1. Le long du Doubs.
            Ah,
 si les Girondins n’avaient pas été laminés par les Montagnards, la 
République n’imiterait pas certains travers monarchiques dont celui 
faisant descendre du haut de la pyramide des principes aussi impérieux 
qu’irrécusables ! Sans quoi, la volonté du vivre ensemble remonterait de
 la base. Notre pays serait une fédération de provinces valorisées, 
respectées pour l’identité, la culture et éventuellement mais avant 
toute chose, la langue pour le moins aussi légitime que le français... 
            Je
 m’égare car ce sentiment d’appartenance à un même pays (certains disent
 encore "nation"), est construit par la religion et l’Histoire qui elle, a prévu 
des frontières coupant des voisins pour une unité néanmoins 
artificielle... Ainsi, puisque nous sommes forcés de chercher des points
 en partage dans ces limites légales, il faudra bien trouver des traits 
communs en faisant fi de la géographie et du climat... Le despotisme 
jacobin y a veillé et le Languedocien, pour un exemple pris aussi au 
hasard que le nom de Cucugnan pour notre cher curé, s’est donc rapproché
 par force des océaniques, des continentaux, de la cuisine au beurre et 
des gros de Bourgogne plutôt que de nos cousins méditerranéens, de 
l’huile d’olive et des petits gris. Des peuples à première vue séparés par des montagnes, 
mais incontestablement reliés par une mer originelle ! 
            En
 vertu de quoi, vers mes onze ans, quand, en 1961 ou guère plus tard, je
 vis au cinéma de Fleury, le film d’Yves Robert, en bon garçonnet 
tuteuré et mené à la baguette par des héritiers de hussards aussi noirs 
que bastonneurs, je ne pouvais que penser, en suivant les campagnes de 
Lebrac contre L’Aztec, que tous les enfants de France se livraient aux 
mêmes guerres, que les boutons perdus comptaient encore autant que les 
cocards reçus et que la rivalité entre Salles et Fleury valait celle 
entre Velrans et Longeverne (1). Le grand mérite de Louis Pergaud, 
magnifiant la langue française et aussi ce terrible destin partagé avec 
ceux qui ont laissé plus que leur nom sur un monument aux morts, je 
n’étais pas en âge de les apprécier. 
            Avec
 les années et une émotion pour Pergaud toujours renaissante, 
l’accessibilité des textes tombés dans le domaine public a renouvelé 
chez moi son lot de sensations exaltantes : l’une d’elles tient au Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques,
 en 1921 (2). Dénotant la position extérieure de l’auteur franc-comtois,
 ce sermon ne s'appuie pas, même s'il l'effleure, contrairement à celui de l’abbé Marti, sur 
une logique encore inquisitive.   
            Ci-après,
 les extraits et citations attribuées au curé de Melotte qui répondent 
plus particulièrement à la problématique exposée plus haut et surtout à 
ma fibre languedocienne : 
«
 Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, 
catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et 
sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres 
encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la
 foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie,
 et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque 
dimanche... /... 
...
 il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, 
d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur 
disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout
 autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange 
était bonne... /... 
...
 Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés :
 ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus 
de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont 
bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer 
et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur 
terre... / ...»
A
 la troisième page, Pergaud agrémente son propos d’une histoire de curé 
en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire 
les populations villageoises d’où qu’elles soient. (3) 
«... Ce
 qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était 
le dévergondage des filles et des garçons du pays... /... 
...
 Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs 
corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se 
marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital 
ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !
            Si
 encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles 
seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les 
autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, 
malheur est bon.../...»
            La   Pentecôte
 approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas 
manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux 
oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure : 
«
 ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de 
la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le 
garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et 
il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !
            Et
 il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les 
yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et
 vengeur.../...» 
            En
 confessant combien je m’en veux de m’être mis ainsi en avant (4), 
j’espère que la tentation pour la langue magnifique de Louis Pergaud 
jouera, alliant la construction ciselée d’un texte avec un fonds 
villageois rustique, en apparence seulement. Et puis, vous n'en avez découvert que la trame : raison de plus pour le lire, et y revenir 
souvent, absolument et sans modération !    
(1) La Guerre des Boutons, vous aviez deviné.  
(2) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf  
(3)
 je pense à celle que nous racontions « J’en ai encore trois mètres sur 
le porte-bagages ! » sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces... 
(4)
 Louis Pergaud est mort près de Marcheville-en-Woëvre, le 8 avril 1915... j’ai honte de n’avoir pas pensé à lui au jour du 99ème anniversaire 
de sa mort... 
Photos autorisées : wikipedia, wikimedia / images google / Le Doubs / Louis Pergaud.  


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