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lundi 1 mai 2023

Les BATEAUX-BŒUFS.

Tels les bœufs sur terre, eux, c’est la mer qu’ils labourent. C’est la raison pour laquelle, suite aux plaintes des petits métiers qui se voyaient privés de subsistance, ces bateaux couplés, puissants, raflant tout jusqu'au pied des bordigues (1), ont été interdits, d’abord en Catalogne, autour du delta de l’Èbre. Vers 1720, menacés de la peine de mort, les Catalans concernés ont emporté avec eux leur méthode efficace en France, en remontant du Roussillon au Languedoc. Tellement efficace qu’elle a vite été adoptée. Le premier gangui (filet) acheté a vite été copié. 

Robert Mols, port de Sète 1891 (détail)domaine public musée Paul Valéry. Le mousse en train de monter sur l'antenne donne l'échelle du bateau-bœuf. 


Incontestablement destructrice, cette pêche a été interdite par l’amirauté au milieu du siècle. Suite aux décrets jamais appliqués, lorsque, en 1769,  les autorités de Narbonne décidèrent de supprimer les bateaux par la loi, les populations concernées, tellement habituées au laxisme, à un certain laisser faire (non sans raisons, cette fois), ont laissé courir. Sauf, (est-ce là une caractéristique bien française ?), qu’un an après, de la mollesse on est passé à la plus grande brutalité. L’ordre était de brûler les bateaux ! 

Gruissan, étang de l'Ayrolle, les bateaux-bœufs étaient alors à l'ancre au grau de la Vieille-Nouvelle (à gauche, au fond sur la photo). Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer


Un crève-cœur pour les marins de Gruissan ! Ils ont bien essayé de ruser, d’abord en ancrant un peu loin, hors de portée, puis en arguant que les matelots, pas payés, n’étaient pas venus. Les mâts, antennes, agrès et filets furent mis à terre sous séquestre. Ne s’en laissant pas plus conter, l’amirauté a réquisitionné les charpentiers de Bages (ce qui, entre jalousies, concurrences, tensions mettant aux prises petits métiers et patrons-pêcheurs, n’a pas arrangé l’entente) et pas question de couler les coques vides en eau peu profonde pour les renflouer dès que les choses se seraient calmées. À la fin du mois d’octobre 1770, 26 bateaux ont été détruits et coulés, 43 à Agde. 

Gruissan Chapelle_ex-voto pour avoir survécu à une tempête. Notre-Dame-des-Auzils avril 2022 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Tylwyth Eldar (2)

La mutation est à l’origine de l’engagement des marins gruissanais pour le long cours depuis Marseille. Le cimetière marin des Auzils en témoigne. Ces souvenirs traumatisants se transmettent de génération en génération jusqu’à aujourd’hui. (source : archives départementales de l’Aude). Des bateaux ont été détruits aussi à Marseillan mais pas à Cette où cette technique de pêche n’a existé que plus tard. En 1906, plus de soixante-dix bateaux-bœufs y étaient immatriculés.

Cette pêche devant toujours être interdite, s’est pourtant toujours maintenue. Les destructions des bateaux-bœufs ont-elles été effectives partout ? Les chalutiers qui ont pris la suite n'ont-ils pas continué à dévaster les fonds ? 

Nous devons à Bernard Vigne, lui-même maître à bord d’un vieux voilier d’avoir commis un brillant et complet article sur le bateau-bœuf dans une revue dont on n’a plus à vanter la grande qualité « Le chasse-marée » n° 89. 30 minutes de lecture, tout y est de Sète, de ses Italiens à la construction, au plan du bateau ; la coque, le pont, le gréement, les voiles, l’aménagement, l’équipage, les manœuvres, la pêche, son partage, l’entretien. Et des photos aussi rares que parlantes. 

(1) pêcherie espace dotée de barrières de carabènes (roseau dit " canne de Provence ") et sénils pour amener le poisson au centre d'un piège d'où il ne saura et ne pourra pas repartir. 

jeudi 13 août 2020

QUAND L'HOMME PESAIT PEU SUR LA RESSOURCE / GOLFE DU LION, les laboureurs de la mer.

Dans "Les Hommes et le Littoral autour  du Golfe du Lion, XVIe -XVIIIe siècle", Gilbert Larguier complète ses données avec un détail du livre de J. Guiffan sur Bages (1) nous donnant une idée de la ressource en poissons sur notre côte languedocienne vers 1675 : neuf tonnes de prises en quatre jours ainsi que l'a noté le curé sur le registre paroissial ! Certes une pêche exceptionnelle mais laissant entendre que le littoral et les lagunes sont poissonneux. 

Professeur d'Histoire moderne, Gilbert Larguier consacre une trentaine de pages à la pêche "Pêche, environnement et société littorale autour du Golfe du Lion au XVIIIe siècle" (2). Concernant notre propos, retenons ce qui touche à la pêche à la traîne depuis le rivage. 
Appartenant au groupe des sennes, ce filet appelé "boulier" ou "boulieg" sinon "bouliège" et, plus proche de nous, "trahine", "traîne", est muni de flotteurs en surface et lesté pour reposer sur le fond. Le nombre de mailles (de cordes de 109,728 mètres) le caractérise. Ainsi, parmi les grandes, une traîne d'été utilisée à Saint-Pierre-la-Mer pouvait atteindre douze mailles soit plus de 1300 mètres. En hiver, le petit boulier servait à la fois en mer et dans les étangs. 

Gilbert Larguier précise :
"... À Pérignan, à proximité des bouches de l’Aude, l’année se partageait en trois saisons : de Toussaint à Pâques, lorsque la mer était formée, on pêchait avec le boulier d’hiver à proximité des graus et de l’embouchure des rivières. De Pâques à Notre-Dame d’août on allait devant la mer avec le grand boulier. On se repliait ensuite jusqu’à la Toussaint dans l’étang avec le gatte au sec (3). Ce dernier filet ne s’utilisait qu’aux mois de mars, avril et mai à Gruissan et à Bages, de carême à la Saint-Michel à Leucate..."

Carte de Cassini / début XIXe siècle.


Pour aller plus loin sur la côte Narbonnaise et les graus des étangs, un site de qualité exceptionnelle 
http://maclape.com/rubriques/etangs/graus.html 

(1) Jean Guiffan, Histoire de Bages et de ses habitants, Bages, Éd. Élysiques, 2007, p. 31. 
(2) https://books.openedition.org/pupvd/5358?lang=fr
Les Hommes et le Littoral autour  du Golfe du Lion, XVIe -XVIIIe siècle, Gilbert Larguier 2012 PUPerpignan. 
(3) en mer ou en étang : aux mailles plus serrées.