lundi 24 septembre 2018

NOUS LES REFERONS ENSEMBLE, LES VENDANGES… / Fleury d'Aude en Languedoc


Finalement, en relisant ses écrits, j’en sais davantage que lorsque j’habitais au village. Heureux ceux qui tiennent un journal quotidien… Avec le temps, le train-train, la routine cristallisent en témoignages de plus en plus précieux.   

Papé Jean au Mourre, une vigne sur la route des Cabanes, avant de monter dans la garrigue de Bouisset. Photo François Dedieu

Papé et tonton qui finissent de charger au Courtal Cremat, sur la route de Saint-Pierre.
Photo François Dedieu

Lettres de François Dedieu (1922-2017) ; extraits :  

Du 6 oct 1994.  « … Les vendanges sont terminées depuis une quinzaine de jours et se terminent dans le Minervois et dans la région de Carcassonne-Limoux… / … Voilà huit jours, les vendanges battaient encore leur plein dans le Minervois héraultais et nous avons vu d’assez nombreuses « colles », ce qui nous changeait des machines rébarbatives et froides de notre « pays bas »… »

Du 24 sept 1996. « …Depuis ton départ, le temps a pris une allure automnale dès avant l’arrivée de la mauvaise saison, les matins se sont révélés plus frileux (11 ou 12degrés à peine) et la pluie s’est mise de la partie pour contrarier des vendanges qui n’ont plus le charme ni l’ambiance d’antan et font circuler dans nos rues ces monstres modernes que constituent ces énormes machines obligées quand même de s’arrêter si les propriétaires ne voulaient pas ajouter trop d’eau dans les bennes, à cause des secousses imprimées aux ceps. Avec le cers salvateur et un timide soleil retrouvé, les travaux ont repris, même s’ils passent pratiquement inaperçus. La récolte est faible en degré et ne va sans doute pas constituer un fameux millésime… Et les vendanges d’autrefois défilent dans ma tête, avec leurs couleurs et leurs bruits, la théorie des chariots se dirigeant vers les vignes à l’allure de nos anciens chevaux de trait, percherons, bretons, ardennais, voire ariégeois ; leurs travaux pénibles aussi, surtout les premiers jours où il fallait s’habituer à voir les autres libres dès l’arrivée au village alors que les tout petits exploitants que nous étions devaient achever leur journée de labeur à la lueur vacillante de la bougie, les jours devenant plus courts et les comportes devant impérativement être vidées dans les foudres. Avec cela, papé Jean commençait parfois sa longue journée à quatre heures du matin, pour profiter un peu de la pression de l’eau qui permettait de laver les cuves. Et chaque jour il fallait bien étriller Lamy et lui permettre de manger avant le départ. 

Vignes à Bouisset en 2014.

Vigne à Bouisset où la pointe de la Clape domine la plaine de l'Aude. Au fond, le village de Vendres.




18 heures ; Nous sommes allés cet après-midi à Bouisset et avons constaté avec plaisir que quelques « colles » de vendangeurs se trouvaient dans les vignes, bien entendu avec des tracteurs et la hotte, mais sur la droite de la route en allant vers Les Cabanes, un garçon chargeait sa remorque avec des comportes de bois, chose rarissime de nos jours. Malgré le vent, et sans doute grâce à lui, le soleil était de la partie, ce qui ne gâtait rien… »

25 sept 1996. « … Vers huit heures et demie j’ai aperçu mon neveu qui m’a fait un grand signe de la main. Il amenait une benne de raisins à la Coopé. Son beau-frère et associé, lui, s’est démoli le pied en chassant un chien-loup venu attaquer son chien. Il marchait péniblement avec deux béquilles. Je ne sais pas s’il a repris les vendanges… » 

Depuis Bouisset en regardant vers les collines de Nissan-lez-Ensérune (au fond).

Côte de Bouisset, la route passe le seuil de la croix de la Belle, de la Bello, à l'origine de l'Adèlo. Vigne de mon pauvre cousin Jojo, sauf erreur de ma part...  

dimanche 23 septembre 2018

UNE JOURNÉE DE VENDANGES vers 1960 / Fleury d'Aude en Languedoc.

A mon père, resté fils de la vigne, qui chaque année ne manquait pas d'exprimer sa nostalgie des vendanges passées.   

Papa, 2004.

Un fidèle lecteur demande où en sont les vendanges 2018 à Fleury. 
Mais c’est qu’on n’en sait rien ! Et s’il n’y avait l’Internet, ce serait moins que rien.



"... l'ensemble du vignoble audois..." touché "… par le mildiou, mais aussi la grêle, une pluviométrie historique et une canicule qui dure. La récolte audoise devrait s'élever à 3,5 millions d'hectolitres..." (12 millions d’hectos pour le Languedoc soit 20 % de plus que l’année dernière mais en dessous des années 2013-2016).



Rien en liant les noms des villages (Fleury, Salles, Coursan, Cuxac…) à l’entrée « vendanges » ! Ah si ! A Armissan, le dimanche 7 octobre, une foire aux vendanges avec vide-grenier et marché aux puces, que ça ! 
Au détour d’un site une offre d’emploi apparait, pour trois semaines de vendanges dans le Narbonnais, datant de 10 jours. 
A Embres-et-Castemaure, un monsieur de 56 ans, vendangeur de toujours, qui a commencé début août à Fitou, précise qu’il aura trois mois de travail et qu’à présent, même les jeunes n’en veulent pas. 
 

Emblématiques de la vie sinon de la survie, le pain et le vin ont perdu valeur de symbole. Les moissons et les vendanges qui valaient bien une fête une fois à l'abri, ne relèvent plus désormais que des chiffres de l’agro-alimentaire ! Et il faut un natif d’un pays de vignes, déjà d’un âge certain, pour évoquer des vendanges si essentielles dans une ronde des saisons elle-même occultée, presque et passée au second plan sinon niée par un libéralisme au comble de sa logique, mortifère !



Le matin à la vigne. Début des années 60. Le chariot prend place, toujours au même endroit, là où il sera plus pratique de charger les coustals, les comportes pleines (80 kilos en moyenne dites aussi portoires) :



« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que lanço » 
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui lance[1]) Achille Mir. 

 
Même les amis participent "Petito ajeudo fa gran be" (une petite aide fait grand bien). A gauche le plateau permettant de monter les comportes sur le chariot... fallait pas se manquer ! Photo François Dedieu

Pas si vite ! Avant de commencer, tonton qui a déjà placé le plateau de maçon en plan incliné montant sur le chariot, dispose les semals (comportes vides) dans le passage aménagé tous les quatre rangs. Mamé protège et couvre bien son grand panier à l’ombre d’une grosse souche... les chiens auraient tôt fait de nous flamber le dîner. Peut-être pose-t-elle dessus la bonbonne pour l’eau. Sous une branche, une bouteille emmaillotée, tenue humide se balance au vent pour garder le vin frais. Papé fait le tour du propriétaire, perdu dans des pensées qu'il ne partage guère. 


La journée commence. Le tablier n’est pas de trop pour les coupeuses avec le mouillé. Je ne me souviens plus si au bout de la rangée on s’arrête pour déjeuner ou si c’est sur le pouce… La cole sort au moins un voyage de 16 ou 17 comportes (1280 – 1360 kilos environ), parfois 24. 
 
Mamé a fait griller l'entrecôte. Sur le côté, dans l'herbe, la fameuse brouette ne nécessitant plus qu'un seul charrieur au lieu de deux. Photo François Dedieu

A 11 heures vieilles (le temps au soleil avec deux heures de retard sur notre heure d’été actuelle donc une sur l’heure dite d’hiver qui, avant 1976, avait cours toute l’année), le dîner à la vigne. Papé cherche quelques escargots à griller juste un peu de sel et de poivre sur les bulles de bave verte. Justement si on fait la braise c’est qu’il y a de la viande, ce qui, vu les prix, n’arrive pas souvent... l'omelette, les macaronis sont des plats communs pour manger dehors. 
 
Mamé Ernestine, coiffée de sa caline, papé Jean presque attablé... On se partage l'ombre du tamaris avec une famille de Fleury aussi...  Photo François Dedieu
Ensuite, les adultes piquent un roupillon et les enfants sont priés d’aller jouer plus loin. 


A 13 h solaires le travail reprend. Mamé a porté une bouteille de café sucré coupé d'eau, et une autre d’antésite. Aïe, une guêpe a piqué, cachée sous les feuilles ! Vite le remède miracle de l’oncle Noé : frotter le point venimeux avec trois feuilles différentes. Personne n’a marqué la journée, personne ne s’est taillé avec les sécateurs. Pas besoin d’un papier à cigarette de tonton pour arrêter le sang !  
 Pour l’enfant, même en duo (attention aux doigts), moins docile et convaincu que l’adulte, chaque cep qui courbe la tête rapproche néanmoins du bout tant espéré de la rangée. Là les grands vont aider, soulager des dernières souches. Se relever. Revenir à pas mesurés, s'essayer à la régalade avec la boisson à la réglisse, et puis, la barre de chocolat ou la vache qui rit du goûter coupent bien l’entrain perdu du matin. Traîner un peu avant que les coupeuses ne poussent à la reprise, ne houspillent le manque de détermination. Voir la mer de vignes à peine coupée par la ligne des arbres au bord de la rivière sans pressentir que cette houle de pampres viendra, bien des années plus tard, souvent et à jamais s’accorder avec le flux et le ressac d’un cœur qui bat.

 
Les pneus ont légalement remplacé les grandes roues cerclées de fer. Lami, le cheval va ramener 20 comportes pour le dernier voyage de la journée. Photo François Dedieu

Délivrance. Fin de journée. On rassemble les affaires, le panier, les bouteilles, le grill, le pull laissé ce matin sur un pied. Dernier voyage de comportes vers la cave de papé.

« C’est le moment crépusculaire… »… Avec quelle émotion, Hugo, le grand homme, a su admirablement saisir ce moment ! Le semeur est seulement devenu vigneron et, élargi jusqu’aux étoiles, le retour du chariot va bien vers « … L’ombre, où se mêle une rumeur… », vers le village qui découpe sa tour et son clocher au-dessus des toits rassemblés, la chaleur des siens et de ses semblables qui appelle, avant la nuit...

Les fers du cheval marquent la mesure sur la route « cloc cloc, cloc cloc » comme pour appeler les cloches à répondre. Un clair-obscur déjà mauve commence à monter et le rattrape depuis la plaine.

Oui, Hugo, Millet aussi avec ses tableaux de paysans collés à leur glèbe, « Retour des champs », par exemple, qui nous rapproche du chariot qui rentre, me restent plus proches et poignants que ce productivisme effréné complètement déshumanisé, potentiellement capable de programmer à terme l’extinction de notre espèce... 
 
Jean-François_Millet Le hameau Cousin Musée des Beaux-Arts Reims
Des salops me pourriraient presque le bonheur de ces sensations qui restent... Mais nos racines naturellement paysannes ne vont pas tarder à faire lever un vent de révolte qui les emportera avant l'irrattrapable ! Plus proche, c'est certain, de Hugo et Millet que d'une mondialisation imposée, amorale et aliénante !




[1] Travail à deux pour celles devant rejoindre le deuxième rang et les dernières au bord du plateau du chariot. 

Jean_François_Millet La_Récolte_des_Pommes_de_Terre) Source photographer mAEXeyHzt6O2Gg at Google Cultural Institute, zoom level maximum

PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Sinon mets "JF Dedieu". Je compte sur toi.