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mardi 9 avril 2019

AVEC DES FLEURS ET DES CHANSONS (fin) / Je me fous du monde entier...



Oh mais ça a démarré un cran de plus en amont, grâce à Émilien qui a mis en ligne les grappes opulentes de sa glycine ! Elles ont fleuri tôt cette année ! Les plantes sont comme nous, de la même espèce mais toutes différentes. Par exemple cette glycine de juillet 2014, à Saint-Pierre, avec beaucoup de verdure et peu de fleurs, très en retard, peut-être dans un milieu défavorable, tout à fait à l'opposé de celle d’Émilien. 

 


https://www.youtube.com/watch?v=2SgiC2PaDdA



Serge Lama avec mon salut cordial pour l'ami pérignanais qui a grandi à la Pagèze, cette campagne avec vue depuis le balcon ultime de la Clape, la garrigue dans le dos, l’Aude, les marais et la mer au fond et plein de souvenirs partagés généreusement. Merci Émilien !



Vous êtes perdus ? Moi aussi… Reprenons avec le décor : l’ordi sur le bureau, la télé. 
Banal.

L’ordi m’a montré que les glycines avaient déjà fleuri ! Aussitôt, les printemps qui ont colorié ma mémoire sont revenus avec les giroflées de la rue du bassin et les « Leçons de Choses » du Cours Moyen. 


 "Giroflée, girofla... lève la queue et puis s'en va..."... une chanson encore, dans une version locale... sinon, pardon si ma mémoire flanche. 

Il y aurait bien les glycines mais elles m’obligeraient à lever un coin du voile sur des fantasmes de garçon... Sardou l'a si bien exprimé dès les premières notes : 

 https://www.youtube.com/watch?v=mLY2A8vhdhw

Entre temps, une "amie fb" est venue tourner des pages fermées pourtant depuis deux ans, une éternité, immédiateté technologique oblige. Coïncidence, encore des fleurs, de celles qui poussent au pays, les plus chères, si fragiles sur les dunes, entre mer et sansouire. Ramène moi au pays qui m'a vu naître...
 

Sur ce, les documentaires d’Arte pour que nous considérions la diversité naturelle avec respect et non sous le crible d'une dangereuse productivité à tout prix.  Une autre leçon de choses m’a alors parlé de mauvaise herbe (le livre de "Leçons  de Choses" le dit , ce que je n’ai jamais accepté parce qu’au début de années 50, la vigne de Perrucho, au pied de Caboujolette, était un champ de blé, bien plus haut que moi, avec bleuets et coquelicots… Du bleu, du blond et du rouge pour un symbole bien raciné…

 


Et les 480 « Je me souviens » de Pérec…



Sauf que « Je me souviens, c’est la devise du Québec. Et mon envie de fleurs s’accompagnant de chansons, la première qui est venue, « Frédéric » (1961), pour dire que je me fous du monde entier quand la vie si pleine du pays revient palpiter, toujours sans crier gare, toujours aussi vivante et foisonnante, est de Claude Léveillée, né à Montréal. Heureusement qu’Internet est là !

Oh la Belle Province, déjà un lâchage de la France du roi… j’en ai encore un haut-le cœur. Ça pue chez les absolutistes et plus encore chez les contaminés de la jacobinite. « Vive le Québec libre ! » De Gaulle, heureusement, pour un soupir de consolation.

Oh le Québec, à chaque piqûre de rappel, le vent sur la dune de Pissevaches en a mes larmes aux yeux. André Pédrola, le fils d’Elise, la voisine de ma grand-mère, André, le frère de François dit Francis, le grand copain de papa, a émigré à Montréal dans les années 50. Un homme formidable, de ceux qui passent sans qu’on les remarque ou qui vous percutent du trop-plein d’amour dont ils débordent. André a partagé, voulu donner à voir de son sillage depuis la guerre… Ces hommes-là vous offrent une force plus forte que le vide qu’ils laissent un jour…  Tant que nous parlons d’eux c’est qu’ils sont encore là…     



Je me fous du monde entier. Et pour cause :



« … Après, la vie t'a bouffé
Comme elle bouffe tout le monde,
Aujourd'hui ou plus tard,
Et moi, j'ai suivi.
Depuis le temps qu'on rêvait
De quitter les vieux meubles,
Depuis le temps qu'on rêvait
De se retrouver tout fin seuls,
T'as oublié Chopin,
Moi, j'ai fait de mon mieux.
Aujourd'hui, tu bois du vin,
Ça fait plus sérieux.
Le père prend un coup de vieux

Et tout ça, fait des vieux… »



Devenir vieux... l'unique alternative à la mort... Claude Laveillée a perdu son fils de vingt ans. Lui-même a subi deux avc en 2004, jusqu’à ce qu’un troisième, en 2011, referme son livre, à 79 ans.



C’est ainsi que les hommes vivent et comme le précisait Marcel Pagnol :

« … Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées pas d’inoubliables chagrins.  Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants… »

Je me fous du monde entier...

mardi 14 mars 2017

AUX COPAINS RESTÉS EN ROUTE / chronique à quatre mains.


Question de génération, question de vécu : lorsque nous prenons conscience que plus on remonte dans le passé, plus les conditions de vie étaient dures, sans compter les guerres par-dessus, nous nous devons de ne pas donner dans l’anachronisme, une bourde des plus communes.
Ainsi la retenue souvent affichée pour que la sensibilité ne s’épanche point l’est seulement d’apparence d’autant plus, qu’à l’extrême, la sensiblerie décrédibilise tout sentiment. Ainsi, si c’est toujours avec pudeur que l’émotion est contenue, elle n’en est pas moins présente...
Notre parler, d’ailleurs, en témoigne lorsque parlant de quelqu’un qui n’est plus, il fait ajouter devant le prénom, « le pauvre » en occultant que les pauvres sont aussi ceux qui restent. C’est aussi le cas de la mémoire qui revient et entretient à chaque occasion le souvenir d’un disparu, du moins dans les familles où les plus âgés, en principe, tiennent à faire passer de ce qu’il savent sur les leurs et un cercle plus ou moins large autour.
Restons en là de cette réflexion, sachant que nous avons tous, parmi nos chers disparus, des copains restés en route avec peut-être encore cette idée que reste vivant celui dont on parle encore et surtout, en tête, ce vers du grand Hugo, sur ce même thème, « Les morts, ce sont les cœurs qui t’aimaient autrefois » (poème "A quoi songeaient les deux cavaliers")...  


Parmi les copains qui reviennent plus volontiers, mon père est intarissable sur son ami Yves de Trausse Minervois, son complice des années lycée à Carcassonne. Il saurait évoquer Léon de Montréal, à vélo entre Bram dans la plaine et ce dernier pli du Razès face à la Montagne Noire, voire la cave paternelle où ils dégustaient à tous les goulots, rajoutant de l’eau sans vergogne pour que leur forfait passât inaperçu ! Et puis il y a Pierre si vite parti ailleurs. 


Dans Caboujolette, par le biais de quelques lettres, il en trace un portrait poignant, tout de modestie, de non-dits empreints de cette décence muette propre à ceux qui, parce qu’ils ont vécu, ont côtoyé trop de malheurs dont ceux, en forte proportion, hélas imputables aux hommes.

La première lettre apparaît dans son journal de 1939, sous le titre « Grandes Vacances ». Pierre l’envoie de Carcassonne le 24 juillet ; le cachet indique 17h 25 ; François la reçoit à Paris le lendemain après 10 h (1), un second cachet en faisant foi.
Pierre écrit en languedocien et parle même de "patois" (2) tant les attaques contre les langues minoritaires ont fait du français, porté aux nues en tant que langue de la liberté, un vecteur d’oppression...
Il cite toujours le début de la Respelido, la renaissance de la langue du Midi, initiée par Frédéric Mistral (3) et commence toujours par « Moun brave amic » : 

« Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dóu Miejour,
Vaqui lou Felibrige ! »

Il doit envier un peu son copain François qui a eu la chance d’être invité à Paris mais, faisant presque référence à Joachim du Bellay, il met en avant l’attachement au village natal : «... debes langui un pauquet de tourna à Fleuris...».
Pierre voit aussi quelques uns de ses professeurs arpenter la Rue de la Gare où se promène le tout Carcassonne. Il a même vu passer le Tour de France. Si la ville a des airs de gros bourg où tout le monde se connait, il n’en regrette pas moins d’être plutôt à Fontcaude où les vignes auraient moins souffert du mildiou. Mais il doit réviser (peut-être un rattrapage en septembre ?). 


On sent le souci de structurer, d'encadrer son propos du classique schéma si commode pour la rédaction : Introduction, développement, conclusion. Ainsi, il prend congé en signant de son surnom « Buto-Garo » et en rappelant l'amitié qui les lie : « Toun amic » ou « Toun amic que te saro la ma, Pierre Alias ».

Une autre lettre (est-ce la seconde de cet été 1939 ? ), date du 9 août. Mon père prend soin de préciser :
« ... Grandes vacances sous menaces de guerre.
Le samedi 2 août est le premier jour de la mobilisation générale.
Dimanche 3 août 1939. la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. »

Pierre est si content d’avoir reçu quelques mots dans notre langue maternelle, son ami François étant plus « assimilé », dirons-nous, plus convaincu que la référence à « La deffence et Illustration de la langue Francoyse (1549) », que le rayonnement "universel" du français, doivent faire taire l’étouffement de l‘occitan, langue minoritaire pourtant bien plus ancienne (4).
Pierre regrette de ne pouvoir aller à Fontcaude que pour les vendanges. Il aimerait passer à Fleury aussi, pour le plaisir de discuter autour d’un verre, sans oublier de parler d’une météo avare de chaleur au point que les raisins ont du mal à mûrir.

Dix-neuf ans, un bel âge pour nos garçons si le destin n’en décide pas autrement... mais n’interférons pas davantage, laissons la parole à François (Caboujolette 2008, page 253) :

«... Et malgré moi me reviennent les vers d’« Oceano nox », appris par coeur dès la sixième à Carcassonne. C’est une vieille habitude. Le 24 juin 1941, j’étais allé à Carcassonne, après avoir reçu de la famille Alias un télégramme des plus inquiétants : Accident très grave arrivé à Pierre...etc... suivi sans doute par celui qui fixait le jour des obsèques. Avant de repartir pour Fleury, j’avais voulu acheter un livre d’allemand : FAUST, de Goethe, dans la collection bilingue des classiques étrangers. 40 francs : c’était assez cher... Je devais inscrire sur la feuille de garde : Acheté à Carcassonne le 24 juin 1941 en souvenir de mon ami regretté : Pierre noyé le dimanche 22 juin 1941 dans l’Aude. F. Dedieu.
« Ô flots, que vous savez de lugubres histoires ! » (Victor Hugo, Oceano Nox).

Après l’enterrement, monsieur Alias, son malheureux père, m’avait dit : « Ne l’oubliez pas trop vite. » Soixante-six ans après, je n’ai toujours pas oublié. »

Victor Hugo juxtapose la noirceur, la furie des flots tempétueux et ces marins disparus sombrant avec le temps dans les mémoires. A voir les rives si bucoliques du Païcherou, avec la guinguette des dimanches au bord de l’eau, on se défend de penser aussi à ces accidents si communs. Après le barrage le flot encore clair d’une Aude venue des montagnes, murmure le prénom Pierre sur les cailloux avant de le rouler plus profond dans sa plénitude de fleuve jusqu’à la mer mais c’est la dernière des raisons... soixante-seize-ans maintenant que papa n’oublie pas l’ami qui lui serrait si joyeusement la main... 


(1) la Poste fait-elle mieux aujourd’hui ? 
(2) les révolutionnaires disaient aussi « idiomes féodaux » !
(3) Mistral, par ailleurs très conservateur sinon réactionnaire, parle de « résurrection ».
(4) avec le temps et un certain recul, sans pour autant que cela exprimât une revendication identitaire, le penchant naturel pour la langue des aïeux s’est affirmé : ses parents ne parlaient-ils pas que languedocien entre eux ? Et son oncle Noé bien aimé, aurait-il eu tant d’effet sur lui sans cette langue indissociable du tempérament méridional ? «... lou fial d’or que nous estaco a nostre terro, a nostre cèl !..», ce fil d’or qui nous attache  à notre terre, à notre ciel, si bien chanté par notre poète sallois Jean Camp, en partage des vals alpins d’Italie aux vallées des Pyrénées et jusqu’aux plaines du Bourbonnais. Et que nos Jacobins franchouillards ne viennent surtout pas ramener leur arrogance coutumière si mal venue, ces internationalistes si enclins à émanciper au dehors et à coloniser au dedans : nos poilus de 14 parlaient occitan... s'il n'y avait eu que les Parisiens pour défendre la France ! Non, le Sud n’a pas de leçon à recevoir d’eux ! 

crédit photos : 1. Cazedarnes Autor Fagairolles 34 
2. Montréal Aude Auteur Profburp 
3. François Dedieu collection personnelle 
4. abbaye Fontcaude Author Fagairolles 34 
5. Carcassonne Aude & Cité Author Benh LIEU SONG