C’ÉTAIT... LOUIS
PERGAUD...
Le 8 avril
1915, cent ans déjà, non loin de Verdun, sur le front de l’Est disparaissait le sous-lieutenant
Pergaud Louis, Émile,
Vincent. Que son souvenir soit celui du « soldat connu » poussé à
témoigner, à parler pour tous ceux qui n’ont pu se faire entendre ou qui n’ont
pas voulu revenir sur cette guerre terrible.
Tous ces
hommes, des villes ou des villages, des usines ou des champs, portaient les
gènes d’une France rurale, proche de la nature. L’inspiration qu’elle a toujours
suscité chez les écrivains, loin d’être passéiste, se confond avec ce retour aux
sources plus que jamais d’actualité quand seule la croissance est assénée,
ressassée par une caste dirigeante escamotant les signes flagrants d’une
catastrophe annoncée.
Sur la forme, et j’espère encore que ce ne sera pas perçu comme une
nostalgie réactionnaire qui aurait peur de demain, la prose de Pergaud rappelle
ces bons maîtres, ces professeurs qui nous incitaient à employer des verbes
expressifs, pour enrichir notre vocabulaire sans toujours répéter
« être », « faire ». Au fil des ans et des lectures,
pourtant, l’utilité de ces principes semble moins univoque qu’il n’y paraît, du
moins chez les grands, ces artistes qui manient les mots comme d’autres les
pinceaux, les burins ou les notes de musique. Pagnol, par exemple, sur
l’affection entre un enfant et sa grand-mère : « Les grands-mères,
c’est comme le mimosa, c’est doux et c’est frais, mais c’est fragile. »
(Naïs).
Pour revenir
à la Comté de
Pergaud, dans la
Guerre des Boutons, une phrase, presque la première de la
première page, impossible à oublier tant elle foisonne dans sa simplicité :
« C’était un matin d’octobre. » Peut-être parle-t-elle mieux au
potache qui a eu à en orthographier la suite, mâchouillant consciencieusement son porte-plume, pour mieux réfléchir ou rêver, le regard perdu par-dessus le
verre dépoli d’une fenêtre, sur le gris d’un ciel de rentrée des classes ?
« C’était », « C’était »... une expression si simple, si commune, et quelle émotion pourtant ! Pour ceux qui en sont aussi convaincus que pour le Quadrangle,
le carré noir sur fond blanc de Malévitch, un florilège des paragraphes, de
ceux qui déclinent l’époque et plantent le décor, amorcés sur cette tournure
tant syntaxique que d’esprit :
« C’était un matin
d’octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l’horizon aux collines
prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus, les
pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol
plané, large et lent d’abord, qui s’accentuait d’un seul coup comme un plongeon
d’épervier dès que l’angle de chute devenait moins obtus. L’air était humide et
tiède. Des ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des
batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait de temps à autre, quand la
gerbe était dévorée, en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d’agonie
ou un vagissement douloureux.
L’été venait de finir et
l’automne naissait... »
La Guerre des Boutons. Première
page.
« ... C’était une
belle journée d’automne : les nuages bas qui avaient protégé la terre de la
gelée s’étaient évanouis avec l’aurore ; il faisait tiède : les
brouillards du ruisseau du Vernais semblaient se fondre dans les premiers rayons
du soleil, et derrière les buissons de la Saute, tout là-bas, la lisière ennemie
hérissait dans la lumière les fûts jaunes et dégarnis par endroits de ses
baliveaux et de ses futaies... »
La Guerre des Boutons. Page 71.
« ... C’était un soir
gris et sombre. La bise avait couru tout le jour, balayant les poussières des
routes : elle s’arrêtait un peu de souffler ; un calme froid pesait
sur les champs ; des nuages plombés, de gros nuages informes s’ébattaient à
l’horizon ; la neige n’était pas loin sans doute, mais aucun des chefs
accourus à la carrière ne sentait la froidure, ils avaient un brasier dans le
cœur, une illumination dans le cerveau... »
La Guerre des Boutons. Page 261.
« ...C’était un soir
calme de fin d’automne. La nuit, à grands pas, venait, noircissait par degrés la
chape bleue du ciel qui s’étoilait lentement. Pas un souffle de vent ne
troublait la tiédeur enveloppante ; les fumées montaient calmes des
cheminées, formant sur les carapaces bigarrées des toitures un léger manteau
vaporeux. Les clarines tintaient joyeuses au cou des vaches qui rentraient des
champs et marchaient d’une vive allure vers l’abreuvoir ; le marteau du
forgeron Martin sonnait par intervalles sur l’enclume argentine, et tous ces
bruits formaient une rumeur paisible et chantante qui était comme la respiration
vigoureuse ou la saine émanation du
village... »
Le Roman de Miraut. p. 129
(début du chap 10).
« C’était un soir de
printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de
pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la
menace d’une gelée possible, les bourgeons hésitants... »
De Goupil à Margot. / La
tragique aventure de Goupil / 1er mot page 1 !
« ... et la grand-mère, comme de coutume, avait commencé de sa voix
chevrotante, un peu mystérieuse et
lointaine, le conte traditionnel :
« C’était il y a des temps et des temps, par un minuit passé, un
soir de matines, quand la terre que nous labourons maintenant était encore toute
aux seigneurs et que les grands-pères de nos grands-pères leur
obéissaient... »
De Goupil à Margot. / La
tragique aventure de Goupil / page 55.
« ... C’était une
symphonie de couleurs allant du cri violent des verts ardents et comme vernissés
(réfléchissant le soleil sur les mille facettes de leurs miroirs comme pour
jouer avec la plaine) aux pâleurs mièvres des rameaux inférieurs, dont les
feuilles tendres, aux épidermes délicats et ténus, n’avaient pas encore reçu le
baptême ardent de la pleine lune, bu la lampée d’or des rayons chauds, car leur
oblique courant n’avait pu combler jusqu’alors que les lisières privilégiées et
les faîtes victorieux... »
De Goupil à Margot / La fin
de Fuseline p 80 (une seule phrase particulièrement longue).
« ... C’était un de
ces premiers jours où la forêt, comme une femme qui a longtemps résisté, se
laisse enfin aller toute aux caresses de l’amant, où elle vit de toutes ses
fibres, où elle chante de toutes ses sèves, où les grands baisers du soleil
l’ont investie comme un amour victorieux et conquise, et pénétrée toute, et où
elle ne tend plus aux vivants, sous ses ombrages captieux, l’asile traître de
son insidieuse fraîcheur... »
De Goupil à Margot / La fin
de Fuseline / toujours page 80.
« ... C’était une
heure indécise d’une après-midi brumeuse. Aux écoutes sur la branche dépouillée
d’un « foyard » où elle se reposait de quêtes infructueuses, Margot
scrutait l’espace de son oeil inquisiteur et vif, quand, d’un fourré encore
touffu, sous un chêne plus résistant, elle entendit le cri de ralliement de sa
gent et y répondit aussitôt... »
De Goupil à Margot / La
captivité de Margot page 125.
« ... C’était peut-être comme au crépuscule de jadis, près de la
mare maudite ; mais là il n’y avait point d’eau ; nul arbre ne se
dressait ; seule, au loin, derrière un épaulement de terrain, une fumée
bleuâtre montait calme et droite dans le froid sec du matin... »
De Goupil à Margot / La
captivité de Margot page 129.
« ... C’était une
après-midi morose de fin d’hiver, un temps de dégel qui confinait tout le monde
dans les maisons, dans la paix somnolente des chambres chaudes, tandis qu’au
dehors le paysage se dénudait, sale, gris, cinglé de pluie, fouaillé de vent et
semblant tituber de spleen comme un ivrogne reprenant sa marche après avoir
dormi dans les fossés du chemin... »
De Goupil à Margot / La
captivité de Margot page 145.
« C’était l’hiver sur
la plaine et sur la forêt. La neige glacée couvrait partout le sol. Depuis trois
semaines pourtant elle ne tombait plus, mais le gel qui l’avait cristallisée en
paillettes luisantes d’une finesse merveilleuse, l’avait rendue plus subtile
encore et plus traîtresse. Pas un abri n’échappait à son assaut ; son
emprise fluante et légère s’étendait aux recoins les mieux défendus et, selon le
caprice des bises de décembre qui se plaisent à mener aux carrefours des chemins
et aux croisements des tranchées forestières leurs bals blancs, le
tourbillonnement gracieux des papillons immaculés s’élevait et s’abaissait,
recouvrant au fur et à mesure de leur apparition, les traces mouvantes des
passages frayés...»
Histoires de loups (en
annexe). L’arrivée du maître (1ère page, 1er
mot !).
« ... C’était un beau
jour d’hiver ; le soleil, bas sur l’horizon, était sorti tard des brumes
qui couvraient les coteaux et ne parvenait point, sous la bise qui soufflait
sans relâche, à dégeler si peu que ce fût la croûte glacée qui recouvrait la
terre. Des multitudes de traces d’animaux s’entrecroisaient à la surface de la
neige et nous nous essayions à deviner quels étaient ceux qui les avaient
frayées et si les traces étaient fraîches... »
Ébauche intitulée « La
rencontre ».
Et pour ceux qui ne partageraient pas, si, par masochisme ils ont lu
jusqu’ici, concluons en détournant Pergaud dans sa préface à La
Guerre des
Boutons : « ...j’ai le droit d’espérer qu’il plaira aux « hommes de bonne
volonté » selon l’Évangile de Jésus et pour ce
qui est du reste, comme dit Lebrac, un de mes héros, je m’en fous. »
L.P.
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