Tous ne sont pas revenus. Comment ne pas s'émouvoir en
pensant que nombre de ces marins perdus ont auparavant parcouru cette
allée avec aux mains, les fleurs du souvenir, aux lèvres, la protection qu'un croyant demande avant de
repartir ? Et pour finir, tout en haut, dans la chapelle, comment ne pas
s'élever à l'idée des ex-voto, ces œuvres de longue patience, en signe de reconnaissance, pour remercier le Ciel d'en avoir réchappé. Une sincérité d'âme à laquelle il faut s'accrocher quand un monde pourri, trop facilement admis, s'immisce puisque ces ex-voto furent volés pour alimenter l'amoralité abjecte d'une minorité arrogante gavée
de fric, des collectionneurs ne respectant rien.
Cet ermitage devenu cimetière marin, nous l'avons abordé, à l'occasion de la sardo, le repas de fin de vendanges par Jean Camp avec le personnage de l'ermite et pour décor le chemin montant à la chapelle. Ensuite, tout au long des inscriptions du souvenir, comme une musique de fond, Oceano Nox, le poème de Victor Hugo, " Oh ! combien de marins, combien de capitaines...", nous a accompagnés.
Sète tombe Valéry (cimetiere_marin) Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Fagairolles 34 |
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !..."
Quand sur l’abîme un soleil se repose...
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux ! ...
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! "
Le Cimetière Marin, Paul Valéry (1920).
Et qu'est-ce que cela peut bien nous faire si l'expression "cimetière marin" est inappropriée ? Au contraire c'est parce qu'elle s'est libérée des chaînes du rationnel, du systématique, du cartésien, qu'elle peut nous emporter dans une fantasmagorie poétique propre à chaque être prédéterminé mais partagée dans sa dimension " D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?"
Sète Hérault Quartier de la Corniche Photo Christian Ferrer Wikimedia Commons CC BY-SA 3.0 |
"... Trempe, dans l'encre bleue du golfe du Lion,
Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion,
Et, de ta plus belle écriture,
Note ce qu'il faudrait qu'il advînt de mon corps,
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d'accord
Que sur un seul point : la rupture [...]
[...] Juste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus,
Creusez, si c'est possible, un petit trou moelleux,
Une bonne petite niche,
[...]
[...] Déférence gardée envers Paul Valéry,
Moi, l'humble troubadour, sur lui je renchéris,
Le bon maître me le pardonne,
Et qu'au moins, si ses vers valent mieux que les miens,
Mon cimetière soit plus marin que le sien [...]"
"Supplique pour être enterré sur la plage de Sète", Georges Brassens, juillet 1966.
Les noyés de la tempête de 1797, m'a précisé une fidèle lectrice, ont été enterrés sur place, dans le sable, en deçà et au-delà des caps des Frères et de Leucate...
Paul Valéry, Georges Brassens, Sète, après le gris et le glauque des corps dans les tempêtes, les mêmes bleus de la mer et du ciel, le vert sombre, les pierres blanches de l'Allée des Naufragés aux Auzils, au bord de la Clape pour s'élever plus haut que la mort, toujours plus haut dans l'éclat sans égal d'une Méditerranée sublimée.
Notre_Dame_des_Auzils wikimedia commons Auteur ville-gruissan.fr |