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samedi 4 avril 2015

LOUIS PERGAUD toujours là ! (souvenir 14-18)

Entre Marchéville-en-Woëvre et Saulx toujours en Woëvre, à trente cinq mètres à droite du pont sur le fossé Saint-Pierre, le sous-lieutenant Pergaud entraîne ses hommes à l’attaque de la Côte 233. Il faut les voir !.. Trempés par l’eau des marais où ils ont dû patauger jusqu’aux genoux, ils dégoulinent aussi de l’eau du ciel qui ne cesse de tomber ! Regardez-les bien, c’est la dernière fois : beaucoup n’en reviendront pas !

Ernest Florian-Parmentier
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/louis-pergaud-republique-sujet_5992_1.htm
écrira même, sur la foi du sergent Desprez, blessé lors de cet assaut : « ... Les débris de celle (la section) de Pergaud rentrèrent seuls ; notre brave confrère avait disparu... ». C’était le 6 avril 1915, un mardi, par une nuit sombre et pluvieuse, après 2 heures du matin. Blessé, récupéré par les Allemands, il disparut dans le bombardement par l'artillerie française de l'hôpital où il avait été évacué. Son corps ne fut jamais retrouvé.



 Regarde-les même à travers tes larmes... Elles valent mieux que ces postures intéressées de politiques vénaux et opportunistes, prompts à embrayer sur l’émotion commanditée pour le bon peuple, mise en branle par des journaleux aux ordres ! Ah, ils n’étaient pas en retard, le 11 novembre 2013, lorsqu’ils ont lancé de concert la commémoration du centenaire ! Était-ce un contre-feu, de ceux qu’ils savent allumer, dans une stratégie de manipulation globale, dans le but d’étouffer un temps un nouveau scandale ou une vieille affaire qui couve ? Aucune intention, vraiment, dans cette exaltation du rassemblement national ? N’était-ce point pour anticiper les mauvais chiffres du chômage et, faute de le sauver, d’apporter un répit au soldat Hollande ? Ne soyons pas naïfs : même la commémoration de la Grande Guerre est susceptible d’être instrumentalisée. Dans le cas contraire (ne suivant pas les grand messes du 20 h, je veux bien me tromper), de la part des instances nationales, cela expliquerait un devoir de mémoire sporadique, bégayant, pour ne pas dire amorphe tout au long de 2014. Sans oublier de balayer aussi devant nos portes, notons cependant la ferveur qui accompagne nombre d’initiatives ponctuelles, à titre individuel, sur de nombreux forums (1), au niveau communal parfois (2).
Revenons vite à Pergaud : sa vie, ses épreuves,  restent d’une modernité étonnante, avec, en toile de fond, en 1915 comme aujourd’hui, les humains sur la corde raide !

Loin des miasmes, si un être sain a tout à gagner déjà à respirer fort la campagne, les friches et les forêts de la Comté, on peut se demander aussi si les tableaux de la nature, les portraits animaliers, si précis et réussis, ne révèlent pas chez l’écrivain une défiance envers le genre humain. Cette réflexion nous ramène à une autre vision du « bon peuple », des « braves gens » comme les chanta Brassens... sauf que les jours de Louis Pergaud ne peuvent que témoigner de vraies valeurs, celles reconnues par une conscience collective s’opposant à ce que la populace et le populisme transpirent de méchant et malfaisant.

C’est un peu court, en effet, quand l’anathème se justifie seulement en trois mots : « anticléricalisme », « non-conformisme », « antimilitarisme » !

A propos de l’anticléricalisme, nous nous devons de revenir sur l’état d’esprit des années 1900 et plus particulièrement autour de 1905, qui amena la République à s’émanciper de la tutelle religieuse. En gardant en tête le poids de l’Église jusque dans la seconde moitié du siècle passé, remontons au père de Louis. Instituteur de la nouvelle école laïque, en butte aux villageois qui ne tolèrent pas qu’on suive une autre route qu’eux, Elie Pergaud doit quitter le pays natal. Jusqu’à sa mort, en 1900, il aura a subir aussi une haute administration dans ce qu’elle a de malsain lorsque, convaincue de son infaillibilité, elle obéit aveuglément à la Loi tout en opposant une inertie au changement, dans une posture toujours plus conservatrice, sinon réactionnaire, que progressiste. Quant à Louis Pergaud, quelles qu’eussent été ses circonstances atténuantes, il démontrera la malhonnêteté qu’il y a à accuser un individu du conformisme sociétal. Ainsi, avec Le Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques (1921) (3), l’auteur, qui ne voulait ni aller à la messe, ni enseigner le dogme catholique, livre, loin du cliché « laïcard » et « bouffeur de curé », le portrait attachant d’un prêtre rural, même s’il s’en démarque et ne met pas de majuscule à « son dieu ».

Quant au « non-conformisme », c’est vrai que Pergaud était parti à Paris avec Delphine, ce qui attisera alors un qu’en-dira-t-on plus permissif pour le maître culbutant la servante que pour l'homme quittant sa femme. Non-conformiste, Pergaud le fut, à peine sorti de l’adolescence, lorsqu’il contesta l’autoritarisme de monsieur Tronchon, le directeur de l’École Normale. Ce n’était pas raisonnable de contester l’abus de pouvoir dans une société régie par le rapport de forces... On le lui fit bien voir...

Enfin, concernant l’antimilitarisme, tout en laissant à chacun le soin de démêler entre patriotisme et nationalisme, sans perdre de vue que ce sont toujours les pauvres bougres qui y laissent la peau pour des embusqués préservés et surtout des industriels qui s’enrichissent, pour Pergaud, contentons-nous de rappeler une date, celle du 8 avril 1915 qui vit un citoyen pourtant foncièrement contre la guerre, se sacrifier, patriote. 

Je n’ai pas encore lu son Carnet de Guerre (4), seulement sa correspondance, les Lettres à Delphine (4) qui continua à lui écrire jusqu’en 18... Pergaud témoigne, avec pudeur, sensibilité, avec hauteur aussi et ses moments de rancœur restent aussi rares que mesurés.



Ah, j’oubliais, vers 1900, les rumeurs le disaient aussi « socialiste » ! Il en était, assurément, par conviction et idéal, sans l’afficher. Dans nos années 2000, au contraire, ceux qui s’affichent, par opportunisme et réalpolitique, ne le sont plus... et ce n’est pas une réputation qui leur est faite !

(1) Pages 14-18 forum http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/louis-pergaud-republique-sujet_5992_1.htm
(2) Du Vignoble à la Mer, magazine municipal http://fr.calameo.com/read/00186165894353cad09cb
(3) ouvrage disponible en intégralité sur http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf
(4) Carnet de Guerre, Louis Pergaud / www.litteratureaudio.com/...audio.../pergaud-louis-lettres-de-guerre.html

photos autorisées 1 & 2 commons wikimedia. 3, 4 & 5 personnelles le monument à Landresse (Doubs) et vue du clocher comtois avec, au premier plan, l'école où il enseigna en 1906 et 1907. 

dimanche 8 juin 2014

Fleury en Languedoc / TU T'EN VAS DÉJÀ ? (retour sur Achille Mir)

"Tu t'en vas déjà ? Reste plutôt, allons voir Achille, que la dernière fois, nous sommes passés en coup de vent !"


 Emportés par les bisbilles liées aux curés de Ginestas, Cucugnan ou Cucuron, Melotte et Sorgeat avec l’illustration de Fernandel en Don Camillo, nous sommes passés un peu vite sur la rencontre avec Achille Mir (1822 - 1901), félibre d’Escales, de Carcassonne et de l’Aude.
    Les circonstances ont réservé un destin particulièrement remarquable à l'enfant audois, né à Escales le 30 novembre 1822 dans une famille de petits propriétaires. Si sa mère ne s’en était mêlée, tout semblait écrit, en effet, pour que, ancré à la terre des aïeux, son horizon se limitât aux abords immédiats du village natal. Sans préjuger, en bien ou en mal, de l’épanouissement personnel dans un cadre familier, reconnaissons aussi, en parlant de sociabilité, que de se risquer à l’extérieur, de se frotter aux autres, n’est pas sans effet.
    Boursier à l’École Normale de Carcassonne, Achille en sort pour enseigner à Aigues-Vives puis Capendu. Remarqué par sa hiérarchie, l’instituteur est vite nommé directeur de l’école annexe où il va mettre au point une méthode d’écriture à la main qui remontera jusqu’au ministère. Après un passage par le petit séminaire (jusqu’à la fin du XIXème siècle, l’Instruction Publique et la religion restent imbriquées), Mir qui écrit des fables en français puis en languedocien, déjà lauréat de prix littéraires divers (à Béziers, à Montpellier), démissionne de l’enseignement pour devenir directeur de la manufacture de la Trivalle (1).
    Conciliant son activité professionnelle et l'écriture, il nous a laissé , Lo lutrin de Ladern « boffonada en tres estapetas » (bouffonnade en trois petites étapes), La Cansou de la Lauseto (avec l’avant-propos de Frédéric Mistral), Lou sermou dal curat de Cucugna (vers 1875). 
    Dans un recueil réédité de ces œuvres (1907/ imprimerie G. Servière & F. Patau à Carcassonne) (disponible sur http://www.occitanica.eu/omeka/items/show/559), et pour revenir au village d’Escales d’où tout est parti, les premiers vers de l’homme d’esprit souvent gai et espiègle qui prétendait « S'ai pas de bi me fau trapisto, sans bi podi pas pus tchiarra » (2).


    « Escalos, moun païs, amé sa bièlho tourre
    Que menaço lou cèl de soun grisastre mourre...
    (Escales, mon pays, avec sa vieille tour
    qui menace le ciel de sa hure grisâtre...)

    ... Escalos, dount la fount as embirouns fa’mbejo :
    L’aigo fumo l’iber e l’estiu sang-glacejo
    Escalos e soun pech ount lou foc de Sant-Jan
    Brando al lèng que diriots la gulo d’un boulcan !
    Escalos, mièch quilhat sus rocs, mièch sèit en plano,
    Floucat d’un castèlas que gat et gous proufano !...»
    (Escales, dont la fontaine fait envie aux voisins :
    L’eau fume l’hiver et glace le sang, l’été
    Escales et son mont où le feu de la saint-Jean
    Rougeoie si loin qu’on dirait la gueule d’un volcan !
    Escales, mi-quillée sur les rocs et à moitié en plaine,
    Floquée d’un grand château que chiens et chats profanent !) 

    Le second poème, d’une grande actualité, pleure le vieux mûrier de la place, mis à bas par une hache implacable.


  
  « Pouriò biure cent ans e mai,
    Que debrembarèi pas jamai
    Lou bièl amouriè dal bilatge :
    Soun paro-soulel sans parèl
    Es espandit dabant moun èl
    Coumo dal tems qu’éri mainatge... »

    (Je pourrais vivre cent ans et plus
    Que je me souviendrais toujours
    Du vieux mûrier du village :
    Son pare-soleil sans pareil
    Est étalé devant mon oeil
    Comme du temps que j’étais enfant...) 



(1) ancienne manufacture royale de drap dans le quartier de la Trivalle, du nom de la rue qui le traverse (ancienne voie romaine) et aboutit au Pont Vieux. (Ne pas confondre avec Mons-la-Trivalle au confluent des trois vallées de l’Orb, du Jaur et de l’Héric).   
(2) Si je n’ai pas de vin, je me fais trappiste, sans vin je ne peux plus causer. 

photos autorisées Wikipédia et Wikimédia 1. Vieille tour d'Escales 2. mûrier. 3. morus nigra

(A SUIVRE...)

vendredi 30 mai 2014

« LE SERMON DIFFICILE », Les Rustiques, Louis PERGAUD.

Retour sur l'actualité de Louis Pergaud avec les prolongements possibles sur le plan national et européen.


    Suite à l’enquête sur le curé de Cucugnan, la piste se dédouble pour aboutir d’un côté à Louis Pergaud avec Le Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques (1921) (1). En plus de l’occurrence donnant la parole à ces curés qui, aussi présents que les clochers des campagnes, ont le mérite de partager la vie des petites gens, les raisons ne manquent pas de donner la parole à un écrivain aussi remarquable que Pergaud.



     D’abord, suite au lancement anticipé de la commémoration centennale de la Grande Guerre, à l’occasion du 11 novembre 2013, nos élites et édiles confondus, ainsi que leurs merdias serviles, restent depuis singulièrement silencieux... De leur part, beaucoup de ramdam puis plus rien : exactement la même attitude que pour les affaires engendrées par leurs turpitudes (2). Laissons les à leurs forfaitures... 99 ans derrière nous, le 8 avril 1915, Pergaud était porté disparu à proximité de Marchéville-en Woëvre...



    Ensuite, l’écriture du Sermon Difficile qui coïncide à quelques années près avec la Séparation de l’Eglise et de l’Etat (9 décembre 1905) ne va pas amener l'auteur comtois monté à Paris, à prendre parti. Jusqu’à la dernière phrase, rien ne transparaît de ses convictions hormis un mot de trois lettres qui dit tout néanmoins, lorsque, en parlant du curé de Melotte il précise : « ...SON Dieu...», non sans un certain recul. Pourtant, instituteur comme son père Elie, Louis Pergaud eut, à son tour, à subir plusieurs mutations parce que la population des villages, dans un climat d'hostilité latente contre la République (3), n’admettait pas la part faite à l’école laïque au détriment des congrégations.

    Le Sermon Difficile (extraits) :

    « Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie, et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque dimanche... /...

    ... il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange était bonne... /...

    ... Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés : ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur terre... / ...

    ... On le voit, le curé de Melotte n’exagérait pas dans le sens de l’intolérance religieuse. Au début, il s’était demandé souventes fois si son indulgence n’était pas simplement une coupable faiblesse : mais il s’était bien aperçu, aux résultats obtenus par quelques collègues intransigeants et sévères, que sa méthode, à lui, était la seule bonne... »

    Louis Pergaud qui a choisi son prélat parmi les prêtres ouverts et aimés par les ouailles, se permet même, à la troisième page, une histoire de curé en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire les populations villageoises d’où qu’elles soient. (4)

    «... Ce qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était le dévergondage des filles et des garçons du pays... /...

    ... Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !

            Si encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, malheur est bon.../...»

            La  Pentecôte approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure :

           « ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !

            Et il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et vengeur.../...»

    Quant à la dernière phrase, peut-être dénote-t-elle, chez l’auteur, la contradiction entre l’aspiration à la modernité et un certain académisme, sinon un côté conservateur. Conforme à ce qu’elle doit être, dans une nouvelle, la fin vient nous surprendre. Mais Pergaud n’en a t-il pas tiré profit pour lancer son « coup de pied de l’âne », ou, pour rester dans le ton, un « in cauda venenum » venant faire douter, d’un coup, de la conscience, de la psychologie, jusque là sans faille, du curé de Melotte ?
    Avec la question de savoir si les autres nouvelles du recueil répondent aussi scrupuleusement aux règles de la nouvelle, revenons aux arguments qui valent à ces sermons, par le biais de la comédie de mœurs, une portée sociétale certaine. La quatrième raison tient, en effet,  au poids de la religion au cours des âges.
    Si les spécialistes sont sans aucun doute capables de distinguer les phases qui marquent l’histoire d’une religion, une réflexion plus terre-à-terre pourrait laisser croire que, comme les empires, elles naissent et finissent en passant par des cycles d’ouverture ou de dictature, de séduction ou de répression. Pour ce qui est de l’Église et des « racines chrétiennes », mises en avant, de façon plutôt abrupte, par Giscard à propos de l’Europe, sommes-nous passés d’une tyrannie inquisitrice sur la collectivité à une réelle liberté individuelle de conscience ?
    Enfin, et contrairement aux allégations alarmistes des jacobins centripètes, l’esprit, l’âme de la France demeurent bien partagés, au-delà d’une diversité culturelle des régions, qui, en contradiction totale avec les tenants d’un monolithisme réducteur, plaide, à l’inverse, pour la réalité d’un destin partagé.
    Louis Pergaud illustre bien cette idée avec cette perspective religieuse, comme il le fit avec la vie des gosses du plateau comtois, comme il le démontra, par un patriotisme farouche pourtant allié à une lucidité antimilitariste certaine. Ah, si nous avions eu la possibilité, la curiosité d’une Guerre des Boutons (5) au Württemberg ou dans le Böhmer Wald...



(1) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf
(2)  dans le mépris total qu’ils ont de la plèbe, il s’agit toujours de manipuler en passant à autre chose, en poussant à oublier vite (les "éleccicons" [électeurs, citoyens, contribuables] ont une mémoire courte qu’il ne faut surtout pas contrarier)... depuis la libération  de certains, on n’entend plus parler, par exemple, des otages toujours privés de liberté...
(3) Pergaud qui ne voulait ni aller à la messe, ni enseigner le dogme catholique, était perçu comme socialiste et anticlérical. 
(4) à Fleury-d’Aude, mon pays natal celle qui est restée se résumerait à « Ne vous bousculez pas, il y en aura pour toutes ! ». Quant aux blagues que nous racontions, sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces, celle du « J’en ai encore trois mètres sur le porte-bagages ! » exprime la manière dont on moquait impunément le curé, ce qui, étrangement, n’était pas le cas, concernant l’instituteur.
(5) la religion n’y apparait qu’en arrière-fond.

photos autorisées wikimedia commons : 1. église de Gonsans, proche de Belmont 2. Pergaud militaire. 3. Plaque commémorative.

dimanche 11 mai 2014

DES CORBIERES AU DOUBS / Encore un sermon qui vaut le détour !

  
 1. Le long du Doubs.





            Ah, si les Girondins n’avaient pas été laminés par les Montagnards, la République n’imiterait pas certains travers monarchiques dont celui faisant descendre du haut de la pyramide des principes aussi impérieux qu’irrécusables ! Sans quoi, la volonté du vivre ensemble remonterait de la base. Notre pays serait une fédération de provinces valorisées, respectées pour l’identité, la culture et éventuellement mais avant toute chose, la langue pour le moins aussi légitime que le français...
            Je m’égare car ce sentiment d’appartenance à un même pays (certains disent encore "nation"), est construit par la religion et l’Histoire qui elle, a prévu des frontières coupant des voisins pour une unité néanmoins artificielle... Ainsi, puisque nous sommes forcés de chercher des points en partage dans ces limites légales, il faudra bien trouver des traits communs en faisant fi de la géographie et du climat... Le despotisme jacobin y a veillé et le Languedocien, pour un exemple pris aussi au hasard que le nom de Cucugnan pour notre cher curé, s’est donc rapproché par force des océaniques, des continentaux, de la cuisine au beurre et des gros de Bourgogne plutôt que de nos cousins méditerranéens, de l’huile d’olive et des petits gris. Des peuples à première vue séparés par des montagnes, mais incontestablement reliés par une mer originelle !
            En vertu de quoi, vers mes onze ans, quand, en 1961 ou guère plus tard, je vis au cinéma de Fleury, le film d’Yves Robert, en bon garçonnet tuteuré et mené à la baguette par des héritiers de hussards aussi noirs que bastonneurs, je ne pouvais que penser, en suivant les campagnes de Lebrac contre L’Aztec, que tous les enfants de France se livraient aux mêmes guerres, que les boutons perdus comptaient encore autant que les cocards reçus et que la rivalité entre Salles et Fleury valait celle entre Velrans et Longeverne (1). Le grand mérite de Louis Pergaud, magnifiant la langue française et aussi ce terrible destin partagé avec ceux qui ont laissé plus que leur nom sur un monument aux morts, je n’étais pas en âge de les apprécier.
            Avec les années et une émotion pour Pergaud toujours renaissante, l’accessibilité des textes tombés dans le domaine public a renouvelé chez moi son lot de sensations exaltantes : l’une d’elles tient au Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques, en 1921 (2). Dénotant la position extérieure de l’auteur franc-comtois, ce sermon ne s'appuie pas, même s'il l'effleure, contrairement à celui de l’abbé Marti, sur une logique encore inquisitive.  
            Ci-après, les extraits et citations attribuées au curé de Melotte qui répondent plus particulièrement à la problématique exposée plus haut et surtout à ma fibre languedocienne :

« Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie, et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque dimanche... /...

... il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange était bonne... /...

... Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés : ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur terre... / ...»

A la troisième page, Pergaud agrémente son propos d’une histoire de curé en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire les populations villageoises d’où qu’elles soient. (3)

«... Ce qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était le dévergondage des filles et des garçons du pays... /...

... Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !
            Si encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, malheur est bon.../...»

            La  Pentecôte approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure :
           
« ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !
            Et il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et vengeur.../...»

            En confessant combien je m’en veux de m’être mis ainsi en avant (4), j’espère que la tentation pour la langue magnifique de Louis Pergaud jouera, alliant la construction ciselée d’un texte avec un fonds villageois rustique, en apparence seulement. Et puis, vous n'en avez découvert que la trame : raison de plus pour le lire, et y revenir souvent, absolument et sans modération !   

(1) La Guerre des Boutons, vous aviez deviné. 
(2) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf 
(3) je pense à celle que nous racontions « J’en ai encore trois mètres sur le porte-bagages ! » sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces...
(4) Louis Pergaud est mort près de Marcheville-en-Woëvre, le 8 avril 1915... j’ai honte de n’avoir pas pensé à lui au jour du 99ème anniversaire de sa mort... 

Photos autorisées : wikipedia, wikimedia / images google / Le Doubs / Louis Pergaud. 


samedi 10 mai 2014

CORBIÈRES,‭ ‬MYSTÈRES...‭ ‬V‭ ‬(suite‭ ‬3‭) ‬/‭ ‬LE SERMON D’UN CURÉ CÉLÈBRE...‭

    Quelle vanité,‭ ‬quel esprit mercantile peut amener,‭ ‬en la circonstance,‭ ‬à s’arroger la paternité d’une œuvre‭ ! ‬Blanchot de Brenas n’avoue-t-il pas, sans qu'on ne le poussât, comment il eut connaissance de l’histoire du sermon‭ ‬:‭ « ‬Ecoutez cette homélie que je répète telle qu’elle me fut contée‭ » ‬?
    Gaston Jourdane,‭ ‬dans‭ « ‬Contribution au folklore de l'Aude‭ »‬.‭ (‬1900‭) ‬parle,‭ ‬page‭ ‬123,‭ ‬de l’origine populaire de ce conte passé de l’oralité à l’écrit et si l’auteur reste inconnu,‭ ‬il en reste quelques vers‭ (‬1‭) ‬:‭

« ..‭ ‬Donc le père Bourras a un rêve.‭ ‬Il se présente à la porte du Paradis:
-‭ ‬Pan,‭ ‬pan,‭ ‬qui tusto debas‭ ?
-‭ ‬Lou paire Bourras.
-‭ ‬Qual demandas‭ ?
-‭ ‬De gens de Ginestas.
-‭ ‬Aici n'i a pas.
-‭ ‬Anats pus bas.‭
Au purgatoire,‭ ‬même réponse.‭ ‬Désolé le père Bourras se présente à la porte de l'Enfer et pose la même question.
On lui répond:
-‭ ‬Dintrats,‭ ‬dintrats,
-‭ ‬N'i en manco pas...‭
»

    Le conte met en scène le père Bourras‭ ; ‬la rime situe l'épisode à Ginestas‭ (‬Aude‭)‬.‭ ‬Comme le fera plus tard Roumanille du feuillet fripé,‭ ‬un Narbonnais,‭ ‬Hercule Birat‭ (‬1796‭ ‬-‭ ‬1872‭) (‬2‭) ‬s’est inspiré des quelques vers perdus pour un‭ ‬Sermon du père Bourras,‭ ‬poème en français dans un recueil paru en‭ ‬1860‭ (‬aïe...‭) ‬mais commencé une quinzaine d’années‭ ‬auparavant‭ (‬aïe,‭ ‬aïe,‭ ‬aïe...‭)‬.‭ ‬En attendant,‭ ‬Hercule a gardé Ginestas et a insisté sur les avantages,‭ ‬pour le curé,‭ ‬d’une paroisse riche et bien dotée‭ (‬1‭) ‬:‭

«...‭ ‬/‭ ‬...‭ ‬-‭ ‬Ne seriez-vous pas bien à Bage‭ ?
-‭ ‬Oh,‭ ‬Saint-Pierre,‭ ‬quel badinage‭ !
J'aimerais autant Armissan,
Treilhes,‭ ‬Roquefort ou Tuchan...‭
»

    Alors,‭ ‬ce curé de Cucugnan,‭ ‬Vignevieille ou Cucuron,‭ ‬voire de Ginestas,‭ ‬comme ses ouailles,‭ ‬pauvre en Corbières ou plus replet dans la plaine à blé puis à vignes,‭ ‬n’appartient-il pas à tous,‭ ‬du Languedoc,‭ ‬de l’Occitanie,‭ ‬des pays d‭’‬oil et aussi de ces provinces où une langue régionale reste à même de maintenir la culture‭ ? ‬Peu importe finalement et tant mieux si les auteurs liés au fameux curé semblent trop nombreux‭ [‬voir‭ (‬1‭)] ‬de même que ceux qui se sont démenés pour la vérité vraie et l’inventeur avéré‭ [‬voir‭ (‬2‭)]‬,‭ ‬car tous contribuent à cultiver,‭ ‬à transmettre une mémoire sans laquelle nous ne serions pas.‭
    Plus modestement,‭ ‬je suis de cette génération respectueuse de l’instituteur et du curé,‭ ‬qui,‭ ‬après les parents,‭ ‬la famille,‭ ‬avant les voisins et pays,‭ ‬formaient le paissèl‭ (‬le tuteur‭) ‬pour que nous,‭ ‬enfants,‭ ‬poussions droit.‭ ‬Aujourd’hui et sans que cela ait à voir avec les convictions profondes,‭ ‬je garde la nostalgie de cette cohésion villageoise d’autant plus imposée que nous ne pouvions nous opposer,‭ ‬faute d’arguments...‭ ‬admissibles.‭ ‬Pour ces raisons,‭ ‬certainement,‭ ‬les sermons,‭ ‬authentiques,‭ ‬enrichis ou réinventés,‭ ‬témoignent avec fidélité de ce que furent nos campagnes et parce que,‭ ‬au hasard d’une quête‭ (‬3‭)‬,‭ ‬j’ai eu la chance de tomber sur deux évocations de ce genre,‭ ‬je crois que je vais ouvrir autant de parenthèses,‭ ‬l’une en Franche-Comté,‭ ‬l’autre dans les Pyrénées ariégeoises,‭ ‬la première en français,‭ ‬la seconde en languedocien,‭ ‬pour,‭ ‬entre nous,‭ ‬plus d’empathie et de communion...‭ ‬sans qu’il soit question ici,‭ ‬d’un quelconque œcuménisme.‭ (‬à suivre‭)        

(1‭) ‬relevé sur http://sites.univ-provence.fr/tresoc/libre/integral/libr0410.pdf
‭(‬2‭) ‬la biographie de ce précurseur des félibres sur http://occitanica.eu/omeka/items/show/592‭
(3‭) ‬Formidable Internet à grand débit qui nous affranchit de la distance‭ (‬j’écris depuis Mayotte‭) ‬et ajoute un plus aux apports certes indispensables,‭ ‬mais au compte-goutte,‭ ‬des historiens et chercheurs...‭


photo autorisée‭ (‬wikipedia‭ ‬/‭ ‬images google‭) ‬de Fernandel en Don Camillo,‭ ‬Fernand Sardou,‭ ‬en curé de Cucugnan,‭ ‬étant indisponible.‭

vendredi 9 mai 2014

CORBIÈRES, MYSTÈRES V (suite 2) / tiraillements pour un sermon...

    En 1864, Blanchot de Brenas, père supputé de l’abbé Martin, entreprit de rassembler ses articles et d’en faire un livre. Sauf que rien ne s’ensuivit et, en 1867, c’est le félibre Joseph Roumanille qui, sous son "nom de guerre" "Lou Cascarellet", publiait en occitan Lou curat de Cucugnan. Après sa reprise en français par Alphonse Daudet et le succès qui s’ensuivit, Blanchot de Brenas voulut rétablir ses droits sur la pièce. En 1868, il demanda à Roumanille de se justifier. Celui-ci répondit et l’intégralité de sa lettre figure dans Le Curé de Cucugnan et son véritable auteur de G. Vanel, un opuscule de 4781 mots paru en 1910 (accessible sur le lien ci-dessous).
    Roumanille reconnaît tout :

« ...Il s'agit donc de plagiat, crime prévu par la loi et dont on veut me punir pardevant le Tribunal compétent.
    Je l'avoue. Monsieur, j'ai tondu de ce joli pré la largeur de ma langue et même un peu plus. Et voici comment cela s'est fait... /...
    ... En 1866, mon beau-frère m'apporta, triomphant, un feuillet détaché de nous ne pûmes savoir quelle revue ou quel recueil littéraire. J'ai ce feuillet sous les yeux, tout sali, tout froissé, tombant presque en lambeaux, tel, en un mot, qu'il me fut remis... /...
    ... Ah! Monsieur ! l'herbe tendre, et, je pense, quelque diable aussi me poussant, je traduisis, con amore, tout ce que je pus traduire. Pouvais-je trouver mieux ? Ajoutant ou retranchant sobrement ce que me semblait réclamer le génie de notre langue et les exigences de nos mœurs provençales.
    N'ayant pas le début de l'historiette (la page 692 manquait et tous mes efforts pour la retrouver avaient été inutiles), j'écrivis, à ma façon, une entrée en matière. Je ne sais pas, à cette heure, en quoi elle diffère de la vôtre. — Ici, mes scrupules, car enfin, je vous rassure, Monsieur, j'ai une conscience, tout vil plagiaire que je puisse paraître. D'ailleurs, ayant été souvent volé, je sais combien il est désagréable de l'être.
    Quel est le père de cet adorable curé ? Quelle est la source, l'origine de cette fable ? Comment l'indiquer ? Ce précieux chiffon de papier, d'où a-t-il été détaché ?
    ... /... Voilà maintenant que M. Alphonse Daudet se hâte de traduire le Curé de Cucugnan, et, grâce à l'Événement auquel il donne sa traduction, il l'éparpille à tous les vents du ciel ! Miséricorde !
    Il était impossible, après une publicité pareille, que le nom de l'auteur, effacé par le pli malencontreux, ne surgît pas soudain. Aussi m'attendais-je tous les jours à une demande d'explications. J'étais prêt à les donner, — non pas certes devant le Tribunal, — (je n'aurais jamais pu supposer que la chose en valût la peine), mais à un confrère chercheur, trouveur et ciseleur, comme le Cascarellet, de vieux contes et d artistiques légendes... /... » 

    Roumanille avance même qu’il aurait pu facilement changer de titre, en situant le sermon à Cucuron, village du Vaucluse certainement aussi charmant que Cucugnan. Il ajoute que, finalement, il a bien rendu service au curé Marti, que la circonstance peut faire une jolie réclame au livre prévu et que sa pécadille avouée mériterait d’être pardonnée. Mais Blanchot reçut ses finesses comme autant de moqueries offensantes. Un procès fut engagé ; le félibre sollicita l’entremise d’un ami commun ; on se mit d’accord pour une médiation mais les arbitres se désistèrent ; avec la guerre de 1870, la procédure fut abandonnée de fait ; Blanchot de Brenas perdit même les textes pour le livre escompté et mourut en 1877, Roumanille en 1891.


    N’était-ce pas la meilleure fin (pour l’œuvre) ? Peut-être bien que oui car dans ces affaires de plagiat, c'est souvent une histoire de voleur volé... (à suivre)

A voir : Le Curé de Cucugnan et son véritable auteur G. Vanel
http://archive org/stream/lecurdecucugna00vane/lecurdecucugna00vane_djvu.txt
(ne dîtes pas que c’est moi qui vous l’ai dit...)

photo autorisée : toits de Cucuron / wikipedia / images google.

jeudi 8 mai 2014

CORBIÈRES, MYSTÈRES V (suite) / Tiraillements pour un sermon


    Là où les Cucugnanais mettent en avant l’abbé Ruffié, Blanchot de Brenas, ce magistrat de Cusset natif d’Yssingeaux ne fait pas remonter le sermon au premier paroissien du village. D’abord, contrairement à ce qui est dit en bas du château de Quéribus, Blanchot plante la chaire de son curé dans un hameau de la vallée de l’Orbieu.
    Dans le tome XXXI, 41ème année, n° 2, été 1978, la revue « Folklore » (1), dans l’article d’U. Gibert
« Il y a plus d’un siècle, à travers les Corbières, avec Blanchot de Brénas, le "père" du Curé de Cucugnan », il semble d’abord que le trajet n’ait pas atteint, plus au sud-est les bords du Verdouble : Carcassonne, Lagrasse, Félines, Davejean, Mouthoumet, Lanet.
    A Vignevieille « paroisse dont le ritou (note n° 7 / rito : rector : curé [dans certaines régions]) est fort original et Blanchot de Brenas ajoute (nous lui laissons la responsabilité de son affirmation !) : « Le clergé des Corbières offre à l’observation des types fort peu communs... Ecoutez cette homélie telle que je répète telle qu’elle me fut contée. la scène se passse dans un hameau, nous appellerons ce village Cucugnan ». Et l’auteur ajoute en note : « Cucugnan est près de Rouffiac-des-Corbières ; l’anecdote rapportée dans cette lettre n’a pas eu lieu à Cucugnan ; ce nom a été pris au hasard pour ne froisser aucune susceptibilité ». Et Blanchot de Brenas rapporte le fameux sermon de l’abbé Martin que tout le monde connaît depuis qu’il a été popularisé par Alphonse Daudet et Achille Mir »
    Si le plus cucu des deux est bien celui qu’on pense pour avoir situé le sermon dans un village, contrairement à ses dires, surtout pas pris au hasard (cela me fait penser au village de Montcuq dans le Lot devant à son nom une vraie célébrité télévisuelle), ajoutons que Gibert, s’il semble admettre la paternité du conte,  n’est pas très élogieux pour la prose de Blanchot : « ... ; parmi de très longues digressions sans grand intérêt et quelques railleries sur le dialecte et le mauvais français des habitants, nous avons relevé quelques passages intéressant les traditions populaires de la région de Mouthoumet dans les Corbières... ».   
   
    Pour nourrir votre intime conviction, parce que l’enquête sur ce curé, en attendant de parler de celui de Rennes-le-Château, est loin d’être terminée, je vous conseille vivement de cliquer sur le site de la revue audoise Folklore (lien ci-dessous). Sur ce même numéro de l’été 1978, Gibert nous parle des volailles rôties "à l’ast" et d’une fameuse daube... des Corbières... amé la recépta, siouplèt ! (à suivre).

(1) Revue d’ethnographie méridionale / secrétaire général - rédaction René Nelli, 22 rue du Palais, Carcassonne.
http://garae.fr/Folklore/R52_170_ETE_1978.pdf    

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photo autorisée: Le château de Durfort dans les gorges de l'Orbieu / wikipedia /images google

CORBIÈRES MYSTÈRES (V) / Le sermon d'un curé célèbre...

    A Escales, en 1884, le félibre Achilo Mir reprit le sermon écrit par Roumanille, lui-même félibre provençal. Ainsi, « Lou sermou dal curat de Cucugna » devint la version de référence pour la nouvelle vigueur donnée aux personnages, la truculence poétique si bien rendue par Achille Mir dans la déclinaison languedocienne de la langue occitane. 
    Dans sa version française, le brave curé de Cucugnan doit sa célébrité à Alphonse Daudet. Celui-ci, ne se cachant point d’avoir traduit « ... un adorable fabliau... » trouvé dans la publication annuelle de vers et de contes des poètes provençaux, précise dans l’excipit  «... Et voilà l’histoire du curé de Cucugnan, telle que m’a ordonné de vous la dire ce grand gueusard de Roumanille, qui la tenait lui-même d’un autre bon compagnon ».
    Toutes versions confondues, par contre, le pauvre curé eut à souffrir une âpre bataille en antériorité entre ses auteurs successifs.
   
    La piste du ritou (1) nous mène d’abord à Cucugnan où l’interprétation se veut aussi claire que les eaux qui sourdent au pied du Roc du Capel :
    1858.A Cucugnan, dans la petite église romane aujourd’hui démolie, l’abbé Ruffié prononça le fameux sermon en languedocien.
    1859. Un an plus tard, Blanchot de Brenas, magistrat de son état et voyageur pour son plaisir, fit publier ledit sermon en français (Voyage dans les Corbières,La France Littéraire ).
    1867, Roumanille, félibre provençal, s’en inspira pour écrire le « Curé de Cucugnan » en occitan dans « L’almana Provençau ».
    1869. Alphonse Daudet (« Les Lettres de mon Moulin »), prit l’idée chez Roumanille : Cucugnan et son sermon s’en trouvèrent donc transportés à tort en Provence.
    1884. Achille Mir, félibre d’Escales, ramena « Lou sermou dal curat de Cucugna » dans les Corbières.
   
    Voilà ce qu’il en est des pérégrinations du sermon telles qu’elles sont présentées par la commune de Cucugnan, soucieuse, avant toute chose, d’entretenir sa fréquentation touristique... sauf que l’histoire se complique, n’en déplaise aux Cucugnanais... (à suivre).

(1) rito = curat = curé (recteur). 

photo autorisée : wikimédia / images google. 


dimanche 20 avril 2014

CORBIÈRES, MYSTÈRES... (IV) / Fleury d'Aude en Languedoc

Montredon, Lézignan, Montbrun, Conilhac revendiquent les Corbières. Et Narbonne ? 


    Avant de rejoindre l’Orbieu et Villedaigne, un dernier regard dans le rétro sur ces collines, ultimes obstacles à la course à la mer du fleuve Aude qui doit encore contourner le village de Moussan.

    Sur le versant tourné vers l’est, les vestiges de l’oppidum de Montlaurès qui, contrairement à ce que laisse croire son appellation latine, est bien antérieur à la colonisation romaine. Avec Pech Maho du côté de Sigean et Ensérune à Nissan, ces sites abritaient le peuple des Élisyques qui, entre les Ligures et les Ibères, commerçaient avec les Phéniciens et les Grecs (1). A Montlaurès, l’IGN mentionne, en bleu, un mystérieux "Œil de mer", une exsurgence (2) une source artésienne, le point d’eau indispensable à l’installation humaine et aujourd’hui nécessaire à la Comurhex de Malvési pour le raffinage de l’uranium... 

    Entre Montredon-des-Corbières, Névian et Marcorignan, des passionnés ont mis en évidence la Voie Dixiane, une variante de la Via Aquitania des Romains, qui emprunterait un col nommé Boucocers (3) avant de traverser l’Orbieu par un gué puis, au-delà de Raissac-d’Aude, de se diriger vers Fontarèche, Montrabech, Sérame et la "clue" de l’Aude en passant à proximité de la source Dixiane, une autre source artésienne peut-être liée au nom de la variante de la Via Aquitania.

    Si l’ancienne nationale contourne Lézignan-Corbières (attention aux radars embusqués), il serait dommage de ne pas citer ce centre viticole témoin de la révolte de 1907 parce que la première cave coopérative de l’Aude « Les vignerons », vit le jour en 1909. A propos de nos "montagnes", les hauteurs au Nord-Ouest (4), lors des aigats (dits par ailleurs et trop systématiquement"épisodes cévenols"... même s’ils touchent le piémont pyrénéen...), alimentent de façon ponctuelle plusieurs ruisseaux qui rejoignent le non moins méconnu Ruisseau de la Jourre, affluent rive droite de l’Aude de 20 km pourtant ! Entre le « Rec de la Bergère » et celui « de la Citerne », mon préféré reste le « Rec-d’Escouto-can-Plaou » (littéralement « Ruisseau d’Ecoute-quand-il-pleut ») parce que, exception faite des trombes d’eau qui causent de dangereuses inondations, notamment à l’automne 1999, écouter la pluie exprimait, pour une population liée à la terre, avec le doux bruit des gouttes qui tombent, le plaisir de savoir que les cultures profitent, que les réserves se remplissent, et aussi l’assurance de voir écartées les affres de la sécheresse.

    Conilhac-Corbières (80-90 m alt. moy.), dernière localité au sud de ce contrefort anonyme. Un petit clic sur geoportail ouvre sur le domaine des lapins (traduction littérale de Conilhac). Quel nom porte cette éminence ? Je vois peut-être Maurou ou Plo de Maurou, plo signifiant peut-être "petit plateau" en occitan. Le CD 165 passe le Col de la Portanelle (171 m), laisse à gauche la « Combe des Loups », encoche dans le plateau, et gagne Montbrun-des-Corbières (5). En attendant que les Montbrunois nous expliquent peut-être pourquoi la « Garrigue de Montbrun » est partagée entre les communes de Moux et Fontcouverte alors que « La Côte de Fontcouverte » est chez eux,  gagnons Escales, bastion ultime des Corbières, regardant le fleuve venant de l’ouest, au pied de ces dernières hauteurs stratégiques dominant le sillon audois. Le nom, venant de scala, l’échelle, traduirait  l’idée de "pente abrupte", de "passage difficile". Heureux Escalins qui méritent assurément une visite avec l’église Saint-Martin du XIème, le château historique, la tour sur une colline proche, dominant une pinède et, dans le village même, la source deux fois millénaire, citée dans les vers d’Achille Mir, natif du village (6). 
Escales / Église saint-Martin XIème siècle.

    Et Narbonne nous semble vraiment loin... Laissons la capitale des belliqueux Elisyques qui s’est donnée à Rome, tournée vers la mer, fière de son carrefour qui la met entre Montpellier, Toulouse et Barcelone, elle qui, faute de pouvoir rivaliser, ne serait-ce qu’avec Perpignan et Béziers ne peut que s’enorgueillir de dépasser Carcassonne. Et si cette insensibilité apparente permet à Lézignan-Corbières de parler pour l’arrière pays et en particulier la vallée de l’Orbieu, je me demande si cette indifférence n’a pas accentué les destins divergents de deux villes éloignées seulement d’une vingtaine de kilomètres. Au rugby par exemple, Narbonne à XV, Lézignan à XIII, de même que le parcours de quelques joueurs tels Pierre Lacans, le troisième ligne international de Béziers, pourtant natif de Conilhac (7) ou Christian Labbit, parti à Toulouse puis licencié après son retour à Narbonne. Quant au Racing Club Narbonnais qui ne s’est jamais bien entendu avec les clubs des villages voisins, maintenant c'est « Narbonne Méditerranée »... et plus d’affinités avec l’Australie qu’avec la porte à côté...  Je pousse un peu et ce serait ridicule de vouloir une « Place des Corbières » plutôt que « des Pyrénées », il n’empêche, le miel fameux dit « de Narbonne » ne serait-il pas plus des Corbières que de la plaine ? Pour le vin, par contre, la situation semble plus nette, Narbonne gardant ses Bacchus sculptés et les Corbières ses nectars aussi riches qu’épicés...   

(1) Hérodote signale que des mercenaires élisyques auraient servi dans l’armée carthaginoise, en Sicile vers - 480 (v. Wikipedia).   

(2)  Introuvable, cet "Œil de mer" sur les dicos et sur le Net et qui réapparaît pourtant dans les Hautes Corbières ! Par contre, si cet "œil -de-mer" fait penser au gouffre de l’Œil-Doux, sur notre commune de Fleury, il me semble avoir vu "œillal" quelque part, sauf que ma source ne va pas plus loin que quelques entrées sur la première page du moteur de recherche...  L’eau de l’exsurgence provient d’une nappe souterraine, celle de la résurgence de pluies infiltrées ou de la perte d’une rivière plus en amont.

(3) Ce col de Boucocers serait situé plus à l’est, sur la route de Narbonne à Saint-Pons. Voir « "Toponymie Générale de la France" Tome 2. Ernest Nègre. p. 1147 / 21479. Boucocers, com. Montredon, Aude, à un col sur la route de Narbonne - Carcassonne : terminium de Orecrcio, Buccacircio, 1032 (HGL, V, 198) = occ. boca «bouche, orifice » DOF + cèrs, cerç « vent d’ouest » (DOF), désignation métaphorique du col »... On trouve aussi Boucocers à Lagrasse (le camping a pris ce nom juste en dessous d’une éminence appelée « Bouche au Cers » qui force l’Orbieu à un détour vers l’ouest). QUE LES INTÉGRISTES DES TRAMONTANES SE LE DISENT !

(4) dont « Le Garouilla » (certainement issu du languedocien « garrolha » = le taillis de kermès) et « Le Perdigal », le perdreau des chasseurs.

(5) Jolie histoire liée à Notre-Dame-de-Colombier et une page édifiante sur le Cers «... Dans le Golfe du Lion, le vent de Cers est le seul vent venant de l'intérieur des terres, il n'y a aucun vent de nord, ni aucune tramontane ». D’emblée, ils ne l’envoient pas dire et avec une majuscule au Cers, siouplèt ! http://www.montbrun-des-corbieres.fr/la-commune/les-vents-dominants/

(6) Achille Mir (1822 - 1901) contributeur remarquable de la langue occitane : c’est son « Sermoun del curat de Cucugna» qui inspira Daudet ! http://www.mairie-escales.fr/village.htm

(7) décédé dans un accident de la route le 30 septembre 1984, à l’âge de 27 ans, au lendemain d’une victoire contre Narbonne.

photos libres de droits wikipedia / peuples celtes, Escales, Narbonne