La ville de Toulouse fête ses violettes, me dit Régine. Et une petite flamme toujours en veille, dans l'attente d'une étincelle,
vient aussitôt rallumer un tableau qui souvent m'effleure et se propose
avant de retourner, en attendant mieux, dans la pile aux souvenirs.
Mieux ce ne sera pas, mais au moins serons nous quelques uns à la savoir vivante, la petite flamme.
Pins de Trémolières, garrigue de Fleury. |
En bas de Moyau, sur l'ancienne route dite "des campagnes". |
Un
parc de propriétaire récoltant, symbole du boum de la vigne, un siècle
plus tôt. Des grands pins plus hauts encore que ceux de la garrigue,
plus gros car venus dans la riche plaine de l'Hérault, domestiqués, qui
peuvent devenir plus vieux, atteindre les deux-cents ans. Plus hauts, plus
gros parce que l'espace et les volumes sont encore en expansion pour un
gamin de dix ans, en prime.
Un parc, un grand rectangle pris sur les cultures, enclos d'un mur respectable
mais échancré, de place en place, par des longueurs de grilles, ouvertures
sur les vignes du domaine. Des allées larges et bien tracées, encore
graveleuses, classiques, à angles droits, à parcourir en casanier, au
rythme lent des pas crissant parfois sur le gravier inégal. Couvertes d'aiguilles
brunies, bordées de buis avec des manques de ci de là, elles ne
restent pas associées à des rires, à des jeux partagés.
Un parc à
rêveries pour promeneur solitaire, à introspection même si, à cet
âge, il n'y a pas matière à analyser. Un âge qui néanmoins emmagasine en secret
sensations et impressions, tel une éponge et qui un jour vous les jette
à la figure sans demander la permission ! L'exploration met des années à
se décider, à se mettre en branle, des dizaines d'années sans
s'annoncer davantage mais toujours positive, valorisante. Une surprise
qui parfois saisit et vous laisse le souffle court.
Un parc
bien languedocien, avec de grands pins sûrement centenaires,
malencontreusement dits "d'Alep" mais plutôt caractéristiques du bassin
occidental méditerranéen, d'Espagne aussi, d'Afrique du Nord. Des pins
d'ici, parce qu'il faut les entendre faire front et taillader de leurs aiguilles dans
le vent de terre, le Terral (Tarral ?), un peu comme le Cers mais en
moins fort ! Une impression de hachures sonores qui couperaient ces
bulles oblongues qu'on croit voir à forcer de regarder l'azur. De
houppiers en houppiers, les hachures, sur fond de ciel comme seuls le Midi et la
Grande Bleue savent les peindre.
A présent, pour tout
dire, ce qui suit ne fait pas partie du tableau originel. Juste une
autre petite flamme, bien que d'origine aussi, mais rallumée des dizaines
d'années après, encore sans permission.
Sous le buis et surtout
dans une exposition nord, à l'ombre du mur, un tapis de petits pétales de soie parme, qui semblent profiter d'un couvert encore clair. Quelle
envie de printemps au cœur de l'hiver ! Des violettes ! Une image pour
les yeux, un parfum aussi, comme dans ces cartes postales d'alors à passer sous le nez.
Les
petites violettes, discrètes, terre à terre, les grands pins qui
bruissent en haut, entre ciel et sol. Entre les deux, un maelström qui
n'en finit pas de m'emporter.
Je suis toujours en 1961, début
mars ou peut-être encore en février. J'ai toujours
dix ans. Nous louons à Saint-Christol, la campagne du docteur Rolland à
Pézenas. L'intérieur m'échappe complètement ; dehors par contre, comme
si c'était hier. Un jour un ami à papa est passé avec un petit avion de la compagnie pour laquelle il travaille,
avec des ramequins bleus comme pour l'eau de fleur d'oranger, des calepins au nom
de Royal Air Maroc. Pas pour moi ! Et puis le petit avion je l'aurais
écaillé ou cassé... Plutôt le laisser présider ces retrouvailles entre grandes
personnes... Non, le petit avion ne m'a pas fait rêver, de voyages,
d'exotisme, d'horizons lointains... D'instinct je suis sorti m'immerger entre, en haut les
grands pins dans le vent, et en bas, au calme, les violettes...
Viola odorata wikimedia commons Author Strobilomyces |
"J'ai longtemps habité sous de vastes portiques..."
La Vie Antérieure. Charles Baudelaire.