lundi 16 mars 2015

LES RICHES HEURES... (Lapalme, Sallèles) : Fleury d'Aude en Languedoc



Avec les « belles » et autres « très belles heures », ainsi que le précisent ces manuscrits enluminés du Moyen-Âge avec lettrines et calligraphie soignée, le décalage entre la survie du plus grand nombre et le faste culturel des nantis est tel que je ne peux endiguer un anachronisme juste pour dire combien l’histoire des arts promus par les Grands s’oppose initialement au vécu des petites gens. Avec nos villages de Sallèles et Lapalme, l’évocation des rois de France qui impulsèrent la Renaissance, le retour aux sources antiques, l’humanisme contraste avec ce qu’il en était vraiment de la rude condition des vilains et des serfs, aggravée qui plus est par les guerres incessantes, vectrices de calamités aussi nombreuses que variées. En ce sens, il faut regarder les scènes paysannes idéalisées par l’aristocratie avec un recul certain. Je tenais à ce préalable avant de revenir sur l’incidence historique des années 1500 - 1550 dans notre Midi, avant de nous interroger sur plus d’un demi-siècle de « Guerres d’Italie ». Ne devait-on pas, dans la continuité de la Guerre de Cent ans, ces désastres sanglants à des contestations continuelles d’héritages royaux ?
Concernant Sallèles, village historique en circulade (1), vu qu’Alban n’a pas le temps de nous parler du château dit « de François Ier » et du « jardin du Roy » (si vous avez des photos, je suis preneur !), précisons que c’est depuis ce château du seigneur de Fimarcon que François Au Grand Nez suivit de loin le siège de Perpignan dirigé par son cadet, le Dauphin Henri. Passons sur la suite avec le roi qui repart sur Montpellier avant de la laisser livrée à la peste que l’armée avait répandue (2).
Pour ce qui est de Lapalme, le passé médiéval du village est notamment commémoré par « Las Claous de la Paumo » (3). Ces réjouissances du mois d’août s’appuient sur les vestiges : la porte de la barbacane (emplacement d’un pont-levis), la tour de l’horloge, l’ancien château, les vieux remparts. Il faut dire que le territoire, en bord de Méditerranée, a vu passer des peuples, des armées avant que l’Espagne et la France ne s’affirment comme pays. Aussi, les références à l’Histoire sont loin d’être anodines.

En 1503 (sous Louis XII, prédécesseur et cousin germain de François Ier).
Alors que les François assiègent Salses depuis un mois :
“... lorsque Ferdinand qui s’étoit déja fait précéder par le duc d’Albe, ramassant toutes les milices d’Espagne, vint investir les lignes des François avec une armée de plus de quarante mille combattants. Il ne fallut plus songer qu’à la retraite : quelque périlleuse qu’elle fût en présence d’une armée si supérieure, elle se fit avec tant d’ordre que les Espagnols n’osèrent en venir aux mains. L’armée se réfugia sous le canon de Narbonne, abandonnant à l’ennemi Leucate, Palme, Sigean, & un grand nombre de villages, dont les habitants eurent le temps de s’enfuir, emportant avec eux leurs effets les plus précieux. Les Espagnols y mirent le feu parce qu’ils ne se crurent pas en état de les conserver..."
Paul François Velly, Claude Villaret et Jean-Jacques Garnier Histoire de France... volume 11/ 1771. 



Pour cette même année 1503, voici ce qu’en retiennent Dom Claude de Vic et dom Vaissete dans le tome 8 1844.de leur Histoire générale de Languedoc avec des notes et pièces justificatives composée sur les auteurs et les titres originaux et enrichie de divers documents, parue en 1844 :
« Le maréchal de Rieux étant arrivé à Pézenas, y rassembla trois cens lances ; et après avoir été joint par un corps d’infanterie Suisse, il s’avança vers Narbonne, à la fin du mois d’août 1503, dans le dessein d’entreprendre le siège de Salses en Roussillion, sur les frontières du diocèse de Narbonne. Il marcha à la tête de son armée de vingt mille hommes tant de gens d’ordonnance que de milices de la province, et vint camper à la Palme.../... investit la ville de Salses et en commença le siège le 10. de Septembre. Ferdinand, roi d’Espagne.../... avait donné le commandement à Frédéric de Tolède duc d’Albe qui vint camper à Rivesaltes... /... le maréchal de Rieux, se voyant inférieur, prit le parti de lever le siège et de se retirer en Languedoc.../... le duc d’Albe fier de cet avantage, entra dans le diocèse de Narbonne et assiégea Leucate le 28 d’Octobre. La garnison qui n’était pas en état de capituler fut obligée de capituler. cette conquête fut suivie de celle de la Palme, Sigean, Fitou, Truilhas, Roquefort, Castelmaur, S. Jean de Barrou, Fraisse, Villeseque et autres châteaux, bourgs et villages du païs jusqu’à Narbonne, où notre armée, qui était campée aux environs, arrêta les courses des Espagnols. Les Ginets d’Espagne mirent le feu à la plupart de ces lieux, exercerent partout des ravages affreux, et firent un grand butin. La ville de Narbonne fut seule capable de borner les courses des Espagnols, qui d’ailleurs n’osèrent rien entreprendre davantage, à cause que la saison étoit trop avancée. Gaston de Pierre-Pertuse fut accusé d’avoir favorisé les Espagnols.
.../... Les deux rois convinrent d’une trêve de cinq mois, et elle fut ensuite prolongée pour trois ans. Enfin ils conclurent un traité et se liguèrent en 1505. Ferdinand roi d’Espagne épousa ensuite en secondes nôces Germaine de Foix, nièce du roi, et fille de Jean de Foix, vicomte de Narbonne » 

Une certaine géographie étonne aussi, en dehors de la situation sur un couloir de communications aussi ancien que l'installation humaine : Lapalme, en effet ne possède pas de façade maritime, La Nouvelle et surtout Leucate s’accaparant le bord de mer (4) ! Aussi, les Palmistes ont-ils bien raison d’afficher sans ambiguïté que la plage des Rouets, où se situe la prise d’eau pour les salins, est bien la leur !
Merci Lapalme, merci Sallèles, merci Alban, merci Fabien pour, après celles du duc de Berry, ces « riches heures » que nous vous devons. Ah ! un dernier pont entre vos deux villages : si à Sallèles on a la cambo roujo, à Lapalme, les Paumencs et Paumencos (les Palmistes pour les Parisiens qui ne sauraient pas le français...) ont la cambo carrément brûlée, tourrado ! En attendant qu’ils daignent nous expliquer le pourquoi de la chose, fermons le ban avec un bien joli détail : depuis la nationale, en haut, à la Calade, la route d’accès s’appelle « Chemin des poutous » ! Ça me donne envie de chanter la Baptistino, macani ! Bravo les amoureux ! 



(1) On parle de village en rond, de village circulaire autour de l’église ou du château, avec des remparts pour limite. Wikipedia fait état du terme "circulade".
(2) voir “ Histoire de la Ville de Montpellier" / Charles d’Aigrefeuille 1737.
(3) source Wikipedia.
(4) Étrange aussi de constater que, loin d’être partagé, l’étang appartient en totalité à la commune de Leucate sans rien pour les autres villages dont Fitou ou Caves et Treilles, paurets qui n’ont rien du Paurel, la pointe nord ! Aussi anormal que chez nous, Narbonne qui s’est attribué la plus grande partie des Exals et le port en passant par-dessus le thalweg comme on passe par-dessus la jambe ! 

photos autorisées commons wikipedia 1 & 4 blasons de Lapalme et Sallèles / 2 & 3 barbacane de Lapalme.  

samedi 14 mars 2015

LAPALME rien sur la côte mais tant par le travers... / Fleury d'Aude en Languedoc.





Après Narbonne, le train de nuit file vers Cerbère. Les Parisiens se réveillent et se frottent d’autant plus les paupières qu’un jour nouveau rallume les bleus de Méditerranée, entre ciel et étangs. Le dépaysement, un émerveillement pour les yeux, une magie entretenue par le canal, les îles, les cargos, les salins, les vignes dans les sables, la mer qui se devine avant de s’affirmer jusqu’à la courbe de l’horizon. Ils sont sous le charme et les locaux devraient se pincer aussi, non pas le nez parce que ça sent l’algue... et la vase, mais pour ne pas en banaliser la beauté toujours renouvelée, sous une lumière qui rapproche étrangement de la Grèce (1). La falaise blanche du Cap des Trois Frères. Leucate-La Franqui : une halte champêtre sur la ligne ; le rail a longé seulement la commune de Lapalme, à l’abri des regards, dans notre dos... Faut-il qu’ils soient heureux pour vivre ainsi cachés ! 

Parce que par la route l’impression se confirme : en haut d’un ultime contrefort des, il y a bien un embranchement mais il n’indique que la direction du village. La nationale qui en descend suit une longue courbe pour rejoindre la platitude plus à l’ouest et l’interminable ligne droite prioritaire (attention à l’excès de vitesse) permet à peine de remarquer un second carrefour, à gauche vers le village (aujourd’hui un rond-point). Et même cette départementale vers le port de la Nouvelle, longeant l’étang, ne dévoile rien de la localité, pas plus quelques toits regroupés qu’une pointe de clocher ! Combien sont-ils les gens qui passent ainsi sans rien savoir du territoire de Lapalme ? A Victor Hugo, au collège, nous avions un condisciple d’ici, Denis M., sauf erreur de ma part. Sinon, pour avoir fait ce trajet des années, en train ou en voiture, je me sens aussi coupable que vous, qui passez sans la voir... 

Jusqu’à ce que ce même faisceau de circonstances, de coïncidences qui remplissent les hasards de la vie, vienne s’enrichir d’un nouveau neveu par alliance, Fabien, vous savez, celui qui m’envoya cette si jolie vue des amandiers en fleur avec l’étang, les salins et un cargo en fond. Copain, qui plus est, avec Alban de Sallèles (2) comme l’était René Iché avec Joe Bousquet le poète qui vécut cloîtré dans une chambre aux volets toujours clos (3) alors que, enfant, il passait ses vacances auprès de ses grands-parents, dans la lumière de l’été à Lapalme.
Pour passer de Sallèles à Lapalme, même François Ier s’invite. Il est vrai que les guerres menacent d’abord les frontières et celles qui eurent pour prétexte l’Italie (4) nous concernèrent aussi. La France, l’Espagne, le Roussillon entre les deux furent le cadre d’assauts et de retraites successives. En 1536 les renforts d’Espagne devant rejoindre les troupes de l’empereur avancées en Provence furent arrêtés à Narbonne ; en 1537, les plénipotentiaires de François Ier et de Charles Quint conférèrent aux Cabanes de Fitou et en 1542, c’est parce que l’armée du Dauphin assiégeait Perpignan avec 45000 hommes que François Ier avait séjourné six semaines à Sallèles d'Aude (5).
Mais revenons à Sabarthès dans ce que nous apprend le dictionnaire topographique de l'Aude.
Au fil des entrées, le nombre de bergeries mentionnées pourrait étonner (6). Sabarthès n’en mentionne pas moins de 14 :
Caraguel / la Claret / Le Curé, aussi métairie cad / Fabre / Fauran / la Jasse Rouge 1779 / Martrou/ La Mayrevieille / Pelissié / Pla / La Jasse de Prouille, également lieu dit 1779 / Les Razouls / Serriès / Soucaille. Impression confortée par la consultation de l’ex-carte d’état-major de Geoportail : les Trois Jasses / les Cortals d’Aval. 

LAPALME (évolution dans le temps du nom de la localité) : canton de Sigean, église dédiée à St Jean l'Evangéliste : Palma 814, 837, 899. 

Lapalma XIV /
La Palme 1781 /
La Paumo (vulg.)(le « vulgairement parlant » de Sabarthès correspond seulement à l’usage par la population de l’occitan dans sa variante languedocienne).
Concernant l'étang et "l'eau des collines" :
Canal de Niquet, du nom de l’ingénieur qui avait commencé à creuser un canal à travers l’Etang de Lapalme devant relier La Nouvelle à Perpignan / mentionné dans le dico topo de Sabarthès en tant que « Canal qui n’est qu’ébauché » 1789 / 
La Jongrausse grau  1538
Le Moulin, moulin à eau et à vent au lieu dit Le Labadou / 
Lapalme étang /
Montauriol écart sur les bordes de l’étang Tuilerie 1781 /
Œil-de-Ponse œil de mer /
Le Rieu rivière torrentueuse tributaire de l’Etang de Lapalme arrose Feuilla, Treilles et Lapalme Ruisseau du Gazel 1781 (7) /
Le Salin écart, ancien poste de douaniers.
Autres mentions (f = ferme) : Abet f; / Belisses f XVIII / Benaïs ferme commune Lapalme / Le Crès f / La Corbière lieu dit Lapalme, La Courbière 1779 / Gazagnol f 1781 /
Glabanel lieu dit, anc fief du vicomte de Narb ; sur ce terroir était construite l'église rurale de saint Vincent /
La Halte station chemin de fer sur la ligne Narbonne Cerbère / Monsieur le Curé f / L’Oratoire chapelle ruinée ss le vocable de sainte Madeleine sur le chemin de Leucate / Roc-des-Quatre-Seigneurs point de contact Feuilla, Lapalme, Roquefort-des-Corbières et Treilles / Cap de Roumani ancien promontoire Caput de Romanino 1294 / Sainte-Madeleine oratoire ruiné La Capelette 1737 / Saint-Pancrace ferme et ancienne église, prieuré uni à l'abbaye de Lagrasse "Sanctus Branquassius " 1295 / Saint-Vincent ancienne chapelle ruinée sur l’ancien chemin de La Nouvelle (voir Glabanel) / La Tuilerie écart XVIII / Vergues ferme / Villarzel lieu dit Villargel 1779.
(1) Jacques Lacarrière, helléniste reconnu l’a écrit à propos des Corbières Maritimes. Le nom de Leucate vient du grec ancien λευκός (leukós) qui signifie « blancheur », « blanc ».
(2) Alban quia ses attaches à Canto-Perdrix alors que le lieu-dit «Chante-perdrix existe aussi chez Fabien, à Lapalme... décidément, les coïncidences...
(3) le 21 mai 1918, une balle allemande toucha sa moelle épinière causant une paralysie des membres inférieurs. Son oeuvre poétique est marquée par cette claustration qui lui fit refuser la lumière du jour, rue de Verdun, à Carcassonne. Un titre La Tisane de Sarments m’a longtemps attiré jusqu’à ce que je réalise que le roman, loin du bucolique lié à nos vignes, exprimait une souffrance seulement contenue par une exaltation spirituelle. Est-ce fortuit si dans l’adaptation télévisée de 1979, c’est Philippe Léotard qui tient le rôle de Joe Bousquet ?
(4) De 1494 à 1559 dont trente ans de conflits, neuf guerres d’Italie marquèrent la résistance du royaume de France, déterminé à récupérer l’héritage de l’aïeule Valentine Visconti en Italie, aux visées hégémoniques de l’empire des Habsbourg désireux de récupérer la Bourgogne et de fermer ainsi de tous côtés son emprise sur la France. .
(5) Sallèles “lieu de Plaisance, appartenant pour-lors aux seigneurs de "Fimarcon" dut aussi recevoir la cour du souverain.
(6) L’élevage principal étant celui du mouton, notons que dans les années 50, les troupeaux restaient nombreux avec de nombreuses bergeries dans les villages même (peut-être trois encore à Fleury rue des Barris par exemple).
(7) d’autres ruisseaux temporaires (voir Geoportail) descendent des "calcaires crétacés des Corbières Orientales" (Petit Robert 2).
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