Depuis la Clape et la garrigue de Fleury, vue vers le N-O, la plaine de l'Aude, les collines de Nissan, au fond la bordure du Massif-central avec les Monts de l'Espinouse. |
Ce "pin d'aïci" a un potentiel vital de 150-200 ans. A Fleury,
s'il existe une rue au nom de Paul Trémolières (1), dans la garrigue antédiluvienne
de fréjal massif, il est un bois appelé "Pins de Trémolières".
Plaisance de propriétaire terrien ? Don fait à la commune ?
Du temps où les villageois usaient de noms précis pour désigner ces bois qui
n'étaient souvent que des bosquets, entre deux épisodes de Sylvain et Sylvette,
nous montions goûter aux pins de Trémolières avec les bonnes sœurs... Rien de
prégnant rassurez-vous... Seulement le patronage d'une divinité lointaine bien
que protectrice, impliquée alors dans cette livrée admirable de ciel pur, de
soleil, d'arbres majestueux dans un amphithéâtre de pierres sèches si liées aux
mains opiniâtres des aïeux.
Plus effrontés, avec une paire d'années de plus, comme pour s'affranchir,
nous fîmes griller des asperges sauvages lors d'un bivouac rustique pour finir
en pissant sur la braise avec application ! Des racines aux bouquets hauts dans
le ciel, les géants habitaient nos corps et jamais nous n'aurions laissé une provocation
se muer en inconscience.
Dans les grands pins, l'âme voudrait le ciel quand les peines de cœur vous
font rentrer sous terre. On écrit un prénom à l'encre bleue, esquintant à
jamais sa plume sur le roc que Sisyphe laissa exprès et cinquante ans plus
tard, en cherchant le rocher désormais caché par le bois pourri d'un tronc
abattu dans la broussaille, on voudrait se persuader qu'on a seulement cru
aimer quand ces lettres au stylo dessinent un visage qui ne veut pas
s'effacer...
Le temps émousse les chagrins, la nature console, le regard remonte l'écorce
crevassée d'un des derniers témoins, une queue rousse s'éclipse hors de la vue.
Mais ce n'est qu'une illusion, le souvenir, le remords pour un petit écureuil,
le Guerriot cher à Louis Pergaud, la pauvre bête avec encore aux dents la
noisette
"... qu'elle serrait plus fort entre ses petites mâchoires raidies
par l'étonnement suprême de la mort." Louis
Pergaud (1882-1915) / De Goupil à Margot (1910) / Le fatal étonnement de
Guerriot.
Alors, si pour la vie qui fut, la main vient gommer un voile embué entre les
cils puis discrètement efface la perle claire au coin, ce n’est que le Cers,
frère fougueux du Mistral, qui dévale vers les Baléares, qui a ma larme à
l’œil.
Le « pin d'aïci » nous habite et
nous est cher. Nous ne le voyions que peu commun, remarquable car faisant
rarement du vieux bois. Les spécimens vénérables portent les amputations dues
aux neiges lourdes, celles qui accablent, apportées par le Grec, ce vent d’Est
gorgé de trop d’humidité que Poséidon lance sans ménagement contre un front
froid continental. Sinon, ce sont les brasiers de l’été attisés par un Cers
impitoyable. A cause de ces incendies qui galopaient jusqu'à la mer sans qu'on
n'y puisse mais, à la vue des croupes rastumées et désormais pelées, on le
plaignait, ce compagnon plutôt malingre et fragile.
Départ de feu (2014). |
« C’est un assassinat, crime prémédité
Avec l’appui du temps et
du vent irrités
Complices concertés d’un
acte de folie…/
… Je vous ai vu mourir
dans la fureur des flammes
Et partir en fumée la
beauté de vos âmes
Vous, séculaires pins et
vous beaux chênes verts
Qui m’inspiriez parfois
une rime à mes vers…/
… Que m’importe à présent
l’album de souvenirs
Dont les feuillets épars
s’envolent : mes soupirs
Ne rencontreront plus l’écho
de la forêt
Ni son âme en accord à
mon cœur toujours prêt.
Tout est mort à présent…/…
Tout est noir… Tout est
laid… Tout est plein de tristesse…
Et pas un seul espoir où
luise une promesse !
Là-bas, est-ce un tocsin ?..
Pardon… je ne sais plus
Si c’est la fin d’un glas…
Peut-être un angélus ? »
Pierre Bilbe, garde-forestier, possédé par la vie libre et sauvage
de son coin du Midi.
Le « pin d’aïci » est très
inflammable, par ses cônes, ses essences volatiles, par le sous-bois dense qu’il
permet. Le feu gagne en intensité et se
propage vite. Lors d’un incendie néanmoins, les cônes sérotineux (englués de
résine) libèrent des graines à fort potentiel de germination… maigre
consolation en tous cas puisqu’il faut une quarantaine d’années pour que son
boisement se régénère.
Tout comme nous avons du mal à réaliser un
changement climatique trop brutal pour n’être imputable qu’à la nature, nous
n’avons rien vu et dans les combes, sur les hauteurs où la limite des bois
demeurait, dans les friches et les vignes abandonnées, c’est toute une armée
d’envahisseurs aux rangs serrés qui a occupé l’espace. Certains disent que le
pin, devenu plus grand et plus gros, aurait bénéficié des moyennes de
température plus chaudes mais que maintenant, avec plus de sécheresse, les
conditions idéales seraient derrière lui.
Papa est monté voir ce feu de juin 2014 qui part dans la garrigue. |
Le moulin jadis presque comme au temps de l'affaire du garçon meunier (déjà racontée ici). |
La colline du moulin de Montredon aujourd'hui. |
"... Pour lui, tout a commencé par un
jour sombre, le long des combes, dans les garrigues et les cultures rendues à
la vie sauvage, alors qu'il cherchait des restes du cycle d’avant, il se trouva
confronté à des mutations d’un nouvel ordre, à des mutants d’un nouveau monde
menaçant de tout submerger, de tout mener à la catastrophe, de coloniser une
planète déjà agonisante sous les plastiques, le glyphosate et désormais à la
merci des métastases d’un cancer appelé « milliards » ..."
(1) Ce monsieur devait avoir pas mal de vignes. Il a fait construire une
maison de maître en 1868, certainement grâce aux cours du vin multipliés
lors de la crise du phylloxéra. Cette maison, je l'ai achetée en 1983. De lui, il me reste des courriers avec des timbres Napoléon III et une paire de lunettes, de simples loupes à monture d'écaille...