samedi 29 août 2015

CAMINANTE / Fleury d'Aude en Languedoc

Heureux les gitanes et autres romanichels qui vont sans but sinon celui de suivre la route car pour eux, seul le chemin compte. J'y repensais en lisant une note de Max, le copain "de Mayotte" et plutôt du Tarn (il s'est mis à "poster" beaucoup depuis la Nouvelle où il vient l’été) ; à propos d'Albert Camus qui l'intéresse beaucoup actuellement, il a cité « En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout ». Ce thème du chemin, dans toutes les acceptions du terme, inspire décidément beaucoup. Et puis je ne sais si c’est parce que la télé a eu la bonne idée d’honorer Joe Dassin, le chanteur populaire de nos vingt ans, dont le chemin s’est malheureusement arrêté, le vingt août 1980 que les paroles du Portugais me reviennent. Pardon de les détourner un peu :

    « Qu’il faut en faire des voyages
    Qu’il faut en faire du chemin,
    Ce n’est plus dans son village
    Que la vie le retient.
    Loin de sa mer, des sénils,
    A deux mille lieues vers le sud,
    Sous les étoiles de son île,
    Un émigré s’endort... /...
    Il ne t’entend pas,
    Il est sur le chemin
    Qui mène dans les vignes...  » 



    Bon, il y a aussi « Qu’il est long qu’il est loin, ton chemin papa, c’est vraiment fatigant d’aller où tu vas... » et encore 
«... C'était un homme en déroute,
    c’était un frère sans doute ...
   
 /... et sur les routes de l'exil...
   
 /... Il me reste toute la terre
    Mais je n’en demandais pas tant
    Quand j’ai passé la frontière
    Il n’y avait rien devant
    J’allais d’escale en escale
    Loin de ma terre natale...  » (2)

    La terre natale, c’est sacré ! Pour un Languedocien, apprendré à son drolle ço qu’es uno biso, un bartas (3), c’est l’enraciner à ses aïeux, à sa langue, au pays... Et ça il ne faut pas y toucher ! C’est vital, profond, si loin du consumérisme superficiel servi par la télé jacobine, dans un registre “vacancez cool...” infantilisant, faisant par exemple se rengorger un nanti sur la “Côôôte”, prêt à payer plusieurs centaines d’euros la nuit, mais avec la vue sur les criques, autre chose pour lui que la monotonie des sables infinis. C’est si terre à terre que je crains d’en ternir mon propos en invoquant du Bellay :
    « Plus mon petit Saint-Pierre que ton chic tropézien... Lou podes gardar, ton périmètre de snobs étriqués, je préfère embrasser le Golfe du Lion, avec le Caroux et l’Espinouse derrière, les Corbières et le fier Canigou devant, du Mt-St-Clair au Cabo de Creus dans le vague, sur plus de 170 kilomètres, marqués par Valery, Brassens, Monfreid, Machado, Trénet, Maillol... ! »
    A chacun la monotonie qu’il veut voir... 

                                                    Saint-Pierre-la-Mer et les Pyrénées au loin...

    Et dire que nous l’avons suivie, cette route de la Côte Vermeille... Sûr que Cerbère, Banyuls, Port-Vendres, dans leurs baies respectives rivalisent et concourent pour ajouter au charme des Pyrénées plongeant dans la mer  Si les enfants ont apprécié la baignade sur la plage port-vendraise des Tamarins, moi j’ai tenu à m’arrêter avant, en haut du coll dels Belitres (1) parce que nous y sommes allés avec papé et mamé de Tchéco. En dépit de la frontière interdite, un sentier de trabucaires (prononcez svp dans une langue du Sud !), indiqué par un douanier complice, nous avait menés à une auberge. En souvenir, à moins d’y prendre un repas catalan, on ne trouvait alors, que des castagnettes, l’andalouse cambrée d’un éventail, des allumettes en cire, des “bolas de anis” et surtout, on pouvait voir, tout en bas, dans le creux, Port-Bou, coin du voile levé sur les mystères de l’Espagne franquiste du début des années 60... La petite auberge est devenue habitation et le sommet du col où attendait la guardia civil dévoile désormais, en plus de leur fortin et de la colonne phalangiste, un mémorial de la “Retirada”de 1939, l’exode en masse des Républicains espagnols vaincus. 

                                             Espace de mémoire du col des Belîtres / Photo Bernard Grondin.
 
Antonio Machado, le grand poète espagnol, était un de ces fugitifs. Il devait finir ses jours, peu après et non loin, à Collioure, trois jours avant sa vieille mère. Un destin tragique, encore une histoire de chemin :

    « Caminante, son tus huellas (Voyageur, ce sont tes traces)
    el camino y nada más ; (le chemin et rien d'autre ;)
    caminante, no hay camino, (toi qui marches, il n'y a pas de chemin,)
    se hace camino al andar. (le chemin se fait en marchant.)
    Al andar se hace camino (Le chemin se fait en marchant)
    y al volver la vista atrás (et en regardant en arrière)
    se ve la senda que nunca (on voit le sentier qui jamais)
    se ha de volver a pisar. (ne se laissera fouler à nouveau.) 

                                                  Antonio Machado por Leandro Oroz 1925

Voilà où j’en étais, du moins en parcourant notre route de la Clape, face au soleil couchant, dans cette lumière unique d’une fin août, quand le cœur tourne le dos aux embruns iodés pour chercher l’odeur du moût dans les comportes. Sinon, c’était comme sur le chemin de Vinassan où nous partions fêter la famille et l’été. A Combe-levrière, les derniers rayons rasaient la pinède mais après la longue côte des pins de Gibert (la génération d'avant disait “Tarailhan"), nous l’avions retrouvé dans une clarté aussi douce que dorée, sur la mer de vignes de l’ancien étang...
    Je devais vous parler du train, de l’avion, du stress, des tensions, de l’angoisse... il fallait pourtant que je dise d’abord le regret de perdre la bruine salée des vagues sans gagner pour autant le jus sucré des raisins...
    Une, encore, qui a chanté le chemin de l’exil dans les îles, Césaria Evora : 

                                Cesaria Evora / photo Silvio Tanaka / flickr
   
 « Quem mostra' bo (Qui t’a montré)
    Ess caminho longe ? (Ce long chemin)
    Quem mostra' bo (Qui t’a montré)
    Ess caminho longe ? (Ce long chemin)
    Ess caminho (Ce chemin)
    Pa São Tomé ? (Pour São Tomé ?)

    Sodade sodade (saudade, saudade)
    Sodade (saudade)
    Dess nha terra Sao Nicolau (De ma terre de São Nicolau) »

    Laissez-moi à cette saudade, à cette nostalgie, déclinées dans nos langues romanes (4). Ce mal du pays, qui se conjugue avec la mélancolie du temps qui passe, meurtrit mais forme l’âme et la renforce aussi...
    « Pour autant que vaille un homme, il n’aura jamais de plus haute valeur que celle d'être un homme. » (Antonio Machado).

(1) le même sens que belître en français : coquin, pendard, gueux, homme de rien...
(2) «Yo soy un hombre sincero, de donde crece la palma (Je suis un homme sincère de l’endroit où le palmier croît),
y antes de morir me quiero echar mis versos del alma. (et avant de mourir je veux envoyer les vers de mon âme)
Mi verso es de verde claro, y de un carmen encendido (Mon poème est d’un vert clair et d’un carmin enflammé).
Mi verso es un ciervo herido que busca en el monte amparo (Mon poème est un cerf blessé qui cherche refuge dans la montagne). Por los pobres de la tierra, quiero yo mi suerte echar (Je veux que mon destin serve les pauvres de la terre),
y el arroyo de la sierra, me complace mas que el mar ( et plus me plaît le ruisseau de la sierra que la mer).»
Quelle émotion, en castillan si bien rendu par Joe Dassin (1966). Avant de faire l’objet d’une chanson cubaine (1928), l’air de Guantanamera est parti d’Andalousie, vers 1700.
(3) traduit par “apprendre à son gamin ce qu’est un sarment, un buisson (une garrouille ?)", évocation du beau poème de Jean Camp (de Salles-d’Aude) Lou Doublidaïre (avec cette orthographe et la même prononciation que pour ”trabucaire”).
(4) Alliées au français, le castillan, l’occitan, le portugais sans oublier de citer l’italien pour l’interprétation de Guantanamera par Caramel ou son adaptation par Zucchero... 

vendredi 7 août 2015

LE TEMPS POUR UN PÊCHEUR DU GOLFE... (VII) / Fleury en Languedoc


    Entre le temps qui passe et celui qu’il fait, Yves continue de raconter la mer et la rivière nourricières.

    « Les prévisions du temps... on regardait le matin... j’ai appris avec les vieux. Ils se levaient tôt et regardaient la montagne « Ah, veit (avuèi = aujourd’hui), auren de vent, auren de gregau... »
    I coumprenio pares... Je n’y comprenais rien et eux te le disaient avant qu’il arrive « Y a des motons à la montagna : lou cers bufara. » Quand lou solel es arribat, te fatiguès pas (Quand le soleil s’est montré c’était ça...). ou alors ils annonçaient « Ah, veit auren lou vent à la mar...» 
    Ils regardaient du côté de la montagne, en visant les collines de Nissan. Sinon, ils regardaient toujours vers l’Est, jamais dans l’autre secteur, pas du côté de l’Espagne car ce qui arrivait de mauvais venait toujours de l’Est.
    Une fois, avec cette neige du grec qui casse tout... je devais avoir 17 ans. Il a tellement neigé, la rivière était gelée, on pouvait pas aller jusqu’au pont de Fleury, comme d’habitude, et on est allé chercher du pain à Valras en passant par le bord de la mer. Il en était tombé 25 cm au bord de l’eau quand même ! J’avais jamais vu ça. c’était petit vent du nord, et l’eau des vagues se gelait. Quand nous sommes repassés il y avait 50 ou 60 centimètres de dentelle de glace... je m’en rappellerai toujours. Attends, pour geler l’eau de mer ! Tout le monde, avec des sacs ; entre ceux qui allaient gaiement et ceux qui marchaient moins vite, on était une trentaine pour rapporter du pain à tout le village.
    Une autre fois, quand on a été au pont de Fleury, on voyait rien et il y avait tant de neige qu’on savait plus où était la route, et les caves (les fossés), à côté.  Tu savais pas si tu étais sur la route ou dans une vigne. A des endroits on en avait jusqu’au ventre. Celui qui était devant était mouillé jusqu’à la taille. On se relayait, trempes comme des canards ! A la boulangerie, chez Vizcaro, enfin Fauré encore, Paul s’est étonné : « D’ount sortissès ? » (D’où sortez-vous ?) On était partis à 7 heures du matin, et le retour aux Cabanes, à 4 heures, avec le bateau. Je devais avoir 17, 18 ans. Quand il neigeait, couillon, c’était la catastrophe... /...  Autrement, ils regardaient ou la montagne ou l’Est :
« De qué va faire ? » (Qu’est-ce que ça va donner ?) 
~ Sara vent à la mar... (le vent viendra de la mer). »
    Quand il y avait des éclairs à la mer "lamp à la mar, vent à la terra"... Et c’est vrai, le vent du Nord ne tarde pas... Aujourd’hui, pour le temps, les plus fiables, c’est la météo marine (1), ils repassent les bulletins en boucle, tant c’est important.  


~ Et la lune ? 


~ La pleine lune, c’est pas terrible pour la pêche. Ce sont surtout les courants qui gênent, plus que la lumière, parce que les courants sont désordonnés et il vaut mieux une direction unique, dans un sens ou dans l’autre, de l’est ou de l’ouest. Autrement ils étaient bons... A la traîne ils plongeaient d’abord une bouteille attachée deux ou trois mètres sous un liège et ils voyaient si en surface et dessous les courants se contrariaient. Ils constataient si le courant de grebi donnait ou bien le gregau. On était arrêtés à une maille de la terre (100 mètres), à réfléchir, à calculer, stoppés sur les avirons pendant un quart d’heure, vingt minutes, une demi-heure. Si c’était franc, on calait « la pouncho dins lou pounent » fallait aller vers l’Espagne. C’était plus mauvais quand il y avait le vent d’est parce que, dans ce sens là, il fallait "embasser" la terre à l’envers... Ils aimaient pas trop là... Après, les courants proches de la terre étaient forts, alors ça te prenait le filet, tu coulais ! Tu aurais rigolé ! tu arrivais au bord en coulant, tu aurais vu comme ça peltirait (tirer avec force) ! Au lieu de partir par ce bras (celui vers l’embouchure), il fallait démarrer par l’autre. Avec les courants forts, pour un noyé au niveau de Pissevaches, ils nous ont demandé de faire bol pour essayer de récupérer le corps. O ! adieu, on l’a retrouvé aux Ayguades, trois ou quatre jours après... »

(1) et surtout pas nos rigolos des différentes chaînes qui nous embrouillent en donnant le temps huit jours à l’avance, manière d’escamoter leur propension à laisser croire « Tout va bien, vacancez tranquilles... », en minimisant un rafraîchissement ou en exagérant jusqu’à 4 ou 5 degrés la température de l’eau pour que celui qui n’a pas pu partir s’en veuille davantage de savoir le veinard au bord de la mer... 

photos autorisées : 1. ciel d'orage en mer / Rémi Jouan / commons wikipedia. 
2. pleine lune sur la Méditerranée / pixabay.fr