mercredi 18 septembre 2019

GUERRE ET VENDANGES / Les vendanges à Fleury.

Alicante_Bouschet Ampélographie Viala et Vermorel.

1939, les poussées totalitaristes débouchent sans possibilité d’échappatoire sur la guerre. 
Le premier avril Franco, décidé à supprimer la moitié de la population s’il le faut, impose sa dictature à l’Espagne . 
Le 22 mai le pacte d’Acier lie offensivement Mussolini à Hitler.
Le 23 août, un autre pacte, soviéto-germanique de non agression cette fois. Personne n’en connaît encore les clauses secrètes mais cela attise le ressentiment contre Thorez et les communistes.
Le 24 août la France mobilise en partie, le 25, Londres signe un accord d’assistance, sur cinq ans, avec la Pologne. 
Le 26, La France avertit Hitler qu’elle tiendra ses engagements à l’égard de la Pologne.
Le 28 août, ultimatum à la Pologne : l’Allemagne exige Dantzig ainsi qu’un plébiscite pour le rattachement du « corridor ». 
Le 31, Himmler simule une attaque polonaise sur le territoire allemand.
Le 1er septembre, Hitler envahit la Pologne, la France mobilise mais laisse, conjointement au Royaume-Uni, une dernière chance à l’Allemagne de retirer ses troupes avant le 3. 
Le 3 septembre, les Alliés déclarent la guerre à l’Allemagne.
Le 7 septembre, la France envahit la Sarre !
Le 17 septembre, les Soviétiques attaquent à l’Est et prennent la Pologne en tenaille.

C'était il y a 80 ans et il n'est pas inutile de rappeler la gravité de la situation.      

« … C’est dans cette atmosphère lourde de menaces que commencent nos vendanges familiales de 1939. J’ai voulu en faire le compte rendu succinct, mais au bout de trois ou quatre jours ma plume fatiguée devait s’arrêter. Qu’importe ! Ce vieux cahier rose « Standard » de la « Grande Librairie Breithaupt-Cariven »,[…] ce vieux cahier donc en porte témoignage et voici ce qu’il nous dit :

Les vendanges 1939.

Lundi 18 septembre (Ste Sophie). Première journée de vendanges à la Pointe et à Joie (alicante (1)). La vigne de la Pointe produit 22 comportes. Seize comportes une fois remplies, je dois aller dire à papa  d’en apporter six de plus. Je le rencontre à la « Barque Vieille ». Nous changeons de vigne à dix heures moins dix.
En arrivant à « Joie », nous mangeons. Plat du jour : macaronis et confit de canard et de poule. Nous reprenons le travail à midi moins le quart. Le soir, nous remplissons 33 comportes. Un seul fait à signaler : nous avons perdu plus de deux heures par manque de comportes.

[...] Monsieur Sanchon a été mobilisé pour une « mission spéciale » sur laquelle il a vainement essayé d’obtenir plus de détails. Il écrit justement qu’il s’est embarqué. Il doit aller jusqu’en Côte d’Ivoire, à Abidjan qui en est la capitale.
L’oncle Noé également a été mobilisé. Il a aussi écrit, il est à Nice. Il va écrire pratiquement chaque jour, et tante Céline attendra fiévreusement que leur fils Norbert, promu à quinze ans au grade de charretier et de palefrenier pour leur vieux cheval Mignon, lui apporte à la vigne, dans l’après-midi, la lettre ou la carte à laquelle elle va répondre le soir venu, malgré la fatigue due aux vendanges.
Je reviens au cahier. Le bilan de la vendange s’établit comme suit :
Comportes remplies : 55, dont 22 de la Pointe, qui ont donné du vin pesant 8 degrés 9 (quand on vide les comportes dans la cuve ou dans le foudre, on garde toujours un petit litre de moût qui permet, au mustimètre Dujardin-Salleron, d’avoir une idée très exacte de ce que sera, en richesse alcoolique le vin qui va en résulter), et 33 de Joie, donnant du vin de 6,8°.
Beaucoup de raisins à Joie (d’où faible degré), belles grappes à la Pointe.
Comportes rentrées en cuve : 52, dont 22 de la Pointe et 30 de Joie.
            Voyages effectués : 4, à savoir :
            Matin : un de Norbert, avec 12 comportes ;
                        un de papa : 10 comportes.
            Soir : un de Norbert, 13 comportes ;
                          un de papa, 17 comportes.
Lamy ne peut monter un remblai, à travers champs. En conséquence, il faut redescendre les quatre comportes du second rang.
Notre « colle » se compose de :
Alban Biau, de Salles, dit « Toumassou », maître d’affaires, « kitchaïré »
Tante Céline, Grand’mère Joséphine, Maman Ernestine, Paulette Sanchon, Marcelle, coupeuses,
 Norbert, videur de seaux et charretier,
 Papa, Jean, charretier et charrieur,
François, coupeur et charrieur (avec les « pals »).


(1) Ce que nous appelons « alicante » n’a rien à voir avec le grenache, et notamment l’alicante bouschet est un cépage teinturier qui donnait « de la couleur » à notre vin rouge, surtout à l’aramon.

Lithographie_du_Black_Alicante. Ampélographie 1910. Author Pierre Vialaet Victor Vermorel, Editeur Masson
Le texte est extrait du livre "Caboujolette" 2008, auteur François Dedieu.

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