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jeudi 14 mars 2019

LES MOTS DE FLEURY, TOUJOURS… / Lou four de caous, Fleury d'Aude

Suite et fin du post du dimanche 10 mars : LES ÉCHOS, LES MOTS DE FLEURY, TOUJOURS… / Fleury d'Aude en Languedoc. 

Etienne des Karantes, gendarme à Tassin-la-Demi-Lune :

"...Étienne prend lui aussi, comme les autres gendarmes qu’il dirige, son tour de garde, et il connaît, lui aussi, ses heures d’astreinte. Tout dernièrement, vers une heure du matin, un chauffeur de trolleybus s’est présenté au poste : il voulait , après une journée bien remplie, garer son véhicule au dépôt voisin des « Trois-Renards »… et un énergumène pris de boisson refusait obstinément de descendre et de quitter les lieux. Etienne attache le chien à sa laisse (il l’écoutera peut-être pour ce petit service) et les voilà en direction du dernier trolley. L’individu est toujours là et lance ses menaces d’ivrogne : « C’est pas ton képi qui va me faire descendre. Je veux rester là ! » Un signe : « Azor, fais-le partir d’ici. » L’homme s’est levé, empêtré dans ses jurons. La bête est passée derrière lui et lui mordille les fesses d’une manière convaincante. Étonnement, un peu de peur, pas de résistance possible, il faut avancer. Allez, allez, plus vite !… Et le tour est joué. Le chauffeur remercie, il pourra enfin aller dormir chez lui. Quant au clochard, il ira jusqu’à l’aube cuver son alcool  sur le banc du poste, sans bouger d’un iota, surveillé de près par Azor qui grogne méchamment au moindre mouvement de son prisonnier, lorsque le patron s’est absenté dans son appartement du premier pour boire un café bien mérité.

            Ce jour-là, Étienne règle un peu la circulation sur cette route alors importante qui traverse la localité. Les camions se suivent, avec leurs charges diverses. On a demandé, pour la forme, à certains conducteurs, « papiers du véhicule » et « documents » précisant la nature et le poids du contenu. Soudain, un long camion-citerne immatriculé dans l’Aude : le 11 apparaît en fin de plaque.
            Notre cousin gendarme de faction fait le signe habituel : le gros véhicule, en provenance de Narbonne, s’est bien garé sur la droite.
            Après les premiers propos d’usage, le conducteur se voit demander son permis de conduire. Nom : SIRVEN ; Prénom : René , Lieu de naissance : Fleury-d’Aude (Aude). Et une petite conversation s’engage. – Vous venez d’où ? – De Narbonne – Et comme ça, vous allez jusqu’à Lille, livrer tout cet alcool ? – Oui, comme cela m’arrive assez régulièrement. Il m’arrive aussi de transporter du vin, avec un autre camion et pour d’autres destinations. Je roule beaucoup et je sillonne pas mal de régions. – Bon, tout est en règle. Et dites-moi, vous êtes de Narbonne ? – Oui. – De Narbonne même ? – Non, un village voisin, Fleury, où je me suis marié. – C’est juste à côté ? – Oui, oui, Narbonne est notre chef-lieu d’arrondissement, avec la sous-préfecture.
-         Mais entre Fleury et Narbonne, vous avez d’autres villages, non ?
Ah ! il faut passer par Coursan, c’est le canton. – Et entre Coursan et Fleury, rien ?
Et mon Sirven de se dire : voilà un gendarme bizarre et plutôt curieux : s’attacher à ces détails !! 
– Si, bien sûr, nous avons Salles, mais les deux villages se touchent presque, ils sont à peine séparés d’un kilomètre.
-          Ah ! ça se touche ? Alors entre Salles et Fleury,…
-          Là, vraiment, nous n’avons rien.


Est-ce un four à chaux dans la garrigue ? Il y a une carrière à côté. Une épaisse forêt de pins a poussé mais plutôt récente. Le four à chaux entre les villages de Fleury et de Salles était beaucoup plus important (pas de photo disponible). 
-         Et lou four dé caous ?
-         Oh ! mais vous connaissez bien les parages !
-         Je suis né aux Karantes, vous connaissez sans doute ? Et mon école, à partir de huit ans, c’était à Fleury. On y allait à pied à travers la garrigue,  avec mon cousin Jean, Jean Dedieu, vous devez le connaître.
-         Naturellement ! Dans un village, on se connaît pratiquement tous, vous savez.

Stupéfaction de l’ami René. La conversation continuera quelque temps devant le pot de l’amitié, consommé – avec modération – dans le voisinage.

Ces deux petites histoires me furent racontées par Étienne lui-même, toujours attaché à ses racines… et à son enfance..." 

Lou four de caous, une chronique de François Dedieu.   

mardi 5 février 2019

LE TERRIBLE MOIS DE FEVRIER 1956 / Lou poudaire (fin)

Le poudaire utilise des ciseaux à tailler, électriques ou pneumatiques tant il faut en avancer aujourd’hui. Dès le mois de novembre, pour ne pas se mettre en retard, et parce que tout a été fait pour ne plus embaucher de main-d’œuvre, ils doivent commencer même si les feuilles ne sont pas tombées ! Avant les ciseaux à tailler, encore au XIXème siècle, on utilisait la poda, un drôle d’outil en théorie ambivalent, d’un côté serpette, de l’autre hachette mais qui avait l’avantage de laisser une coupe oblique nette contrairement, par la suite à certains ciseaux qui écrasaient le bois. L’autre outil pour éliminer le bois mort ou en trop est le rasséguet, la petite scie (la rasso = la scie / Trésor du Félibrige / Frédéric Mistral). Tous les jours le poudaire rentrait avec un sac de souquets, plus prompts à faire de la braise que les souches plus denses et épaisses... Sur la plaque de la cheminée attendait, toujours tiède, le café passé "à la chaussette".   



Yves Boni, le pêcheur des Cabanes qui m'a offert de quoi écrire une quinzaine d'articles portant témoignage de la pêche dans une mer jadis si vivante ! Allez donc les relire, le témoin vaut vraiment le détour ! 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2015/08/le-temps-pour-un-pecheur-du-golfe-vii.html
 

« … Sinon, ils regardaient toujours vers l’Est, jamais dans l’autre secteur, pas du côté de l’Espagne car ce qui arrivait de mauvais venait toujours de l’Est.
    Une fois, avec cette neige du grec qui casse tout... je devais avoir 17 ans. Il a tellement neigé, la rivière était gelée, on pouvait pas aller jusqu’au pont de Fleury, comme d’habitude, et on est allé chercher du pain à Valras en passant par le bord de la mer. Il en était tombé 25 cm au bord de l’eau quand même ! J’avais jamais vu ça. c’était petit vent du nord, et l’eau des vagues se gelait. Quand nous sommes repassés il y avait 50 ou 60 centimètres de dentelle de glace... je m’en rappellerai toujours. Attends, pour geler l’eau de mer ! Tout le monde, avec des sacs ; entre ceux qui allaient gaiement et ceux qui marchaient moins vite, on était une trentaine pour rapporter du pain à tout le village.
    Une autre fois, quand on a été au pont de Fleury, on voyait rien et il y avait tant de neige qu’on savait plus où était la route, et les caves (les fossés), à côté.  Tu savais pas si tu étais sur la route ou dans une vigne. A des endroits on en avait jusqu’au ventre. Celui qui était devant était mouillé jusqu’à la taille. On se relayait, trempes comme des canards ! A la boulangerie, chez Vizcaro, enfin Fauré encore, Paul s’est étonné : « D’ount sortissès ? » (D’où sortez-vous ?) On était partis à 7 heures du matin, et le retour aux Cabanes, à 4 heures, avec le bateau. Je devais avoir 17, 18 ans. Quand il neigeait, couillon, c’était la catastrophe... » 

Un autre témoin, si attentif à la vie de son temps,si complice pour garder notre passé vivant... mon père qui me manque... François Dedieu :



La neige à Pézenas / Diapos François Dedieu 1963


« … Et nous reparlons du grand froid de février 1956 […] Ici, à Fleury, les « moins vingt » furent chose courante pendant des jours et des jours, les dernières olivettes disparurent, à St-Martin-de-Londres dans l’Hérault la vigne, pourtant si rude, n’a plus résisté à le température extrême de « moins vingt-neuf degrés ». Et Julien de me dire que l’Aude était gelée sous une couche impressionnante de glace, telle que Robert Vié avait poussé sa barque en la faisant glisser du pont de l’Aude jusqu’aux Cabanes. La même année, Titou Maurel (Louis, l’aîné […]) était tombé dans l’eau à travers une glace qu’il avait cru plus épaisse, à Pissevaches, et c’est Manolo qui l’aurait tiré de là – ils devaient chasser -.

[…] Tu me diras : c’est surtout du passé, et je te réponds : 
«  Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c’est le présent tel qu’il a survécu dans la mémoire humaine. » (Marguerite Yourcenar.)»

François Dedieu / Pages de vie à Fleury / Caboujolette / 2008 / Chapitre L’Hiver.   



Diapos 3, 4, 5 : La neige à Fleury en 2006 / François Dedieu.
Note : je dois les informations et l'illustration sur la poda au livre sur le canton de Coursan / Opération vilatges al pais / dirigé et mis en œuvre par Francis Poudou (2005).  

vendredi 28 décembre 2018

LES ÉCHOS DE NOËL SE PERDENT DANS LA NUIT... / Fleury-d'Aude en Languedoc

Diapo François Dedieu 1979.

Loin de moi l'idée pessimiste des témoignages qui se perdent dans un passé flou devenant opaque car ces échos tintent en moi tels les messages des cloches montant dans la nuit de décembre, une nuit cristalline. Le village, en effet, baigne dans une émotion partagée. Quelles qu'en soient les causes : la religion, le solstice, le seuil de l'hiver, les gens partagent une complicité apaisée, l'envie de parler aux autres, de partager la liesse, la félicité déjà entretenue au foyer avec le sapin, la crèche, la promesse des bonnes choses, de la dinde prévue au menu. 
Surtout ne pas taire cette ambiance révolue puisque certains de ses aspects demeurent et que, de toute façon, ils ne peuvent qu'éclairer le présent. 

Diapo François Dedieu 1979.


Loin mais pas si loin finalement, dans le temps... "... Basile Lignières (lou Craquet), notre bedeau, sonnait vaillamment les cloches placées encore autour du clocher [...] Basile distribuait également le pain bénit, et un dimanche une dévote voulut lui signifier d'un geste à peine ébauché... qu'il avait la braguette entrouverte et qu'on apercevait le panèl de sa chemise. Il crut qu'elle pensait ne plus avoir de pain bénit et la rassura d'un "N'y aura per toutos !" passé à la postérité..." (Y'en aura pour toutes !)

dinde Creative Common CC0 pxhere com


Après l'église, le loto... Coural, le beau-père de Marthe, arrête ! Il gagne la dinde ! 
"... Là ! Qu'uno pesto ! La fémno n'a croumpat uno aqueste mati !" (Là ! Quelle peste ! La femme en a acheté une ce matin !) [...] c'est Pistole qui lui avait répondu 
" Quand el gagnèt, et qu'i diguéri de baillar la pioto, respoundèt souloment "Ta gran !"" (Quand il gagna et que je lui dis de donner la dinde, il se contenta de répondre " Apporte ça à ta grand-mère !") réplique trouvée aussi en espagnol  ¡ Cuéntaselo a tu abuela ! (qu'on peut traduire par "à d'autres !""

"... Titato fut nommeur en occitan, sauf en quelques occasions, quand il nomma en français, "rapport aux étrangers " (des Parisiens !). Lou Ménot fut longtemps attitré à ce poste : 
"Remeno ! 
— Pot pas, és trop gros !" (Remue [les numéros] ! Il ne peut pas,il est trop gros !). 

Loto_à_Carpentras_Carton_de_loto Wikimedia Commons Auteur Varaine


Et de conclure avec un proverbe lié aux calendriers : 
"Un 20 décembre : aujourd'hui les jours recommencent à s'allonger, d'une minute pour commencer et je pense au proverbe que nous répétait l'oncle Noé – faux d'ailleursdepuis 1582 et la réforme grégorienne du calendrier – "A santo Luço, un pas de puço, à Nadal, un pas de gal." (A sainte Luce un pas de puce, à noêl, un pas de coq). or maintenant, pour sainte Lucie, le 13 décembre, les jours diminuent encore, puisque nous avons eu ce décalage de onze jours à l'époque. mais les dictons ont la vie dure et c'est très bien ainsi." 

 Ces quelques extraits sont tirés du livre "Caboujolette", 2008, François Dedieu. Merci papa ! 

lundi 24 septembre 2018

NOUS LES REFERONS ENSEMBLE, LES VENDANGES… / Fleury d'Aude en Languedoc


Finalement, en relisant ses écrits, j’en sais davantage que lorsque j’habitais au village. Heureux ceux qui tiennent un journal quotidien… Avec le temps, le train-train, la routine cristallisent en témoignages de plus en plus précieux.   

Papé Jean au Mourre, une vigne sur la route des Cabanes, avant de monter dans la garrigue de Bouisset. Photo François Dedieu

Papé et tonton qui finissent de charger au Courtal Cremat, sur la route de Saint-Pierre.
Photo François Dedieu

Lettres de François Dedieu (1922-2017) ; extraits :  

Du 6 oct 1994.  « … Les vendanges sont terminées depuis une quinzaine de jours et se terminent dans le Minervois et dans la région de Carcassonne-Limoux… / … Voilà huit jours, les vendanges battaient encore leur plein dans le Minervois héraultais et nous avons vu d’assez nombreuses « colles », ce qui nous changeait des machines rébarbatives et froides de notre « pays bas »… »

Du 24 sept 1996. « …Depuis ton départ, le temps a pris une allure automnale dès avant l’arrivée de la mauvaise saison, les matins se sont révélés plus frileux (11 ou 12degrés à peine) et la pluie s’est mise de la partie pour contrarier des vendanges qui n’ont plus le charme ni l’ambiance d’antan et font circuler dans nos rues ces monstres modernes que constituent ces énormes machines obligées quand même de s’arrêter si les propriétaires ne voulaient pas ajouter trop d’eau dans les bennes, à cause des secousses imprimées aux ceps. Avec le cers salvateur et un timide soleil retrouvé, les travaux ont repris, même s’ils passent pratiquement inaperçus. La récolte est faible en degré et ne va sans doute pas constituer un fameux millésime… Et les vendanges d’autrefois défilent dans ma tête, avec leurs couleurs et leurs bruits, la théorie des chariots se dirigeant vers les vignes à l’allure de nos anciens chevaux de trait, percherons, bretons, ardennais, voire ariégeois ; leurs travaux pénibles aussi, surtout les premiers jours où il fallait s’habituer à voir les autres libres dès l’arrivée au village alors que les tout petits exploitants que nous étions devaient achever leur journée de labeur à la lueur vacillante de la bougie, les jours devenant plus courts et les comportes devant impérativement être vidées dans les foudres. Avec cela, papé Jean commençait parfois sa longue journée à quatre heures du matin, pour profiter un peu de la pression de l’eau qui permettait de laver les cuves. Et chaque jour il fallait bien étriller Lamy et lui permettre de manger avant le départ. 

Vignes à Bouisset en 2014.

Vigne à Bouisset où la pointe de la Clape domine la plaine de l'Aude. Au fond, le village de Vendres.




18 heures ; Nous sommes allés cet après-midi à Bouisset et avons constaté avec plaisir que quelques « colles » de vendangeurs se trouvaient dans les vignes, bien entendu avec des tracteurs et la hotte, mais sur la droite de la route en allant vers Les Cabanes, un garçon chargeait sa remorque avec des comportes de bois, chose rarissime de nos jours. Malgré le vent, et sans doute grâce à lui, le soleil était de la partie, ce qui ne gâtait rien… »

25 sept 1996. « … Vers huit heures et demie j’ai aperçu mon neveu qui m’a fait un grand signe de la main. Il amenait une benne de raisins à la Coopé. Son beau-frère et associé, lui, s’est démoli le pied en chassant un chien-loup venu attaquer son chien. Il marchait péniblement avec deux béquilles. Je ne sais pas s’il a repris les vendanges… » 

Depuis Bouisset en regardant vers les collines de Nissan-lez-Ensérune (au fond).

Côte de Bouisset, la route passe le seuil de la croix de la Belle, de la Bello, à l'origine de l'Adèlo. Vigne de mon pauvre cousin Jojo, sauf erreur de ma part...