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vendredi 30 mai 2014

« LE SERMON DIFFICILE », Les Rustiques, Louis PERGAUD.

Retour sur l'actualité de Louis Pergaud avec les prolongements possibles sur le plan national et européen.


    Suite à l’enquête sur le curé de Cucugnan, la piste se dédouble pour aboutir d’un côté à Louis Pergaud avec Le Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques (1921) (1). En plus de l’occurrence donnant la parole à ces curés qui, aussi présents que les clochers des campagnes, ont le mérite de partager la vie des petites gens, les raisons ne manquent pas de donner la parole à un écrivain aussi remarquable que Pergaud.



     D’abord, suite au lancement anticipé de la commémoration centennale de la Grande Guerre, à l’occasion du 11 novembre 2013, nos élites et édiles confondus, ainsi que leurs merdias serviles, restent depuis singulièrement silencieux... De leur part, beaucoup de ramdam puis plus rien : exactement la même attitude que pour les affaires engendrées par leurs turpitudes (2). Laissons les à leurs forfaitures... 99 ans derrière nous, le 8 avril 1915, Pergaud était porté disparu à proximité de Marchéville-en Woëvre...



    Ensuite, l’écriture du Sermon Difficile qui coïncide à quelques années près avec la Séparation de l’Eglise et de l’Etat (9 décembre 1905) ne va pas amener l'auteur comtois monté à Paris, à prendre parti. Jusqu’à la dernière phrase, rien ne transparaît de ses convictions hormis un mot de trois lettres qui dit tout néanmoins, lorsque, en parlant du curé de Melotte il précise : « ...SON Dieu...», non sans un certain recul. Pourtant, instituteur comme son père Elie, Louis Pergaud eut, à son tour, à subir plusieurs mutations parce que la population des villages, dans un climat d'hostilité latente contre la République (3), n’admettait pas la part faite à l’école laïque au détriment des congrégations.

    Le Sermon Difficile (extraits) :

    « Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie, et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque dimanche... /...

    ... il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange était bonne... /...

    ... Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés : ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur terre... / ...

    ... On le voit, le curé de Melotte n’exagérait pas dans le sens de l’intolérance religieuse. Au début, il s’était demandé souventes fois si son indulgence n’était pas simplement une coupable faiblesse : mais il s’était bien aperçu, aux résultats obtenus par quelques collègues intransigeants et sévères, que sa méthode, à lui, était la seule bonne... »

    Louis Pergaud qui a choisi son prélat parmi les prêtres ouverts et aimés par les ouailles, se permet même, à la troisième page, une histoire de curé en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire les populations villageoises d’où qu’elles soient. (4)

    «... Ce qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était le dévergondage des filles et des garçons du pays... /...

    ... Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !

            Si encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, malheur est bon.../...»

            La  Pentecôte approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure :

           « ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !

            Et il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et vengeur.../...»

    Quant à la dernière phrase, peut-être dénote-t-elle, chez l’auteur, la contradiction entre l’aspiration à la modernité et un certain académisme, sinon un côté conservateur. Conforme à ce qu’elle doit être, dans une nouvelle, la fin vient nous surprendre. Mais Pergaud n’en a t-il pas tiré profit pour lancer son « coup de pied de l’âne », ou, pour rester dans le ton, un « in cauda venenum » venant faire douter, d’un coup, de la conscience, de la psychologie, jusque là sans faille, du curé de Melotte ?
    Avec la question de savoir si les autres nouvelles du recueil répondent aussi scrupuleusement aux règles de la nouvelle, revenons aux arguments qui valent à ces sermons, par le biais de la comédie de mœurs, une portée sociétale certaine. La quatrième raison tient, en effet,  au poids de la religion au cours des âges.
    Si les spécialistes sont sans aucun doute capables de distinguer les phases qui marquent l’histoire d’une religion, une réflexion plus terre-à-terre pourrait laisser croire que, comme les empires, elles naissent et finissent en passant par des cycles d’ouverture ou de dictature, de séduction ou de répression. Pour ce qui est de l’Église et des « racines chrétiennes », mises en avant, de façon plutôt abrupte, par Giscard à propos de l’Europe, sommes-nous passés d’une tyrannie inquisitrice sur la collectivité à une réelle liberté individuelle de conscience ?
    Enfin, et contrairement aux allégations alarmistes des jacobins centripètes, l’esprit, l’âme de la France demeurent bien partagés, au-delà d’une diversité culturelle des régions, qui, en contradiction totale avec les tenants d’un monolithisme réducteur, plaide, à l’inverse, pour la réalité d’un destin partagé.
    Louis Pergaud illustre bien cette idée avec cette perspective religieuse, comme il le fit avec la vie des gosses du plateau comtois, comme il le démontra, par un patriotisme farouche pourtant allié à une lucidité antimilitariste certaine. Ah, si nous avions eu la possibilité, la curiosité d’une Guerre des Boutons (5) au Württemberg ou dans le Böhmer Wald...



(1) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf
(2)  dans le mépris total qu’ils ont de la plèbe, il s’agit toujours de manipuler en passant à autre chose, en poussant à oublier vite (les "éleccicons" [électeurs, citoyens, contribuables] ont une mémoire courte qu’il ne faut surtout pas contrarier)... depuis la libération  de certains, on n’entend plus parler, par exemple, des otages toujours privés de liberté...
(3) Pergaud qui ne voulait ni aller à la messe, ni enseigner le dogme catholique, était perçu comme socialiste et anticlérical. 
(4) à Fleury-d’Aude, mon pays natal celle qui est restée se résumerait à « Ne vous bousculez pas, il y en aura pour toutes ! ». Quant aux blagues que nous racontions, sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces, celle du « J’en ai encore trois mètres sur le porte-bagages ! » exprime la manière dont on moquait impunément le curé, ce qui, étrangement, n’était pas le cas, concernant l’instituteur.
(5) la religion n’y apparait qu’en arrière-fond.

photos autorisées wikimedia commons : 1. église de Gonsans, proche de Belmont 2. Pergaud militaire. 3. Plaque commémorative.

dimanche 11 mai 2014

DES CORBIERES AU DOUBS / Encore un sermon qui vaut le détour !

  
 1. Le long du Doubs.





            Ah, si les Girondins n’avaient pas été laminés par les Montagnards, la République n’imiterait pas certains travers monarchiques dont celui faisant descendre du haut de la pyramide des principes aussi impérieux qu’irrécusables ! Sans quoi, la volonté du vivre ensemble remonterait de la base. Notre pays serait une fédération de provinces valorisées, respectées pour l’identité, la culture et éventuellement mais avant toute chose, la langue pour le moins aussi légitime que le français...
            Je m’égare car ce sentiment d’appartenance à un même pays (certains disent encore "nation"), est construit par la religion et l’Histoire qui elle, a prévu des frontières coupant des voisins pour une unité néanmoins artificielle... Ainsi, puisque nous sommes forcés de chercher des points en partage dans ces limites légales, il faudra bien trouver des traits communs en faisant fi de la géographie et du climat... Le despotisme jacobin y a veillé et le Languedocien, pour un exemple pris aussi au hasard que le nom de Cucugnan pour notre cher curé, s’est donc rapproché par force des océaniques, des continentaux, de la cuisine au beurre et des gros de Bourgogne plutôt que de nos cousins méditerranéens, de l’huile d’olive et des petits gris. Des peuples à première vue séparés par des montagnes, mais incontestablement reliés par une mer originelle !
            En vertu de quoi, vers mes onze ans, quand, en 1961 ou guère plus tard, je vis au cinéma de Fleury, le film d’Yves Robert, en bon garçonnet tuteuré et mené à la baguette par des héritiers de hussards aussi noirs que bastonneurs, je ne pouvais que penser, en suivant les campagnes de Lebrac contre L’Aztec, que tous les enfants de France se livraient aux mêmes guerres, que les boutons perdus comptaient encore autant que les cocards reçus et que la rivalité entre Salles et Fleury valait celle entre Velrans et Longeverne (1). Le grand mérite de Louis Pergaud, magnifiant la langue française et aussi ce terrible destin partagé avec ceux qui ont laissé plus que leur nom sur un monument aux morts, je n’étais pas en âge de les apprécier.
            Avec les années et une émotion pour Pergaud toujours renaissante, l’accessibilité des textes tombés dans le domaine public a renouvelé chez moi son lot de sensations exaltantes : l’une d’elles tient au Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques, en 1921 (2). Dénotant la position extérieure de l’auteur franc-comtois, ce sermon ne s'appuie pas, même s'il l'effleure, contrairement à celui de l’abbé Marti, sur une logique encore inquisitive.  
            Ci-après, les extraits et citations attribuées au curé de Melotte qui répondent plus particulièrement à la problématique exposée plus haut et surtout à ma fibre languedocienne :

« Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie, et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque dimanche... /...

... il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange était bonne... /...

... Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés : ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur terre... / ...»

A la troisième page, Pergaud agrémente son propos d’une histoire de curé en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire les populations villageoises d’où qu’elles soient. (3)

«... Ce qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était le dévergondage des filles et des garçons du pays... /...

... Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !
            Si encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, malheur est bon.../...»

            La  Pentecôte approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure :
           
« ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !
            Et il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et vengeur.../...»

            En confessant combien je m’en veux de m’être mis ainsi en avant (4), j’espère que la tentation pour la langue magnifique de Louis Pergaud jouera, alliant la construction ciselée d’un texte avec un fonds villageois rustique, en apparence seulement. Et puis, vous n'en avez découvert que la trame : raison de plus pour le lire, et y revenir souvent, absolument et sans modération !   

(1) La Guerre des Boutons, vous aviez deviné. 
(2) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf 
(3) je pense à celle que nous racontions « J’en ai encore trois mètres sur le porte-bagages ! » sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces...
(4) Louis Pergaud est mort près de Marcheville-en-Woëvre, le 8 avril 1915... j’ai honte de n’avoir pas pensé à lui au jour du 99ème anniversaire de sa mort... 

Photos autorisées : wikipedia, wikimedia / images google / Le Doubs / Louis Pergaud.