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dimanche 19 avril 2015

LA BUVETTE DES ROSIERS / Pézenas (fin).



Entre le jardin public et la buvette mais de l'autre côté de la promenade, de l'avenue mort-née, les jeunes filles en fleur du collège ne lui ont rien laissé. Il n‘a pas de mal à visualiser le chemisier blanc d‘un uniforme et sa jupe plissée, bleu marine, mais même les fantasmes de l'adolescence à venir ne sauront donner un visage, une allure, cette présence qui fondent l‘attirance vers les filles. Est-ce que sa cousine Françoise a travaillé ici ? Ce collège n'est pour lui qu'une grande, une imposante bâtisse sans vie dont le temps est rythmé par les platanes au fil des saisons. Longtemps ce furent les feuilles mortes de décembre avec une poésie lancinante sur une après-midi fânée, d‘Albert Samain. Aujourd'hui, en prime, il perçoit cet ardent débourrage de printemps, couvrant les branches d'un duvet doré, qu‘il ne savait voir alors. 





« Les platanes n'étaient encore qu'un nuage blond, un essaim d'or hésitant sur les branches. » (Henri Bidou). En face de la buvette justement, un portail ouvert, la branche basse, avenante, affectueuse d'un cèdre en majesté (1) ; au fond d'un jardin luxuriant, au milieu de chats en méditation, en contrebas, une maison, la maison aux fleurs d'une poétesse. Était-ce une maîtresse d'école à la retraite ? Il aimait bien l'endroit, la grand-mère aux chats : une atmosphère accueillante, rassurante, pour personnalité fuyante. Les chats dans l‘esprit du lieu, ne puant pas la pisse, comme rue Calquières-Basses où ils étaient avant. Raison de plus pour s‘apprivoiser un peu, oublier un instant le monde menaçant des adultes devant lequel il ne savait que se défiler, prompt à prendre la tangente. Les années passant, jamais il ne sut ou voulu mettre de mots sur ce malaise. Une question de survie peut-être... C'est à peine si aujourd'hui, il veut bien considérer quelques éléments d'explication mais presque pour cautionner, tant on ne doit pas faire confiance aux adultes. Il n‘empêche, dans son insatisfaction ambiante, agaçante, le doute prégnant, les contradictions intimes, ce havre de poésie lui tint lieu de levain. La rencontre d‘une muse, sûrement, lui ouvrit les voies de l‘inspiration. Quelques vers en restent, quelque part, sous un protège-cahier vert. Que pouvait-il alors fixer d‘un fusionnement brouillé de perceptions, de sentiments, de sensations mêlées ? Ce fil poétique arrivait-il à le détacher de son mal de vivre ? 


Paradoxalement, des lignes de force tangibles fouillaient déjà. Peut-être le vieux pont de fer sur la rivière conciliait-il, au-delà d‘une courbe sans rail, l'appel de lointains horizons et l'aventure à nos portes. Le labyrinthe paresseux de la Peyne, un monde où s'affrontent la terre, l'eau et le ciel, avant le cours forcé dans la rigole de béton, a certainement initié ou conforté un éveil à la nature. Un verdier dans un frêne, un rideau de carabènes (2) au vent du nord, un trou abrité des risées, une couleuvre entre les iris jaunes aux longues tiges, un dytique vorace dévorant un têtard, un garçon de douze ans sacrifiant un petit-gris pour une pêche illusoire. Quelle idée !
Cette présence rustique apaisante alliée aux prémices poétiques concrétisait la fuite possible, l‘évasion, un refuge qui alimenterait mauvaises raisons et fausses excuses pour remettre toujours à plus tard le moment, le pas inévitable, l‘abordage qui le verra se coltiner aux autres, aux adultes et avant tout avec lui-même... 

Il habita une drôle de maison dans un drôle de quartier. Il habite un âge dit mûr, lui permettant d‘accepter enfin le gosse qu‘il fut. Comme un bernard-l‘ermite qui regarderait ses coquilles usagées, méditant sur ce qu‘il était et a bien pu devenir, il peut désormais considérer son passé sans éluder, non pas pour se tromper encore en triant le bon et le mauvais mais pour tout garder. Les blocages, les refus, les opinions, les idées en gestation sont indispensables aussi pour grandir et évoluer. Il a suffi d‘une lecture pour que le processus s‘enclenche et parce qu‘on ne voit l‘évolution que dans ce qu‘elle a de constructif et positif, ce déclic lui a rouvert des souvenirs longtemps refoulés. Une barrière s‘est levée sur une métamorphose difficile, sans mettre à mal, cependant, le jardin secret qu‘est l‘enfance.
Une vie comme livrée aux caprices de la rivière, une maison originale dans un quartier qui ne l‘est pas moins, au-delà des faubourgs, en marge des terres, entre deux mondes. Avait-il seulement envie de retrouver ce paragraphe invité au détour d‘une page ? Maintenant que la carte affective en a été tracée, cela ne lui déplairait pas de tout revoir : le Foyer des Campagnes, le monument aux Morts (3) plutôt que les poissons rouges du jardin public, les platanes devant le collège des filles, la gare au toit vraiment vosgien. Finalement, excepté l‘écartèlement psychologique, loin d‘être éthéré, dans un autre monde, cet épisode a cristallisé du concret en formation. Avec l‘attrait pour la poésie s‘est conjugué l‘éveil à la nature. La maison de la poétesse, les limites imprécises entre la terre et la rivière amènent sûrement à réfléchir sur le temps qui nous façonne différents.

Est-ce parce que l‘enfance et la poésie ne meurent qu‘avec nous que le souvenir de la "Buvette des Rosiers" n'est pas près de faner ?

 
(1) "... Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches..." La chèvre de M. Seguin / Alphonse Daudet. 
(2) roseau méditerranéen nommé aussi "canne de Provence", appellation injustement restrictive peut-être, géographiquement et historiquement parlant. en occitan, se dit "carabeno".
(3) loin de paraître comme une originalité sinon une anomalie, la canne du Poilu, représentée dans la sculpture, témoigne d‘une histoire qui mérite d‘être connue. A propos du centenaire de la Grande Guerre injustement oubliée un temps (nécessaire sûrement pour la considérer plus unanimement comme un terrible échec du genre humain), le 8 avril marqua le centenaire de la mort de Louis Pergaud, tombé pour la France près de Marchéville-en-Woëvre (front de Verdun), en 1915.


photos autorisées 1, 3, 4 : wikimedia commons. 2. François Dedieu 1963. 

mercredi 15 avril 2015

LA BUVETTE DES ROSIERS / Pézenas (suite).

LA BUVETTE DES ROSIERS / Pézenas (suite).

Or, curieusement, l'accès direct au boulevard "de ceinture" avec la possibilité de rejoindre l‘ancien cours Molière où se tient le traditionnel marché du samedi, est resté, ou devenu, piétonnier. Une promenade bordée de platanes court en effet vers la ville, mais sur à peine plus d‘une centaine de mètres, stoppée, fermée net par la balustrade style rocaille d‘un jardin public, avec son portillon grillagé, ses arbres, ses massifs, son buste commémoratif, son bassin aux poissons gonflés d'œufs (1). Existait-il antérieurement à la gare et à la promenade ? On se dit qu'il y eut bataille entre les classiques et les modernes. Qui a gagné ? Qui y perdit ? Le collège de jeunes filles, sur cette promenade en cul-de-sac, a-t-il pesé sur l‘accessibilité des lieux ? Et dans quel sens ? Entre la gare et la ville, la circulation hippomobile puis automobile se fait, à droite, de façon détournée, en joignant la route de Roujan. Ce qui a pu être une belle avenue ne forme qu‘un trajet confidentiel, une allée aux platanes, réservée, presque, au collège de jeunes filles. Bloqué par la balustrade, il continue néanmoins, descendant à droite jusqu‘à l‘habitation du voisin, l‘initiateur à la pêche au bouchon dans la rivière proche. Sa famille est la seule, je crois, de ce côté de maisons-immeubles qui donnent aussi, à l‘opposé, mais un niveau plus haut sur la route de Roujan. Encore à droite, donnant dans ce terrain en contrebas qui commence à se lotir, le tracé en £, le symbole de la Livre anglaise en reste à sa boucle.

Un mot sur la place (aujourd’hui un rond-point), au-delà du square, aux limites du territoire, en bordure de la ville. En face des cabinets publics, une salle ou un foyer des fêtes ou du peuple, il a oublié, où se donnaient les conférences de Connaissance du Monde (2). Un dimanche après-midi, agacé de sentir le lundi si proche, il en a même voulu à ces petits chanteurs orphelins portant leur croix qui bêlaient „Ne pleure pas Jeannette...”, comme si tous les enfants obligés de reprendre la classe, et lui en premier, n‘étaient pas à plaindre, eux...

A gauche de la buvette, toujours en regardant la ville, le rail, par un pont de fer, traversait „... un trou de verdure où coule une rivière...” ; la Peyne, un paradis de joncs, de roseaux à cigares, de plantes aquatiques dans le courant, de calmes plus profonds où brèmes, gardons et goujons taquinaient le bouchon rouge vif d'un pêcheur au coup. On en oublie que la voie ferrée, les routes et les chemins semblent exhaussés et qu'en aval le lit de la rivière est bétonné tant elle inquiète la ville. Corsetée, forcée dans un canalet central, l'eau vive ondule de longues algues vertes, cheveux d‘une ondine qui se hâterait de fuir cet aménagement urbain, pressée de recouvrer sa pleine nature. Un gentil débit. Gardons-nous, cependant de moquer l‘ondine... Comme tous les cours d‘eau méditerranéens, la Peyne peut offrir le spectacle dantesque d‘une crue causée par un aigat, „l‘épisode cévenol” des météorologues, quand les quartiers bas se retrouvent inondés et que le niveau dans le lit bétonné atteint l‘arche du pont de la nationale (3).


Mais revenons au pont, désaffecté, de la voie ferrée. Au delà de l'enchevêtrement calculé de poutrelles, comme un hameau rustique, un havre oublié, tout proche pourtant, de tuiles, de potagers et de vergers imbriqués, bien lové au bord de la rivière libre, bien qu‘ exposé à ses colères.

Pour situer le coin, en rayonnant depuis la gare : dans la perspective, le jardin public, à droite la route de Roujan, à gauche le pont, le hameau, la rivière. Et lui au milieu puisque son père travaille ici. La famille loue "La Buvette des Rosiers", vidée depuis longtemps de ses rires, des vives discussions, des allées et venues vers le bourg. Il y a belle lurette que les élégantes et leurs ombrelles ont déserté la tonnelle rouillée... Sa mémoire cherche en vain un rosier grimpant. De l'autre côté du carrefour délaissé, dans la Dauphine bleu séraphin du papa, à l'abri sous ce large auvent de gare qui n'a rien de languedocien, sur la plage arrière, il voit une minette qui attend, habituée à nomadiser, le temps d'un jeudi, d'un dimanche ou des vacances scolaires, du lieu de travail jusqu‘au village, ancrage aussi natal que viscéral. (à suivre).


(1) il s‘agit plutôt du Monument aux Morts, avec le soldat à la canne entourée d‘un serpent, portant son casque de l‘autre main. La mémoire persiste à induire en erreur. Alors que le monument est imposant, avec un portique en arc de cercle où les morts sont inscrits, elle fait confondre avec le square, vers la passerelle sur la Peyne, où se dresse le buste de Molière. Est-ce que cela correspondrait, au début des années 60, à un oubli volontaire des guerres dont la Grande, la première ? Comment le devoir de mémoire était alors transmis aux jeunes générations ?

(2) Les Mahuzier en Afrique, Lionel Terray à l‘Annapurna, pour celles qui reviennent en mémoire et encore, vu que je confondais avec Maurice Herzog...

(3) ces aigats soudains survenaient plutôt en automne lorsqu‘une perturbation en forme de crosse d‘évêque fait tomber un déluge sur le rebord du Massif-Central avant de le faire dévaler sur l‘amphithéâtre languedocien. En 1907, la crue a démoli la passerelle donnant sur la distillerie et le quartier des Calquières Hautes.
 

photo 1 & 4 autorisées commons wikipedia / 2 & 3 François Dedieu 1963.

mercredi 8 avril 2015

CENT ANS DÉJÀ ! C’ÉTAIT... LOUIS PERGAUD


C’ÉTAIT... LOUIS PERGAUD... 

Le 8 avril 1915, cent ans déjà, non loin de Verdun, sur le front de l’Est disparaissait le sous-lieutenant Pergaud Louis, Émile, Vincent. Que son souvenir soit celui du « soldat connu » poussé à témoigner, à parler pour tous ceux qui n’ont pu se faire entendre ou qui n’ont pas voulu revenir sur cette guerre terrible. 


  




Tous ces hommes, des villes ou des villages, des usines ou des champs, portaient les gènes d’une France rurale, proche de la nature. L’inspiration qu’elle a toujours suscité chez les écrivains, loin d’être passéiste, se confond avec ce retour aux sources plus que jamais d’actualité quand seule la croissance est assénée, ressassée par une caste dirigeante escamotant les signes flagrants d’une catastrophe annoncée.

            Sur la forme, et j’espère encore que ce ne sera pas perçu comme une nostalgie réactionnaire qui aurait peur de demain, la prose de Pergaud rappelle ces bons maîtres, ces professeurs qui nous incitaient à employer des verbes expressifs, pour enrichir notre vocabulaire sans toujours répéter « être », « faire ». Au fil des ans et des lectures, pourtant, l’utilité de ces principes semble moins univoque qu’il n’y paraît, du moins chez les grands, ces artistes qui manient les mots comme d’autres les pinceaux, les burins ou les notes de musique. Pagnol, par exemple, sur l’affection entre un enfant et sa grand-mère : « Les grands-mères, c’est comme le mimosa, c’est doux et c’est frais, mais c’est fragile. » (Naïs).
Pour revenir à la Comté de Pergaud, dans la Guerre des Boutons, une phrase, presque la première de la première page, impossible à oublier tant elle foisonne dans sa simplicité : « C’était un matin d’octobre. » Peut-être parle-t-elle mieux au potache qui a eu à en orthographier la suite, mâchouillant consciencieusement son porte-plume, pour mieux réfléchir ou rêver, le regard perdu par-dessus le verre dépoli d’une fenêtre, sur le gris d’un ciel de rentrée des classes ?
« C’était », « C’était »... une expression si simple, si commune, et quelle émotion pourtant ! Pour ceux qui en sont aussi convaincus que pour le Quadrangle, le carré noir sur fond blanc de Malévitch, un florilège des paragraphes, de ceux qui déclinent l’époque et plantent le décor, amorcés sur cette tournure tant syntaxique que d’esprit :    

« C’était un matin d’octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l’horizon aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus, les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol plané, large et lent d’abord, qui s’accentuait d’un seul coup comme un plongeon d’épervier dès que l’angle de chute devenait moins obtus. L’air était humide et tiède. Des ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait de temps à autre, quand la gerbe était dévorée, en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d’agonie ou un vagissement douloureux. 
L’été venait de finir et l’automne naissait... »
La Guerre des Boutons. Première page.

« ... C’était une belle journée d’automne : les nuages bas qui avaient protégé la terre de la gelée s’étaient évanouis avec l’aurore ; il faisait tiède : les brouillards du ruisseau du Vernais semblaient se fondre dans les premiers rayons du soleil, et derrière les buissons de la Saute, tout là-bas, la lisière ennemie hérissait dans la lumière les fûts jaunes et dégarnis par endroits de ses baliveaux et de ses futaies... »
La Guerre des Boutons. Page 71.

« ... C’était un soir gris et sombre. La bise avait couru tout le jour, balayant les poussières des routes : elle s’arrêtait un peu de souffler ; un calme froid pesait sur les champs ; des nuages plombés, de gros nuages informes s’ébattaient à l’horizon ; la neige n’était pas loin sans doute, mais aucun des chefs accourus à la carrière ne sentait la froidure, ils avaient un brasier dans le cœur, une illumination dans le cerveau... »
La Guerre des Boutons. Page 261.

« ...C’était un soir calme de fin d’automne. La nuit, à grands pas, venait, noircissait par degrés la chape bleue du ciel qui s’étoilait lentement. Pas un souffle de vent ne troublait la tiédeur enveloppante ; les fumées montaient calmes des cheminées, formant sur les carapaces bigarrées des toitures un léger manteau vaporeux. Les clarines tintaient joyeuses au cou des vaches qui rentraient des champs et marchaient d’une vive allure vers l’abreuvoir ; le marteau du forgeron Martin sonnait par intervalles sur l’enclume argentine, et tous ces bruits formaient une rumeur paisible et chantante qui était comme la respiration vigoureuse ou la saine émanation du village... »
Le Roman de Miraut. p. 129 (début du chap 10).  

« C’était un soir de printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la menace d’une gelée possible, les bourgeons hésitants... » 
De Goupil à Margot. / La tragique aventure de Goupil / 1er mot page 1 !  

             « ... et la grand-mère, comme de coutume, avait commencé de sa voix chevrotante,  un peu mystérieuse et lointaine, le conte traditionnel :
            « C’était il y a des temps et des temps, par un minuit passé, un soir de matines, quand la terre que nous labourons maintenant était encore toute aux seigneurs et que les grands-pères de nos grands-pères leur obéissaient... » 
De Goupil à Margot. / La tragique aventure de Goupil / page 55.


« ... C’était une symphonie de couleurs allant du cri violent des verts ardents et comme vernissés (réfléchissant le soleil sur les mille facettes de leurs miroirs comme pour jouer avec la plaine) aux pâleurs mièvres des rameaux inférieurs, dont les feuilles tendres, aux épidermes délicats et ténus, n’avaient pas encore reçu le baptême ardent de la pleine lune, bu la lampée d’or des rayons chauds, car leur oblique courant n’avait pu combler jusqu’alors que les lisières privilégiées et les faîtes victorieux... » 
De Goupil à Margot / La fin de Fuseline p 80 (une seule phrase particulièrement longue). 

 
« ... C’était un de ces premiers jours où la forêt, comme une femme qui a longtemps résisté, se laisse enfin aller toute aux caresses de l’amant, où elle vit de toutes ses fibres, où elle chante de toutes ses sèves, où les grands baisers du soleil l’ont investie comme un amour victorieux et conquise, et pénétrée toute, et où elle ne tend plus aux vivants, sous ses ombrages captieux, l’asile traître de son insidieuse fraîcheur... »   
De Goupil à Margot / La fin de Fuseline / toujours page 80.

« ... C’était une heure indécise d’une après-midi brumeuse. Aux écoutes sur la branche dépouillée d’un « foyard » où elle se reposait de quêtes infructueuses, Margot scrutait l’espace de son oeil inquisiteur et vif, quand, d’un fourré encore touffu, sous un chêne plus résistant, elle entendit le cri de ralliement de sa gent et y répondit aussitôt... »
De Goupil à Margot / La captivité de Margot page 125.   

            « ... C’était peut-être comme au crépuscule de jadis, près de la mare maudite ; mais là il n’y avait point d’eau ; nul arbre ne se dressait ; seule, au loin, derrière un épaulement de terrain, une fumée bleuâtre montait calme et droite dans le froid sec du matin... » 
De Goupil à Margot / La captivité de Margot page 129.   


« ... C’était une après-midi morose de fin d’hiver, un temps de dégel qui confinait tout le monde dans les maisons, dans la paix somnolente des chambres chaudes, tandis qu’au dehors le paysage se dénudait, sale, gris, cinglé de pluie, fouaillé de vent et semblant tituber de spleen comme un ivrogne reprenant sa marche après avoir dormi dans les fossés du chemin... » 
De Goupil à Margot / La captivité de Margot page 145.

           
« C’était l’hiver sur la plaine et sur la forêt. La neige glacée couvrait partout le sol. Depuis trois semaines pourtant elle ne tombait plus, mais le gel qui l’avait cristallisée en paillettes luisantes d’une finesse merveilleuse, l’avait rendue plus subtile encore et plus traîtresse. Pas un abri n’échappait à son assaut ; son emprise fluante et légère s’étendait aux recoins les mieux défendus et, selon le caprice des bises de décembre qui se plaisent à mener aux carrefours des chemins et aux croisements des tranchées forestières leurs bals blancs, le tourbillonnement gracieux des papillons immaculés s’élevait et s’abaissait, recouvrant au fur et à mesure de leur apparition, les traces mouvantes des passages frayés...»
Histoires de loups (en annexe). L’arrivée du maître (1ère page, 1er mot !).


« ... C’était un beau jour d’hiver ; le soleil, bas sur l’horizon, était sorti tard des brumes qui couvraient les coteaux et ne parvenait point, sous la bise qui soufflait sans relâche, à dégeler si peu que ce fût la croûte glacée qui recouvrait la terre. Des multitudes de traces d’animaux s’entrecroisaient à la surface de la neige et nous nous essayions à deviner quels étaient ceux qui les avaient frayées et si les traces étaient fraîches... »
Ébauche intitulée « La rencontre ». 

             Et pour ceux qui ne partageraient pas, si, par masochisme ils ont lu jusqu’ici, concluons en détournant Pergaud dans sa préface à La Guerre des Boutons : « ...j’ai le droit d’espérer qu’il plaira  aux « hommes de bonne volonté » selon l’Évangile de Jésus et pour ce qui est du reste, comme dit Lebrac, un de mes héros, je m’en fous. » L.P.

    

samedi 4 avril 2015

LOUIS PERGAUD toujours là ! (souvenir 14-18)

Entre Marchéville-en-Woëvre et Saulx toujours en Woëvre, à trente cinq mètres à droite du pont sur le fossé Saint-Pierre, le sous-lieutenant Pergaud entraîne ses hommes à l’attaque de la Côte 233. Il faut les voir !.. Trempés par l’eau des marais où ils ont dû patauger jusqu’aux genoux, ils dégoulinent aussi de l’eau du ciel qui ne cesse de tomber ! Regardez-les bien, c’est la dernière fois : beaucoup n’en reviendront pas !

Ernest Florian-Parmentier
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/louis-pergaud-republique-sujet_5992_1.htm
écrira même, sur la foi du sergent Desprez, blessé lors de cet assaut : « ... Les débris de celle (la section) de Pergaud rentrèrent seuls ; notre brave confrère avait disparu... ». C’était le 6 avril 1915, un mardi, par une nuit sombre et pluvieuse, après 2 heures du matin. Blessé, récupéré par les Allemands, il disparut dans le bombardement par l'artillerie française de l'hôpital où il avait été évacué. Son corps ne fut jamais retrouvé.



 Regarde-les même à travers tes larmes... Elles valent mieux que ces postures intéressées de politiques vénaux et opportunistes, prompts à embrayer sur l’émotion commanditée pour le bon peuple, mise en branle par des journaleux aux ordres ! Ah, ils n’étaient pas en retard, le 11 novembre 2013, lorsqu’ils ont lancé de concert la commémoration du centenaire ! Était-ce un contre-feu, de ceux qu’ils savent allumer, dans une stratégie de manipulation globale, dans le but d’étouffer un temps un nouveau scandale ou une vieille affaire qui couve ? Aucune intention, vraiment, dans cette exaltation du rassemblement national ? N’était-ce point pour anticiper les mauvais chiffres du chômage et, faute de le sauver, d’apporter un répit au soldat Hollande ? Ne soyons pas naïfs : même la commémoration de la Grande Guerre est susceptible d’être instrumentalisée. Dans le cas contraire (ne suivant pas les grand messes du 20 h, je veux bien me tromper), de la part des instances nationales, cela expliquerait un devoir de mémoire sporadique, bégayant, pour ne pas dire amorphe tout au long de 2014. Sans oublier de balayer aussi devant nos portes, notons cependant la ferveur qui accompagne nombre d’initiatives ponctuelles, à titre individuel, sur de nombreux forums (1), au niveau communal parfois (2).
Revenons vite à Pergaud : sa vie, ses épreuves,  restent d’une modernité étonnante, avec, en toile de fond, en 1915 comme aujourd’hui, les humains sur la corde raide !

Loin des miasmes, si un être sain a tout à gagner déjà à respirer fort la campagne, les friches et les forêts de la Comté, on peut se demander aussi si les tableaux de la nature, les portraits animaliers, si précis et réussis, ne révèlent pas chez l’écrivain une défiance envers le genre humain. Cette réflexion nous ramène à une autre vision du « bon peuple », des « braves gens » comme les chanta Brassens... sauf que les jours de Louis Pergaud ne peuvent que témoigner de vraies valeurs, celles reconnues par une conscience collective s’opposant à ce que la populace et le populisme transpirent de méchant et malfaisant.

C’est un peu court, en effet, quand l’anathème se justifie seulement en trois mots : « anticléricalisme », « non-conformisme », « antimilitarisme » !

A propos de l’anticléricalisme, nous nous devons de revenir sur l’état d’esprit des années 1900 et plus particulièrement autour de 1905, qui amena la République à s’émanciper de la tutelle religieuse. En gardant en tête le poids de l’Église jusque dans la seconde moitié du siècle passé, remontons au père de Louis. Instituteur de la nouvelle école laïque, en butte aux villageois qui ne tolèrent pas qu’on suive une autre route qu’eux, Elie Pergaud doit quitter le pays natal. Jusqu’à sa mort, en 1900, il aura a subir aussi une haute administration dans ce qu’elle a de malsain lorsque, convaincue de son infaillibilité, elle obéit aveuglément à la Loi tout en opposant une inertie au changement, dans une posture toujours plus conservatrice, sinon réactionnaire, que progressiste. Quant à Louis Pergaud, quelles qu’eussent été ses circonstances atténuantes, il démontrera la malhonnêteté qu’il y a à accuser un individu du conformisme sociétal. Ainsi, avec Le Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques (1921) (3), l’auteur, qui ne voulait ni aller à la messe, ni enseigner le dogme catholique, livre, loin du cliché « laïcard » et « bouffeur de curé », le portrait attachant d’un prêtre rural, même s’il s’en démarque et ne met pas de majuscule à « son dieu ».

Quant au « non-conformisme », c’est vrai que Pergaud était parti à Paris avec Delphine, ce qui attisera alors un qu’en-dira-t-on plus permissif pour le maître culbutant la servante que pour l'homme quittant sa femme. Non-conformiste, Pergaud le fut, à peine sorti de l’adolescence, lorsqu’il contesta l’autoritarisme de monsieur Tronchon, le directeur de l’École Normale. Ce n’était pas raisonnable de contester l’abus de pouvoir dans une société régie par le rapport de forces... On le lui fit bien voir...

Enfin, concernant l’antimilitarisme, tout en laissant à chacun le soin de démêler entre patriotisme et nationalisme, sans perdre de vue que ce sont toujours les pauvres bougres qui y laissent la peau pour des embusqués préservés et surtout des industriels qui s’enrichissent, pour Pergaud, contentons-nous de rappeler une date, celle du 8 avril 1915 qui vit un citoyen pourtant foncièrement contre la guerre, se sacrifier, patriote. 

Je n’ai pas encore lu son Carnet de Guerre (4), seulement sa correspondance, les Lettres à Delphine (4) qui continua à lui écrire jusqu’en 18... Pergaud témoigne, avec pudeur, sensibilité, avec hauteur aussi et ses moments de rancœur restent aussi rares que mesurés.



Ah, j’oubliais, vers 1900, les rumeurs le disaient aussi « socialiste » ! Il en était, assurément, par conviction et idéal, sans l’afficher. Dans nos années 2000, au contraire, ceux qui s’affichent, par opportunisme et réalpolitique, ne le sont plus... et ce n’est pas une réputation qui leur est faite !

(1) Pages 14-18 forum http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/louis-pergaud-republique-sujet_5992_1.htm
(2) Du Vignoble à la Mer, magazine municipal http://fr.calameo.com/read/00186165894353cad09cb
(3) ouvrage disponible en intégralité sur http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf
(4) Carnet de Guerre, Louis Pergaud / www.litteratureaudio.com/...audio.../pergaud-louis-lettres-de-guerre.html

photos autorisées 1 & 2 commons wikimedia. 3, 4 & 5 personnelles le monument à Landresse (Doubs) et vue du clocher comtois avec, au premier plan, l'école où il enseigna en 1906 et 1907. 

samedi 14 mars 2015

LAPALME rien sur la côte mais tant par le travers... / Fleury d'Aude en Languedoc.





Après Narbonne, le train de nuit file vers Cerbère. Les Parisiens se réveillent et se frottent d’autant plus les paupières qu’un jour nouveau rallume les bleus de Méditerranée, entre ciel et étangs. Le dépaysement, un émerveillement pour les yeux, une magie entretenue par le canal, les îles, les cargos, les salins, les vignes dans les sables, la mer qui se devine avant de s’affirmer jusqu’à la courbe de l’horizon. Ils sont sous le charme et les locaux devraient se pincer aussi, non pas le nez parce que ça sent l’algue... et la vase, mais pour ne pas en banaliser la beauté toujours renouvelée, sous une lumière qui rapproche étrangement de la Grèce (1). La falaise blanche du Cap des Trois Frères. Leucate-La Franqui : une halte champêtre sur la ligne ; le rail a longé seulement la commune de Lapalme, à l’abri des regards, dans notre dos... Faut-il qu’ils soient heureux pour vivre ainsi cachés ! 

Parce que par la route l’impression se confirme : en haut d’un ultime contrefort des, il y a bien un embranchement mais il n’indique que la direction du village. La nationale qui en descend suit une longue courbe pour rejoindre la platitude plus à l’ouest et l’interminable ligne droite prioritaire (attention à l’excès de vitesse) permet à peine de remarquer un second carrefour, à gauche vers le village (aujourd’hui un rond-point). Et même cette départementale vers le port de la Nouvelle, longeant l’étang, ne dévoile rien de la localité, pas plus quelques toits regroupés qu’une pointe de clocher ! Combien sont-ils les gens qui passent ainsi sans rien savoir du territoire de Lapalme ? A Victor Hugo, au collège, nous avions un condisciple d’ici, Denis M., sauf erreur de ma part. Sinon, pour avoir fait ce trajet des années, en train ou en voiture, je me sens aussi coupable que vous, qui passez sans la voir... 

Jusqu’à ce que ce même faisceau de circonstances, de coïncidences qui remplissent les hasards de la vie, vienne s’enrichir d’un nouveau neveu par alliance, Fabien, vous savez, celui qui m’envoya cette si jolie vue des amandiers en fleur avec l’étang, les salins et un cargo en fond. Copain, qui plus est, avec Alban de Sallèles (2) comme l’était René Iché avec Joe Bousquet le poète qui vécut cloîtré dans une chambre aux volets toujours clos (3) alors que, enfant, il passait ses vacances auprès de ses grands-parents, dans la lumière de l’été à Lapalme.
Pour passer de Sallèles à Lapalme, même François Ier s’invite. Il est vrai que les guerres menacent d’abord les frontières et celles qui eurent pour prétexte l’Italie (4) nous concernèrent aussi. La France, l’Espagne, le Roussillon entre les deux furent le cadre d’assauts et de retraites successives. En 1536 les renforts d’Espagne devant rejoindre les troupes de l’empereur avancées en Provence furent arrêtés à Narbonne ; en 1537, les plénipotentiaires de François Ier et de Charles Quint conférèrent aux Cabanes de Fitou et en 1542, c’est parce que l’armée du Dauphin assiégeait Perpignan avec 45000 hommes que François Ier avait séjourné six semaines à Sallèles d'Aude (5).
Mais revenons à Sabarthès dans ce que nous apprend le dictionnaire topographique de l'Aude.
Au fil des entrées, le nombre de bergeries mentionnées pourrait étonner (6). Sabarthès n’en mentionne pas moins de 14 :
Caraguel / la Claret / Le Curé, aussi métairie cad / Fabre / Fauran / la Jasse Rouge 1779 / Martrou/ La Mayrevieille / Pelissié / Pla / La Jasse de Prouille, également lieu dit 1779 / Les Razouls / Serriès / Soucaille. Impression confortée par la consultation de l’ex-carte d’état-major de Geoportail : les Trois Jasses / les Cortals d’Aval. 

LAPALME (évolution dans le temps du nom de la localité) : canton de Sigean, église dédiée à St Jean l'Evangéliste : Palma 814, 837, 899. 

Lapalma XIV /
La Palme 1781 /
La Paumo (vulg.)(le « vulgairement parlant » de Sabarthès correspond seulement à l’usage par la population de l’occitan dans sa variante languedocienne).
Concernant l'étang et "l'eau des collines" :
Canal de Niquet, du nom de l’ingénieur qui avait commencé à creuser un canal à travers l’Etang de Lapalme devant relier La Nouvelle à Perpignan / mentionné dans le dico topo de Sabarthès en tant que « Canal qui n’est qu’ébauché » 1789 / 
La Jongrausse grau  1538
Le Moulin, moulin à eau et à vent au lieu dit Le Labadou / 
Lapalme étang /
Montauriol écart sur les bordes de l’étang Tuilerie 1781 /
Œil-de-Ponse œil de mer /
Le Rieu rivière torrentueuse tributaire de l’Etang de Lapalme arrose Feuilla, Treilles et Lapalme Ruisseau du Gazel 1781 (7) /
Le Salin écart, ancien poste de douaniers.
Autres mentions (f = ferme) : Abet f; / Belisses f XVIII / Benaïs ferme commune Lapalme / Le Crès f / La Corbière lieu dit Lapalme, La Courbière 1779 / Gazagnol f 1781 /
Glabanel lieu dit, anc fief du vicomte de Narb ; sur ce terroir était construite l'église rurale de saint Vincent /
La Halte station chemin de fer sur la ligne Narbonne Cerbère / Monsieur le Curé f / L’Oratoire chapelle ruinée ss le vocable de sainte Madeleine sur le chemin de Leucate / Roc-des-Quatre-Seigneurs point de contact Feuilla, Lapalme, Roquefort-des-Corbières et Treilles / Cap de Roumani ancien promontoire Caput de Romanino 1294 / Sainte-Madeleine oratoire ruiné La Capelette 1737 / Saint-Pancrace ferme et ancienne église, prieuré uni à l'abbaye de Lagrasse "Sanctus Branquassius " 1295 / Saint-Vincent ancienne chapelle ruinée sur l’ancien chemin de La Nouvelle (voir Glabanel) / La Tuilerie écart XVIII / Vergues ferme / Villarzel lieu dit Villargel 1779.
(1) Jacques Lacarrière, helléniste reconnu l’a écrit à propos des Corbières Maritimes. Le nom de Leucate vient du grec ancien λευκός (leukós) qui signifie « blancheur », « blanc ».
(2) Alban quia ses attaches à Canto-Perdrix alors que le lieu-dit «Chante-perdrix existe aussi chez Fabien, à Lapalme... décidément, les coïncidences...
(3) le 21 mai 1918, une balle allemande toucha sa moelle épinière causant une paralysie des membres inférieurs. Son oeuvre poétique est marquée par cette claustration qui lui fit refuser la lumière du jour, rue de Verdun, à Carcassonne. Un titre La Tisane de Sarments m’a longtemps attiré jusqu’à ce que je réalise que le roman, loin du bucolique lié à nos vignes, exprimait une souffrance seulement contenue par une exaltation spirituelle. Est-ce fortuit si dans l’adaptation télévisée de 1979, c’est Philippe Léotard qui tient le rôle de Joe Bousquet ?
(4) De 1494 à 1559 dont trente ans de conflits, neuf guerres d’Italie marquèrent la résistance du royaume de France, déterminé à récupérer l’héritage de l’aïeule Valentine Visconti en Italie, aux visées hégémoniques de l’empire des Habsbourg désireux de récupérer la Bourgogne et de fermer ainsi de tous côtés son emprise sur la France. .
(5) Sallèles “lieu de Plaisance, appartenant pour-lors aux seigneurs de "Fimarcon" dut aussi recevoir la cour du souverain.
(6) L’élevage principal étant celui du mouton, notons que dans les années 50, les troupeaux restaient nombreux avec de nombreuses bergeries dans les villages même (peut-être trois encore à Fleury rue des Barris par exemple).
(7) d’autres ruisseaux temporaires (voir Geoportail) descendent des "calcaires crétacés des Corbières Orientales" (Petit Robert 2).
photos autorisées : merci commons wikimedia et son fonds disponible de millions de photos !

dimanche 8 mars 2015

SALLÉLES-D’AUDE / Fleury en Languedoc

... C’EST CE QUI RESTE QUAND ON A TOUT OUBLIÉ...

Il est du devoir de chacun d’honorer les promesses faites et chacun se doit de remercier ceux qui ont la franchise d’insister pour qu’il en soit ainsi. Aussi, dans les replis de ce qui me tient lieu d’encéphale (pour clouer le bec à ceux qui prétendraient que je n’ai pas de cervelle), Alban de Sallèles-d’Aude, Fabien de Lapalme, Luc de Trausse-Minervois, les copains de collège d’Ouveillan, se rappellent à mon bon souvenir... Puis-je ajouter un fameux repas de communion à Trausse et son complément d’âme à la chapelle Saint-Roch ? Dois-je effacer le joli minois de Louisette de Sallèles qui sourit toujours à ma mémoire, allez donc savoir pourquoi, malgré le demi-siècle passé ? Et puis il y a prescription sur nos virées de braconniers dans les étangs et les pinèdes d’Ouveillan ?

Cette relecture a été aussi mise à profit pour récolter une partie de ce qui a pu être oublié de ces quatre cents et quelques pages de Sabarthès lors du travail initial.


1. SALLÈLES-D’AUDE.

Reviens Alban, tu en as tant à la maison ! Quelle idée de cingler jusqu’aux marges de l’Océan Pacifique ! Quoi qu’il en soit, hier, en suivant à la télé un pescofi las des gros silures de Camargue et parti taquiner les grands blancs de la Fraser (300 kilos quand même !), justement, je pensais d’autant plus à toi, non pas pour ce que tu taquines... mais pour ton joli village de la plaine de l’Aude. En effet, tu as dû entendre parler de la disparition mystérieuse des canards sur le canal de jonction, chez toi, à Sallèles http://www.sallelesdaude.fr/Deux-poissons-geants-peches-dans.html. 


Raison de plus, même si je te passe le relais pour nous raconter ton village, la passerelle, le pont-canal, François Ier, le train touristique du Minervois, les amphores aussi gauloises que romaines ou encore, à y être, les pêches géantes de Truilhas, pour faire un zoom sur les vieux platanes, les pins parasols centenaires, les cales à sec où se construisaient les péniches, les perrons et escaliers parfois doubles et tournants des maisons bourgeoises.


Ah ! l’été à l’ombre des hautes frondaisons ! Plaisir d'un pique-nique au bord de l'eau, saluts souriants aux touristes rôtis de soleil sur leurs maisons flottantes mais aussi une incitation plus profonde, quand les longues ramures ondoient et bruissent sous les coups de cers. On peut être gai et insouciant comme un estivant sans pour autant oublier un passé moins heureux. La mélodie du vent dans le feuillage prend alors des accents plus graves.

C'est que Sallèles se souvient de René Iché, le sculpteur dont on osa refuser la maquette, jugée trop pacifiste, pour le monument aux morts de Canet-d'Aude. Mais qui, derrière une idéologie douteuse, a donc voulu imposer une idée guerrière de la patrie ? Quel planqué de l'arrière a pu se permettre de mépriser ainsi le poilu, le témoin en première ligne de 14-18, de cette guerre dite Grande pour l'abomination qu'elle a démontrée ! Heureusement que contre le camp perverti de profiteurs si prompts à provoquer des hécatombes, une voix digne a su s'élever. Une petite voix même si, dès 1927, René Iché voit son monument d'Ouveillan inauguré par Albert Sarraut et Léon Blum. Un filet de voix contre l'injure gratuite, l'insulte facile de va-t-en-guerre qui ne finissent jamais en chair en canon ! Un siècle il a fallu, pour que l'horreur soit plus remémorée que célébrée, pour que toutes les victimes soient reconnues, pour que le "plus jamais ça" sorte du registre des vaines paroles ! Le souvenir, la mémoire, c'est le moins que nous devons à René Iché, mort jeune, à 54 ans !     
     

J'en savais encore moins à l’époque où je traçais la route sur mon routier Terrot, même si la beauté majestueuse des platanes me marquait déjà. Sallèles abritait 1800 habitants, elle en compte désormais près de 2800. Remarquable pour cette voie permettant aux bateliers de joindre le port de La Nouvelle au Canal du Midi, cette histoire d’eau serait partielle si on oubliait la Cesse, dernier affluent de l’Aude sur sa rive gauche, si nous n'avions pas un mot pour les terribles inondations du fleuve, lorsque le pont vinassier de la voie ferrée domine les vignes submergées. Plus paisibles, les noms de lieux jalonnent une histoire plus tumultueuse ; voyons ce qu’en dit Antoine Auguste Sabarthès dans son dictionnaire topographique du département de l’Aude. 

Salut Alban, j’espère que le tio ne t’a pas trop barbé avec ses histoires ! J’aurais pu t’agacer avec les salelots et salelotos de ton pays de cambos-roujos que manjount las bounos coustèlos mais j’ai pas su... Bon dimanche mon neveu ! 

SALLÈLES D’AUDE

Dans Frédéric Mistral, le Trésor du Félibrige : Salello Salelles, de salelots, -otos, de cambos-roujos (sobriquet des gens de Salèlles).

Chez Sabarthès : (abréviations, anc = ancien / bie =bergerie / f = ferme / loc; = localité)

Canton de Ginestas, église paroissiale dédiée à la sainte Vierge 1080 ; Villa Sallela 1116 ; Salela 1128 ; Selella 1184 ; Locus de Sallola 1332 ; Solelha XIVème ; Salelas..., Salhelhas 1536 ; Salelles 1781 Salèlos (vulg).

Aiguesvives loc disp Sallèles 924
Aquaeductus loc disparue 924 /
La Bernade bergerie 1774 /
Canteperdrix lieu dit 1536 /
Cap de Porc moulin sur la Cesse 1284 /
La Crouzette ferme /
Empare, écluse canal de jonction / anc moulin Cesse. /
L’Estagnol, au terroir de Truilhas 1692 /
Fondelon ferme /
Herbesante ferme 1774 /
Moulin de Truilhas s/Cesse /
Les Moulins 2 écarts /
Les Moulins 2 mlins s/Cesse ds le village Mulino drapeir in villa Sallela 1116 /
Notre-Dame -de-Sallèles titre de l’anc prieuré uni à l’abbaye de Moissac puis au chapitre Saint-Paul de Narbonne 1192 /
Les Patassiès épanchoir sur le Canal du Midi 1774 /
La petite Auberge f. au quartier du Somail /
Laroque f /
Saint-Andrieu, lieu dit ancienne église le cimetière Saint André 1645 /
Saint-Cyr écluse sur le canal de jonction (v. Sainte Sixte) /
Saint-Sixte (initialement mentionné sur Ouveillan) Ecclesia beati Quirici in territorio castri de Sallela 1326 ; Sainct Cist 1645 (comp.) Saint-Cyr cadastre /
Sainte-Anne chapellenie 1645 /
Sainte-Cécile f, anc dépendance du château de Truilhas Sainte Cécille 1692 ; la garrigue appelée Sainte Cécile 1692 /
La Sainte-Juste ancien étang ; L’estanhol del Clot de la Sant Justa 1537 ; L’Estagnol (cadastre) /
Saint-Martin-d’Aiguesvives ancien prieuré uni à l’abbaye de Montolieu Ecclesia Sancti Martini quae est juxta Sallelam 1184 / Saint-Michel Chapellenie La Chappelle sainct Michel 1645 /
Saint-Roch chapelle rurale et faubourg Saint Rocq ou Roc 1645 Roch 1781 Le barry de Saint-Roch (cadastre) /
Sallèles écluse double sur le canal de jonction /
Truilhas château, ferme et tuilerie Villa Troliares 924 /
Truilhas écluse sur le canal de jonction /
La Tuilerie briqueterie à Truilhas Tuillerie Vieille 1692
/



images autorisées wikipedia & commons wikimedia.

vendredi 30 mai 2014

« LE SERMON DIFFICILE », Les Rustiques, Louis PERGAUD.

Retour sur l'actualité de Louis Pergaud avec les prolongements possibles sur le plan national et européen.


    Suite à l’enquête sur le curé de Cucugnan, la piste se dédouble pour aboutir d’un côté à Louis Pergaud avec Le Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques (1921) (1). En plus de l’occurrence donnant la parole à ces curés qui, aussi présents que les clochers des campagnes, ont le mérite de partager la vie des petites gens, les raisons ne manquent pas de donner la parole à un écrivain aussi remarquable que Pergaud.



     D’abord, suite au lancement anticipé de la commémoration centennale de la Grande Guerre, à l’occasion du 11 novembre 2013, nos élites et édiles confondus, ainsi que leurs merdias serviles, restent depuis singulièrement silencieux... De leur part, beaucoup de ramdam puis plus rien : exactement la même attitude que pour les affaires engendrées par leurs turpitudes (2). Laissons les à leurs forfaitures... 99 ans derrière nous, le 8 avril 1915, Pergaud était porté disparu à proximité de Marchéville-en Woëvre...



    Ensuite, l’écriture du Sermon Difficile qui coïncide à quelques années près avec la Séparation de l’Eglise et de l’Etat (9 décembre 1905) ne va pas amener l'auteur comtois monté à Paris, à prendre parti. Jusqu’à la dernière phrase, rien ne transparaît de ses convictions hormis un mot de trois lettres qui dit tout néanmoins, lorsque, en parlant du curé de Melotte il précise : « ...SON Dieu...», non sans un certain recul. Pourtant, instituteur comme son père Elie, Louis Pergaud eut, à son tour, à subir plusieurs mutations parce que la population des villages, dans un climat d'hostilité latente contre la République (3), n’admettait pas la part faite à l’école laïque au détriment des congrégations.

    Le Sermon Difficile (extraits) :

    « Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie, et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque dimanche... /...

    ... il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange était bonne... /...

    ... Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés : ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur terre... / ...

    ... On le voit, le curé de Melotte n’exagérait pas dans le sens de l’intolérance religieuse. Au début, il s’était demandé souventes fois si son indulgence n’était pas simplement une coupable faiblesse : mais il s’était bien aperçu, aux résultats obtenus par quelques collègues intransigeants et sévères, que sa méthode, à lui, était la seule bonne... »

    Louis Pergaud qui a choisi son prélat parmi les prêtres ouverts et aimés par les ouailles, se permet même, à la troisième page, une histoire de curé en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire les populations villageoises d’où qu’elles soient. (4)

    «... Ce qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était le dévergondage des filles et des garçons du pays... /...

    ... Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !

            Si encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, malheur est bon.../...»

            La  Pentecôte approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure :

           « ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !

            Et il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et vengeur.../...»

    Quant à la dernière phrase, peut-être dénote-t-elle, chez l’auteur, la contradiction entre l’aspiration à la modernité et un certain académisme, sinon un côté conservateur. Conforme à ce qu’elle doit être, dans une nouvelle, la fin vient nous surprendre. Mais Pergaud n’en a t-il pas tiré profit pour lancer son « coup de pied de l’âne », ou, pour rester dans le ton, un « in cauda venenum » venant faire douter, d’un coup, de la conscience, de la psychologie, jusque là sans faille, du curé de Melotte ?
    Avec la question de savoir si les autres nouvelles du recueil répondent aussi scrupuleusement aux règles de la nouvelle, revenons aux arguments qui valent à ces sermons, par le biais de la comédie de mœurs, une portée sociétale certaine. La quatrième raison tient, en effet,  au poids de la religion au cours des âges.
    Si les spécialistes sont sans aucun doute capables de distinguer les phases qui marquent l’histoire d’une religion, une réflexion plus terre-à-terre pourrait laisser croire que, comme les empires, elles naissent et finissent en passant par des cycles d’ouverture ou de dictature, de séduction ou de répression. Pour ce qui est de l’Église et des « racines chrétiennes », mises en avant, de façon plutôt abrupte, par Giscard à propos de l’Europe, sommes-nous passés d’une tyrannie inquisitrice sur la collectivité à une réelle liberté individuelle de conscience ?
    Enfin, et contrairement aux allégations alarmistes des jacobins centripètes, l’esprit, l’âme de la France demeurent bien partagés, au-delà d’une diversité culturelle des régions, qui, en contradiction totale avec les tenants d’un monolithisme réducteur, plaide, à l’inverse, pour la réalité d’un destin partagé.
    Louis Pergaud illustre bien cette idée avec cette perspective religieuse, comme il le fit avec la vie des gosses du plateau comtois, comme il le démontra, par un patriotisme farouche pourtant allié à une lucidité antimilitariste certaine. Ah, si nous avions eu la possibilité, la curiosité d’une Guerre des Boutons (5) au Württemberg ou dans le Böhmer Wald...



(1) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf
(2)  dans le mépris total qu’ils ont de la plèbe, il s’agit toujours de manipuler en passant à autre chose, en poussant à oublier vite (les "éleccicons" [électeurs, citoyens, contribuables] ont une mémoire courte qu’il ne faut surtout pas contrarier)... depuis la libération  de certains, on n’entend plus parler, par exemple, des otages toujours privés de liberté...
(3) Pergaud qui ne voulait ni aller à la messe, ni enseigner le dogme catholique, était perçu comme socialiste et anticlérical. 
(4) à Fleury-d’Aude, mon pays natal celle qui est restée se résumerait à « Ne vous bousculez pas, il y en aura pour toutes ! ». Quant aux blagues que nous racontions, sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces, celle du « J’en ai encore trois mètres sur le porte-bagages ! » exprime la manière dont on moquait impunément le curé, ce qui, étrangement, n’était pas le cas, concernant l’instituteur.
(5) la religion n’y apparait qu’en arrière-fond.

photos autorisées wikimedia commons : 1. église de Gonsans, proche de Belmont 2. Pergaud militaire. 3. Plaque commémorative.