2. Sous le col du Chioula.
J'aime beaucoup les Alpins mais nos montagnards sont ceux des Pyrénées et si, venu du plateau jurassien, le français raffiné de Pergaud en impose, le parler des campagnes ne lui envie rien, à plus forte raison lorsqu’il offre les richesses de la langue d’Oc, souvent intraduisibles pour qui sait en apprécier les nuances.
Et puis, le Chioula, tout en haut du Pays de Sault, prolonge l’horizon
des Corbières. Le col qui joint l’Ariège et Ax-les-Termes offrait une
variante forestière aux voyageurs du dimanche partis traficoter au
Pas-de-la-Case, le pastis, les cigarettes et le beurre par kilos (1). Du
coup, en dehors de ceux qui rappelaient un compatriote, le nom des
villages sur la route ne piquait pas particulièrement la curiosité de
nos excursionnistes.... bien joli déjà qu’ils appréciassent un tant soit
peu la vue des montagnes et le dépaysement. Sur cette route
buissonnière, justement, une fois passé le Chioula, c’est à peine si on
remarque les maisons de Sorgeat. Avec Ignaux, les deux localités se
partagent une laisse entre 1000 et 1200 mètres d’altitude, en bas d’une
soulane dominée par l’Assaladou (1585 m) et le Pla du Mont (1705 m).
C’est plus facile à trouver sur l’ordi, même par le plus grand des
hasards !
Et en attendant d’aller les rencontrer, ces fidèles, ces passionnés qui
alimentent un site comme on ajoute une bûche dans l’âtre, un clic et
nous y sommes, à Sorgeat.
http://sorgeat.mvs.free.fr/index.php/homePage
On entre même dans une maison avec une table de cèpes, dans une grange
avec un chevreuil ou un sanglier pendus pour le dépeçage. Sur une autre
page, que dis-je, un chapitre qu’il vaut mieux ne pas lire à jeun !
c’est le cochon, abattu, prêt lui aussi pour le débitage en longes, en
large et en travers... Ne parlons pas du boudin tripou ! Bref, on n’en
finit plus de tourner dans le village avec le lavoir, les fontaines où
les mules chargées de rondins et "l’ase pelut" faisaient halte.
Plutôt que de s’en lécher les babines, il est plus que temps de tourner
le regard vers le clocher-mur ouvert pour deux campanes et l’église
d’où, il y a bien une centaine d’années, le père Jean de Balet a
prononcé un prêche remarquable sur l’éducation des filles et la
propension des hommes à banqueter trop volontiers. (Et là, c’est vrai
que cela rappelle Garrigou et Dom Balaguere des Trois Messes Basses de
Daudet, écrivain que nous avons évoqué récemment pour l’affaire du curé
de Cucugnan..)
Narrateur et personnage principal de la pièce, Jean de Balet, curé de
Sorgeat, assure la présentation, également en vers, du prône, précisant
que la fête tombe à la fin de la belle saison (2). Ensuite, il brosse
son portrait en quelques traits bien choisis :
«... Boun ome, familiè, plen d'esprit d'aperpaus... » (bon homme, familier, plein d'esprit d'à propos)
En chaire, les choses commencent mal pour les élégants qui pavanent et les dames aux bras dénudés «... Que debouciou n'abets pas gaire...» (de la dévotion vous n'en avez guère).
Concernant ses ouailles, il ne l’envoie pas dire « Quant al troupèl dount ai la gardo / N'es pas aquel qu'abio rebat, » (Quant au troupeau dont j'ai la garde, ce n'est pas celui dont j'avais rêvé).
Il sait que les demoiselles qui se sont faites belles trépignent
d’aller danser avec un cavalier du voisinage ; il fustige, surtout, ces
tourtereaux qui fêtent Pâques avant Rameaux. Sinon, la mère qui couve sa
jouvencelle ferait mieux de rester vigilante : prompte à aller chercher
la bête qui manque à l’étable, elle devrait en faire autant pour la
fille qui à minuit n’est pas au lit... Il faut garder les galines « ...Quant le rainart rodo à l'entour... » (Quand le renard rôde alentour).
Les hommes qui croyaient encore s’en sortir à bon compte sont les
derniers à charger la musette. Il promet au moins le purgatoire à ceux
qui, dans la maison du Seigneur comme au café, parlent sans vergogne, de
politique, de la vache menée au taureau ou de l’âne qu’on doit ferrer.
Finalement, pour ne pas gâcher la fête des rudes montagnards à la vie
pas facile, le brave curé s’adoucit. En annonçant que l’heure des vêpres
sera retardée, il leur propose, non sans humour, la seule morale qu’en
ce jour particulier, ils puissent comprendre : « Fasèts boumbanço / Prenèts pla souen de bostro panso... ». (faites bombance, prenez bien soin de votre panse...).
Mon ambition n’étant pas de vous frustrer de ce plaisir, et dans la mesure où le texte est logiquement protégé, je vous invite à lire sur le site l’intégralité de ce monologue d’anthologie avec sa traduction en français. Me concernant, c’était autour de Noël et l’hiver m’a fait singulièrement penser au toit de l’église du lieu, effondré sous le poids de la neige, en 1960.
Oui, j’irai les voir un jour. L’auteur du site dit que Sorgeat, son
village, est formidable (3) ! Loin d’émaner d’un quelconque orgueil mal
placé, cette preuve d’amour pour le pays de ses aïeux est touchante.
Oui, j’irai les voir un jour parce que je suis un peu de là-bas, aussi :
les archives précisent qu’en 1901, c’est l’abbé Dedieu qui officiait à
Sorgeat et a fait réparer l’église ! Alors ? Sûr que j’irai les voir...
ils me diront si un « mièjés de blat » est la moitié d’un « capulles de
blat », d’une gerbe de blé, ou si je me trompe... Je porterai du vin, de
la Clape ou des Corbières...
(1) Le trajet direct passait par Carcassonne, Mirepoix, avant de remonter le cours de l’Ariège par Foix, Tarascon, Ax. Sur le trajet retour, la volante filtrait les excursionnistes, à Mérens-les-Vals, notamment. De nos jours, il reste l’attraction des stations de ski, le tourisme d’été et le Tour de France.
(2)
Jean de Balet, curé de Sorgeat, a laissé en 1915 (année de la
disparition de Louis Pergaud, sujet du précédent billet) la trace écrite
d’un sermon prononcé quelques vingt années auparavant. la scène se
passe en septembre vu que la fête du 6 août en l’honneur de St Just et
St-Pasteur, est reportée, à Sorgeat, pour cause de moissons, au dimanche
qui suit le 14 septembre, date de la foire aux bestiaux
d’Ax-les-Thermes.
(3)
Et ne faites surtout pas de rapprochement avec ce chanteur au nord du
Nord. Tant mieux pour lui et son tube mais « formidable », pour une génération plus implantée, rappelle Aznavour. Et puis, le seul « formidable » qui compte pour moi
est, antérieurement à celui de Sorgeat, celui que prononce Lili des
Bêlions, le copain de Marcel :
« « Il n'y a pas à dire : tu es formidable ! »
Cette
admiration stupéfaite qui flattait ma vanité me parut soudain très
inquiétante, et il me fallut faire un effort pour rester formidable.» page 78 / Le Château de ma Mère. Marcel Pagnol (1958).
photo : pas de cliché disponible pour Sorgeat, Ignaux, Vals en ruine ou Pragelat. Heureusement, dans les archives familiales, ces vues en noir et blanc prises avant le bac 1939 : mon père venu se mettre au vert avant les épreuves chez son copain Marcel. Un jour, à vélo depuis Belcaire, ils ont parcouru, jusqu'à Ax et retour et même si on défalque la montée en Traction avant, une cinquantaine de kilomètres (la borne qui en témoigne doit se trouver, sauf erreur, 7 kilomètres plus bas que le Chioula, du côté des Arnets et de la Calmeraie, pour ceux qui connaissent la route d'Ax...).
Un "capulles de blat" est plutôt une coiffe protégeant la gerbe de la pluie.
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