lundi 3 février 2020

LE GRAND PIN ET LA FRÊLE VIOLETTE / Pézenas, Languedoc.

La ville de Toulouse fête ses violettes, me dit Régine. Et une petite flamme toujours en veille, dans l'attente d'une étincelle, vient aussitôt rallumer un tableau qui souvent m'effleure et se propose avant de retourner, en attendant mieux, dans la pile aux souvenirs. 

Mieux ce ne sera pas, mais au moins serons nous quelques uns à la savoir vivante, la petite flamme.

Pins de Trémolières, garrigue de Fleury.

En bas de Moyau, sur l'ancienne route dite "des campagnes".

Un parc de propriétaire récoltant, symbole du boum de la vigne, un siècle plus tôt. Des grands pins plus hauts encore que ceux de la garrigue, plus gros car venus dans la riche plaine de l'Hérault, domestiqués, qui peuvent devenir plus vieux, atteindre les deux-cents ans. Plus hauts, plus gros parce que l'espace et les volumes sont encore en expansion pour un gamin de dix ans, en prime. 

Un parc, un grand rectangle pris sur les cultures, enclos d'un mur respectable mais échancré, de place en place, par des longueurs de grilles, ouvertures sur les vignes du domaine. Des allées larges et bien tracées, encore graveleuses, classiques, à angles droits, à parcourir en casanier, au rythme lent des pas crissant parfois sur le gravier inégal. Couvertes d'aiguilles brunies, bordées de buis avec des manques de ci de là, elles ne restent pas associées à des rires, à des jeux partagés. 

Un parc à rêveries pour promeneur solitaire, à introspection même si, à cet âge, il n'y a pas matière à analyser. Un âge qui néanmoins emmagasine en secret sensations et impressions, tel une éponge et qui un jour vous les jette à la figure sans demander la permission ! L'exploration met des années à se décider, à se mettre en branle, des dizaines d'années sans s'annoncer davantage mais toujours positive, valorisante. Une surprise qui parfois saisit et vous laisse le souffle court.    
 
Un parc bien languedocien, avec de grands pins sûrement centenaires, malencontreusement dits "d'Alep" mais plutôt caractéristiques du bassin occidental méditerranéen, d'Espagne aussi, d'Afrique du Nord. Des pins d'ici, parce qu'il faut les entendre faire front et taillader de leurs aiguilles dans le vent de terre, le Terral (Tarral ?), un peu comme le Cers mais en moins fort ! Une impression de hachures sonores qui couperaient ces bulles oblongues qu'on croit voir à forcer de regarder l'azur. De houppiers en houppiers, les hachures, sur fond de ciel comme seuls le Midi et la Grande Bleue savent les peindre.

A présent, pour tout dire, ce qui suit ne fait pas partie du tableau originel. Juste une autre petite flamme, bien que d'origine aussi, mais rallumée des dizaines d'années après, encore sans permission. 

Sous le buis et surtout dans une exposition nord, à l'ombre du mur, un tapis de petits pétales de soie parme, qui semblent profiter d'un couvert encore clair. Quelle envie de printemps au cœur de l'hiver ! Des violettes ! Une image pour les yeux, un parfum aussi, comme dans ces cartes postales d'alors à passer sous le nez. 

Les petites violettes, discrètes, terre à terre, les grands pins qui bruissent en haut, entre ciel et sol. Entre les deux, un maelström qui n'en finit pas de m'emporter. 

Je suis toujours en 1961, début mars ou peut-être encore en février. J'ai toujours dix ans. Nous louons à Saint-Christol, la campagne du docteur Rolland à Pézenas. L'intérieur m'échappe complètement ; dehors par contre, comme si c'était hier. Un jour un ami à papa est passé avec un petit avion de la compagnie pour laquelle il travaille, avec des ramequins bleus comme pour l'eau de fleur d'oranger, des calepins au nom de Royal Air Maroc. Pas pour moi ! Et puis le petit avion je l'aurais écaillé ou cassé... Plutôt le laisser présider ces retrouvailles entre grandes personnes... Non, le petit avion ne m'a pas fait rêver, de voyages, d'exotisme, d'horizons lointains... D'instinct je suis sorti m'immerger entre, en haut les grands pins dans le vent, et en bas, au calme, les violettes... 

Viola odorata wikimedia commons Author Strobilomyces

"J'ai longtemps habité sous de vastes portiques..."
La Vie Antérieure. Charles Baudelaire.

samedi 25 janvier 2020

LE FLEUVE et LE RUISSEAU / Lettre à un ami / Fleury-d'Aude en Languedoc.

"L’entendez-vous, l’entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse..."

Rebonjour l'ami. 
Ah ! tu ne veux pas que je te dise pourquoi je t'ai dédié le début de ce si beau poème ? Tu es pris par tes recherches en généalogie... A chacun ses marottes... A moi les miennes. Alors je te le dis tout de go parce que ça m'est venu comme ça... C'est sûr... je ne suis pas seul dans ma tête... 

D'abord le prénom de l'auteur, Émile, est-ce un hasard m'adressant à toi ? 
Ensuite, en bas de chez toi, parce que tu appartiens à la Pagèze, tu es de ce refuge de paysans, la racine du nom en atteste, et que tu l'as payé de ton sang, encore une fois cette année, les flots grossis et limoneux de l'Aude, petit frère du Rhône et de l'Ebre, excusez du peu, mais rivière de nos cœurs avant tout, tu sais que mon pseudo est "carabène", l'Aude donc, me fait penser à toi, serait-ce a contrario.
Bien sûr que son flux mugissant porteur de bois et de troncs flottés ce n'est pas toi. Et tu es complètement étranger à la violence de ces radeaux poussés qui ondoient de plus en plus fort jusqu'à se briser dans les vagues furieuses de la mer. Même la télé d’État plus que publique l'a montrée hier soir aux infos ! Laisse-moi imaginer que la rivière te souhaite un anniversaire à sa façon : ça gronde ça meugle, ça gueule, ça dégueule, en prime, une masse de déchets sur la plage ! Ce ne peut être toi ! 

            





Alors quoi, pourquoi cette inspiration ? Même s'il faut la prendre de la part d'un cabourd, d'un inoucent ne contrôlant pas ce qui pétille, crépite ou explose même dins lou cap, ça dépend du moment, tu n'es pas de ces braillards qui veulent à tout prix s'imposer à la cantonade. Non, tu es un menu flot glissant sur les herbes et les branches. Aujourd'hui parce que tu fais tes ans, tu es "Le Chant de l'Eau" d’Émile Verhaeren. Tu es ta petite voix qui comme toutes les vies nous dit la vie qui défile. La tienne se décline depuis ton belvédère sur la plaine et les marais, sur la rivière qui part se mêler à la mer. Tu es un pays à moi. Et ta chanson lisse est si précieuse pour un pays qui passe, qui s'efface, trop peu loquace... Chut, que je l'entende sans plus faire un bruit, comme pour un froufrou de mésange, un babil d'hirondelle. Légère, sobre mais si pleine de sève à côté de ce rien mortifère dont le vide galactique porterait l'écho. On dit que l'internet rapproche, que le réseau serait social mais est-ce cela le partage, au mieux juste un dixième de seconde pour un clic, un "j'aime" sec, trop vite dit pour être entier ? Personne, pas un, pas une pour demander la fin du dernier affluent, tu sais, le ruisseau du Bouquet qui rejoint l'Aude en bas du promontoire ultime de la Clape, ce balcon que tu connais trop bien. C'est comme pour la traduction du poudaïré... Vivre à cent à l'heure ce doit être synonyme de "s'en foutre". Et puis est-ce vital de ne pas laisser le passé se mourir ? Maï que tabes m'en fouti puisque j'écris pour me faire du bien et que c'est nécessaire à ma vie. Je n'irai pas plus loin sur ces voies d'un plaisir solitaire que je voudrais solidaire... 


Oui, tu n'es pas l'une, tu es l'autre. Jamais tari, tu es comme le ruisseau du Bouquet. Ne m'oppose pas qu'il n'a plus d'eau parfois si la sécade de l'été se prolonge. On le croirait mais je me suis souvent arrêté sur le dos d'âne du dernier petit pont, en juillet et en août justement, ravi d'un filet d'eau toujours en vie, ne manquant jamais de tirer une petite photo. Comme toi il réapparaît par endroits grâce à quelque résurgence... Parce que l'eau de nos collines ne manque pas, parce qu'il cache un secret qui aurait même plu à Pagnol, notre dernier affluent. Un secret, que dis-je, des secrets, mais finalement je sais garder ma langue aussi, alors je me le garde aussi le dernier épisode... Des secrets comme dans le poème d’Émile Verhaeren riche d'une suite trop longue... ce qui arrangeait nos maîtres. A l'époque, la présence de Mélusine était trop belle pour être expliquée. Mais l'évocation nourrit l'imaginaire et cela n'a rien de frustrant de n'avoir rien su, alors, du mystère. Il faut un temps pour tout.
En attendant je sais que ton petit filet de voix vient de temps à autre embellir et mes écrits et mes pensées, renforçant le lien bienveillant et amical, un fil vrai d'une toile géante mais peu consistante, qui se dérobe, fuyante,  ... 
Ne m'en veux pas si je me trouve en te cherchant... ou si je me cherche en te trouvant... 
Bon anniversaire l'ami ! Bon anniversaire Émilien !