Montredon, Lézignan, Montbrun, Conilhac revendiquent les Corbières. Et Narbonne ?
Avant de rejoindre l’Orbieu et Villedaigne, un dernier regard dans le
rétro sur ces collines, ultimes obstacles à la course à la mer du fleuve
Aude qui doit encore contourner le village de Moussan.
Sur le versant tourné vers l’est, les vestiges de l’oppidum de
Montlaurès qui, contrairement à ce que laisse croire son appellation
latine, est bien antérieur à la colonisation romaine. Avec Pech Maho du
côté de Sigean et Ensérune à Nissan, ces sites abritaient le peuple des
Élisyques qui, entre les Ligures et les Ibères, commerçaient avec les
Phéniciens et les Grecs (1). A Montlaurès, l’IGN mentionne, en bleu, un
mystérieux "Œil de mer", une exsurgence (2) une source artésienne, le
point d’eau indispensable à l’installation humaine et aujourd’hui
nécessaire à la Comurhex de Malvési pour le raffinage de l’uranium...
Entre Montredon-des-Corbières, Névian et Marcorignan, des passionnés
ont mis en évidence la Voie Dixiane, une variante de la Via Aquitania
des Romains, qui emprunterait un col nommé Boucocers (3) avant de
traverser l’Orbieu par un gué puis, au-delà de Raissac-d’Aude, de se
diriger vers Fontarèche, Montrabech, Sérame et la "clue" de l’Aude en
passant à proximité de la source Dixiane, une autre source artésienne
peut-être liée au nom de la variante de la Via Aquitania.
Si l’ancienne nationale contourne Lézignan-Corbières (attention aux
radars embusqués), il serait dommage de ne pas citer ce centre viticole
témoin de la révolte de 1907 parce que la première cave coopérative de
l’Aude « Les vignerons », vit le jour en 1909. A propos de nos
"montagnes", les hauteurs au Nord-Ouest (4), lors des aigats (dits par
ailleurs et trop systématiquement"épisodes cévenols"... même s’ils
touchent le piémont pyrénéen...), alimentent de façon ponctuelle
plusieurs ruisseaux qui rejoignent le non moins méconnu Ruisseau de la
Jourre, affluent rive droite de l’Aude de 20 km pourtant ! Entre le «
Rec de la Bergère » et celui « de la Citerne », mon préféré reste le «
Rec-d’Escouto-can-Plaou » (littéralement « Ruisseau
d’Ecoute-quand-il-pleut ») parce que, exception faite des trombes d’eau
qui causent de dangereuses inondations, notamment à l’automne 1999,
écouter la pluie exprimait, pour une population liée à la
terre, avec le doux bruit des gouttes qui tombent, le plaisir de savoir
que les cultures profitent, que les réserves se remplissent, et aussi
l’assurance de voir écartées les affres de la sécheresse.
Conilhac-Corbières (80-90 m alt. moy.), dernière localité au sud de ce
contrefort anonyme. Un petit clic sur geoportail ouvre sur le domaine
des lapins (traduction littérale de Conilhac). Quel nom porte cette
éminence ? Je vois peut-être Maurou ou Plo de Maurou, plo signifiant
peut-être "petit plateau" en occitan. Le CD 165 passe le Col de la
Portanelle (171 m), laisse à gauche la « Combe des Loups », encoche dans
le plateau, et gagne Montbrun-des-Corbières (5). En attendant que les
Montbrunois nous expliquent peut-être pourquoi la « Garrigue de Montbrun
» est partagée entre les communes de Moux et Fontcouverte alors que «
La Côte de Fontcouverte » est chez eux, gagnons Escales, bastion ultime
des Corbières, regardant le fleuve venant de l’ouest, au pied de ces
dernières hauteurs stratégiques dominant le sillon audois. Le nom,
venant de scala, l’échelle, traduirait l’idée de "pente abrupte", de
"passage difficile". Heureux Escalins qui méritent assurément une visite
avec l’église Saint-Martin du XIème, le château historique, la tour sur
une colline proche, dominant une pinède et, dans le village même, la
source deux fois millénaire, citée dans les vers d’Achille Mir, natif du
village (6).
Escales / Église saint-Martin XIème siècle.
Et Narbonne nous semble vraiment loin...
Laissons la capitale des belliqueux Elisyques qui s’est donnée à Rome,
tournée vers la mer, fière de son carrefour qui la met entre
Montpellier, Toulouse et Barcelone, elle qui, faute de pouvoir
rivaliser, ne serait-ce qu’avec Perpignan et Béziers ne peut que
s’enorgueillir de dépasser Carcassonne. Et si cette insensibilité
apparente permet à Lézignan-Corbières de parler pour l’arrière pays et
en particulier la vallée de l’Orbieu, je me demande si cette
indifférence n’a pas accentué les destins divergents de deux villes
éloignées seulement d’une vingtaine de kilomètres. Au rugby par exemple,
Narbonne à XV, Lézignan à XIII, de même que le parcours de quelques
joueurs tels Pierre Lacans, le troisième ligne international de Béziers,
pourtant natif de Conilhac (7) ou Christian Labbit, parti à Toulouse
puis licencié après son retour à Narbonne. Quant au Racing Club
Narbonnais qui ne s’est jamais bien entendu avec les clubs des villages
voisins, maintenant c'est « Narbonne Méditerranée »... et plus
d’affinités avec l’Australie qu’avec la porte à côté... Je pousse un
peu et ce serait ridicule de vouloir une « Place des Corbières » plutôt
que « des Pyrénées », il n’empêche, le miel fameux dit « de Narbonne »
ne serait-il pas plus des Corbières que de la plaine ? Pour le vin, par
contre, la situation semble plus nette, Narbonne gardant ses Bacchus
sculptés et les Corbières ses nectars aussi riches qu’épicés...
(1)
Hérodote signale que des mercenaires élisyques auraient servi dans
l’armée carthaginoise, en Sicile vers - 480 (v. Wikipedia).
(2)
Introuvable, cet "Œil de mer" sur les dicos et sur le Net et qui
réapparaît pourtant dans les Hautes Corbières ! Par contre, si cet
"œil -de-mer" fait penser au gouffre de l’Œil-Doux, sur notre commune
de Fleury, il me semble avoir vu "œillal" quelque part, sauf que ma
source ne va pas plus loin que quelques entrées sur la première page du
moteur de recherche... L’eau de l’exsurgence provient d’une nappe
souterraine, celle de la résurgence de pluies infiltrées ou de la perte
d’une rivière plus en amont.
(3) Ce col de Boucocers serait
situé plus à l’est, sur la route de Narbonne à Saint-Pons. Voir «
"Toponymie Générale de la France" Tome 2. Ernest Nègre. p. 1147 / 21479.
Boucocers, com. Montredon, Aude, à un col sur la route de Narbonne -
Carcassonne : terminium de Orecrcio, Buccacircio, 1032 (HGL, V, 198) =
occ. boca «bouche, orifice » DOF + cèrs, cerç « vent d’ouest » (DOF),
désignation métaphorique du col »... On trouve aussi Boucocers à
Lagrasse (le camping a pris ce nom juste en dessous d’une éminence
appelée « Bouche au Cers » qui force l’Orbieu à un détour vers l’ouest).
QUE LES INTÉGRISTES DES TRAMONTANES SE LE DISENT !
(4) dont
« Le Garouilla » (certainement issu du languedocien « garrolha » = le
taillis de kermès) et « Le Perdigal », le perdreau des chasseurs.
(5)
Jolie histoire liée à Notre-Dame-de-Colombier et une page édifiante sur
le Cers «... Dans le Golfe du Lion, le vent de Cers est le seul vent
venant de l'intérieur des terres, il n'y a aucun vent de nord, ni aucune
tramontane ». D’emblée, ils ne l’envoient pas dire et avec une
majuscule au Cers, siouplèt !
http://www.montbrun-des-corbieres.fr/la-commune/les-vents-dominants/
(6)
Achille Mir (1822 - 1901) contributeur remarquable de la langue
occitane : c’est son « Sermoun del curat de Cucugna» qui inspira Daudet !
http://www.mairie-escales.fr/village.htm
(7) décédé dans un accident de la route le 30 septembre 1984, à l’âge de 27 ans, au lendemain d’une victoire contre Narbonne.
photos libres de droits wikipedia / peuples celtes, Escales, Narbonne