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mercredi 18 septembre 2019

GUERRE ET VENDANGES / Les vendanges à Fleury.

Alicante_Bouschet Ampélographie Viala et Vermorel.

1939, les poussées totalitaristes débouchent sans possibilité d’échappatoire sur la guerre. 
Le premier avril Franco, décidé à supprimer la moitié de la population s’il le faut, impose sa dictature à l’Espagne . 
Le 22 mai le pacte d’Acier lie offensivement Mussolini à Hitler.
Le 23 août, un autre pacte, soviéto-germanique de non agression cette fois. Personne n’en connaît encore les clauses secrètes mais cela attise le ressentiment contre Thorez et les communistes.
Le 24 août la France mobilise en partie, le 25, Londres signe un accord d’assistance, sur cinq ans, avec la Pologne. 
Le 26, La France avertit Hitler qu’elle tiendra ses engagements à l’égard de la Pologne.
Le 28 août, ultimatum à la Pologne : l’Allemagne exige Dantzig ainsi qu’un plébiscite pour le rattachement du « corridor ». 
Le 31, Himmler simule une attaque polonaise sur le territoire allemand.
Le 1er septembre, Hitler envahit la Pologne, la France mobilise mais laisse, conjointement au Royaume-Uni, une dernière chance à l’Allemagne de retirer ses troupes avant le 3. 
Le 3 septembre, les Alliés déclarent la guerre à l’Allemagne.
Le 7 septembre, la France envahit la Sarre !
Le 17 septembre, les Soviétiques attaquent à l’Est et prennent la Pologne en tenaille.

C'était il y a 80 ans et il n'est pas inutile de rappeler la gravité de la situation.      

« … C’est dans cette atmosphère lourde de menaces que commencent nos vendanges familiales de 1939. J’ai voulu en faire le compte rendu succinct, mais au bout de trois ou quatre jours ma plume fatiguée devait s’arrêter. Qu’importe ! Ce vieux cahier rose « Standard » de la « Grande Librairie Breithaupt-Cariven »,[…] ce vieux cahier donc en porte témoignage et voici ce qu’il nous dit :

Les vendanges 1939.

Lundi 18 septembre (Ste Sophie). Première journée de vendanges à la Pointe et à Joie (alicante (1)). La vigne de la Pointe produit 22 comportes. Seize comportes une fois remplies, je dois aller dire à papa  d’en apporter six de plus. Je le rencontre à la « Barque Vieille ». Nous changeons de vigne à dix heures moins dix.
En arrivant à « Joie », nous mangeons. Plat du jour : macaronis et confit de canard et de poule. Nous reprenons le travail à midi moins le quart. Le soir, nous remplissons 33 comportes. Un seul fait à signaler : nous avons perdu plus de deux heures par manque de comportes.

[...] Monsieur Sanchon a été mobilisé pour une « mission spéciale » sur laquelle il a vainement essayé d’obtenir plus de détails. Il écrit justement qu’il s’est embarqué. Il doit aller jusqu’en Côte d’Ivoire, à Abidjan qui en est la capitale.
L’oncle Noé également a été mobilisé. Il a aussi écrit, il est à Nice. Il va écrire pratiquement chaque jour, et tante Céline attendra fiévreusement que leur fils Norbert, promu à quinze ans au grade de charretier et de palefrenier pour leur vieux cheval Mignon, lui apporte à la vigne, dans l’après-midi, la lettre ou la carte à laquelle elle va répondre le soir venu, malgré la fatigue due aux vendanges.
Je reviens au cahier. Le bilan de la vendange s’établit comme suit :
Comportes remplies : 55, dont 22 de la Pointe, qui ont donné du vin pesant 8 degrés 9 (quand on vide les comportes dans la cuve ou dans le foudre, on garde toujours un petit litre de moût qui permet, au mustimètre Dujardin-Salleron, d’avoir une idée très exacte de ce que sera, en richesse alcoolique le vin qui va en résulter), et 33 de Joie, donnant du vin de 6,8°.
Beaucoup de raisins à Joie (d’où faible degré), belles grappes à la Pointe.
Comportes rentrées en cuve : 52, dont 22 de la Pointe et 30 de Joie.
            Voyages effectués : 4, à savoir :
            Matin : un de Norbert, avec 12 comportes ;
                        un de papa : 10 comportes.
            Soir : un de Norbert, 13 comportes ;
                          un de papa, 17 comportes.
Lamy ne peut monter un remblai, à travers champs. En conséquence, il faut redescendre les quatre comportes du second rang.
Notre « colle » se compose de :
Alban Biau, de Salles, dit « Toumassou », maître d’affaires, « kitchaïré »
Tante Céline, Grand’mère Joséphine, Maman Ernestine, Paulette Sanchon, Marcelle, coupeuses,
 Norbert, videur de seaux et charretier,
 Papa, Jean, charretier et charrieur,
François, coupeur et charrieur (avec les « pals »).


(1) Ce que nous appelons « alicante » n’a rien à voir avec le grenache, et notamment l’alicante bouschet est un cépage teinturier qui donnait « de la couleur » à notre vin rouge, surtout à l’aramon.

Lithographie_du_Black_Alicante. Ampélographie 1910. Author Pierre Vialaet Victor Vermorel, Editeur Masson
Le texte est extrait du livre "Caboujolette" 2008, auteur François Dedieu.

mardi 3 septembre 2019

DE LIMOGES A L'ANDALOUSIE / Les vendanges à Fleury.


 Foulard et galinos. 

"... La "galino" : je vais tout de suite vérifier ce que nous appelions "uno galino" sur le dictionnaire d'occitan de Louis Alibert (1884-1959), et je trouve, notre G initial ayant adouci le C d'origine. 
CALINA, f. Espèce de coiffure de soleil que les ouvrières des champs portent en Lauragais (et pas seulement ! FD). Elle est constituée par une armature de fil de fer et de brins de joncs recouverte de calicot. Etym. Contraction de l'occ. capelina. 
Je reprends ainsi ma "caline". Je t'ai déjà dit que maman et mamé Joséphine faisaient leurs "galines" non avec du fil de fer et des joncs (!) mais avec des bandes de carton fort de trente centimètres environ sur 4 cm de large, le tissu (bleu ou noir) les enserrant des deux côtés, une piqûre à la machine séparant les cartons ainsi dissimulés, ce qui donnait un "relief" spécial au tout ; l'arrière de cette coiffure était bien entendu sans carton, et un cordon pendant en bas sur le devant, de chaque côté, permettait de nouer une "bugadelle" et de fixer le tout sur la tête..." 
François Dedieu / Pages de vie à Fleury d'Aude / II Caboujolette / dedieu éditeur mai 2008. 

Dimanche 25 août 2002. « … M. et Mme Petiot étaient nos « correspondants de guerre » dans la Creuse pendant la seconde moitié du conflit mondial 39-45. Du fait que nous n’avions guère à Fleury que notre vin comme ressource, nous souffrions beaucoup du rationnement extrême de la nourriture. Il était devenu assez courant de rechercher un correspondant dans le Centre pour échanger tout à fait légalement du vin contre du beurre, du lard, des pommes de terre. 
Pour ma mère, ce voyage à Chaulet via Limoges où l’on changeait de train fut sans conteste le plus long de sa vie. En entendant le haut-parleur répétant « Ici LIMOGES, ici LIMOGES, sept minutes d’arrêt. BUFFET. Correspondance pour… », elle ne put s’empêcher de s’interroger : « Et ba disoun, aco, buffez ? » Elle pensait à nos vendanges sous le soleil brûlant. Nous nous arrêtions un court instant de couper des raisins et disions pour plaisanter, redressant notre dos douloureux : « Deux minutes d’arrêt. Buffez ! », ce dernier mot traduisant en occitan (bufar = souffler) l’idée de souffler un peu, d’observer une courte pause… » 

Vendanges 1975 Corbières Fonds André Cros Archives municipales de Toulouse.

Jeudi 13 novembre 2003. « … A l’époque des vendanges, un petit bal avait lieu tous les soirs au café. L’animation du village était alors fort grande, les familles de vendangeurs venus d’abord de l’Ariège, puis d’Espagne, non seulement de Catalogne ou d’Aragon, mais aussi de la lointaine Andalousie, mettant une note exotique où résonnaient différentes langues ou divers dialectes et pidgins savoureux. Dès l’arrivée de la vigne, une toilette s’imposait à la fontaine du coin de la rue, et on allait se promener, puis danser un peu. Vers 22 heures, tout redevenait calme : la journée du lendemain allait être encore rude à la vigne, et on serait heureux si les nuées de moustiques voulaient bien se dissiper sous l’effet d’un petit cers salutaire ou d’un vent marin bienvenu sous un soleil accablant… »

mercredi 26 juin 2019

MÉMOIRE HISTORIQUE / Était-ce le dernier blockhaus de Saint-Pierre ?

Pas plus tard qu'hier, pour illustrer l'occupation du pays par les Allemands (1942-1945) connexe à l'histoire de notre littoral, des Cabanes-de-Fleury à Saint-Pierre-la-Mer, seules des vues des canaux anti-chars étaient disponibles.

Entre l'étang de Pissevaches et la mer, un des canaux anti-chars creusés sur ordre des Allemands.  


Or la côte était défendue d'un possible débarquement par une série de fortifications et de casemates le long et sur les hauteurs de la Clape. 
Dans le périodique municipal en date de mars 1999, il est fait mention de la destruction du blockhaus situé sur le rocher La Vallière. 

 
Les prétextes pour la démolition ayant été ce qu'ils ont été, et sans stigmatiser un peuple plutôt qu'un autre, il n'est pas inutile de se demander s'il n'est pas bon de garder des preuves palpables de la bêtise humaine lorsque la formule du "plus jamais ça" est galvaudée au point de ne plus avoir de portée... 

lundi 24 septembre 2018

VENDANGES D'AVANT GUERRE / Fleury d'Aude en Languedoc

Je tombe sur ce brouillon oublié, sur François Tolza, un auteur inconnu, nimbé de mystères, resté dans les brumes du grand Meaulnes mais qui a su faire passer les battements d'un monde d'avant, pourtant toujours palpitant...  Un souffle à partager, absolument...  



15 août 2017, les vendanges ont bien 15 jours d’avance. A Frontignan on cueille le muscat petit grain. A Limoux où tout se coupe à la main, Blanquette oblige, le chardonnay et le pinot sont rentrés et il faudra attendre pour le chenin et le mauzac... 

A l’image du blé, le raisin a fait l’objet, pratiquement depuis l’antiquité et peut-être jusque dans les années 70, d’une récolte sacrée. Si la mécanisation et plus que tout la chimie avec ses maux en -cide lui ont fait perdre son caractère rituel, une collecte improbable, d’un autre genre (que l’Internet en soit remercié), peut faire revivre la liesse des hommes soucieux du ciel quand la terre daigne offrir en retour le fruit de leurs efforts. 

Une recherche aussi aléatoire que chanceuse nous a donc amenés à ouvrir un numéro de « La Revue du Caire », "Revue de littérature et d'histoire" dans sa huitième année. Les numéros 76 et suivants publient « ADORACION », une œuvre de François Tolza.
http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_029_w.pdf 

Est-ce une longue nouvelle ? un petit roman ? une novella ? Comment nommer, en effet, un ouvrage de 152 pages ? Et qu’il est déconcertant de réaliser qu’il a été écrit entre 1941 et 1942 à Alexandrie... Alors que l’Afrikakorps de Rommel menace le Canal de Suez, artère vitale des Britanniques. L’auteur se replonge dans une ambiance qu’il connaît trop bien, celle d’un village du Roussillon, du microcosme de ses habitants aux mœurs peu charitables.
Tous ceux qui aiment le monde de la vigne s’y retrouveront. Sans doute sonderont-ils aussi le mystère d’un auteur apparemment sorti de l’anonymat par ce seul titre  « ADORACION ». 


Qui était François Tolza ? Sur une plume qui gagne à sortir de l’ombre, l’opacité d’un brouillard demeure...


 François TOLZA :
« .../... Depuis huit jours la « colle » (1) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...

.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... Sortir une roue d'une ornière était un travail pour lequel,  disait-il, il n'y avait pas de quoi péter. Il faisait tout d'un effort lent et sûr, presque imperceptible. A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans  ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à  cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin,  il criait :  
- Alors ? un peu plus que la dernière...   dans les 1250 ...
Le charretier ne répondait pas,  tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y  jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../...


.../... Ce jour-là,  le train de midi avait depuis longtemps haleté derrière les collines Les coupeuses dépliaient leur dos, les unes après les  autres,  s'immobilisaient en bavardant,  dans l'attente du déjeuner. Ce n'est pas que « la colle » du Bagne fût plus vaillante que celles d'alentour. Il y avait là beaucoup de jeunesse résolue à  faire des vendanges  joyeuses, sans coups de colliers, avec des  pauses à l'heure.  Les vieilles ne formaient que l'armature, les cadres. Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (2) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...

.../... De sa poche, il tira, au bout du lacet de soulier qui lui servait de chaîne, la montre qui virevolta. Irma et la petite d'Angle lui bourrèrent les côtes, abattirent sur la montre leurs mains poissées, vérifièrent l'heure.
~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin.  C'est-y que tu aurais trop de travail à "quicher" les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle» se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../...

.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres.  Ils avaient mesuré leurs paroles,  vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à  l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis,  les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village.  Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel  prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à  la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../...

(1) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(2) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ».

Photos autorisées commons wikimedia
1.  Vendanges Maestri,_Michelangelo - Busto_di_Bacco - 1850
2. Vendanges Colle de vendangeurs. Corbières
3. Vendanges Repas de vendanges dans l'Hérault vers 1900.

vendredi 7 septembre 2018

VOYAGE EN TCHÉCOSLOVAQUIE (10) / Franconie… avanies et framboises…

Le passé est aussi médiéval en Allemagne mais plus c’est loin, moins la barbarie choque à moins que nous ne considérions, finalement, la cruauté des us comme une norme obligée avec des pics plus terribles encore, périodiquement… C’est ainsi que les hommes vivent ! Et nos enseignants, à force de professer la culture, la face claire d’une civilisation, préparent-ils à cette réalité ou entretiennent-ils, sans le vouloir, les mirages ?

Nürnberg, les contextes historiques s’y télescopent et plus encore quand la trajectoire personnelle s’en ressent. Je pense à cette camarade de maman, obligée d’y aller travailler et qui trouva la mort, à vingt ans,  sous un bombardement. Je revois mon grand-oncle Jan, sommé, en tant que responsable de fabrication, d’aller régulièrement y prendre les ordres de l’occupant nazi (1939 – 1945).

En ce 31 juillet, contrairement aux autres fois, les camions sont moins nombreux, eux qui me redoublaient dans les côtes. Ils semblent plus respectueux de la vitesse limite aussi. Moins de trafic ? moins d’échanges ? Et des plaques d’Europe de l’Est, Pologne et Tchéquie surtout avec quelques Roumains ou Hongrois, quelques Baltes parfois. Est-ce une histoire de chauffeurs moins payés vu que les Allemands sont en minorité et que nous n’en avons pas vu un seul immatriculé en France ?
Photo Florian Dedieu.

Sur l’autobahn, les abords des parkings simples restent des zones de déjections mais ceux équipés de wc sont propres, bien tenus. Les poubelles ne débordent pas. Une recommandation, en allemand, en anglais, en polonais, en tchèque, informe qu’en raison d’une fièvre porcine venue d’Afrique depuis 2014, ne touchant pas l’homme mais dangereuse pour les sangliers, les porcs d’élevage et se transmettant avec les restes alimentaires, il faut absolument jeter ses ordures dans des sacs fermés. Sinon, même aux marges du monde slave, il reste l’inscription « PISSOIR »… le français, langue officielle, et pas seulement pour les JO …   

A partir de Nuremberg, avec les premiers panneaux « Praha », « Plzen 200 km », seul le paysage qui défile  marque. Au fil des voyages chacun des principaux intéressés tait, a tu ou taira ce qui viendrait ternir la joie des retrouvailles. Seule compte, emblématique du retour aux sources, du refuge ultime, protégeant nos êtres chers, la sombre forêt d’épicéas, réfractaire aux frontières administratives, marquant de son sceau chaque moutonnement à l’horizon.
Alors on a gardé pour soi la proximité de Nürnberg, seconde ville de Bavière, ville d’empire, des pages d’histoire presque millénaire dont celle, noire, du national-socialisme, qui lui a valu d’être pratiquement rayée de la carte et de servir de cadre aux procès des criminels nazis. Plutôt parler des jouets, du graveur Dürer, des pains d’épices et des crayons.
VohenstraußKriegerdenkmal monument aux morts Wikimedia Commons Author Allexkoch

Plus loin, Vohenstrauβ avec son « sz » gothique final, dernier gros bourg avant la frontière tchèque. Une esplanade centrale, arborée, avec un monument aux morts, bordée par des commerces. Une fois, tonton avait demandé une lame de faux en acier qu’il voulait allemand ; plus loin nous n’aurions plus trouvé. Une autre fois, c’était une fête de la bière avec des chopes vides qui volaient bas sous le chapiteau ! En 2012, avec à peine un degré le matin, les affiches d’un concert ; comment il s’appelait l’Autrichien domicilié en Suisse, celui qui avait gagné l’eurovision ? Mais si, « Merci chérie » il chantait… Ah oui, Udo Jürgens, décédé en 2014, à 80 ans…

Udo_Jürgens gagnant Eurovision 1966 Wikimedia Commons Author Anefo
Vohenstrauβ… Apprendre plus tard, trop tard, à sa grande honte, qu’à vingt kilomètres à peine, dans ce secteur proche de la frontière, existait un camp, Flossenbürg… Pour Dachau, je savais, choqué que j’étais (années 60) que le nom puisse toujours figurer sur les panneaux routiers, mais là, si proche de la route des vacances, des retrouvailles, des étés légers et ne l’apprendre qu’à un âge déjà avancé…
Wikipedia présente cette commune de l’Oberpfälzer Wald (Forêt du Haut-Palatinat) en tant que lieu de vacances, dominé par les ruines de la forteresse des Hohenstaufen. Le romantisme et Wagner, pas moins ! Plus loin, il est indiqué que Flossenbürg est connue pour son granit, des carrières qui peuvent être visitées… Les pierres destinées au gigantesque cadre architectural dédié aux grands rassemblements nazis de Nürnberg viennent de là.

« … C'est ici que de nombreux prisonniers des camps taillèrent les pierres… » (Wikipedia).

Des victimes par milliers dont quelques personnes connues et à la fin des marches de la mort...
J’ai déjà dit que l’unique coupable est l’homme, capable, d’où qu’il soit, d’où qu’il vienne, planétairement, des pires horreurs. Je pense qu’il est foncièrement malhonnête et trop facile de généraliser, d’accuser un peuple mais de là à effacer, à prôner l’oubli, à faire comme si… 

Stadthalle_Vohenstrauß Wikimedia Commons Author btr Permission GFDL

Vohenstrauβ… un grand parking toutes commodités pour les camions voyageurs avec des framboises tout au long de la haie. A côté d’une halle municipale avec un concert en plein air, dès le matin et quel orchestre ! Quand ils le veulent, les hommes peuvent être bons et accueillants…   

Framboises Wikimedia commons Author Dinkum