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mercredi 21 octobre 2020

ALCANTARA 3 / Un voyage en bateau 1953.

Puy Gaudy avec vue de Sainte Feyre Creuse wikimedia commons Auteur mattderu
 
"M et Mme Petiot étaient nos "correspondants de guerre" dans la Creuse pendant la seconde moitié du conflit mondial 39-45. Du fait que nous n'avions guère à Fleury que notre vin comme ressource, nous souffrions beaucoup du rationnement extrême de la nourriture. Il était devenu assez courant de rechercher un correspondant dans le Centre pour échanger tout à fait légalement du vin contre du beurre, du lard, des pommes-de-terre. Pour ma mère, ce voyage à Cholet via Limoges où l'on changeait de train fut sans conteste le plus long de sa vie. En entendant le haut-parleur répétant "Ici LIMOGES, ici LIMOGES, sept minutes d'arrêt BUFFET. Correspondance pour...", elle ne put s'empêcher de s'interroger : "Et ba disoun aco, buffez ?" Elle pensait à nos vendanges sous le soleil brûlant. Nous nous arrêtions un court instant de couper des raisins et disions pour plaisanter, redressant notre dos douloureux : "Deux minutes d'arrêt. Buffez !", ce dernier mot traduisant en occitan (bufar = souffler) l'idée de souffler un peu, d'observer une courte pause. 

 Le 28 mai au matin c'est Paris ; les bagages à faire transporter de la gare d'Austerlitz à la gare Saint-Lazare ; les papiers officiels à retirer au Ministère ; les visites non moins officielles à effectuer - je ne pourrai d'ailleurs les faire toutes -. Des amis, parents de mon beau-frère nous ont gentiment offert leur hospitalité. Et le 30 mai, à neuf heures du matin, la capitale va doucement s'estomper derrière le train-paquebot qui nous emporte tous les trois, mon épouse Jirina, notre petit garçon de deux ans et demi, et moi, vers Cherbourg et vers notre destinée. 

Bientôt s'offre à nos yeux le beau paysage normand, vert intense des prairies, du bocage, des milliers de pommiers : 

"L'odeur de mon pays était dans une pomme. 
Je l'ai mordue avec les yeux fermés du somme, 
Pour me croire debout dans un herbage vert. 
Et qui donc a jamais guéri de son enfance ?" écrivait Lucie Delarue-Mardrus.  

Après Lisieux, Mézidon, Caen qui a tant souffert durant la dernière guerre après le grand débarquement du 6 juin 44. Bayeux désormais liée au premier discours du général de Gaulle en France libérée, Bayeux ancienne résidence des ducs de Normandie, qui souffrit beaucoup de la guerre de Cent Ans mais fut miraculeusement épargnée en 1944 lors des combats du débarquement, pourra toujours présenter sa longue broderie dite "tapisserie" de la reine Mathilde. Nous roulons tout près d'Isigny au beurre réputé, traversons Carentan et devinons sur la droite Ste-Mère-Eglise dont il fut beaucoup parlé dans les communiquésde l'OKW (Oberkommando der Wehrmacht) en juin 44. Valognes enfin et CHERBOURG. J'ai eu tout juste le temps de penseraux vaches normandes, au Perche et à ses beaux chevaux gambadant en liberté aux confins du bocage normand, à tous ces fromages, livarot, camembert cher à Marie Harel, au pays d'Auge dont mon père qui détestait la tradition du "trou normand" au calvados, imitait la prononciation des autochtones avec le "o" de pot et non celui, plus courant en Occitanie, de "port". 
 
Pommier_normand_-_panoramio wikimedia commons Author aapel

 
Tout cela est désormais derrière nous. Et, devant, c'est bien la gare maritime. Visa des passeports : Sûreté Nationale RG sortie, petit cachet en losange apposé sur nos visas de service N° 2211 et N° 2212 "valables un voyage, pour se rendre au Brésil" délivrés le 12 mai 1953. Formalités douanières : nos bagages ont bien suivi et sont tous là. Nous grimpons à bord d'un imposant bâtiment, l'ALCANTARA, magnifique paquebot britannique, malgré son nom de baptême, tout juste arrivé de Southampton, et qui ne va pas tarder à lever l'ancre. Il sera dix-sept heures.   

vendredi 10 juillet 2020

PARTIR (11) / L'Alcantara pour l'Amérique du Sud, Canaries, Equateur...

Et pour le moment, rien, rien dans le sillage de l'Alcantara. La poésie d'Antonio Machado revient à l'infini telle l'onde marine qui s'étale en montant sur le sable : 

 "... Caminante, no hay camino,
sino estelas en la mar..."

Il faudrait recouper avec les différents courriers envoyés à posteriori. Fouiller l'ordi de ses pensées qui restent, les ordis à vrai dire puisque le plus vieux, à colonne persiste à tourner rond et à ronfler pour rafraîchir ses circonvolutions de cerveau artificiel. Mais rien. restent les kilos de lettres... Il faut fouiller, retourner... Pour voir... J'y vais !

Nous étions donc à Madère où, par le biais d'une lettre, on en apprend davantage sur les barques venant au paquebot avec des enfants qui plongent pour une pièce ou des vendeurs de souvenirs.
A son ami Jan du coteau rive gauche de la Vltava dans Prague :   

"... Les barques venaient caracoler autour du navire, chargées de souvenirs de l'île : fauteuils spéciaux en osier, petits fûts à madère, canaris dans leurs cages, foulards aux vives couleurs. Quand un client appelait, on lui lançait une corde et il tirait lui-même l'objet convoité. S'il le prenait il mettait l'argent dans un panier suspendu à la corde.
Enfin le 5 juin, ce fut notre dernière escale, Las Palmas de Gran Canaria. Là nous avons visité la ville...  

Las Palmas de Gran Canaria Panoràmica de la ciudad y su playa de Las Canteras wikimedia commons Author Tito Pullo

Tenerife et le Teide, son volcan depuis la Gomera wikimedia commons Author Zenihar

A partir de là, un blanc. Auraient-ils remarqué le Teide, le stratovolcan de 3718 m, point culminant de l'île voisine de Ténérife, de l'Espagne et de tout l'Atlantique ? Une routine s'est elle établie ? La magie du départ s'est-elle estompée ? Rien sur l'archipel du Cap-Vert (Cabo Verde aujourd'hui) pourtant croisé par tribord au bout de deux jours (Ilha Santiagu, Pico de Antonia 1394 m). En  guise de pot-au-noir, le passage de la ligne, entre Afrique et Amérique, vers le cinquième jour, dont le compte-rendu, par contre, retrouvé sur une feuille tapée à la machine, est étoffé. Son titre indique "ALCANTARA 14"... Des trouvailles sont donc encore et toujours possibles...

Capo_Verde_Santiago_São_Jorge_dos_Órgãos_Bougainvillea 2011 wikimedia commons Author Cayambe

ALCANTARA 14. 
Aujourd'hui c'est sûr nous allons traverser l'Equateur. Les officiers du bord ont troqué leur uniforme bleu marine pour la tenue tropicale de couleur blanc crème y compris les chaussures et le couvre-chef. Ils ont toujours aussi fière prestance. le spectacle est surtout sur le pont principal, à la piscine. premier jeu : les deux protagonistes, bien entendu en maillot, se font face à cheval sur une longue poutre à fleur d'eau. Chacun est armé d'un lourd polochon ou traversin bien garni, dont une seule volte bien ajustée vous jette à l'eau n'importe quel poids lourd, sans parler des autres. L'assistance se presse autour de la piscine. Le commissaire de bord, promu arbitre officiel, s'approche avec son carnet et son crayon : les choses sont sérieuses. Chaque candidat a décliné son identité, donné le numéro de sa cabine. Tout est prêt, les deux joueurs assurent leur équilibre de leur mieux en attendant le signal du début de l'épreuve. Cinq, quatre, trois, deux, un, top ! C'est parti : déjà les deux polochons tourbillonnent. Et chacun d'éviter avec soin le coup fatal qui mettra fin au match. Les encouragements fusent de toutes parts pour le champion de son choix, qui retrouve tant bien que mal son assise après chaque coup de traversin. Celui d'en face donne vite des signes d'épuisement, ses muscles ne parviennent plus à communiquer à son engin une vitesse suffisante pour inquiéter l'adversaire. Et celui-ci, qui s'en est vite aperçu, en profite et d'un dernier coup désarçonne le faiblard, qui en quelques brasses se retrouve sur la berge. 
C'est alors le tour de deux "cavaliers" suivants. Les comptes sont bien tenus, un seul prétendant sera déclaré vainqueur de la joute. (à suivre).
François Dedieu (1922-2017).
 

samedi 13 juin 2020

PARTIR (7) / Lisboa et l'ALCANTARA pas qu'une fois.

Suite de la lettre du 1er juin à ses parents et famille, entre l'escale de Vigo et celle de Lisbonne :

"... En ce moment, je vous écris du salon de repos de 2e classe.../... il est 11 heures du soir. La levée du courrier a lieu à minuit. Nous avons commencé le troisième jour à bord. Aucun de nous trois n'est malade. Nous nous reposons bien vraiment. Encore un détail : le prix du billet est de 252.900 francs..."  

Notes : 5749 € en équivalent pouvoir d'achat (2) ! Cela correspond à près de 10 mois de salaire pour un instituteur débutant célibataire (1) ! L'avion, certainement le très beau Constellation de Lookheed, cinq fois plus cher qu'aujourd'hui environ, doit être néanmoins d'un prix cinq fois moins cher que le bateau.

"Alcantara, le 3 juin 1953,
Bien chers parents,
Voici que s'achève notre quatrième jour à bord. Le bateau est magnifique et on ne sent pour ainsi dire rien car la mer est calme. Demain nous atteindrons Madère, puis ce seront les Canaries, après-demain (Las Palmas). De là nous n'aurons plus d'escale jusqu'à Pernambouc. Jean-François a trouvé un autre petit camarade de deux ans (un Anglais) et ils s'amusent ensemble. Avec Georgette, nous venons de faire quelques jeux de pont : jeu du palet, des anneaux de corde à jeter sur des tiges de bois... Comme autres jeux on trouve encore le ping-pong, le tennis de pont, le petit golf... Dans le salon de repos (avec bibliothèque) ou dans le bar-fumoir où la radio du bord diffuse des nouvelles en anglais, on trouve des jeux d'échecs, de dame, de bridge, de canasta et même de dominos. Je suis au salon-fumoir. On y trouve de petits bureaux très élégants, avec sous-main, porte-plume, encre noire, papier à lettres et cartes postales. Tout est meublé de façon splendide, en bois ciré, notamment du cèdre, fauteuils de cuir marron ou gris, en alternant, ventilateurs au plafond. Tout est illuminé à plein nuit et jour, et tout est neuf... Dans les couloirs sont affichés les plans des cabines, datés de 1952.
Hier nous étions à Lisbonne et avons visité la ville toute la matinée. La rade est fort jolie. Nous sommes allés jusque dans les vieux quartiers et comme à Vigo nous avons visité un marché. Il faisait un soleil splendide. Des femmes vendaient de magnifiques sardines bleues dans des paniers plats. Les maisons populaires étaient plutôt basses, et le quartier que nous avons visité s'appelait justement "Alcantara"...(3) 
François Dedieu / lettres et notes sur le voyage en bateau de 1953.


Je vous envoie par le même courrier une carte du paquebot. La croix indique notre cabine à bâbord, vers l'arrière, au-dessus du mât d'artimon du voilier. 

(1) http://www.numdam.org/article/JSFS_1954__95__109_0.pdf
(2) https://www.insee.fr/fr/information/2417794
(3) quartier repérable depuis 1966 grâce au pont suspendu "du 25 avril" anciennement pont Salazar.  

vendredi 12 juin 2020

PARTIR (6) / Beau comme un paquebot !

Bien sûr que c'est beau un paquebot ! Je ne parle pas de ces buildings flottants obèses et luxueux d'aujourd'hui qui emmènent des croisiéristes, je fais référence aux transports maritimes de passagers historiquement liés aux vagues migratrices et forcément aux colonisations s'agissant de maintenir les affaires et le lien avec les métropoles. L'échange de courrier motive même la création de la Royal Mail Steam Packet Company en 1839 pour desservir les Caraïbes et l'Amérique du Sud.

Royal_Mail_Lines_House_Flag.svg wikimedia commons Auteur Ayack and Greentubing (Crown of Saint Edward.svg).
Vivotant à la fin du XIXème, la compagnie se redresse (1920) jusqu'à devenir la plus importante suite au rachat de la White Star Line, liée au tristement célèbre Titanic. Condamnée pour des comptes falsifiés, l'entreprise est liquidée en 1931. Refondée en 1932, la Royal Mail Line est impactée par l'essor de l'aérien dès les années 50.
Elle n'a plus que deux unités sur la ligne de l'Amérique du Sud au lieu de quatre avant la guerre. Et en 1949, elle perd pour son voyage inaugural son plus moderne et récent navire, le Magdalena (11500 tonnes), ouvert sur les récifs de Tujica à quelques milles de la plage d'Ipanema (Rio de Janeiro) et qui, remorqué vers le port, a pourtant coulé dans la baie de Guanabara. 

Alcantara_à_Rio wikimedia commons Auteur Kenneth Shoesmith
Mais tout ça, je le sais en 2020, sinon que peut-on en connaître en 1953 ? Il n'empêche, un paquebot reste beau, ce qui relève et de l’esthétique et du rapport de l’homme à la mer, cela reste vrai soixante-sept ans plus tard. Et là, c'est l'ALCANTARA, 200 mètres de long, 24 de large, 22.209 tonnes de déplacement, 18 nœuds au maximum (mais le Ruban Bleu ne se joue que sur New-York), 1430 passagers dont 432 de 1ère classe, 223 de deuxième, 775 de troisième classe. Les flots d'émigrants cessent, les Etats-Unis devenant plus stricts sur la santé. La concurrence avec l'avion... Le chant du cygne pour de magnifiques paquebots, Queen Mary, Queen Elisabeth, Bremen, Europa, Aquitania et... Alcantara... 

82 de 1ère classe et 115 passagers de seconde classe figurent sur ce carnet. L'embarquement à Southampton ou à Cherbourg est précisé ainsi que la destination. Les passagers dont le billet a été pris plus tard n'y figurent pas. Des pages sont prévues à la fin pour les autographes.