Jean Camp |
Suite de la sarde dans la Clape, quelque part vers la chapelle des Auzils : extrait de Vin Nouveau, un roman de Jean Camp paru en 1929.
"... Le maître s'est assis au centre de la table. A sa droite la "moussègne" qui dirigeait la file ardente des coupeuses ; à sa gauche, Elida, la plus jolie fille du pays qui va se marier dans quinze jours. [...] Placide et les femmes mûres passent les pots et les plats. [...] nous sommes ici entre paysans qui savent que le pain qu'ils broient et les mets dont ils se nourrissent sont des choses sacrées et qui coûtent à produire.
On mastique à grand bruit, posément [...] les quartiers de viande disparaissent avec tranquillité. de larges rasades les accompagnent. les cruches vont et viennent de la barrique aux mains des dîneurs. Les chiens rôdent autour, langue pendante, et broient les os dépouillés qu'on leur lance généreusement. [...] Parfois, hilare et ruisselant de graisse, un mallorquin rote bruyamment et soulève des tempêtes de quolibets ou de protestations [...]
le maître rit à cette liesse qu'il a voulue; il remplit le gobelet de la moussègne qui proteste et qui sent chavirer sa tête ; il glisse une galanterie à Elida qui, rouge de chaleur et de plaisir, se renverse, le corsage tendu, et rit aux anges, en coulant de loin, un regard à son promis. les saladiers sont vides, les gigots avalés, les os aux chiens, les cassoulets engouffrés, tandis que les vins guillerets de la plaine coulaient à flots.
Et voici l'heure ardente et douce des desserts. Les matrones portent à bras tendus les tours frissonnantes des flans dorés nageant dans une mer de crème, les pyramides sucrées des coques (...) Les grappes croulent (...) On se lance des grains à la tête. Les gars ont ouvert leur gilet, leur chemise et montrent le poil de leurs pectoraux. Les filles ont la gorge nue, les lèvres écarlates, les pommettes chaudes. des refrains s'élèvent, titubant (...) et cassés soudain par une rafale de cris confus [...]
Le maître a quitté son siège [...] Les vendangeurs s'égaillent à la recherche d'un retrait vers lequel ils traînent une fille, consentante et folle qui se pend à leurs bras, les baise à pleine bouche et secoue sa crinière brune en dévalant les pentes glissantes de la colline... "
Ah ! me concernant plutôt que les pentes glissantes de la colline, ce ne fut que le raide rampaillou en bas du roc des Pénitents. Qui devinerait aujourd'hui qu'en surplomb de la route, au pied de la garrigue, juste séparées par quelques amandiers ou un figuier proche d'un bassin bleu de sulfate, de petites vignes se côtoyaient sur deux courbes de niveaux aujourd'hui squattées par des genêts et même des pinèdes. Et faute de faire équipe avec une belle brune, je me coltinais les comportes pleines. C'était raide avec en prime un lacet... C'est la responsabilité des raisins qui rend le souvenir si présent et si plaisant à rappeler... Le pontet de grosses pierres plates à passer, les voitures en bas, pas l'envie de faire l'andouille ! Combien de coustals sur la remorque ? Une dizaine peut-être... Elle n'est pas haute car attelée à un motoculteur vert qui se mène avec un guidon.
C'est un Holder, vert et à coup sûr vaillant vu le petit moteur !
Et si j'en parle, ce n'est pas pour le petit Holder, vert et vaillant pour sa taille, c'est parce que c'était chez Odette et Georges Bonnet ; ils nous avaient embauchés avec Vincent... quatre personnes, la petite colle, familiale, des patrons gentils, doux et aimants... Et à la fin, nous avons été invités pour la sardo !
Un bon pâté onctueux de Lacaune, des œufs au mimosa... j'imagine peut-être. Je ne me souviens pas du dessert (une île flottante ou un flan aux œufs, peut-être quelque chose de jaune mais là je brode)... par contre, le lièvre à la broche et servi avec son saupiquet, pas un salmis, ça, j'en suis certain !
Pas chez Odette, le tourne-broche, mais chez mamé Ernestine, ici avec une dinde on dirait... |
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