dimanche 26 avril 2015

SALUT, POILU QUE JE NE SAVAIS VOIR ! / Pézenas, Languedoc.


Éclectiques, qu’ils sont, nos souvenirs, parce que restent surtout ceux qu’on veut bien garder, déformés même, façonnés à notre convenance. Et puis les mauvais qui s’enkystent, chacun préfère les circonscrire dans une gangue protectrice, comme sait le faire l’huître, pour en annihiler le pouvoir de nuisance. Je vous parlais, il y a peu, de la buvette des rosiers à Pézenas, à la gare du Nord. Je veux y revenir pour une greffe mémorielle, pour restaurer le monument aux Morts dans le paysage.
Ajoutons, sans que cela ne me disculpe, que ces années soixante préfèrent « ne pas trop les évoquer », morts ou vivants, nos soldats de 14 : le traumatisme de celle de 40, sûrement, le choix de la réconciliation, sans doute, la mauvaise conscience liée aux "évènements" d'Algérie... En cette période de commémoration plus ou moins sincère de notre part et des médias qui voudraient "formater" nos cerveaux, je tiens doublement à le saluer, notre Poilu de Pézenas, comme un remords trop voyant, en tant que perle étincelante de vie, aussi.

Salut, Poilu que je ne savais voir ! Salut, toi que voilà, marchant sans arme, comme en sursis, sur ta canne appuyé ! Si le devoir nous oblige à considérer, derrière toi, les morts, les blessés, les gueules cassées, les victimes par millions, l’artiste n’en invoque pas moins la vie qui continue, la canne en rythmant le chemin.
A côté des monuments qui évoquent le tribut dû à la patrie, la vertu guerrière, à côté de ceux qui, au contraire, insistent sur le malheur, par la veuve et l’orphelin, l’horreur sanglante, le « Plus jamais ça ! », si vain et pathétique tant que sa portée en reste à la prière, celui de Pézenas a le mérite de projeter vers des lendemains qui voudraient sourire ; le casque à la main, la canne dans l’autre en seraient des symboles.
Aux va-t-en-guerre qui ne voient que la baïonnette au bout du fusil, le bâton vient faire sonner les routes empierrées des campagnes. Parce qu’on marche encore beaucoup à l’époque et que le bâton aide les jambes, empêche de trébucher, dirige le troupeau, garde des mauvaises rencontres quand il ne soulève pas les fougères qui cachent les champignons. Aussi, Poilu, c’est naturellement que tu reprends des habitudes dès lors que l’attaque, la défense, le déluge d’obus te laissent vivant. Et tu lui dois tant, avec les marches forcées, les routes défoncées, la boue des boyaux qui voudrait t’engluer, l’entonnoir qui voudrait te noyer ! Et tous ces kilomètres, par centaines, tes pieds meurtris quand ils ne "marchent pas sur la France", comme vous dites si joliment, quand les croquenots sont percés ! Aussi tu pestes quand l’officier vous enjoint de jeter au fossé ce bout de bois non réglementaire ; c’est qu’il faut entretenir avant tout l’ardeur guerrière en traversant les villages ! Tu as pris soin de repérer l’endroit pour le récupérer plus tard, ton bâton. Bien sûr que tu y tiens, comme un tirailleur tient à son gri-gri !
Maurice Genevoix, même, en parle dans Ceux de 14 : 
« ... /... J'allonge le bras, machinalement, pour reprendre sur le seuil mon bâton que j'y avais laissé. Où est-il ? Je l'avais piqué là, dans ce tas de neige terreuse ; il n'y est plus: on me l'a volé.
Et cela me remue tout entier, d'indignation, de révolte, de tristesse ; mon cœur bat ; mes doigts tremblent un peu.
« Caris ! Un saligaud m'a fauché mon bâton... Je l'avais laissé à la porte, ici... Je ne le retrouve plus... / ...»

Dis-moi Poilu, cette canne, l’as-tu achetée à l’arrière, échangée avec un chasseur alpin ? Ou est-elle naturelle, coupée dans un taillis où un baliveau se défendait du chèvrefeuille qui étrangle ? Est-ce ta canne que tu as sculptée lors d’un repos à l’arrière, pour tromper l’ennui porteur de cafard ? Ou, plus léger, dans l’attente du vaguemestre qui apporte les lettres ? Et ce serpent qui s’enroule comment t’a-t-il gardé des dangers ? 

 Je veux le croire que tu en es revenu, "clopin, clopant" peut-être mais vivant, pour dire ce que tu as longtemps voulu taire, parce que le respect pour tes compagnons, ton pays, ton copain, ton cousin, ton frère et ceux d’en face qui y sont restés s’est trop longtemps traduit par du silence.
Plutôt fêter la paix, répéter et clamer que la guerre est illégale jusqu’à ce qu’un traité international l’entérine ! Sauf que seuls le commerce international et l’enrichissement inconsidéré de quelques uns valent la peine d’être protégés par des traités ! A quoi rime alors de répéter que la guerre est un « grand malheur », ein « groß Malheur » si c’est par convention ? Que les survivants des cataclysmes du siècle passé nous gardent de ce qui pourrait encore nous accabler, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire !

Adieu, Poilu que je ne savais voir !.. Au revoir donc, dans le sens occitan du mot « Adieu » ! Plus que jamais, que ta présence immortelle persiste à travailler, à tenailler la conscience des Hommes, à commencer par le petit bonhomme qui passait sans te voir !

1 commentaire:

  1. Très beau ton texte! Mon grand-oncle a été porté disparu lors de cette guerre, au tout début, je suis allée jusqu'en Lorraine pour essayé de le retrouver...... Il a finalement été déclaré mort pour la France quelques années après la guerre..... C'est un sujet qui me tient à coeur.
    Pour la photo, elle est un peu petite..... Si tu as l'occasion de faire des photos à Pézenas je suis preneuse!
    Bisous Jean-François!

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