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dimanche 27 septembre 2015

Yves, pêcheur du Golfe : LES COUPS DE TRAÎNE. (XI) / Fleury, Golfe du Lion


Quand on faisait des coups de traîne à 10, 12 mailles, j’ai eu porté 2-300 kilos de rougets quand même ! Y avait de tout, des demoiselles, des maquereaux, ils faisaient des sous et moi j’étais payé avec un lance-pierre, je débutais... Pendant une paire d’années, j’étais pas payé : il fallait apprendre, on était matelots et ils en profitaient. 

La vente du poisson : une fois j’ai fait un gros coup, té, en face de chez toi, à droite du poste... Eh bé, c’était pour la fête de Sète, oui pour la Saint-Louis ; là j’avais que des copains : on fait un bol on en a eu une quinzaine, 20 kilos, des loups, et des beaux, de belles portions de 2-3 kilos. 




On remet le filet dans la barque. Un me dit « On pourrait faire un bol de l’autre côté, Marc y est allé, y a un trou, il pourrait y avoir quelques loups ! ». Allons-y, c’était tout près, on calait à 300 mètres. On va, on cale, je te dis pas : 350 kilos de loups et des pièces de 3-4 kilos !


- Qu’est-ce qu’ils peuvent manger si regroupés ?
- J’en sais rien, c’était dix, douze ans avant que j’achève, alors entre 1980 et 1982. E aro, per vendre aco ? ( Et maintenant, pour vendre ça ?) Je me débrouillais, j’avais des ramifications, je servais des restos à Port-Vendres et personne n’en voulait ! Jusqu’à Monaco, Nice, Marseille ! Couchanlegi est venu le chercher : y en avait 320 kilos sans compter ce que les copains ont pris... Quand y’a du poisson, faut pas faire le radin.
Je suis allé encaisser trois jours après, j’en ai eu péniblement 12 euros... pardon c’était en francs ! Que dalle quoi ! Ils sont durs en affaires et c’est pire chez nous... A cette époque le loup se vendait  entre 25 et 30 Francs parce que, à Sète, dans l’Hérault le poisson s’est toujours mieux vendu que dans l’Aude, toujours beaucoup plus payé qu’à La Nouvelle ! Au lieu de 8-10 ici, là bas, 12- 15... L’océan vient le chercher, la Côte-d’Azur qui arrive, les "Italianos". - Et dans les PO ?     
- C’est pareil que dans l’Aude, les mêmes types et maintenant à La Nouvelle, n’en parlons pas, c’est géré par les copains des copains de la chambre de commerce... Attendi, il y a quelques temps, une paire d’années, le jeune avait pêché une dorade de 4-5 kilos, ils n’ont pas pu la vendre mais ils ne l’ont pas retrouvée la dorade... elle avait fait des petits... ça n’avait pas traîné ! 



Photos autorisées : 
1. avec un rouget grondin /commons wikimedia, auteur Calcineur.  
2. loup wikipedia 
3. loup pêché à Marsillargues / iha.fr 
4. Dorade wikipedia

jeudi 24 septembre 2015

Yves pêcheur du golfe / LES TORTUES (X) / Languedoc, Golfe du Lion.

HÔTES RARES ET ÉTONNANTS : LES TORTUES... 
(Le pêcheur du Golfe Xème tableau) 
Le 14 juillet 1949, Yves le pêcheur a directement participé à la prise d’une tortue “avec des dents énormes”, en face de Port-La-Nouvelle. Il ne faut pas s’étonner si des animaux pouvant atteindre 900 kilos ont été décrits périodiquement comme monstrueux (1). Et Yves n’exagère pas plus que Wikipédia :  “... Sur le bec supérieur, on peut observer une pointe médiane très marquée entourée de deux grandes encoches. L'intérieur de la bouche est occupé par une multitude de cônes, utilisés aussi bien pour l'oxygénation que l'alimentation... /... 
... Les tortues n'ayant pas de dents et les méduses étant difficiles à déchiqueter, les scientifiques se sont demandé comment les tortues luth pouvaient s'alimenter avec ces animaux. On a découvert que l'œsophage de la tortue luth, tapissé d'épines, avait pour fonction le dépeçage des proies...”

En un peu plus de quatre siècles, sur les côtes françaises de la Méditerranée, Corse comprise, seules 30 captures ou observations de tortues luth ont laissé une trace. La moitié provient du Golfe du Lion formé surtout de plages sableuses. Le tiers de ces comptes-rendus concerne la portion de côte entre Sète et Palavas-les-Flots. On ne peut rien en déduire, le premier témoignage sur sa présence daterait-il de 1588 ! Est-ce que ce sont des tortues luth traversant l’Atlantique et passant le seuil de Gibraltar ? Sont-elles issues de pontes en Méditerranée, seraient-elles rarissimes ?  
http://www.seaturtle.org/pdf/ocr/OliverG_1986_VieMilieu.pdf
D’après Wikipédia “... De nombreux lieux de ponte autrefois fréquentés par les tortues luth ne le sont presque plus ou plus du tout, comme la Sicile, la Turquie, la Libye ou Israël...”
Il n’empêche que la fréquentation de nos côtes est confirmée :
“... En France, plusieurs espèces de tortues marines peuvent être observées. D'observation très rare en mer, elles sont pourtant observées mortes dans les filets de pêche (Tortue luth plus particulièrement) ou occasionnellement échouées sur nos côtes...”
http://batrachos.free.fr/tortuesaq.htm


Pour la période dont a témoigné Yves (voir les épisodes sur “le pêcheur du Golfe”), les cinq pages de la communication de Guy Oliver font état,  de trois captures :
* Le 17 août 1949, un mâle de 2 mètres et 350 kilos a été pris par la barque “Idéal", appartenant à M. L. Molle, à 6 milles au large de Maguelonne (Hérault) (Harant, 1949). 
* le 9 septembre 1950, une femelle de 2.01 m. et de 350 à 400 kilos a été prise dans les filets à thons de M. Étienne Rossie, au large de La Nouvelle (Aude) (Petit, 1951). 
* Le 21 août 1955, un mâle de 2.14 m. pour environ 300 kilos a été pris encore au large de La Nouvelle (Harant 1956).
 http://www.seaturtle.org/pdf/ocr/OliverG_1986_VieMilieu.pdf

En 1951, le professeur Petit précisait, à propos de la prise d’une tortue luth à La Nouvelle :  : “ en raison de la rareté (...) toute capture avec au minimum l’indication de date, des dimensions de l’animal et du sexe, mérite d’être signalée."  (PETIT G. 1951. Capture d’une tortue luth à La Nouvelle (Aude) Vie Milieu 2 / 154- 155).
La tortue luth est protégée par des conventions internationales, et en France, depuis 1991... En France, justement, la portée de cette protection est malheureusement affaiblie au prétexte que les données sont insuffisantes... Comme s’il ne suffisait pas de convenir que cette alliée contre les méduses contribue au maintien des poissons, en tant que ressource planétaire ! Ah la logique française confinant à la bêtise ! Agaçant, non ?     

(1) le fond des histoires de régalec, ce roi des harengs parfois assimilé au serpent de mer, ou de calmar géant, liées aux soirées arrosées des marins en escale (aussi pour dissuader les concurrents de cingler vers les mêmes destinations), correspond bien à une réalité (voir aussi Jules Verne). 




photos autorisées sous wikipédia & wikimédia commons dont :
2. régalec par Wm Leo Smith. 
3. calmar colossal copyright Citron

vendredi 11 septembre 2015

SOUCIS ET MALHEURS D’UN PÊCHEUR DU GOLFE (VIII) / Fleury d'Aude en Languedoc

« Et oui, tu vois, je faisais la traîne l’été et l’étang l’hiver, pratiquement la moitié de l’année pour chaque pêche...
- Le poisson se vendait bien ou sont-ce les mareyeurs qui en tiraient le plus grand profit ?
- Faut pas chercher à comprendre... les mareyeurs ils t’attendent... comme celui de la Nouvelle... Je lui demande s’il prend les crevettes, tu sais, les crevettes grises. Il me dit “écoute, si tu me les fais cuire, je te les prends !” On était à la Nautique, on avait un baraquement  avec une gazinière et même une cuisinière à bois. Un jour, pour te dire, j’avais fait cuire quatre-vingts kilos, eh, de crevettes... Je les amène... Tu as vu les sous toi ? Je les attends encore...
- C’est un voleur alors ?
- Oh, oh...
- On ne peut pas le dire comme ça ?
- Et non, et non...
- Un drôle de lascar quand même ! Sûr qu’il les a vendues ! Et dire qu’il venait à Fleury...
- A Fleury ?
- Oui, même que l’appariteur clamait “ La sardine Tiaide est sur la place !” et qu’un ami de Trausse avait bien fait rire mon père en s’étonnant “Es uno especialitad d’aici ? ”. 


 - J’ai eu travaillé avec le père... lui était un gangster... “ Tu peux venir avec moi ?” qu’il me dit un jour. Je devais avoir 14 ans ; il avait une espèce de camionnette ; on va à Palavas. A l’époque, je sais pas si tu en as entendu parler de ça, y avait la “seinchole” (1), au mois d’août... comme ça, les thons venaient au bord, les barques les encerclaient, ils prenaient parfois 30, 40 tonnes de thons !.. Eren partits amé Justin et le temps que le type tournait le dos, il lui a piqué trois thons de 23-24 kilos comme ça, zaou, de par terre à la camionnette ! 
- Tu sortais en mer aussi ? 

- Oui mais je suis resté au sardinao (2), on faisait le sardinao et le thon... Ton oncle, lui, était au lamparo...
- C’est vrai qu’il m’a eu donné du poisson, à quai, quand il rangeait et nettoyait encore à bord...
- Enfin, laisse tomber Yves, songeur : c’est le pêcheur qui se la donne et toujours l’intermédiaire qui ramasse. »
C’est vrai qu’entre la confiscation des ressources par les grosses unités prédatrices (chalutiers, thoniers) (3), la toute puissance des mareyeurs, sans parler de la pression des touristes rois, du bétonnage des côtes, des pollutions successives, des "changements climatiques”, et j’en passe, la grande majorité des petits métiers a logiquement disparu quand les pêcheurs comme Yves ont pris la retraite.

(1) certainement en rapport avec la seinche (Littré 1874), l’encerclement des thons à Palavas.
http://fpmm.net/wp-content/uploads/2014/09/FPMM-Palavas_specimen.pdf
Pour un ancien de Victor Hugo, comment ne pas penser à monsieur Sinsollier, surnommé “Sinsolle”, qui nous fit aimer l’Histoire (pour moi, plutôt la géographie). Et ne me dîtes pas que, contigue aux anciens ateliers de mécanique encore marqués de cambouis où Salant et Guionie nous faisaient voltiger (enfin, il faut le dire vite...) sur les barres parallèles, la salle (qui fut aussi celle de la prof de musique), éclairée seulement par une verrière au plafond, ne laissait pas d’autre possibilité d’évasion... 


(2) nom du filet à sardines.
(3) quand je pense que les gros prennent impunément des dizaines de milliers de tonnes, notamment au large de la Libye, et qu’Yves, lui, a été contraint de brûler les barques construites de sa main ! L’égalité de traitement par l’administration “ ne vaut pas mieux qu’au siècle de Louis le quatorzième... “Suivant que vous serez puissant ou misérable...". Pire encore concernant la complicité des instances européennes... Un repenti de la pêche industrielle n’a-t-il pas déclaré : " Quant aux inspecteurs de la Cicta montés à bord, s'ils n'ont rien vu, c'est qu'un "paquet de cigarettes suffit à les acheter".”
http://www.lepoint.fr/actu-science/thon-rouge-les-revelations-fracassantes-d-un-pecheur-repenti-09-11-2011-1394264_59.php 
voir aussi http://www.midilibre.fr/2015/09/02/chalutiers-c-est-la-fin-de-l-hemorragie,1208127.php même si nous voulons insister sur une "hémorragie" plus préoccupante...

photos : 1. pêche au thon / Tunisie 1910. 2. Vela latina Par Joan Sol from Premia de Mar, el Mediterrani (Yvonne2) via Wikimedia Commons. 3. carte Palavas : auteur :"Map commune FR insee code 34192

vendredi 7 août 2015

LE TEMPS POUR UN PÊCHEUR DU GOLFE... (VII) / Fleury en Languedoc


    Entre le temps qui passe et celui qu’il fait, Yves continue de raconter la mer et la rivière nourricières.

    « Les prévisions du temps... on regardait le matin... j’ai appris avec les vieux. Ils se levaient tôt et regardaient la montagne « Ah, veit (avuèi = aujourd’hui), auren de vent, auren de gregau... »
    I coumprenio pares... Je n’y comprenais rien et eux te le disaient avant qu’il arrive « Y a des motons à la montagna : lou cers bufara. » Quand lou solel es arribat, te fatiguès pas (Quand le soleil s’est montré c’était ça...). ou alors ils annonçaient « Ah, veit auren lou vent à la mar...» 
    Ils regardaient du côté de la montagne, en visant les collines de Nissan. Sinon, ils regardaient toujours vers l’Est, jamais dans l’autre secteur, pas du côté de l’Espagne car ce qui arrivait de mauvais venait toujours de l’Est.
    Une fois, avec cette neige du grec qui casse tout... je devais avoir 17 ans. Il a tellement neigé, la rivière était gelée, on pouvait pas aller jusqu’au pont de Fleury, comme d’habitude, et on est allé chercher du pain à Valras en passant par le bord de la mer. Il en était tombé 25 cm au bord de l’eau quand même ! J’avais jamais vu ça. c’était petit vent du nord, et l’eau des vagues se gelait. Quand nous sommes repassés il y avait 50 ou 60 centimètres de dentelle de glace... je m’en rappellerai toujours. Attends, pour geler l’eau de mer ! Tout le monde, avec des sacs ; entre ceux qui allaient gaiement et ceux qui marchaient moins vite, on était une trentaine pour rapporter du pain à tout le village.
    Une autre fois, quand on a été au pont de Fleury, on voyait rien et il y avait tant de neige qu’on savait plus où était la route, et les caves (les fossés), à côté.  Tu savais pas si tu étais sur la route ou dans une vigne. A des endroits on en avait jusqu’au ventre. Celui qui était devant était mouillé jusqu’à la taille. On se relayait, trempes comme des canards ! A la boulangerie, chez Vizcaro, enfin Fauré encore, Paul s’est étonné : « D’ount sortissès ? » (D’où sortez-vous ?) On était partis à 7 heures du matin, et le retour aux Cabanes, à 4 heures, avec le bateau. Je devais avoir 17, 18 ans. Quand il neigeait, couillon, c’était la catastrophe... /...  Autrement, ils regardaient ou la montagne ou l’Est :
« De qué va faire ? » (Qu’est-ce que ça va donner ?) 
~ Sara vent à la mar... (le vent viendra de la mer). »
    Quand il y avait des éclairs à la mer "lamp à la mar, vent à la terra"... Et c’est vrai, le vent du Nord ne tarde pas... Aujourd’hui, pour le temps, les plus fiables, c’est la météo marine (1), ils repassent les bulletins en boucle, tant c’est important.  


~ Et la lune ? 


~ La pleine lune, c’est pas terrible pour la pêche. Ce sont surtout les courants qui gênent, plus que la lumière, parce que les courants sont désordonnés et il vaut mieux une direction unique, dans un sens ou dans l’autre, de l’est ou de l’ouest. Autrement ils étaient bons... A la traîne ils plongeaient d’abord une bouteille attachée deux ou trois mètres sous un liège et ils voyaient si en surface et dessous les courants se contrariaient. Ils constataient si le courant de grebi donnait ou bien le gregau. On était arrêtés à une maille de la terre (100 mètres), à réfléchir, à calculer, stoppés sur les avirons pendant un quart d’heure, vingt minutes, une demi-heure. Si c’était franc, on calait « la pouncho dins lou pounent » fallait aller vers l’Espagne. C’était plus mauvais quand il y avait le vent d’est parce que, dans ce sens là, il fallait "embasser" la terre à l’envers... Ils aimaient pas trop là... Après, les courants proches de la terre étaient forts, alors ça te prenait le filet, tu coulais ! Tu aurais rigolé ! tu arrivais au bord en coulant, tu aurais vu comme ça peltirait (tirer avec force) ! Au lieu de partir par ce bras (celui vers l’embouchure), il fallait démarrer par l’autre. Avec les courants forts, pour un noyé au niveau de Pissevaches, ils nous ont demandé de faire bol pour essayer de récupérer le corps. O ! adieu, on l’a retrouvé aux Ayguades, trois ou quatre jours après... »

(1) et surtout pas nos rigolos des différentes chaînes qui nous embrouillent en donnant le temps huit jours à l’avance, manière d’escamoter leur propension à laisser croire « Tout va bien, vacancez tranquilles... », en minimisant un rafraîchissement ou en exagérant jusqu’à 4 ou 5 degrés la température de l’eau pour que celui qui n’a pas pu partir s’en veuille davantage de savoir le veinard au bord de la mer... 

photos autorisées : 1. ciel d'orage en mer / Rémi Jouan / commons wikipedia. 
2. pleine lune sur la Méditerranée / pixabay.fr

jeudi 6 août 2015

LES BOGUES DU CAPITAINE AU LONG COURS (VI) / Fleury en languedoc

LES BOGUES DU CAPITAINE AU LONG COURS (VI)
« La bogue (1), ils en sont friands à Toulon, malheureux ! J’avais un copain, il était à la Seyne ; sa mère vendait sa pêche. Un jour il fait une soixantaine de kilos de bogues.
"Qu’est-ce que tu vas en faire ?", je lui dis, nous, là-bas, on les jette...
~ Vous les jetez ? mais tu veux pas rigoler, ça vaut un prix d’or !
~ Ça vaut un prix d’or ? Nous, on les donne aux goélands !
~ Mais vous êtes cabourds (2) ! C’est prisé ici !
Du coup, plutôt que de les jeter, la fois d’après, je les porte au chef, un grand chef de cuisine qui nous régalait de ses pâtés, au déjeuner. Je lui précise que c’est vraiment pas terrible, la bogue. 


Une semaine après, pour les déjeuners aux copains il me met deux gros bocaux.
~ Et qu’est-ce que c’est ?
~ C’est du pâté de poisson... Justement, ce jour-là, on était partis des Cabanes avec les tracteurs ; on avait fait en remontant et quand on a été au milieu des culs nus, midi, une heure moins le quart, c’était l’heure de manger ! Stoppez ! On avait un grand plateau que je mettais à la barque et je sors ça.
~ Et qu’est-ce que tu nous portes ?
~ Ma foi, du pâté...
Un commence à goûter c’est pas mauvais ! C’est bon ! Viro reviro (Tourne, retourne-toi), ils avaient tout flambé !
Quand j’ai revu le chef, je lui demande ce que c’était :
~ Ce sont les poissons que tu m’as donnés... C’est du pâté de bogues.
~ Ils m’en ont pas gardé  ! 


Le chef, lui, m’en avait gardé un peu et c’est vrai que c’était bon !
Ils nous en a donné du pâté, cinq ou six fois et ils se jettaient dessus comme la misère sur les pauvres ! Aurio vist aquo. J’étais au milieu comme un capitaine au long cours, ils étaient autour... et quand ils ont su que c’étaient des bogues, ils en sont tombés sur le cul !
C’était une sacrée escouade... C’étaient pas des fainéants, ajoute Yves comme pour excuser leur appétit. Ils étaient vaillants, tu sais... Quand tu fais cinq ou six bols ou sept...
~ Tu dis que tu avais les tracteurs quand même...
Non mais, tu sais, quand on voyait qu’y avait du poisson parce que le poisson, une heure tu en as et puis y en a moins. Alors quand il y en a, tu tires à la main : deux bols alors que le tracteur t’en fais un seul... il permet de reposer l’équipe quand ça baraille (bouge) moins. Sinon, fallait se la donner... et pas pour des bogues de préférence... Ce sont des combines qui viennent vite. Tu le comprends : c’est en forgeant qu’on devient forgeron.  


(1) Boops boops, communément appelée bogue est une espèce de poisson marin de la famille des sparidés. La bogue, Boops boops (Linneus, 1758) est une espèce largement répandue aussi bien en Atlantique oriental qu'en Méditerranée. Elle présente un caractère semi démérsal et vit au-dessus du plateau continental sur tous les fonds jusqu'à 490 m ; elle est plus abondante dans les cent premiers mètres.
Elle doit son nom de bogue a la taille de ses yeux qui sont particulièrement grands par rapport a sa tête, comme un insecte (en anglais bug). WIKIPEDIA. 
(2) à l'origine "mouton qui a le tournis" ; signification dérivée : "idiot". 

Photos autorisées 1. Bogue / Roberto Pillon / Commons wikipedia. 
2. Banc de bogues / Albert kok / Commons wikipedia. 
3. Photo d'Yves. Scène de senne de plage (la traîne).

mardi 4 août 2015

MESQUINERIES ET JALOUSIES DE PÊCHEURS (V) / Fleury en Languedoc


    Yves continue de parler de ce que fut son époque, pas parfaite certes, surtout concernant le caractère des hommes, parce qu’il a plutôt connu les jalousies, les mesquineries des pêcheurs, loin d’une solidarité des gens de mer, bien virtuelle, à peine moins indifférente que celle des terriens...

    « ... Moi ça me faisait rien, hé, d’affronter la tempête, tu sortais la journée... là on gagnait des sous. Une fois j’avais pris mon père, j’avais mis quatre ou cinq heures à sortir le filet de la glace... et la glace te coupait les mailles comme un couteau... Y a des jours tu dégageais vingt à trente tonnes d’herbes. Enfin tu t’en sortais. Maintenant c’est fini.
    ~ Vous aviez le même type de bateau ?
    ~ Oui, des barques sauf qu’à l’étang elles sont plus basses et ont le derrière carré pour mettre le moteur. Les miennes, je les ai faites, tu verras les photos. Y avait du poisson et on gagnait sa vie. Je suis allé jusqu’à la retraite sauf que jusqu’à vingt ans, j’étais pas déclaré... A 55 ans, ils m’ont dit qu’il m’en manquait cinq. Là, ça devient dur l’hiver à l’étang, plus que la traîne en été. On vivait à Narbonne-Plage, je faisais les trajets jusqu’à la Nautique pour prendre la barque... L’étang je n’y retournais qu’en septembre parce que il faisait chaud et c‘est là où c’est que tu vois que les gens sont pas... enfin je comprends pas, je ne suis pas un intellectuel, mais la moitié de l’année, j’étais à la mer... Enfin, ils auraient pu réfléchir qu’avec les eaux chaudes, ils prenaient 50 kilos d’anguilles pour en jeter 40. A chaque réunion je le disais mais ils étaient nés comme ça ! Alors aqui aurios vist (alors là tu aurais vu), j’avais la cabale contre moi !


    J’avais déjà eu du mal à entrer à Bages. Les pêcheurs de l’étang avaient fait obstruction ; j’avais même dû aller m’expliquer auprès des autorités, à Port-Vendres ; l’administrateur maritime était même venu en réunion pour confirmer qu’habitant la commune de Narbonne, j’avais bien le droit de pêcher à l’étang. Ils étaient pas commodes, jaloux pour quelques kilos d’anguilles de plus ou de moins... Une fois, j’en prends un bon paquet et je me dis que ça vaudrait le coup de caler encore... Oh, adieu, ils avaient encerclé la place... tu comprends, tout le monde se surveillait aux jumelles... 


    Et puis, c’est pas pareil qu’à la mer. J’ai dû monter tous les filets, en partant de zéro, et il en faut pour barrer l’étang. Et quand mon frère est venu, qu’il n’y avait plus rien aux Cabanes, il a fallu en faire autant ; ça m’a bien pris entre deux et trois ans... Pendant que Thérèse était aux commissions, figure-toi que j’alignais mes mailles dans la voiture, en attendant... Et après on dira qu’il n’y a que les femmes qui tricotent...  » 


Photos autorisées : 1, 2 Bages, l'étang et La Nautique (flickr.fr)
3. Vignes et village de Bages (Aude) (iha.ma). 

dimanche 2 août 2015

LES BASTETS DU MAITRE-NAGEUR (IV) / Fleury en Languedoc

A l’Aude et à l’étang.

«... L’étang (1), c’est un métier très rude, plus que la mer, tè ! Ouh là, y a pas de comparaison ! Attention entendons-nous bien : si tu veux faire le travail, parce que, comme je te dis, si tu attends que le vent soit tombé pour ramasser le poisson le lendemain, il vaut mieux que tu restes au lit, tu ramasses rien : tout est mort, on dirait de la bouillie, c’est tellement quiché, mais si tu y vas le jour du vent tu en sauves pas mal. Sur une tonne tu récupères 4 ou 500 kilos, la moitié, tandis que le lendemain tu perds tout...
Sinon, y a de tout, du loup, des muges quand il y a de l’eau qui tombait, de la Berre là-haut, il y avait des carpes
~ Les poissons d’eau douce, on n’est pas très forts ici...
~ Quoique, le mulet... l’eau douce, ça allait le coco, il fait la tangente lui.
~ Des gens disent qu’ils l’estiment autant que le loup...
~ Je vais te dire une chose, ça vaut ce que ça vaut : je préfère mieux le muge que le loup. Ça n’a pas de goût le loup, c’est fin oui, mais le muge... Un jour le petit-fils me dit, « Papé, tu sais, moi, le poisson... » Attends, je vais te faire quelque chose : je coupe les filets, j’enfarine, je passe à la poêle... Il m’a dit papé, du comme ça, tu peux m’en donner... les filets de loup, c’est pas pareil... Ne confondons pas : le muge c’est un charognard, c’est comme le rouget, il se nourrit de quoi ? il bouffe dans la fangue. Sinon, je te dis, à mon goût,... que celui-là, il n’avait pas goût à vase quand il montait dans la rivière. Dans l’Ayrolle, il y a Campignol à côté, il y a peu d’eau, alors là, la vase tu la trouves...




Il y a cinq ou six variétés de muges : le dorin, le mulet, le camard, la pointue, attends, y en a une autre... La lissette ça devient pas tellement gros ; le dorin n’est pas gros non plus, il a les ouïes orangées. Je les pêchais à l’étang et plutôt dans l’Aude.

Les anguilles, la mordorée et puis la verte et puis les grosses, les "mazères", costaudes (des deux mains, il forme un rond de 5 ou 6 centimètres de diamètre... Y en a qui sont plus grosses que les congres... j’en ai pêché une, une fois, dans l’Aude, elle faisait 6 kilos, on l’a mesurée avec Marceau, un mètre trente, je crois. A l’étang, elles étaient moins grosses, jusqu’à deux et trois kilos pour les "mazères".
~ Tu as connu la période où les camions les prenaient vivantes en Italie ?
~ Oui mais avant, à la rivière, on les vendait pas, on les jetait pacque les vieux ils avaient une tactique à la tchaou, ils cherchaient pas. Au globe, en une nuit, on pêchait 80 à 100 kilos, on les jetait. Des fois tu en gardais quelques unes  pour un Lespignanot qui demandait : « Ouais, Marceau tu me garderas quelques anguilles ? » Mais là, on a perdu des sous, je le pensais mais j’étais gaffet (apprenti) et le patron ne voulait pas chercher d’autres débouchés. On pêchait du loup, du muge et des plies, d’un kilo un, un kilo deux. Elles remontaient presque au pont de Fleury, on avait un poste à L’Horte de L’ami. Boh, il y avait plus de poisson quand même... » (A suivre...)


(1) Yves a pêché dans l’étang de Bages et de Sigean, il parle aussi de celui de l’Ayrolle et de Campignol qui lui est contigu.

Photos autorisées 1. Étang de Bages depuis l'île de Sainte-Lucie / merci Joyce11 / wikimedia commons
2. Mulets sur le marché : merci Classiccardinal / Wikimedia commons. 
Photos suivantes 3, 4, 5, 6 : rivière (fleuve) Aude entre le pont de Fleury et l'embouchure.

vendredi 31 juillet 2015

LES BASTETS... (III) « Pilier, ce sont les reins et les jambes...» / FLEURY en Languedoc

    


C’étaient des temps pas tendres mais ouverts aux espoirs, et qui donnent à réfléchir sur la période que nous vivons, un présent apparemment plus facile mais corrompu parce qu’une minorité cupide impose sa loi à une majorité sans courage qui devra aussi en répondre, à l’heure du bilan.
    A 83 ans, Yves veut bien témoigner du travail, de la vie, de la mer : il n’a plus voulu de l’école et parle de son apprentissage de pêcheur à la traïne, à 13 ans. 


   
    «... et le second essai, le bol du matin, à l’aurore... Des fois on venait jusque sous "Tintaine" (presque à Gruissan), on se tapait déjà 8, 10 km à pied... et ce filet en coton, mouillé qui plus est, il pesait lourd et puis fallait pas mettre le pied dessus : il te foutait un coup de pied au cul... Enfin, j’aurais été plus intelligent, j’aurais continué à l’école... Mais je regrette rien... c’est un boulot rude quand même.
    Après attends, oooh il m’avait trouvé une autre combine. Il était bien le vieux Garibaldi alors il m’avait foutu à la barque, on avait des corbeilles en osier, des brassets on disait, Après le premier bol, depuis Tintaine j’allais porter 400 ou 500 kilos aux Cabanes, à la rame et arrivé, retour à l’expéditeur !
~ On comprend qu’après la journée, pas besoin de faire du sport... 
~ Oh ! podes y anar (tu peux y aller), à 17 ans, je suis allé jouer au rugby, je devais faire 80 kilos, je jouais pilier. Il y avait Serin, l’international, et un toubib qui s’appelait Olive, il était sympa et te trouvait toujours quelque chose pour soigner un bobo... Ils venaient pêcher à la ligne, moi j’avais commencé à Fleury. Ils m’ont dit si ça me disait d’aller jouer à Béziers, pour ça allez voir mon père. Quand ils lui en ont parlé, il se sont fait jeter comme du poisson pourri C’étaient des coriaces, ils sont revenus à la charge et la troisième fois mon père a dit « Le matin quand il va rentrer y a pas de rugby qui tienne, y a lou traval ! »... Des fois c’était rude et devant ça y allait, mais si je me levais pas, à six heures, il me foutait en bas du lit... Puis j’ai joué jusqu’à ce que je parte à l’armée... » (à suivre)


 
Notes : en 1947 - 1948, non qualifié en poules de huit pour les huitièmes de finale (dans la poule de Lourdes qui sera champion).
1948-49, Non qualifié (dans la poule du FC Auch et du Stadoceste tarbais qui perdent en 1/8èmes.
1949 - 50, 1/16èmes : Béziers -Bègles (10-3) / 1/8èmes Castres Ol -Béziers (6-3).
1951 -52, 1/8èmes : Vichy - Béziers 14-12 (Lourdes sera champion). 

photo1 Saint-Pierre années 60 (pardon mais je ne sais plus à qui je l'emprunte...)
photo 2 Hugolesage "sunrise St-Pierre-la-Mer (commons wikipedia)