"Rien n'est plus vivant qu'un souvenir." (Federico Garcia Lorca).
La scène demeure gravée : RN 113, après Montagnac, un routier, les grands pins d'un domaine puis deux vallonnements en ligne droite. Le
 vent fait courir des petits nuages qui estompent par moments les rayons 
blafards de janvier, déjà obliques en ce début d'après-midi. A droite 
une allée de mûriers dépouillés mais qui toujours rappellent le 
nourrissage des vers à soie que nous nous amusions, enfants, à élever. 
Mais comment voir tout ça alors à 90 à l'heure (1), et qu'il y a un véhicule
 à doubler malgré les montagnes russes. 
A gauche, des vignes, un tapis 
d'erbo blanco entre les rangs et au bout d'un fouillis de sarments nus 
et entremélés, entre l'embroussaillement et la géométrie épurée des ceps
 alignés, jalon entre le travail fait et celui à faire, mon poudaïré. Vers 
quatre heures il va rentrer au village avec des souquets (2) pour le feu, avec des poireaux sauvages pour la vinaigrette. Sur la plaque de la 
cheminée la cafetière l'attend. Sa cuisine est rustique mais pour moi 
qui vais par force vers l'appartement au chauffage central, le café à la chaussette, même la fumée douceâtre des souches me coûtent trop... Du Bellay regrettait "... Quand reverrai-je hélas, de mon petit village, fumer la cheminée..." et ma gorge nouée ne laisse plus rien passer. 
Alors
 plutôt que le côté accompli des vendanges, celui des fleurs en juin 
comme autant de promesses, celui des matins calmes et sans vent  pour 
saupoudrer les pampres de jaune ou les atomiser de bleu (3), j'aime beaucoup le temps de la 
taille, "le geste auguste" (4) du poudaïré qui, dans l'art de former en 
gobelet, projette et son être et chacune de ses souches, huit, neuf mois
 plus loin. Après avoir attendu qu'en échange des tons chauds de l'automne,
 les feuilles aient rendu sucre et protéines aux racines, pour déjà 
anticiper le renouveau à venir, il s'échine, pied après pied, dès que la
 palette colorée se fond dans les bruns du vieux bois et de la terre. 
"... On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours..." (4) 
Si
 digne dans la persévérance, le respect de la nature, humble comme les 
paysans d'un tableau de Millet, à la merci des éléments, bien que 
tenace, il se sait si petit et insignifiant dans l'Univers en marche. 
Comment ne pas sentir que cette sublimation en appelle à un Créateur 
protecteur ? 
Et puis, malgré les gris et les bruns, l’hiver en Languedoc, c’est déjà, dans le ciel, la lumière revenue du solstice. Le soleil a fait fleurir l'erbo blanco et le petit souci jaune ou orangé. Et qui sinon le poudaïré, pour annoncer par tout le village le premier amandier en fleur, le printemps qui ne saurait tarder (5) !
"Printemps tu peux venir !" Théophile Gautier
Si Jean Camp, homme de lettres, sallois de naissance, s'appropriait, pour fêter Noël, Jésus en vendangeur :          
"Bèl Nadal, me fas rebastraire
Se lo Bon Dieu m'avia causit
Auriai volgut faire, pecaire,
Davant lo monde estabosit,
De nostre Sénher, un vendemiaire
Se lo Bon Dieu m'avia causit."(6)
... Moi j'aurais mis un santon de plus dans la crèche. En plus du vigneron et de la vendangeuse, j'aurais choisi un poudaïré, encore un peu penché sur sa souche nue et tordue !  
Et quand nous invoquons Ferrat, Lorca, du Bellay, Hugo, Gautier, tant de poètes, c'est seulement que le poudaïré a ajouté son couplet au chant du Monde.  
(1) la limitation date de 1974 je crois... 
(2) le bois mort ou éliminé pour favoriser la charpente de la souche. Le 
rasséguet, une petite scie portative que le poudaïré porte à la 
ceinture, est utilisé à cet effet. 
(3) soufre et sulfate de cuivre. 
(4) Le semeur, Victor Hugo.
(5) premier amandier signalé sur Narbonne le 5 janvier (du mimosa aussi).
(6) Déjà traduit dans un article antérieur
(6) Déjà traduit dans un article antérieur


