mardi 6 février 2018

AUX MARCHES DE L'AIGOUAL, LE VIGAN / André CHAMSON, Jean CARRIERE.



Le Vigan, la soie, les bas de luxe. André Chamson (1900 Nîmes – 1983 Paris) confié à sa grand-mère, le temps des vacances. Si, devenu académicien, il suivit la voie par excellence de la méritocratie jacobine, il fut homme de convictions, pour le Front populaire, le soutien aux républicains espagnols, la résistance dans laquelle il s’engagea malgré ses idées pacifistes de jeunesse. Son œuvre raconte la vie dans les Cévennes, l’homme aux prises avec une nature sans pitié. Avec le temps, il s’attachera à témoigner de la rébellion déterminée des Camisards confrontés aux dragons d’un Louis XIV devenu dévot après avoir engendré seize ou dix-sept enfants naturels… un « grand » roi par ailleurs ! Au col de la Lusette, sur les pentes de l’Aigoual, sa tombe porte l’inscription « REGISTER », résister[1] en occitan[2] du Vivarais.



« Dans l’ordre humain, je ne connais rien de plus beau que cette aventure héroïque d’un peuple montagnard qui semble avoir voulu donner la preuve de la primauté de la conscience humaine » André Chamson, 1935.



Au Vigan toujours, avec Jean Carrière (1928 – 2005), Goncourt en 1972 avec l’Épervier de Maheux, la porte sud des Cévennes ouvre sur une nature rude, rêche, à l’opposé de la plaine plus conciliante. Le milieu modelant les consciences a poussé une majorité de Cévenols à refuser viscéralement un catholicisme corrompu, suppôt du pouvoir, versé dans la vénalité, les plaisirs terrestres, au point d’atteindre au puritanisme. 
Après André Chamson, Jean Carrière en témoigne avec son personnage principal, contemporain des années 50. Dernier habitant d’un hameau où il est déraisonnable de s’accrocher pour seulement survivre, Abel dont le père s’est marié de justesse grâce à des lettres d’amour recopiées sur un magazine, s’entête à trouver de l’eau après que la source se soit tarie. La Noiraude, la femme, est finalement redescendue au village, auprès des siens :  



« … Le matin, il fallait se laver à la source, boire où venaient boire les sangliers ; la barbe, il ne la coupait plus. Plus de femme, à quoi bon se raser… »



Abel a son secret, il fait sauter la montagne à coups d’explosifs. Il a sauté avec. Accident ? Suicide ? Il mourra enseveli.



Ici le hameau éteint d’Abel, là-bas celui rallumé de Panturle. Ici un néant après sa mort, là-bas, la réhabilitation de Florette grâce à Manon, sa fille. Ici le maquis, là-bas la garrigue. Ici la montagne austère, là-bas la plaine souriante. Étrange point commun, la quête primordiale de l’eau, le rôle des explosifs… Gravitation dissymétrique autour d’un même barycentre de deux écrivains formidables : Carrière, Pagnol.




Le Mont Aigoual[3] « château d’eau » avec les sources du Tarn, du Gard, de l’Hérault. Mont de tous les records : rafale de marin en tempête à 360 km/h ! 908 mm de pluie, 186 cm de neige, 120 cm de givre en 24 heures ! Le Mont Aigoual, une arène que se disputent les influences de l'Atlantique et de la Méditerranée... 

Aigoual des camisards, des maquisards… le repaire de Castanet[4], ce chef qui, prenant pour femme Mariette, de bonheur exalté libéra d’un coup vingt-cinq prisonniers. Par malheur, une milice catholique prit Mariette, lui promettant un sort tragique. Un homme de cœur comme Castanet ne pouvait laisser faire : il fit irruption à Valleraugue d’où il repartit avec une femme en otage. Ce fut, paraît-il, le seul échange de prisonniers de cette guerre ignoble.

Des ombres hantent l’Aigoual quand la grisaille accroche ses nuées sur ses pentes. Mais par beau temps, serait-il plus incertain, il offre un panorama exceptionnel du Puy-de-Sancy au Monte Viso en Italie, du Mont-Blanc au Pico de Aneto en Espagne et à ses pieds, les chances sont plus grandes de découvrir tout le Golfe du Lion, depuis Marseille jusqu’au Cabo de Creus !   




[1] Inscription gravée dans la pierre par Marie Durand, sœur d’un pasteur du Désert et pour cette raison, prisonnière 38 ans à la Tour de Constance (Aigues-Mortes) (les hommes étaient envoyés aux galères)… Louis XIV ? Un grand roi…
[2] Chamson Majoral du Félibrige qui écrivit aussi des poèmes en occitan se laissa embringuer dans une secte d’auteurs irrédentistes revendiquant seulement le parler de Provence. Dommage !
[3] Jean Carrière a habité quarante ans au pied de l’Aigoual.
[4] J’avais dix ans. Mon professeur de piano, Mlle Florac ou peut-être était-elle de ce bourg des Cévennes m’avait raconté cette histoire que je retrouve non sans émotion, par André Chamson :  http://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/98fb1c59e84c9626e119a3fe0fa1668f.pdf 

Photos autorisées : 
1 & 2. wikimedia commons Le Vigan Author DePlusJean / André Chamson en 1962. 
3. flickr : versant ouest de l'Aigoual. 

samedi 3 février 2018

PLURIELLES, LES CÉVENNES / Tour d'horizon depuis la plage

Sur la courbe du Golfe du Lion, lancés comme par une fronde gravitationnelle, passant le Rhône, la Durance, survolant, les pays de Provence, nous avons croisé Emilie Carles défendant bec et ongles, la Clarée et son Val-des-Prés contre les bétonneurs du Briançonnais.
Holà ! ne sondons pas au-delà du système solaire ! ne gommons pas ce grand segment du feston oriental du Massif-Central[1], soulevé par la surrection des Pyrénées et des Alpes, de l’Espinouse aux Cévennes, en passant par l’Escandorgue, le rebord du Larzac, le petit causse de Blandas, la Séranne, la montagne du Lingas, le massif de l’Aigoual, la corniche cévenole, le Tanargue ardéchois !..  
Pas si vite ! nous ferons étape à Saint-Bauzille-de-Putois, au pied de la grotte des Demoiselles. 

Toujours à St-Pons, sous-préfecture jusqu’en 1926, perdant aussi son activité textile, une abbatiale forteresse promue cathédrale au XIVème, forte des 2.45 m d’épaisseur pour les murs de sa nef, mais souvent prise et pillée. Et cette réserve de truites apprivoisées[2] et grasses de tout ce que les gens lancent depuis les platanes du foirail… Et Ardouane, le pensionnat de curés… Le pauvre Patrick racontait comment il les rendait chèvres ! Quelle rigolade ! 
Depuis la garrigue de Fleury, vers l’intérieur des terres, au-delà des collines aux moulins ruinés de nos voisins héraultais, se reconnait la belle dent du Caroux plantée dans les Monts de l’Espinouse : monts de granit, de bruyère, sinon de sapinières à cèpes. Sait-il que ce versant tourné vers lui tombe jusqu’au Jaur puis l’Orb, vallées de cerisiers. A-t-il idée que plus haut, une soulane de châtaigniers, chère à Jean-Claude Carrière[3], ne compte plus les générations échinées à griffer les granites et les schistes, à monter les pierres ?

« … Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
[4]

Jusqu'au sommet de la colline
Qu'importent les jours, les années […]
Pourtant, que la montagne est belle… »
La Montagne (1964), Jean Ferrat (1930 – 2010). 

A l’évidence, un mode de vie comparable jusqu’à ce que les « trente Glorieuses » ne portent le coup de grâce, jusqu’à ce que « le progrès » n’en arrive à tout effacer, jusqu’au vol d’hirondelles de l’automne qui vient d’arriver. Qu’elles soient « Pyrénées », « Cévennes », « Préalpes », les montagnes restent belles même si l'homme, et plus encore le natif, ne peut que ressentir un pincement au cœur quand les buissons et la forêt reprennent les terrasses ancestrales, les anciennes prairies… Fini, les papillons aussi ! 

"... Les vignes, elles courent dans la forêt, 
Le vin ne sera plus tiré..." La Montagne. Jean Ferrat. 

Toujours chez Carrière, aux gorges d’Héric, au hameau de même nom, une maison étrange, sans fenêtre, de pierre, aux poutres brutes, couverte de schistes. La porte est entrebâillée. On ne fait rien de mal. Surprise, une épaisseur de châtaignes sèches, noircies, dures, uno cledo, un séchoir à castagnous ! Le plancher est à claire-voie. Restons sur le seuil, il vaut mieux. C’est en bas qu’ils allumaient un feu étouffé générant beaucoup de fumée. On dirait que l’endroit a été abandonné hier, en catastrophe… A moins que ce ne soit qu’une passade de hippies, ces « revenants » à la terre… Tandis que les gens de la ville viennent de loin, mais véhiculés, ventripotents, pour faire bombance... écrevisses, truites, sanglier, au Rec Fourcat, jadis dans les pentes, à Mauroul. 

Bédarieux et sa célèbre marquise… 

« … En effet, on ne peut passer à Bédarieux sans évoquer cette vieille demoiselle Noémie Berthomieu, qui ne voulut pas mourir sans doter la gare de Bédarieux de cette superbe marquise, cette halle[5] qui recouvre d’une seule volée les quais de la gare… »
La ligne aux quatre visages (Montpellier – Toulouse) / La Vie du Rail n° 1218 (16 novembre 1969) / Henri Vincenot (1912 – 1985). 

Au-delà de Bédarieux, la ligne Béziers-Neussargues-Paris doit se hisser sur le grand causse. Avant 1931et l’électrification, ce tronçon réputé le plus dur de France nécessitait une locomotive de queue en renfort, la « pousse » dans le vocabulaire cheminot, précise Vincenot. 
Parmi les curiosités à découvrir à deux pas de chez nous, pardon de ne donner que des pistes en gros, méritant d’être affinées tant les reliefs, les milieux, les villages ont toujours à offrir leur originalité. Dans ce coin du département de l’Hérault : les Hauts Cantons, ses forêts et pâtures, les mines de houille, de bauxite ; la haute vallée de l’Orb, les gorges, le barrage d’Avène, le plateau basaltique de l’Escandorgue avec des volcans liés au Massif Central sur une faille qui descend sur Saint-Thibéry et Agde ; les terres rouges ou lie-de-vin autour du barrage du Salagou en lien peut-être avec le volcanisme ; le rebord escarpé du Causse du Larzac avec le cirque du Bout du Monde ; les gorges de la Vis avec le cirque de Navacelles, les dolmens ; plus insolites encore, les pivoines de la Buèges. 

Plus accessibles, mais déjà dans la plaine, Saint-Guilhem-le-Désert, les gorges de l’Hérault, Saint-Bauzille-de-Putois, un village au nom improbable au pied de la grotte des Demoiselles, nymphes et déesses d’un monde rustique de bois, de sources et de grottes… 
 


[1] Le Massif-Central, un ensemble de hautes terres n’ayant qu’une relative altitude comme point commun. Ces « Hautes terres » furent débaptisées par Paul Vidal de La Blache, le monsieur du relief de la France à portée sur le mur, le gentil parrain des cartes murales en cadeau pour les petits écoliers en mal d’évasion. Me revient aussi la voix de papa, révisant, comme quand il portait la blouse : Charolais, Maconnais, Lyonnais, Vivarais, Cévennes…  
[2] Dans l’Aguze, affluent du Jaur dont la source sort du rocher à peine un peu plus bas. 
[3] Jean-Claude Carrière a raconté la vie entre les Avants-Monts et le Caroux dans « Le Vin Bourru » (2000). La vallée de l’Orb est aussi le pays de Michel Galabru (1922 – 2016).
[4] A l’instar de nos murs de pierres sèches, ci et là, à Granouillet, à Carabot ou dans la combe de Caussé par exemple…
[5] Copiée sur celle de la gare de Lyon, de dimensions plus modestes certes, mais plus en courbes, plus mignonne, plus bonbonnière. 

Photos autorisées : 
1. Saint-Pons-de-Thomières cathédrale mur meridional Author Fagairolles 34. 
2. Châtaignes 2008 Author JLPC. 
3. marquise Bédarieux Author Scanné par Claude villetaneuse. 
4. "Ruffes" du lac du Salagou Author Gerard Witzke.