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jeudi 16 janvier 2020

AURIO CAUSIT UN POUDAÏRE. J'aurais choisi un tailleur (fin) / un océan de vignes..

Diplotaxis fausse rouquette commons wikimedia auteur Jean Tosti Thuir 2005
"Rien n'est plus vivant qu'un souvenir." (Federico Garcia Lorca). 
La scène demeure gravée : RN 113, après Montagnac, un routier, les grands pins d'un domaine puis deux vallonnements en ligne droite. Le vent fait courir des petits nuages qui estompent par moments les rayons blafards de janvier, déjà obliques en ce début d'après-midi. A droite une allée de mûriers dépouillés mais qui toujours rappellent le nourrissage des vers à soie que nous nous amusions, enfants, à élever. Mais comment voir tout ça alors à 90 à l'heure (1), et qu'il y a un véhicule à doubler malgré les montagnes russes. 


A gauche, des vignes, un tapis d'erbo blanco entre les rangs et au bout d'un fouillis de sarments nus et entremélés, entre l'embroussaillement et la géométrie épurée des ceps alignés, jalon entre le travail fait et celui à faire, mon poudaïré. Vers quatre heures il va rentrer au village avec des souquets (2) pour le feu, avec des poireaux sauvages pour la vinaigrette. Sur la plaque de la cheminée la cafetière l'attend. Sa cuisine est rustique mais pour moi qui vais par force vers l'appartement au chauffage central, le café à la chaussette, même la fumée douceâtre des souches me coûtent trop... Du Bellay regrettait "... Quand reverrai-je hélas, de mon petit village, fumer la cheminée..." et ma gorge nouée ne laisse plus rien passer

Alors plutôt que le côté accompli des vendanges, celui des fleurs en juin comme autant de promesses, celui des matins calmes et sans vent  pour saupoudrer les pampres de jaune ou les atomiser de bleu (3), j'aime beaucoup le temps de la taille, "le geste auguste" (4) du poudaïré qui, dans l'art de former en gobelet, projette et son être et chacune de ses souches, huit, neuf mois plus loin. Après avoir attendu qu'en échange des tons chauds de l'automne, les feuilles aient rendu sucre et protéines aux racines, pour déjà anticiper le renouveau à venir, il s'échine, pied après pied, dès que la palette colorée se fond dans les bruns du vieux bois et de la terre. 

"... On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours..." (4) 

Si digne dans la persévérance, le respect de la nature, humble comme les paysans d'un tableau de Millet, à la merci des éléments, bien que tenace, il se sait si petit et insignifiant dans l'Univers en marche. Comment ne pas sentir que cette sublimation en appelle à un Créateur protecteur ? 

Calendula arvensis. Le souci des champs ou sauvage est, entre autres bienfaits, réputé antibactérien, anti-inflammatoire (fleurs), antitumoral. Les feuilles sont diaphorétiques (stimulent la transpiration), On la consomme depuis longtemps en salade. Ses fleurs, très mellifères, résistent au gel ; séchées elles servaient à colorer le beurre ou le fromage.

Et puis, malgré les gris et les bruns, l’hiver en Languedoc, c’est déjà, dans le ciel, la lumière revenue du solstice. Le soleil a fait fleurir l'erbo blanco et le petit souci jaune ou orangé. Et qui sinon le poudaïré, pour annoncer par tout le village le premier amandier en fleur, le printemps qui ne saurait tarder (5) !
"Printemps tu peux venir !" Théophile Gautier
Si Jean Camp, homme de lettres, sallois de naissance, s'appropriait, pour fêter Noël, Jésus en vendangeur :         

"Bèl Nadal, me fas rebastraire
Se lo Bon Dieu m'avia causit
Auriai volgut faire, pecaire,
Davant lo monde estabosit,
De nostre Sénher, un vendemiaire
Se lo Bon Dieu m'avia causit."(6)

... Moi j'aurais mis un santon de plus dans la crèche. En plus du vigneron et de la vendangeuse, j'aurais choisi un poudaïré, encore un peu penché sur sa souche nue et tordue !  
Et quand nous invoquons Ferrat, Lorca, du Bellay, Hugo, Gautier, tant de poètes, c'est seulement que le poudaïré a ajouté son couplet au chant du Monde. 
 
(1) la limitation date de 1974 je crois...
(2) le bois mort ou éliminé pour favoriser la charpente de la souche. Le rasséguet, une petite scie portative que le poudaïré porte à la ceinture, est utilisé à cet effet. 
(3) soufre et sulfate de cuivre.
(4) Le semeur, Victor Hugo.
(5) premier amandier signalé sur Narbonne le 5 janvier (du mimosa aussi).
(6) Déjà traduit dans un article antérieur

samedi 2 novembre 2019

LA SARDO, le festin qui clôt les vendanges ! (suite & fin) / les vendanges à Fleury.

Jean Camp
Suite de la sarde dans la Clape, quelque part vers la chapelle des Auzils : extrait de Vin Nouveau, un roman de Jean Camp paru en 1929.

"... Le maître s'est assis au centre de la table. A sa droite la "moussègne" qui dirigeait la file ardente des coupeuses ; à sa gauche, Elida, la plus jolie fille du pays qui va se marier dans quinze jours. [...] Placide et les femmes mûres passent les pots et les plats. [...] nous sommes ici entre paysans qui savent que le pain qu'ils broient et les mets dont ils se nourrissent sont des choses sacrées et qui coûtent à produire.
On mastique à grand bruit, posément [...] les quartiers de viande disparaissent avec tranquillité. de larges rasades les accompagnent. les cruches vont et viennent de la barrique aux mains des dîneurs. Les chiens rôdent autour, langue pendante, et broient les os dépouillés qu'on leur lance généreusement. [...] Parfois, hilare et ruisselant de graisse, un mallorquin rote bruyamment et soulève des tempêtes de quolibets ou de protestations [...]
le maître rit à cette liesse qu'il a voulue; il remplit le gobelet de la moussègne qui proteste et qui sent chavirer sa tête ; il glisse une galanterie à Elida qui, rouge de chaleur et de plaisir, se renverse, le corsage tendu, et rit aux anges, en coulant de loin, un regard à son promis. les saladiers sont vides, les gigots avalés, les os aux chiens, les cassoulets engouffrés, tandis que les vins guillerets de la plaine coulaient à flots.
Et voici l'heure ardente et douce des desserts. Les matrones portent à bras tendus les tours frissonnantes des flans dorés nageant dans une mer de crème, les pyramides sucrées des coques (...) Les grappes croulent (...) On se lance des grains à la tête. Les gars ont ouvert leur gilet, leur chemise et montrent le poil de leurs pectoraux. Les filles ont la gorge nue, les lèvres écarlates, les pommettes chaudes. des refrains s'élèvent, titubant (...) et cassés soudain par une rafale de cris confus [...]
Le maître a quitté son siège [...] Les vendangeurs s'égaillent à la recherche d'un retrait vers lequel ils traînent une fille, consentante et folle qui se pend à leurs bras, les baise à pleine bouche et secoue sa crinière brune en dévalant les pentes glissantes de la colline... "

Ah ! me concernant plutôt que les pentes glissantes de la colline, ce ne fut que le raide rampaillou en bas du roc des Pénitents. Qui devinerait aujourd'hui qu'en surplomb de la route, au pied de la garrigue, juste séparées par quelques amandiers ou un figuier proche d'un bassin bleu de sulfate, de petites vignes se côtoyaient sur deux courbes de niveaux aujourd'hui squattées par des genêts et même des pinèdes. Et faute de faire équipe avec une belle brune, je me coltinais les comportes pleines. C'était raide avec en prime un lacet... C'est la responsabilité des raisins qui rend le souvenir si présent et si plaisant à rappeler... Le pontet de grosses pierres plates à passer, les voitures en bas, pas l'envie de faire l'andouille ! Combien de coustals sur la remorque ? Une dizaine peut-être... Elle n'est pas haute car attelée à un motoculteur vert qui se mène avec un guidon. 



C'est un Holder, vert et à coup sûr vaillant vu le petit moteur !
Et si j'en parle, ce n'est pas pour le petit Holder, vert et vaillant pour sa taille, c'est parce que c'était chez Odette et Georges Bonnet ; ils nous avaient embauchés avec Vincent... quatre personnes, la petite colle, familiale, des patrons gentils, doux et aimants... Et à la fin, nous avons été invités pour la sardo !

Un bon pâté onctueux de Lacaune, des œufs au mimosa... j'imagine peut-être. Je ne me souviens pas du dessert (une île flottante ou un flan aux œufs, peut-être quelque chose de jaune mais là je brode)... par contre, le lièvre à la broche et servi avec son saupiquet, pas un salmis, ça, j'en suis certain !  

Pas chez Odette, le tourne-broche, mais chez mamé Ernestine, ici avec une dinde on dirait...



 


jeudi 31 octobre 2019

LA SARDO, le festin de fin des vendanges ! / les vendanges à Fleury.

La récolte rentrée, la tradition voyait le propriétaire payer le repas de fin des vendanges à ses employés. Une tradition déjà passablement mise à mal dans les années soixante.
Le nom de ce repas "La sardo" restait pourtant. On peut lui associer sa version empreinte de religiosité, le "dièu lou vol" (n'allez pas me chicaner en corrigeant "diu", "dius", "dièus", "dio", ou encore "diou"... ).

Dans son livre sur le canton de Coursan (Vilatges al Pais / 2005) Francis Poudou et les habitants relèvent (page 94), "Lo Dius o Vòl" :

"Lo Dius o vòl.
La dernière charrette fleurie, les vendanges se terminaient par une fête que l'on appaelait "Lo Dius o l ! (Si dieu le veut on se retrouvera l'an prochain) (1), repas ou goûter pris en commun et généralement offert par le propriétaire."

Dans "Les Vignes de Sainte-Colombe", Christian Signol écrit :

"... Le dernier soir Charles Barthélémie accorda le "Dieu-le-veut", l'ultime festin destiné à récompenser la vaillance des vendangeurs. Comme c'était la coutume il y eut des mets exceptionnels : bouilli aux câpres, boudin noir et fricassée de volailles, puis des chants, des danses, des rondes et des farandoles qui se perdirent dans les vignes pour de mystérieux adieux..."

Signol évoque avec pudeur les suites sensuelles de ce repas festif. Jean Camp, lui, s'attarde sur une symbolique plus païenne du repas de fête partagé :   


"... Demain nous mangerons la "sarde", tous assis à la même table. Je paie le rancio à tout le monde. Placide, au barricot ! [...] De la charrette qui vient d'arriver et qu'on a laissée au bord du chemin, les hommes tirent planches et tréteaux, et dressent une longue table à peine branlante. les bancs s'alignent tout au long. Puis viennent les corbeilles débordantes de lourds pains ronds, les grands paniers de fricassées, les jattes de volailles rôties, fleurant le romarin, les cassoulets figés qu'une flambée de bois sec va faire ronronner tout à l'heure, les soupières de salades vertes où s'entassent l'anchois pilé, les œufs durs, les tomates douces, l'huile, le poivre, le sel, les piments rouges et les "chapons" spongieux frottés d'ail, les panerées de coques légères saupoudrées de sucre, les flans tremblotants, les crèmes onctueuses et les débordements de raisins fins : muscats déjà ridés aux grains poisseux de miel, chasselas ferme à la robe nuancée, "terrets" blonds de peau épaisse mais de parfum franc, grappes de malvoisie au goût de violette, picpouls énormes et blanc-vert, et même, mêlé aux aristocrates de la table, le modeste et juteux aramon, le roi de la plaine, avec ses prunes serrées d'un beau noir, son jus clair, sa chair tendre et sa généreuse abondance. 

Cassoulet Carcassonne Wikimedia commons Auteur BrokenSphere
Un tonneau de cinquante litres est hissé avec précaution jusque là et calé contre le portail. Le régisseur y met cannelle mais veille à sa sécurité. Puis, les petits barrils de vin blanc, de vin vieux, s'accotent près de lui. Enfin, pour le dessert, les bouteilles pansues de rancio qui mettront le feu aux joues des dîneurs.
Les femmes ont retroussé leurs manches et leurs jupes. Accroupies devant des foyers improvisés, elles réchauffent les potées de légumes, les marmites où chantonne bientôt la graisse fondante. D'autres battent la salade ; d'autres couvrent de branchage fin les desserts qui ont attiré un vol de mouches et d'insectes..." (à suivre)

(1) une interprétation qui en vaut d'autres...

mardi 29 octobre 2019

FIN DES VENDANGES / Les vendanges à Fleury.

Es houro, il est temps de fêter la fin des vendanges avant que les châtaignes et le vin nouveau ne viennent tout bousculer. D'autant que les intempéries peuvent s'en mêler avec les fameux épisodes jadis dits cévenols et plus justement appelés désormais "méditerranéens" (1).

"... Fin des vendanges… mais pas pour tous : « Ah ! tu dis “Aro pot plouré !” (Maintenant il peut pleuvoir NDLR). Et moi qui n’ai pas fini de vendanger ! Je m’en souviendrai l’an prochain ! »..." Caboujolette : 2008 / François Dedieu. 


Dans "Vin Nouveau", Jean Camp a décrit ce dernier voyage :

"La dernière charretée de vendange.
La dernière charretée de vendange arrivait dans une gloire de poussière et de feuillage. Les trois chevaux aux colliers pointus tiraient à plein poitrail dans un carillon de grelots de cuivre avec les pompons rouges chasse-mouches, des rubans aux gourmettes, des houppettes de tamarin fleurissant les rênes sous l'entrelacement des touffes de roseaux et de pampres verts.
Sur la charrette, les comportes étaient cachées par des branches de saules et de sarments feuillus. Par-dessus, deux longues planches faisaient unsiège dur mais solide aux vendangeuses qui, de la vigne dépouillée au cellier regorgeant, semaient sur la route leurs refrains, leur gaîté et leurs sonores bavardages.
Les hommes suivaient, par derrière, accrochés aux ridelles, traînant les seaux, la masse de bois à l'épaule, la chemise échancrée sur la gorge velue et barbouillée de jus violet... Leur barbe de huit jours trouait leur peau tannée et leur donnaient l'air de brigands. Ils répondaient à tue-tête aux chœurs des vendangeuses qui rythmaient le chant aux cahots de l'équipage.
Les larges câlines pendaient dans le dos des coupeuses; Quant au charretier, la verge de son fouet était tressés de fleurs et il fallait voir comment claqua sa mèche en arrivant aux premières maisons du pays.
Les belles vendanges ! Pas une goutte de pluie pendant vingt-cinq jours, pas trop de moustiques, pas trop d'à-coups !... le dernier convoi apportait aux cuves les dernières comportes. Demain, la fête traditionnelle de la fin des vendanges. Un coup d’œil au ciel dégagé semblait dire : "A présent, qu'il pleuve ! Mon vin est à l'abri."

Fin des années cinquante... Jour d'automne... Depuis le préau de l'école, malgré la punition latente, à bout de bras, je me suis haussé au-dessus des carreaux dépolis du bas des fenêtres pour voir passer un chariot qui chantait. Les comportes étaient bien garnies de feuilles de vigne. Grisaille dans le ciel. C'est le tableau qui me revient quand on évoque la fin des vendanges. Je n'ai pas été pris... 

(1) Depuis 1958, l'Aude a connu 99 épisodes avec plus de 120 litres d'eau au mètre carré, dont 27 en octobre. Proches de nous, parmi les plus marquants, en novembre 1999 dans les Corbières et jusque dans la plaine de l'Aude (36 morts, 623 mm d'eau à Lézignan en 24 h, pratiquement le total annuel !), l'an dernier à Trèbes, 15 morts. Celui que nous venons de subir (mercredi 23 octobre surtout) a déversé 187 mm de pluie à Narbonne et 241 à Béziers (à Fleury, comparativement comme à Béziers). 


dimanche 22 septembre 2019

LA RÉCOLTE A ROUCH / Vendanges à Salles-d'Aude


Nous avons idée que  les vignes sont sur le territoire de la commune et pourtant, au hasard d'un héritage sûrement, l'une d'elles, à Rouch, pour l'oncle Noé, se trouve à Salles d'Aude, tout comme pour mon arrière grand-mère Joséphine, qui en avait une al Fount de la Léquo, à Vinassan.
Journal des vendanges de 1939  (suite).
Vendredi 22 septembre. Toujours pour Norbert et l’oncle Noé. Nous sommes allés vendanger à Rouch (on prononce « Routch ») la vigne que l’oncle possède à Salles, après le stade. 26 comportes, 8 degrés 4.
Le matin, il se met à pleuvoir. 

Pas facile de publier ce journal des vendanges 1939 quand ce qui change au fil des jours est que "Paulette s'est fait piquer" ou que "Le matin, il se met à pleuvoir". Pas possible d'en rester à ces phrases trop sèches...  Même celui qui les a écrites nous l'a confié : 

"...J’ai voulu en faire le compte rendu succinct, mais au bout de trois ou quatre jours ma plume fatiguée devait s’arrêter. Qu’importe ! Ce vieux cahier rose « Standard » de la « Grande Librairie Breithaupt-Cariven »,[…] ce vieux cahier donc en porte témoignage..."

Quoi qu'il en soit, je suis le premier à en remercier l'auteur, D'abord je lui dois d'être là et puis il n'a que 17 ans en septembre 1939. Et comme ce journal de vendanges ne peut que nous donner l'envie de prolonger, après avoir accroché les comportes, après l'évocation des bébêtes du vignoble, cette fois nous aurons l'opportunité de parler de nos voisins Sallois et de leur village. 


Rouch ? Merci aussi aux cartes de l'IGN qui nous disent où ça se trouve. Oui, en direction de Coursan, en gros parallèlement au lit artificiel de l'Aude, en laissant sur la gauche le moulin de Céleyran. 

Salles-d'Aude, pays des Fagots, compte nombre d'éminents personnages, Jean Camp, Alexandre Macabiès, Clovis Roques, l'abbé Deffuant. Et cela ne pouvait pas mieux tomber puisque le premier nommé a écrit sur la vigne les vendanges, le vin. 


Jean Camp (1891 - 1968). Auteur dramatique, poète, félibre, hispanisant, conférencier, il a écrit le roman Vin Nouveau en 1929. 

Un court extrait sur les vendanges : 
"... Porteurs et presseurs sont à l'affût du moindre grappillon oublié sous les pampres. On l'arrache d'un coup pour en barbouiller la joue de la vendangeuse négligente. La fille a beau baisser la tête, opposer sa croupe tendue à l'assaillant, celui-ci n'est pas une mauviette. Muscles gonflés, il dompte la volonté rebelle qui l'affronte, tord d'un poing rude les bras hâlés qui veulent l'affronter, écrase la grappe tiède sur la joue brune ; puis, goulûment, dans le brouhaha excitant que fait l'assistance, il mord le visage en sueur que le raisin rougit, les lèvres humides, le cou flexible, et ne lâche sa victime que lorsque, de guerre lasse, elle lui a rendu ce baiser goulu qu'il vient de lui donner, âcre et sucré et enivrant comme l'essence même de la vendange..." 


 

 


lundi 24 décembre 2018

"... DAVANT LO MONDE ESTABOSIT..." / Noël de Jean Camp.

Source Pixabay
 Déconcerté, abasourdi, stupéfait, stupéfié, étourdi de stupéfaction pour cause de soleil trop puissant par exemple... Sûr qu'au moment du solstice d'hiver, un envoyé divin chargé de treilles, une corne d'abondance de pampres accrochés de grappes pourrait évoquer une hérésie iconoclaste ne relevant plus, et c'est heureux, des affres et terribles châtiments liés à l'Inquisition. Il n'empêche, encore moulé et empreint de la matrice catholique, est-ce pour se faire pardonner une évocation teintée de paganisme, que Jean Camp, iconophile, insiste sur la symbolique de Noël sous l'égide du "Bon Dieu" qu'il a pris soin de nommer dans la langue de la "fille aînée de L’Église", avec force majuscules, comme si "lou bon Diéu" occitan relevait, lui, d'un schisme ou pour le moins d'une proximité manquant de respect...  

"Bèl Nadal, me fas rebastraire
Se lo Bon Dieu m'avia causit
Auriai volgut faire, pecaire,
Davant lo monde estabosit,
De nostre Sénher, un vendemiaire
Se lo Bon Dieu m'avia causit."
Source convertimage
Notes : 
1. "rebastraire" ? Dans le sens de rebâtir, reconstituer, déduire... imaginer ? 
2. Mistral qui, en trop bon chrétien qu'il était, inféodait la langue d'Oc à la très sainte Église catholique relève, conscience professionnelle oblige, dans son Trésor dou Felibrige, à l'entrée "Dèu dans ce juron languedocien Cap de Dèu ! Tête Dieu !

3. Notons la prononciation [ou] de la lettre [o] alors que la pratique de l'occitan lui faisait écrire et prononcer antérieurement [ou], suivant la graphie mistralienne, dans son fameux poème "Lou Doublidaïre" par exemple. Caboujolette / 2008 / François Dedieu.

4. Notons encore qu'on arrivait à conserver des raisins pour Noël : 
 
"... Merci pour les « moissines[1] » (C’est dans le Petit Larousse) mais c’est surtout Joseph et Jean Ferry qui conservaient ainsi les grappes, avec le bout de sarment. Mamé Ernestine suspendait seulement chaque fois deux belles grappes attachées par un fil sur une barre (genre manche à balai) posée sur le dossier de deux chaises, sièges en dehors (il y avait chaque fois deux barres de raisins blancs). Le tout était placé dans la cuisine de mamé Joséphine … et souvent beaucoup de grappes se périssaient, mais enfin nous pouvions goûter quelques raisins longtemps après les vendanges..." 
Caboujolette / 2008 / François Dedieu... (merci à toi surtout, papa...)


[1] Grappe coupée avec son bout de sarment, afin de conserver le raisin dit « de Noël ».

Vendanges Gustave Doré

Ci-dessous, la notice sur Jean Camp dont, indirectement, une biographie intéressante pour être des plus rares et néanmoins fournie. 

http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=59152

mardi 25 septembre 2018

LAISSEN PAS MOURI NOSTRO LENGO... / Fleury d'Aude en Languedoc


"... Es èl lou paraulis sans taco
Que sentis bou lou fé, lou mèl, 
La garrigo, lou vi nouvèl
E l'orgo caudo de la raco..." 

Lou Doublidaïre / Jean CAMP



vendredi 13 juillet 2018

1938-2018 LA CÔTE NARBONNAISE, Saint-Pierre-la-Mer par Jean CAMP

1938-2018 LA CÔTE NARBONNAISE par Jean CAMP[1]  extraits

Enfin… « extraits »… faut le dire vite puisque tout ce qu’a écrit Jean Camp sur les Cabanes-de-Fleury et Saint-Pierre-la-Mer est répété ici. 

Carte postale ancienne / grossissement.
 « … Engagez-vous maintenant le long de la Clape odorante : le sable est tiède, le vent léger et, certains soirs, les palombes envahissent les bosquets de pins aux parfums de résine. Saint-Pierre et sa plage aux reflets de mica, son rocher La Vallière avançant son front déchiqueté dans les vagues, sa tour trapue de la douane qui, jadis, surveillait l’horizon et ses villas à la bonne franquette attirent, chaque été, des milliers de fidèles. On y vient, attiré par le goût profond de la vie des nomades, pour jouir de la belle saison sous quatre pans de toile, cuisiner en plein air, dormir sur le sable et croire que, tout progrès aboli, on est un de ces primitifs tannés qui promenaient de la Grèce au Maroc leur indolence d’enfants du soleil…
Fuyons pourtant, car un haut-parleur enroué crache ses rengaines trop connues sur les huttes entoilées… »

Ce petit article se poursuit avec un paragraphe aigre-doux à propos de Narbonne-Plage. Ensuite, pour répondre à un titre pour le moins décalé, l’auteur accorde seulement une phrase ou deux pour Gruissan, La Nouvelle, La Franqui, Leucate. 

Ainsi, Jean Camp, éminent hispaniste, émigré de l’intérieur, complice d'un jacobinisme historique, victime consentante d’une « centripèterie » parisienne, ne cache rien de l’amour atavique et presque exclusif qu’il porte à notre coin, marqué par ce balcon de la Clape sur la plaine, l’Aude frontière qui glisse entre les peupliers puis les tamaris avant Les Cabanes, ce bout du monde qu’on aimerait voir à jamais préservé. A Saint-Pierre-la-Mer, il met l’accent sur l’ambiance à part de ce camp aussi bohème que nomade, sur les dunes et le « sable mouillé », que nous connaîtrons en tant que « camping sauvage » jusqu’à son interdiction, au milieu des années 70. 

L'estiu a la mar


[1] EN LANGUEDOC MEDITERRANEEN / Revue des Agriculteurs en France 8, rue d’Athènes PARIS / Supplément au numéro de juin 1938.