dévalant les pentes glissantes de la colline... "

Ah ! me concernant plutôt que les pentes glissantes de la colline, ce ne fut que le raide rampaillou en bas du roc des Pénitents. Qui devinerait aujourd'hui qu'en surplomb de la route, au pied de la garrigue, juste séparées par quelques amandiers ou un figuier proche d'un bassin bleu de sulfate, de petites vignes se côtoyaient sur deux courbes de niveaux aujourd'hui squattées par des genêts et même des pinèdes. Et faute de faire équipe avec une belle brune, je me coltinais les comportes pleines. C'était raide avec en prime un lacet... C'est la responsabilité des raisins qui rend le souvenir si présent et si plaisant à rappeler... Le pontet de grosses pierres plates à passer, les voitures en bas, pas l'envie de faire l'andouille ! Combien de coustals sur la remorque ? Une dizaine peut-être... Elle n'est pas haute car attelée à un motoculteur vert qui se mène avec un guidon. 



C'est un Holder, vert et à coup sûr vaillant vu le petit moteur !
Et si j'en parle, ce n'est pas pour le petit Holder, vert et vaillant pour sa taille, c'est parce que c'était chez Odette et Georges Bonnet ; ils nous avaient embauchés avec Vincent... quatre personnes, la petite colle, familiale, des patrons gentils, doux et aimants... Et à la fin, nous avons été invités pour la sardo !

Un bon pâté onctueux de Lacaune, des œufs au mimosa... j'imagine peut-être. Je ne me souviens pas du dessert (une île flottante ou un flan aux œufs, peut-être quelque chose de jaune mais là je brode)... par contre, le lièvre à la broche et servi avec son saupiquet, pas un salmis, ça, j'en suis certain !  

Pas chez Odette, le tourne-broche, mais chez mamé Ernestine, ici avec une dinde on dirait...



 


jeudi 31 octobre 2019

LA SARDO, le festin de fin des vendanges ! / les vendanges à Fleury.

La récolte rentrée, la tradition voyait le propriétaire payer le repas de fin des vendanges à ses employés. Une tradition déjà passablement mise à mal dans les années soixante.
Le nom de ce repas "La sardo" restait pourtant. On peut lui associer sa version empreinte de religiosité, le "dièu lou vol" (n'allez pas me chicaner en corrigeant "diu", "dius", "dièus", "dio", ou encore "diou"... ).

Dans son livre sur le canton de Coursan (Vilatges al Pais / 2005) Francis Poudou et les habitants relèvent (page 94), "Lo Dius o Vòl" :

"Lo Dius o vòl.
La dernière charrette fleurie, les vendanges se terminaient par une fête que l'on appaelait "Lo Dius o l ! (Si dieu le veut on se retrouvera l'an prochain) (1), repas ou goûter pris en commun et généralement offert par le propriétaire."

Dans "Les Vignes de Sainte-Colombe", Christian Signol écrit :

"... Le dernier soir Charles Barthélémie accorda le "Dieu-le-veut", l'ultime festin destiné à récompenser la vaillance des vendangeurs. Comme c'était la coutume il y eut des mets exceptionnels : bouilli aux câpres, boudin noir et fricassée de volailles, puis des chants, des danses, des rondes et des farandoles qui se perdirent dans les vignes pour de mystérieux adieux..."

Signol évoque avec pudeur les suites sensuelles de ce repas festif. Jean Camp, lui, s'attarde sur une symbolique plus païenne du repas de fête partagé :   


"... Demain nous mangerons la "sarde", tous assis à la même table. Je paie le rancio à tout le monde. Placide, au barricot ! [...] De la charrette qui vient d'arriver et qu'on a laissée au bord du chemin, les hommes tirent planches et tréteaux, et dressent une longue table à peine branlante. les bancs s'alignent tout au long. Puis viennent les corbeilles débordantes de lourds pains ronds, les grands paniers de fricassées, les jattes de volailles rôties, fleurant le romarin, les cassoulets figés qu'une flambée de bois sec va faire ronronner tout à l'heure, les soupières de salades vertes où s'entassent l'anchois pilé, les œufs durs, les tomates douces, l'huile, le poivre, le sel, les piments rouges et les "chapons" spongieux frottés d'ail, les panerées de coques légères saupoudrées de sucre, les flans tremblotants, les crèmes onctueuses et les débordements de raisins fins : muscats déjà ridés aux grains poisseux de miel, chasselas ferme à la robe nuancée, "terrets" blonds de peau épaisse mais de parfum franc, grappes de malvoisie au goût de violette, picpouls énormes et blanc-vert, et même, mêlé aux aristocrates de la table, le modeste et juteux aramon, le roi de la plaine, avec ses prunes serrées d'un beau noir, son jus clair, sa chair tendre et sa généreuse abondance. 

Cassoulet Carcassonne Wikimedia commons Auteur BrokenSphere
Un tonneau de cinquante litres est hissé avec précaution jusque là et calé contre le portail. Le régisseur y met cannelle mais veille à sa sécurité. Puis, les petits barrils de vin blanc, de vin vieux, s'accotent près de lui. Enfin, pour le dessert, les bouteilles pansues de rancio qui mettront le feu aux joues des dîneurs.
Les femmes ont retroussé leurs manches et leurs jupes. Accroupies devant des foyers improvisés, elles réchauffent les potées de légumes, les marmites où chantonne bientôt la graisse fondante. D'autres battent la salade ; d'autres couvrent de branchage fin les desserts qui ont attiré un vol de mouches et d'insectes..." (à suivre)

(1) une interprétation qui en vaut d'autres...

mardi 29 octobre 2019

FIN DES VENDANGES / Les vendanges à Fleury.

Es houro, il est temps de fêter la fin des vendanges avant que les châtaignes et le vin nouveau ne viennent tout bousculer. D'autant que les intempéries peuvent s'en mêler avec les fameux épisodes jadis dits cévenols et plus justement appelés désormais "méditerranéens" (1).

"... Fin des vendanges… mais pas pour tous : « Ah ! tu dis “Aro pot plouré !” (Maintenant il peut pleuvoir NDLR). Et moi qui n’ai pas fini de vendanger ! Je m’en souviendrai l’an prochain ! »..." Caboujolette : 2008 / François Dedieu. 


Dans "Vin Nouveau", Jean Camp a décrit ce dernier voyage :

"La dernière charretée de vendange.
La dernière charretée de vendange arrivait dans une gloire de poussière et de feuillage. Les trois chevaux aux colliers pointus tiraient à plein poitrail dans un carillon de grelots de cuivre avec les pompons rouges chasse-mouches, des rubans aux gourmettes, des houppettes de tamarin fleurissant les rênes sous l'entrelacement des touffes de roseaux et de pampres verts.
Sur la charrette, les comportes étaient cachées par des branches de saules et de sarments feuillus. Par-dessus, deux longues planches faisaient unsiège dur mais solide aux vendangeuses qui, de la vigne dépouillée au cellier regorgeant, semaient sur la route leurs refrains, leur gaîté et leurs sonores bavardages.
Les hommes suivaient, par derrière, accrochés aux ridelles, traînant les seaux, la masse de bois à l'épaule, la chemise échancrée sur la gorge velue et barbouillée de jus violet... Leur barbe de huit jours trouait leur peau tannée et leur donnaient l'air de brigands. Ils répondaient à tue-tête aux chœurs des vendangeuses qui rythmaient le chant aux cahots de l'équipage.
Les larges câlines pendaient dans le dos des coupeuses; Quant au charretier, la verge de son fouet était tressés de fleurs et il fallait voir comment claqua sa mèche en arrivant aux premières maisons du pays.
Les belles vendanges ! Pas une goutte de pluie pendant vingt-cinq jours, pas trop de moustiques, pas trop d'à-coups !... le dernier convoi apportait aux cuves les dernières comportes. Demain, la fête traditionnelle de la fin des vendanges. Un coup d’œil au ciel dégagé semblait dire : "A présent, qu'il pleuve ! Mon vin est à l'abri."

Fin des années cinquante... Jour d'automne... Depuis le préau de l'école, malgré la punition latente, à bout de bras, je me suis haussé au-dessus des carreaux dépolis du bas des fenêtres pour voir passer un chariot qui chantait. Les comportes étaient bien garnies de feuilles de vigne. Grisaille dans le ciel. C'est le tableau qui me revient quand on évoque la fin des vendanges. Je n'ai pas été pris... 

(1) Depuis 1958, l'Aude a connu 99 épisodes avec plus de 120 litres d'eau au mètre carré, dont 27 en octobre. Proches de nous, parmi les plus marquants, en novembre 1999 dans les Corbières et jusque dans la plaine de l'Aude (36 morts, 623 mm d'eau à Lézignan en 24 h, pratiquement le total annuel !), l'an dernier à Trèbes, 15 morts. Celui que nous venons de subir (mercredi 23 octobre surtout) a déversé 187 mm de pluie à Narbonne et 241 à Béziers (à Fleury, comparativement comme à Béziers). 


mardi 22 octobre 2019

ÉCHOS DE VENDANGES ET PREMIÈRES SENTEURS DE CAVES / Les vendanges à Fleury.

Norbert et Mignon
Suite du carnet de 1939 :  

"... Dimanche 22 octobre (St Mellon). Aujourd’hui nous pressurons pour tante, puisque, cette année, du fait que l’oncle Noé est mobilisé du côté de Nice et Biot, nous vendangeons et pressurons ensemble. Tante demandait chaque jour à Norbert, à la vigne, si son père avait écrit. Mon cousin Norbert, à 15 ans, avait dû conduire le cheval et rentrer chaque jour la récolte vendangée et il s’en tirait, ma foi, très bien. Il faut dire que Mignon, leur cheval, d’un âge canonique, se montrait fort docile. Il n’empêche que le charretier était quand même bien jeune. C’est quand il revenait d’un voyage de comportes dans l’après-midi que tante Céline demandait des nouvelles. Presque toujours une lettre était là. Le soir, elle répondait, revivant l’époque déjà lointaine de ses dix-sept ans, quand elle allait se marier, pour le meilleur et pour le pire, avec son cher Noé qui revenait alors la voir, le plus souvent possible, depuis sa caserne de Lunel où il effectuait le service militaire..."
Caboujolette / 2008 / François Dedieu.  


Dans son roman, Les Vignes de Sainte-Colombe, Christian Signol n'hésite pas à présumer de la psychologie féminine lors d'un épisode de caponage : 

"... Charlotte ne put s'empêcher de penser à ce jour où, à treize ans, parmi les enfants qui jouaient à imiter les adultes, elle avait été mascarée pour la première fois par un fils de montagnard qui ne savait pas qui elle était. Ce qu'elle avait appris ce jour-là, elle ne l'avait jamais oublié, et elle se disait parfois que le meilleur de sa vie se trouvait sans doute entre deux ceps de son domaine, du jus de raisin plein la bouche, maintenue par des bras vigoureux, les yeux grand ouverts sur le feu du soleil et le regard de l'homme. Elle se demandait si ce moment, ce souvenir, ne serait ps le seul qu'elle emporterait, à l'heure de quitter cette terre... "