Affichage des articles dont le libellé est muge. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est muge. Afficher tous les articles

vendredi 30 juillet 2021

QUAND NOUS PARTIONS PÊCHER A AUDE, A BICYCLETTE... (3)


 

Le but est de provoquer l’attaque du poisson herbivore plutôt omnivore à moins que ce ne soit pour l’énerver avec une escabène protidique poursuivant une proie... La logique nous fait dire le contraire mais c’est bien un ver qui poursuit la cuillère censée représenter le fretin. Entre nous, tant mieux si le peu que nous croyons savoir flotte entre ignorance, contradictions et auto-persuasion. Positiver par exemple à la vue d’un ventre qui se tourne et lance un reflet d’argent, en déduire mort et fort (1) que le poisson a faim et qu’il devrait être intéressé par l’appât jeté sous son museau. On pense aussi que les muges ne remontent la rivière qu’au fil de la saison. On pense vaguement quand le crin siffle et que le buldo plouffe au ras des canotes ou du tronc moussu immergé.

Mais tout reste tendu vers la proie à accrocher : les boucles du bas de ligne, le fil à la trajectoire courbe si le courant s’en mêle, le scion légèrement busqué, le crin entre chaque anneau, comme une corde de guitare, l’arceau de faction, tel un radar et au bout, sur la manivelle du moulinet, trois doigts prêts à ressentir le moindre à-coup prometteur. Au bout du bout, il faut le voir, lui, son pull «père Noël qui est une ordure», short «rugby-Platini», un brin «dragueur-tennis» (les baskets n’étaient pas tendance...), un peu «Aldo la classe» dans l’attitude, fente avant, pieds campés.

Et s’il dit «touche !», tous le fixent ; «touche» encore ; à la troisième, fil tendu, canne arquée, lui se cabre, desserre en urgence le frein et retient tant qu’il peut par peur de casser : le muge, très bagarreur, oppose son flanc à la traction ; jusqu’aux derniers coups de queue à l’approche des canotes, la lutte est âpre. En regard, le matériel est costaud : 30/100e pour la ligne, canne et moulinets moyens au moins... la finalité est de rapporter du poisson. Le pêcheur a demandé le salabre ; l’assistant doit en présenter l’ouverture par en dessous, sans plus bouger faute de provoquer une réaction ultime, malencontreuse ou providentielle suivant le point de vue du tenant ou du tenu. Attention de bien saisir la prise depuis la tête : la première nageoire dorsale porte quatre aiguillons épineux ! Sauf maladresse, le poisson retrouve l’eau mais dans un sac à patates, captif.

Vers midi, à vélo, en mobylette, les traqueurs de muges remontent au village. En même temps qu’eux, des solitaires tel ce père de famille nombreuse, le sac de jute dégoulinant d’eau sur son solex. Si les sardines et les maquereaux des Cabanes (2) sont alors aussi frais qu’abondants et abordables, les muges représentent une manne pour qui a bien des bouches à nourrir. Il se prépare bouilli, au four avec des rondelles de citron, à la braise de sarments. N’en déplaise aux difficiles, c’est un bon poisson ; certains le préfèrent au loup. (à suivre).

(1)  De l’occitan «fort e mort» ou «mort-à-fort» : opiniâtrement, obstinément (Trésor du Félibrige / Frédéric Mistral).

(2) On pourrait aussi citer le thon ou les anchois à conserver. 


vendredi 23 juillet 2021

QUAND NOUS PARTIONS PÊCHER A AUDE, A BICYCLETTE (2)

Descendre dans le lit de la rivière, parce qu’on dit «la rivière», mot plus famille, proche, alors que dire «le fleuve» marquerait une certaine distance, une expropriation presque, sinon un brin de prétention, révèle comme un retour à l’animisme originel (1).

Descendre le pied léger, en parlant bas, ce n’est pas seulement parce qu’il faut être le plus discret possible, c’est aussi parce qu’en regard de cette eau qui n'arrête pas de passer, un respect instinctif atteindrait presque au culte. La rivière forme un monde clos, véritable oasis par l’été rogue du Sud, trop chaud, trop sec, trop cuisant. L’impression est diffuse mais réelle sauf que nous ne sommes pas là pour les mots qui disent la sensation brouillée qui nous frôle telle un amour révélé de jeunesse... «Sensation», la sublime ode à l’homme dans la nature signée Rimbaud, l’exprime trop bien. Sauf qu’on est là pour les poissons. Alors, même si Rimbaud nous engage pour une ébauche, la palette de mots pour peindre la magie de notre rivière reste limitée. 




Concernant le tunnel de verdure avant d’aborder le milieu saumâtre, nous parlons de canotes pour les sénils des roselières, de tamarin pour le tamaris les pieds dans l’eau, de carabène pour le grand roseau dit aussi «à quenouilles» ou «canne de Provence», celui qui donne les anches des clarinettes, ou refendu, forme les canisses. 


Et on ne sait pas le nom de ces arbres altiers qui leur disputent les berges. Dit-on peuplier ? «Arbre blanc» ? Même pour le vent, comme par répugnance à dire «Cers», on se satisfait du «vent du nord» au temps où les bavards de la météo venue d’en haut ne se rengorgent pas tous azimuts de tramontanes multiples quand ils focalisent sur le soleil du Midi et la mer des vacances... Passons, restons au milieu des années soixante... si le Marin et le vent d’Espagne savent être symphoniques, le Cers, lui, touche au philarmonique ! Il faut l’entendre caresser les houppiers, obliger les canotes à baisser la tête pour balancer en vagues tandis que les chasseurs d’Afrique et les hirondelles glissent leurs trilles et babils. Plus fort, il brusque les feuilles des arbres blancs et fripon, dévoile la ouate de leurs dessous. Violent, en rafales, le Cers entrechoque les tiges creuses des colonies échevelées de carabènes poussées, pour celles des «... humides bords des royaumes du vent...» jusqu’à noyer leurs pointes. Un gros poisson saute parfois et ajoute un flap de grosse caisse... Justement, on est là pour les poissons et ces sensations, adagio, moderato, allegro ou presto ne peuvent qu’infuser avec le temps.

Sans plus tarder, le lancer se déplie, le buldo se remplit moins ou plus... On vérifie que la cuillère à muges tourne bien sur sa hampe, apte à lancer ses éclats sournois... L’escabène pantelante cache le crochet meurtrier... Suivant la partition jouée par le vent, on entend plus ou moins le clic de l’arceau ouvert, la parabole du crin qui se dévide, le plouf du buldo, le clac du moulinet qui se referme pour rembobiner. Avec l’habitude, le bas de ligne doit tomber au ras des canotes ou près d’un tronc immergé qui dépasse : les muges aiment ces proximités. Certains spécialistes, les mêmes capables de lister les noms scientifiques alors que nous ne distinguons que la lisse argentée du camard doré à l’odeur peu goûtée de vase, expliquent que ces poissons aiment brouter la mousse bien verte des petites algues. Bref, il faut le surprendre, le provoquer pour qu’il attaque... (à suivre peut-être)   


(1) D’instinct l’humain s’efface devant l’élément. En dépit de son acharnement, il ne peut le dominer : les barrages cèdent parfois, les inondations catastrophiques le surprennent régulièrement, l’eau emporte et les gabions de caillasses et les limons un temps offerts. Pourtant son obstination l’incite à s’accaparer, ainsi il va aménager certains postes de pêche, tailler des marches, ouvrir les sénils, se l’approprier en quelque sorte, serait-ce provisoire... Aussi, quel n’est pas son dépit si la place est déjà prise...  A propos, au bord de la rivière, n’empiète-t-on pas sur la propriété d’autrui ? Non, elle est domaniale donc publique sauf qu’on passe par un pré ou le bord d’une vigne pour y accéder. Ici pas de clôture pour dissuader, pas non plus de bétail à garder il faut dire... 


 

mercredi 6 janvier 2021

A la recherche du POUMAÏROL perdu (3)... DES POISSONS, LE SOMAIL, LE CANAL, MIREPEISSET.

 Serge et Roger sont en route pour le mystérieux pays perdu du Poumaïrol, un plateau aux confins de l'Aude, du Tarn et de l'Hérault. C'est une chronique vieille de plus d'un siècle qui les a fait bouger. Elle  parle des filles de là-haut, si taquines et provocantes, ce qui ne manque pas d'émoustiller nos deux complices dont les souvenirs et les yeux pétillent encore... 

Leur camping-car a mis le cap vers la montagne et d'abord les garrigues même si le vignoble y reste très présent. L'itinéraire franchit l'Aude et reste parallèle au cours de la Cesse. Ils viennent de traverser le village de Saint-Marcel. 

Pour plus de précisions voir : 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/vignobles-de-la-plaine-chataignes-des.html
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/ces-vieux-schnoks-errants-quon-les.html
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/01/chateaux-pinardiers-chansons-boire-la.html
 
Roger : pourtant il y a des poissons et des pêcheurs bien sûr, enfin qui passent j'espère plus de temps à préserver qu'à prélever la ressource. Ils les sauvent même quand il ne reste plus que quelques flaques... J'ai eu lu que les espèces étaient nombreuses contrairement à ce qu'on pense : goujons, ablettes, vairons, gardons, anguilles, chevesnes, carpes, brochets et même le rare barbeau méridional. 

Serge : Oh là ! On voit que tu étais souvent à Aude toi ! 
 
R. : ah la pêche... tu sais qu'en été les muges, bouillis, en bourride, au four ou au grill arrangeaient bien le budget des familles nombreuses et modestes. On entendait les loups, aussi, chasser dans les canotes... Maintenant, avec le barrage anti-sel, nous avons plutôt des espèces d'eau douce et avec le sandre venu du Danube, le silure et sa grande gueule... 
 
S. : tu peux le dire : une vidéo les montre à Albi à l'affût des pigeons qui viennent boire et se baigner... Vous ne savez pas ce qu'ils bouffent ! 
 
R. : j'en ai parlé à Max. J'espère qu'il pourra m'en dire davantage lui qui connaît, pour ne parler que de notre secteur, jusqu'à l'étang de Capestang mais que veux-tu, on n'a le temps de rien. 
 
Chapelle et pont en dos-d'âne Le Somail wikimedia commons Auteur Thierry de Villepin

Le Somail panoramio wikimedia commons Auteur jquintana
 
S. : Le Somail, à un jet de pierre, un joli coin, un pont en dos d'âne, une vieille auberge pour le coche d'eau, une librairie avec 50.000 vieux livres ! Et le Canal du Midi bien sûr. 
 
R. : à partir d'ici, le canal s'écarte vraiment de l'Aude au débit trop capricieux et dangereux. Au début, ils envisageaient de rejoindre l'étang de Vendres pour de là, filer vers Agde... Alors est-ce pour cette raison ou parce que Riquet était de Béziers qu'il est passé par la "capitale du vin" ?  

S. : c'est joli comme coin, maintenant si les platanes sont condamnés à cause du chancre doré, l'ombre des grands arbres sur le chemin de halage ne restera que dans nos souvenirs et les photos et vidéos à montrer aux jeunes générations... Je ne sais plus quel est le couillon qui a osé dire que nous vivions une époque formidable... 
 
Le Somail Canal du Midi wikimedia commons Auteur Thierry de Villepin

R. : hophophop tu dérailles là ! justement "l'Epoque Formidable" c'est un film avec Jugnot au chômage qui rejoint des SDF... c'est une antiphrase... 

S. : antiphrase ! pléonasme ! ton français savant me fatigue... 

R. : dis donc ! "pléonasme" c'est toi qui l'a dit je te signale ! Moi je ne connais que l'anaphore parce que je pense à ce rigolo qu'on a eu comme candidat et malheureusement aux commandes aussi... "Moi président, moi président" je crois que c'est ça l'anaphore mais je ne m'en souviens qu'en pensant à la tête d'amphore de Hollande... 

S. : je veux bien que tu personnifies un col d'amphore en tête vineuse sinon, excuse-moi mais ça ne veut rien dire... 

R. : Si, ça veut dire qu'il m'a dégoûté mais qu'au moins grâce à lui, je connais au moins l'anaphore... 

S. : un moyen mnémotechnique... 

R. : et tu me dis ça la bouche en cul de poule ! Tu ne disais pas il y a une seconde à peine, que le français savant te fatigue ? 
 
S. : Tu as finis oui ?!?! Tiens regarde à droite, Mirepeisset, en occitan au mot à mot "regarde les petits poissons"... 
 
R. : oui si les silures ne sont pas là pour les avaler parce qu'à Sallèles ils ont terrorisé les canards à une époque ! 
 
S. : Et alors ? 
 
R. : et alors la mairie, plutôt pour les canards si mignons aux yeux des promeneurs, a fait une battue, je ne sais pas s'ils ont vidé le canal de jonction mais ils se sont débarrassés des silures... glanes ! Nous arrivons au carrefour de la Minervoise, un rond-point plus qu'utile parce qu'il y a eu plus d'un accident mortel ici, du temps où il y avait un stop et que la vitesse n'était pas limitée !  

S. : et la Cesse cesse pour nous... 

R. : ça se sait et ça s'est su, c'est selon... elle cessa, c'est ça, on la laisse et Bize avec, dont on a parlé il y a peu ; on la retrouvera dans sept kilomètres, à Aigues-Vives je pense...