L’après-midi, tout le monde redescend à la rivière où les places sont toujours aussi chères. Parfois des Héraultais se retrouvent de l’autre côté. Mais est-ce parce que des rivalités entre villages ou le département limitrophe sont vives que le fleuve, dans sa sagesse, dispose ses spoliateurs de la gaule suivant la configuration concave ou convexe de ses rives ? Néanmoins deux postes de pêche peuvent se faire face et comme chacun vient aguicher le muge jusqu’aux pieds de l’autre, à l’occasion d’un accrochage, de vieilles rancunes sans fond peuvent se rallumer. Pourtant, si un canot à moteur remonte l’Aude comme pour explorer un cours d’eau d’Amazonie, tout le monde est d’accord pour bombarder l’intrus avec des tures (1) et force insultes et hurlements d’Indiens indomptés, plus horripilés encore si une naïade a le malheur de bronzer sur le pont avant (2).
En fin d’après-midi, il arrive que l’un des jeunes se mette à l’eau pour récupérer un bas de ligne piqué de l’autre côté sur une branche basse ou parce qu’il a repéré un buldo perdu qui pendouille sur une carabène : il n’y a pas de petite économie et ce seront moins de francs laissés au bureau de tabac. L’ombre se fait plus épaisse au bord de l’eau et par un jour sans vent, des nuées de mouissals (moucherons) attaquent ; seule la fumée de canotes vertes peut les tenir à distance.
Puis vient le moment de partir. En haut, le long de la vigne, la lumière reste vive. Nos pas, dans l’herbe, font «... naître un bouquet changeant de sauterelles, de papillons...» sans les rainettes... le climat est plus sec ici que dans la chanson de Montand «A Bicyclette» (1968). Sans l’heure d’été (3), «... quand le soleil à l’horizon profilait sur tous les buissons nos silhouettes... », le retour vers le village sur son coteau, c’est tout à fait la chanson de Montand sauf que Paulette n’est pas plus là que les rainettes... Les filles, les femmes, personne n’en parle sinon par le biais des chansons paillardes initiatiques braillées dans le car du rugby... L’emprise de la religion, de la morale, le poids des traditions, des tabous font que la maturité psychologique n’est pas en avance mais cette préoccupation ne va pas tarder avec l’été à la mer, les bals et le cacolac de l’entr’acte payé, sans garantie en retour, à sa cavalière. Nous parlons, nous vivons poissons : parce que j’ai le tort d’être allé plus loin que le patelin et la rivière, Robert me traite de cracaire puisqu’un silure glane ne peut pas peser plus de 100 kilos ! Mais qui pourrait croire une craque aussi grosse ! Djeou tu exagères ! Tu les fais encore ricaner, allons, pêcher des ablettes à la mouche de cuisine dans l’Aude ! Et pourtant, après avoir lu «la Boîte à Pêche» de Maurice Genevoix, j’en ai pris, sur fond sableux, à la Barque Vieille ! Rire avec les autres, ne pas s’en savoir mal, ne pas prêter le flanc aux moqueries... C’est bien qu’il y ait une mouche du coche alors qu’on pédale ensemble et puis c’est progresser vers la maturité psychologique non ?
«Y avait» Robert et René, Jean-Marie, Joseph et José, Guy et JF
«Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
A bicyclette...»
(1) Mottes de terre.
(2) Une scène du Petit Baigneur tournée sur les bords de l’Aude (1968) avec imprécations en occitan exprime bien le ressentiment des locaux pour ce tourisme de nanti se croyant tout permis...
(3) Une heure d’avance sur l’heure solaire dite «heure vieille», une de moins par rapport à celle d’été.