Voilà un an que j'attendais de parler, de remémorer cette histoire de Panfilo et de sa jument Magloire. Le vent pénétrant des Hautes Corbières sous les tourbillons de neige, l'ambiance des gros bourgs se préparant aux réjouissances de Noël me font toujours tant frissonner de bonheur que j'imagine sans peine, après la nuit et le froid, les images rassurantes de l'homme tapant des pieds sur son seuil puis se frottant les mains devant la cheminée aux flammes plus vives qu'à l'habitude.
Nous devons cette jolie histoire de Noël à André Galaup de Limoux, devenu écrivain à la retraite, inspiré, enchanté par son pays, en remontant l'Aude vers les Pyrénées.
Il faut dire que le voyageur qui ne fait que passer est déjà charmé par les paysages, tant naturels qu'humains. S'il s'attarde un peu, pour la Blanquette, les carnavals, le château de Joyeuse, les bains (et la limonade !) d'Alet, la fête du cochon à Laval (1), les chapeaux ou le formica, le charme agit, les bonnes raisons d'y revenir ne peuvent que se multiplier. Notre voyageur (ne le confondons pas avec un touriste ordinaire...) peut penser aussi que ces contrées si riches et diverses doivent assurément transcender une proportion certaine d'êtres, natifs ou adoptés, qui, nourris à ces sources, poursuivent l'écriture d'un livre dont les chapitres racontent une histoire vieille d'au moins deux mille ans.
Les générations n'y suffisent pas : il y aura toujours quelque chose à découvrir, quelque énigme à déchiffrer concernant une région aux paysages si divers, remplie d'Histoire, de richesses, de mystères propres à nourrir les fantasmes les plus fous (2). La vallée, en remontant, continue de drainer des pays jadis aussi enclavés que fermés (le Trou du Curé, le défilé de Pierre-Lys, ne permirent le passage vers les Pyrénées, le Fenouillèdes et le Roussillon qu'à la veille de la Révolution !) mais au renom dépassant les frontières (3).
Tel le bavard de service prenant trop de temps pour présenter une œuvre qui n'est pas de lui, je vous ai assez ennuyés avec mes raisonnements. Sans attendre davantage, suivons la jardinière de Panfilo et de la jument Magloire entre Limoux et Parahou-le-Petit.
http://rennes-le-chateau-en-quete-de-verite.e-monsite.com/accueil/page-46.html
(1) Nous demanderons à monsieur Reverdy de bien vouloir l'évoquer...
(2) Autour du trésor des Wisigoths, des Templiers, des Cathares, des seigneurs frappant fausse monnaie, de l'abbé Saunière, de la quête des nazis, de la visite du futur Jean XXIII, sans parler des fèdos ou des lutins Bug et Arach, plus familiers...
(3) du Razès et du Kercorb bien sûr !
Pour ceux qui rechignent à multiplier les clics et les ouvertures de pages :
DE LIMOUX A PARAHOU-PETIT
AVEC PANFILO ET SA JUMENT « MAGLORIA»
La veille de Noël tombait cette année là un vendredi. Jamais on
n'avait vu autant de monde au marché de Limoux. Les auberges avaient
fait le plein. De tous les villages, de toutes les fermes, les gens
étaient venus faire leurs emplettes.
Dans cette foule, il y avait un nommé Panfilo, demeurant une ferme
située dans les parages de Saint Louis de Parahou. Fidèle à la mode des
bouviers de son petit pays, il avait revêtu une belle blouse et portait
un mouchoir autour de son cou.
Avec sa jardinière et sa jument, il avait descendu deux sacs de maïs,
quelques chapons, des canards gras et une dizaine de foies gras. Avec le
produit de la vente, il acheta quantité de provisions, de bonnes
choses, des tourons et quelques bonnes bouteilles de blanquette et de
vin Anne de Joyeuse. Assez de vivres pour passer un bon Noël et rester
bien au chaud si la neige venait à assiéger pendant plusieurs jours.Ayant
beaucoup de chemin à faire, de bonne heure, c'est à dire, en début
d'après midi, Panfilo attela « magloria » (sa jument) qu'il avait
laissée dans une étable du côté de la place au bois et quitta aussitôt
Limoux.
Dans
l'étroit d'Alet de lourds nuages gris écrasaient les montagnes.
Quelques flocons de neige venaient choir sur son capuchon, sur les
oreilles et la croupe de « magloria ». Deux ou trois petits coups de
fouet, la bête prit le petit trot. Ainsi on gagna Couiza.
Panfilo
et son attelage auraient bien pris la grande route directe : la voie
romaine de grande communication Carcassonne Roussillon par
Rennes-le-Château, le Carla, le Bézu. Ils se seraient arrêtes à
l'auberge de la Jacotte où en cette veille de Noël, il devait y avoir
bonne compagnie. Puis, par les Tricoires et le col du Moulin à Vent il
aurait pu regagner sa ferme près de Parahou Petit. Mais il fallait que
Panfilo passe par Rennes-les-Bains pour charger des choses à remonter.
Tombée
de bonne heure, la nuit enveloppait la station thermale et la neige en
flocons plus gros recouvrait le sol de quelques centimètres déjà,
lorsque Panfilo arriva aux Bains de Rennes. A la lueur de la lanterne,
il attacha sa jument à un arbre sur la place et alla rapidement manger
un morceau dans la salle du café-auberge ou régnait une atmosphère de
rires sonores.
Demi-heure après :hi !hi ! « magloria ». L'attelage repartait. Par un
froid aussi vif, on ne pouvait rester longtemps assis sur une voiture.
D'autre part, la neige tombant plus drue et à gros flocons, la marche
devenait de plus en plus pénible. La lanterne n'éclairait qu'à une paire
de mètres . Là haut, sur le plateau du mas, le vent secouait les
buissons. Les arbres s'agitaient prenant les apparences de grands
fantômes de la nuit. Au pont du Caïram, la jument s'arrêta net.
Rien à faire, « magloria » ne voulait plus avancer. Levant le fanal,
Panfilo éclairait au-devant de la jument. Brrr ! Un cercueil, en plein
travers, barrait la route. Panfilo fut saisi de frayeur. Ses dents
claquaient. Il fallait aviser. S'armant de courage, il déplaça le
cercueil. Jument et jardinière passèrent. Après quoi, il remit à nouveau
le cercueil en travers de la route. De l'intérieur une voix se fit
entendre:
« As pla faït de me tornar en plaça, sinon éres mort » (tu as bien fait de me remettre en place, sinon tu aurais été mort).
Il paraît que beaucoup de voyageurs attardés vivaient la même scène en passant au pont de Caïram.
Un
peu plus loin, avant d'arriver à Bugarach, au ponceau du
Rec-des-Fangots, Panfilo entendit des chaînes ? Du fouet, il hâta le pas
de la jument.
A nouveau, après Bugarach, en passant sous le Pic et les parages du
Lauzadel, au pont de Rouffet, Panfilo entendit à nouveau des bruits de
chaînes. Cela se produisait souvent dans ces parages hantés. Ces bruits
de chaînes dans le silence ouaté de la neige lui remirent en mémoire des
choses qui s'étaient passées l y a fort longtemps sur le plateau du
« Trauc de la Reilha ».
Ce
pays se situe entre 750 et 800 mètres d'altitude où se joignent les
lmimites territoriales de quatre communes. Là, se souvint Panfilo, un
homme avait perdu son épouse. Il l'avait portée au cimetière. Or, animé
par l'esprit de malfaisance, un voisin revêtu d'une longue chemise
blanche flottante venait en agitant et en traînant des chaînes, par les
pâturages de nuit, faire peur au veuf . Ce dernier pensait que sa femme
revenait lui rendre visite. Lassé et ulcéré par ce manège, il s'écria un
soir :
« Mafisa
té qui si té torni portar al cimentéri, tornaras pas ». (méfie-toi que
si je te ramène au cimetière, tu n'en reviendras pas).
Le fantôme continua sa pantomime. Le veuf s 'arma d'une fourche, se rua
sur le revenant, l'embrocha et le transperça. Panfilo se souvint aussi
d'une autre histoire arrivée durant la guerre de 1914-1918. Le
propriétaire d'une ferme des parages du Trauc-de-la-Reilha mourut.
Hélas, le menuisier de Bugarach était mobilisé. Personne pour faire le
cercueil. On monta de la ferme de Linas, une caisse servant à mettre les
jambons, les caisses de conservation des jambons ont généralement une
forme de cercueil avec toutefois un peu plus de profondeur. Dans cette
caisse à jambons ; on enferma la défunte . Avec des vaches et la
charrette du domaine du Capitaine, on descendit jusqu'à l'église. Mais
le curé était également mobilisé. A défaut de prêtre, un jeune
séminariste de Bugarach qui portait déjà la soutane revêtit les
ornements du prêtre mobilisé et officia dans les limites de ses
compétences sacerdotales avec des enfants de chœur de Bugarach.
Chemin faisant, tout en ruminant ces veilles histoires, Panfilo arriva à
sa maison près de Parahou le Petit, où sa femme et un grand feu de bois
l'attendaient. Le temps de mettre « magloria » à l'étable, il
s'abandonna dans la douceur du foyer.
Copyright André Galaup
"Rennes-le-Château, en quête de vérité", paru en 2012, où il démythifiait l'affaire du trésor de l'abbé Saunière, démontrant les affabulations étalées depuis cinquante ans, voici qu'il offre à ses lecteurs un nouvel opus inédit intitulé :"Les abbayes du Razès" celles de Saint-Hilaire, Rieunette et Saint-Polycarpe (2015).
André Galaup ≈ Les mystères de la Vraie langue celtique et du Cromleck de Rennes-les-Bains. Le secret d’une noble Dame (2015).
André Galaup (1938-2021)
photos autorisées :
1. Limoux Pont-Neuf auteur Tournasol7.
2. Couiza, château des ducs de Joyeuse, auteur Kojac1.
3. Rennes-les-Bains, pont sur la Sals, auteur Corlin.