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jeudi 12 juillet 2018

1938-2018 LA CÔTE NARBONNAISE par Jean CAMP[1] extraits / Fleury d'Aude en Languedoc.

LA ROUTE DES CABANES MONTE SUR LA POINTE NORD DE LA CLAPE : 

« A-t-on assez médit de cette côte languedocienne, de cette côte audoise qui semble faire piètre figure à côté des plages délicieuses qui bordent nos frontières maritimes ! On y rencontre, paraît-il, des moustiques insatiables, des étangs maussades, un vent inamical.
            Les Audois sont les premiers à le dire parce qu’ils aiment bien à exagérer un peu et qu’ils tiennent ainsi à distance l’étranger qui pourrait les envahir. C’est encore un vieux reste des croisades albigeoises qui persiste !
            Mais que de coins exquis le long de l’ourlet méditerranéen dès l’instant où la Clape mire ses premiers rochers dans l’eau capricieuse de l’Aude ! Peu de gens de chez nous connaissent les Cabannes, à l’embouchure de notre fleuve régional. Il faut passer Salles, Fleury, s’engager sur un chemin sinueux à flanc de garrigue, hier encore redoutable aux voitures, aujourd’hui accueillant aux ressorts les plus délicats. Les vaillants petits clos de pierrailles l’escortent vers la mer : la terre rouge se strie du vert sombre des yeuses et des amandiers. En bas la plaine, puits à vin où, comme une de ses vertes couleuvres qui hantent nonchalamment ses bords, entre les roseaux et les touffes de mauves, glisse le limoneux Atax… /…

Les Cabanes-de-Fleury.

DEPUIS LA DESCENTE DE LA PAGEZE, LA VUE PUIS LES CABANES-DE-FLEURY : 

« … tandis que l’horizon marin se déploie jusqu’aux franges écumeuses de Vendres et de Valras, voici le petit hameau aux toits de « sénils », aux treilles trapues, aux barques caracolantes. Quinze cabanes tout au plus, une école grande comme un mouchoir de poche, une tonnelle accueillante pour boire frais. 

1967 Les Cabanes lors du tournage du Petit Baigneur.


Mais la vie terrienne et la vie marine s’y juxtaposent harmonieusement. Les grands filets sèchent le long des vignes. En automne on peut du même geste manœuvrer le lourd carré, terreur des anguilles, ou cueillir la grappe poisseuse dont le miel, sous les dents, se mêle au sel du sable fin. Pieds nus sur la terre battue, tandis que les cigale se grisent de leur jazz monotone, vous y dégusterez les plus savoureuses bouillabaisses du monde et quand, à l’heure de la sieste, vous fermerez à demi les yeux, le rai lumineux qui glissera entre vos cils, les mélopées lointaines, les jurons lancés comme des pierres et le clapotis des eaux voisines vous feront rêver un instant à une côte barbaresque, douce et fruste à la fois, très loin d’ici, très loin de notre fade civilisation… » 

Jean Camp



[1] EN LANGUEDOC MEDITERRANEEN / Revue des Agriculteurs en France 8, rue d’Athènes PARIS / Supplément au numéro de juin 1938.

mercredi 18 avril 2018

LA COMBE DE MONSIEUR SEGUIN / Fleury-d’Aude en Languedoc.

A propos d’iris en pleine garrigue, remonterai-je un jour dans ce vallon qui a nourri à la fois des enchantements de gamin, des ardeurs trop candides de jeunesse ? Ce coin de garrigue qui entretient le spleen doux-amer du legs à transmettre ne décline-t-il pas l’essentiel du lent cheminement de notre espèce puis de l’emballement vers l’autodestruction ? Il est urgent de refuser un système mortifère qui tue les abeilles et vend déjà des robots d’insectes pollinisateurs ! Le bon droit est du côté du rejet. Qui accepterait la loi consumériste rabaissant toute humanité au niveau d’un tube digestif ? La révolte n’a plus à rester crispée, rentrée comme par mauvaise conscience ! Sur les cent milliards qui nous ont précédés serons-nous ceux d’un néant à venir ? Rendre dans un si sale état un monde pourtant seulement emprunté à nos enfants tenait de l’inimaginable ! Coupables nous le sommes, pourtant, de cette ignominie ! Qu’un jour mes fils, ne me reprochent pas, insulte suprême, de les avoir conçus ! Sans descendance, l’espèce disparaitrait, la Terre continuerait sans nous ! Alors plutôt considérer l’alternative, la proposition optimiste intégrant l’espoir que tout n’est pas encore perdu si la règle est de ne prélever que ce que la planète peut régénérer sur un an alors que la goinfrerie nous fait entamer le capital début août, toujours plus tôt sur l'exercice… Épuiser la poule aux œufs d’or revient à la tuer à petit feu, et que les ploutocrates en soient les premiers à en être accusés ne changerait rien pour tous !    

«  Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Albert Einstein.

« Vivre comme un oiseau sur la branche »… dire que le sens de ce qui fut un reproche s’est complètement inversé… Encore faudrait-il qu’il reste des oiseaux, des fruits sur les branches et non ces robots pollinisateurs de la chimie biocide ! Pardon de vous mettre le moral dans les chaussettes ! Montons vite dans la combe de Caussé pour apaiser ce désarroi existentiel… 

L’accès d’abord : le lit à sec d’un torrent très précaire, fleurant le chèvrefeuille, ruant seulement avec l’orage ou un aigat de l’automne, faisant office de chemin creux le reste du temps. Une butte meuble, remuée par une colonie de blaireaux, trouée de terriers, quelques ruches dans un peiral, une carrière abandonnée là où le chemin s’écarte du rajol. Comment le dire en français ? On ne dit pas « oued » de ce côté de la Grande Bleue et à l’enfant du pays qui racontait que son bataillon avait contourné un « chott » en Afrique, un vieux avait répondu « Va cassoun abal ? » ( ils le chassent là-bas ?) parce que le chot, en languedocien, c’est un hibou ! En attendant pour le rajol, l’équivalent en français n’est pas recevable, à moins que l’on ne s’en rapproche avec le verbe rager, exprimant le pic d’une réaction violente. A la rajo dal soureilh, à la rage du soleil et quand l’aigo rajo (1), c’est un flot rageur, violent et destructeur contre lequel on peut peu. Un jour de grec, ce vent qui déverse sur le Languedoc des trombes d’eau, surtout en automne, dans un groupe de vignerons venus commenter l’intempérie, tous bottés, c’est le seul souvenir précis qui m’en reste, j’ai entendu l’un d’eux, constatant que « l’aigo fouilho » avec un coin de sa vigne emporté. 
Wikimedia Commons / blaireau / Author Lamiot
Si j’ai, cette fois, l’équivalent en français avec peut-être le verbe affouiller (éroder, raviner, ronger), je rapporte ces paroles phonétiquement et j’ajoute « sans vergogne » avec une pensée pour Véronique qui était aussi de la sortie aux iris de Nissan et qui s’excuserait presque d’écrire comme elle peut en occitan. Surtout ne restons pas dans un schéma dominé-dominant, entretenu d’abord par la franchimandalho, ceux qui n’ont que le français, par rapport à la langue d’oc qu’ils dénigrent bêtement en tant que « patois », un « patois », soit dit entre nous, lexicalement quatre à cinq fois plus riche que le françois… Bref, une infériorité qu’on ressentirait par rapport à ce qu’on croit être hiérarchiquement et culturellement supérieur et qu’il ne faut surtout pas dupliquer… Graphie félibréenne, graphie normalisée, l’essentiel n’est-il pas de faire vivre nos racines avec les mots des aïeux, des aujols ? 
Convertimage / Jean Camp.

« … Es lou fial d’or que nous estaco
A nostro terro, a nostre cèl ! » (C'est le fil d'or qui nous attache à notre terre, à notre ciel).
Jean Camp (1891-1968), poète, romancier, hispanisant célèbre, Sallois de naissance, inspiré par sa terre natale et le parler languedocien dans son écriture originale (normalisée dans le livre du canton sans que ce soit mentionné, amaï, va cal pas faire aco, il ne faut pas le faire, ça, attention !) !

Pardon pour les parenthèses mais elles s’imposaient.  (A suivre)

(1) "Un cop d'aigo" = une crue subite, "lou téms de l'aigo" = pendant l'inondation. 

Salles-d'Aude / cadran d'horloge sur 24 heures.

mardi 14 mars 2017

AUX COPAINS RESTÉS EN ROUTE / chronique à quatre mains.


Question de génération, question de vécu : lorsque nous prenons conscience que plus on remonte dans le passé, plus les conditions de vie étaient dures, sans compter les guerres par-dessus, nous nous devons de ne pas donner dans l’anachronisme, une bourde des plus communes.
Ainsi la retenue souvent affichée pour que la sensibilité ne s’épanche point l’est seulement d’apparence d’autant plus, qu’à l’extrême, la sensiblerie décrédibilise tout sentiment. Ainsi, si c’est toujours avec pudeur que l’émotion est contenue, elle n’en est pas moins présente...
Notre parler, d’ailleurs, en témoigne lorsque parlant de quelqu’un qui n’est plus, il fait ajouter devant le prénom, « le pauvre » en occultant que les pauvres sont aussi ceux qui restent. C’est aussi le cas de la mémoire qui revient et entretient à chaque occasion le souvenir d’un disparu, du moins dans les familles où les plus âgés, en principe, tiennent à faire passer de ce qu’il savent sur les leurs et un cercle plus ou moins large autour.
Restons en là de cette réflexion, sachant que nous avons tous, parmi nos chers disparus, des copains restés en route avec peut-être encore cette idée que reste vivant celui dont on parle encore et surtout, en tête, ce vers du grand Hugo, sur ce même thème, « Les morts, ce sont les cœurs qui t’aimaient autrefois » (poème "A quoi songeaient les deux cavaliers")...  


Parmi les copains qui reviennent plus volontiers, mon père est intarissable sur son ami Yves de Trausse Minervois, son complice des années lycée à Carcassonne. Il saurait évoquer Léon de Montréal, à vélo entre Bram dans la plaine et ce dernier pli du Razès face à la Montagne Noire, voire la cave paternelle où ils dégustaient à tous les goulots, rajoutant de l’eau sans vergogne pour que leur forfait passât inaperçu ! Et puis il y a Pierre si vite parti ailleurs. 


Dans Caboujolette, par le biais de quelques lettres, il en trace un portrait poignant, tout de modestie, de non-dits empreints de cette décence muette propre à ceux qui, parce qu’ils ont vécu, ont côtoyé trop de malheurs dont ceux, en forte proportion, hélas imputables aux hommes.

La première lettre apparaît dans son journal de 1939, sous le titre « Grandes Vacances ». Pierre l’envoie de Carcassonne le 24 juillet ; le cachet indique 17h 25 ; François la reçoit à Paris le lendemain après 10 h (1), un second cachet en faisant foi.
Pierre écrit en languedocien et parle même de "patois" (2) tant les attaques contre les langues minoritaires ont fait du français, porté aux nues en tant que langue de la liberté, un vecteur d’oppression...
Il cite toujours le début de la Respelido, la renaissance de la langue du Midi, initiée par Frédéric Mistral (3) et commence toujours par « Moun brave amic » : 

« Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dóu Miejour,
Vaqui lou Felibrige ! »

Il doit envier un peu son copain François qui a eu la chance d’être invité à Paris mais, faisant presque référence à Joachim du Bellay, il met en avant l’attachement au village natal : «... debes langui un pauquet de tourna à Fleuris...».
Pierre voit aussi quelques uns de ses professeurs arpenter la Rue de la Gare où se promène le tout Carcassonne. Il a même vu passer le Tour de France. Si la ville a des airs de gros bourg où tout le monde se connait, il n’en regrette pas moins d’être plutôt à Fontcaude où les vignes auraient moins souffert du mildiou. Mais il doit réviser (peut-être un rattrapage en septembre ?). 


On sent le souci de structurer, d'encadrer son propos du classique schéma si commode pour la rédaction : Introduction, développement, conclusion. Ainsi, il prend congé en signant de son surnom « Buto-Garo » et en rappelant l'amitié qui les lie : « Toun amic » ou « Toun amic que te saro la ma, Pierre Alias ».

Une autre lettre (est-ce la seconde de cet été 1939 ? ), date du 9 août. Mon père prend soin de préciser :
« ... Grandes vacances sous menaces de guerre.
Le samedi 2 août est le premier jour de la mobilisation générale.
Dimanche 3 août 1939. la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. »

Pierre est si content d’avoir reçu quelques mots dans notre langue maternelle, son ami François étant plus « assimilé », dirons-nous, plus convaincu que la référence à « La deffence et Illustration de la langue Francoyse (1549) », que le rayonnement "universel" du français, doivent faire taire l’étouffement de l‘occitan, langue minoritaire pourtant bien plus ancienne (4).
Pierre regrette de ne pouvoir aller à Fontcaude que pour les vendanges. Il aimerait passer à Fleury aussi, pour le plaisir de discuter autour d’un verre, sans oublier de parler d’une météo avare de chaleur au point que les raisins ont du mal à mûrir.

Dix-neuf ans, un bel âge pour nos garçons si le destin n’en décide pas autrement... mais n’interférons pas davantage, laissons la parole à François (Caboujolette 2008, page 253) :

«... Et malgré moi me reviennent les vers d’« Oceano nox », appris par coeur dès la sixième à Carcassonne. C’est une vieille habitude. Le 24 juin 1941, j’étais allé à Carcassonne, après avoir reçu de la famille Alias un télégramme des plus inquiétants : Accident très grave arrivé à Pierre...etc... suivi sans doute par celui qui fixait le jour des obsèques. Avant de repartir pour Fleury, j’avais voulu acheter un livre d’allemand : FAUST, de Goethe, dans la collection bilingue des classiques étrangers. 40 francs : c’était assez cher... Je devais inscrire sur la feuille de garde : Acheté à Carcassonne le 24 juin 1941 en souvenir de mon ami regretté : Pierre noyé le dimanche 22 juin 1941 dans l’Aude. F. Dedieu.
« Ô flots, que vous savez de lugubres histoires ! » (Victor Hugo, Oceano Nox).

Après l’enterrement, monsieur Alias, son malheureux père, m’avait dit : « Ne l’oubliez pas trop vite. » Soixante-six ans après, je n’ai toujours pas oublié. »

Victor Hugo juxtapose la noirceur, la furie des flots tempétueux et ces marins disparus sombrant avec le temps dans les mémoires. A voir les rives si bucoliques du Païcherou, avec la guinguette des dimanches au bord de l’eau, on se défend de penser aussi à ces accidents si communs. Après le barrage le flot encore clair d’une Aude venue des montagnes, murmure le prénom Pierre sur les cailloux avant de le rouler plus profond dans sa plénitude de fleuve jusqu’à la mer mais c’est la dernière des raisons... soixante-seize-ans maintenant que papa n’oublie pas l’ami qui lui serrait si joyeusement la main... 


(1) la Poste fait-elle mieux aujourd’hui ? 
(2) les révolutionnaires disaient aussi « idiomes féodaux » !
(3) Mistral, par ailleurs très conservateur sinon réactionnaire, parle de « résurrection ».
(4) avec le temps et un certain recul, sans pour autant que cela exprimât une revendication identitaire, le penchant naturel pour la langue des aïeux s’est affirmé : ses parents ne parlaient-ils pas que languedocien entre eux ? Et son oncle Noé bien aimé, aurait-il eu tant d’effet sur lui sans cette langue indissociable du tempérament méridional ? «... lou fial d’or que nous estaco a nostre terro, a nostre cèl !..», ce fil d’or qui nous attache  à notre terre, à notre ciel, si bien chanté par notre poète sallois Jean Camp, en partage des vals alpins d’Italie aux vallées des Pyrénées et jusqu’aux plaines du Bourbonnais. Et que nos Jacobins franchouillards ne viennent surtout pas ramener leur arrogance coutumière si mal venue, ces internationalistes si enclins à émanciper au dehors et à coloniser au dedans : nos poilus de 14 parlaient occitan... s'il n'y avait eu que les Parisiens pour défendre la France ! Non, le Sud n’a pas de leçon à recevoir d’eux ! 

crédit photos : 1. Cazedarnes Autor Fagairolles 34 
2. Montréal Aude Auteur Profburp 
3. François Dedieu collection personnelle 
4. abbaye Fontcaude Author Fagairolles 34 
5. Carcassonne Aude & Cité Author Benh LIEU SONG

samedi 24 décembre 2016

Une étoile filante de Noël voulue par Jean Camp / Noël en Languedoc

De Jean Camp, notre voisin, l'auteur sallois du magnifique poème le Doublidaïre (il a aussi écrit des pièces de théâtre et "Vin Nouveau", un roman), j'avais noté quelques vers écrits pour Noël :

"Bèl Nadal, me fas rebastraire
Se lo Bon Dieu m'avia causit
Auriai volgut faire, pecaire,
Davant lo monde estabosit,
De nostre Sénher, un vendemiaire
Se lo Bon dieu m'avia causit."

Dans la grande diversité des santons, la vendangeuse existe sûrement mais que le porteur d'espérance né la nuit de Noël soit un vendangeur dans l'âme de Jean Camp, sûr que le monde en eût été estabousit, complètement éberlué, l'autre énigme résidant dans le mystérieux regret répété "Se lo Bon Dieu m'avia causit."

BON NOËL aux cœurs et aux âmes qui, pour toujours rester timides et discrets, n'en demeurent pas moins fraternels.     

http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=59152