jeudi 16 janvier 2020

AURIO CAUSIT UN POUDAÏRE (J'aurais choisi un tailleur ) / un océan de vignes...

"J'aurais choisi un tailleur." Oh que ce terme trop générique me rebute, entre le tailleur des dames, Coco Cha... non pas Chacha (1) qui en a poudé lui, tant et tant de pieds (et qu'on salue avec tous nos vœux en ce début 2020), celui des costumes, celui des diamants, celui des pierres, du temps des cathédrales et aujourd'hui des cheminées peut-être encore... 

"Tailleur", un produit typique de la langue d’oïl, issu du latin "taliare" signifiant couper. 
La branche des langues romanes, par contre, a gardé une autre origine latine, à savoir "putare" tailler. On la retrouve, d'est en ouest, dans l'italien "potare", le francoprovençal et dauphinois "pouar", l'occitan "poudar", le catalan "poda" (la vinya), le castellan "podar" (las cepas, les ceps, les souches), le portugais "podar"(a videira, la vigne)

Livre sur le canton de Coursan / Opération vilatges al pais / dirigé et mis en œuvre par Francis Poudou (2005).

"Poudar" c'est donc tailler la vigne ou d'autres arbres. La racine "pouda" a servi pour désigner les outils nécessaires à ce travail avant l'usage généralisé des ciseaux à tailler. Il s'agissait avant tout de serpes dont la "poudo"ou "poudadouiro" à double usage, à lame courbe d'un côté et à talon tranchant (comme une hachette) de l'autre (2).

 On ajoute un préfixe "es-" au moins privatif sinon qui rabaisse ainsi qu'un suffixe "-asse", une insulte à lui tout seul : cela donne "espoudassar" signifiant dans le meilleur des cas "élaguer" et négativement "débarrasser expéditivement, bâcler la taille". 
Cet "espoudassage", cette prétaille a néanmoins pu se faire pour faciliter au préalable le passage de l'homme de l'art confronté à un impératif de temps, le nombre de ceps à tailler à forfait s'avérant difficile à tenir avant que la végétation ne redémarre (avril en général mais parfois au début du mois sinon fin mars !).   

Taille de la vigne Author Véronique PAGNIER (on dirait presque la route entre Coursan et Cuxac...)

E lou qué poudo es lou poudaïré ! Je traduis : celui qui poude c'est le poudaïré. Sûr que ce travail, certainement des plus prenants après les vendanges, de fin novembre à fin mars en général, méritait un vocabulaire exclusif. 

Exclusif, le mot est lâché ! Pour avoir ressenti un rapport charnel avec la vigne, un ancrage qui me trouble encore aujourd'hui quand il ne m'exalte pas si je reconnais le vert des feuillages n'appartenant qu'aux vignes, même hors de notre balcon méditerranéen, qu'est-ce que j'ai pu l'envier le poudaïré lorsqu'à la fin des vacances de Noël je devais reprendre la route de Lyon !

"...  Ils quittent un à un le pays
Pour s'en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés..."  
 


Pourtant je n'en rêvais pas "de la ville et de ses secrets", le formica on l'avait pas loin, à Quillan et le cinéma Balayé, derrière le tabac de madame Zan, à Fleury même. Alors monter à Paris répondait à des motifs plus vitaux. L'exode a été plus brutal pour ceux du plateau ardéchois et "La Montagne" (1964), si belle chanson de Ferrat, marque de son sceau nos années 60. 
Sinon, c'est vrai, la vie en HLM, le poulet aux hormones, mais par force, souvent pour des fins de mois difficiles quand on débute, sûrement pas de gaieté de cœur et à des lieues "... d'attendre sans s'en faire que l'heure de la retraite sonne...". Ce serait être vieux avant l'âge, à 20-25 ans, que de penser déjà à la retraite ! 

Il n'empêche, plutôt que de relever le positif de la situation, moi, égoïste, j'en avais gros sur la patate. Le long de la nationale, au moins jusque dans le Gard, la vue du poudaïré penché sur une souche pas encore en âge de pleurer, me mettait mentalement au bord des larmes. Pourtant, malgré le col relevé de la canadienne et le bonnet, ce sont ses yeux à lui que le vent du nord (3) embrouillait.(à suivre)


(1) qui pour relever lous escaïssès, les surnoms, comme le fit Henri le mécanicien à l'époque ?  
(2) le "poudet" est la serpette à vendanger, un couteau à lame courbe encore utilisé dans les années 60.
(3) après Béziers, ce vent peut s'appeler "tramontane". 

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