dimanche 26 décembre 2021

Grottes et dolmens avant les filles du Poumaïrol ! (9)

Roger et Serge, complices depuis des lustres, se jouent (légalement) des limites imposées par l'épidémie de covid. En décembre 2020 ils ont entrepris de monter voir un pays aussi montagneux que mystérieux, pour les filles de là-bas qui ont de toujours laissé un souvenir si pimpant aux hommes émoustillés de la plaine. Depuis Narbonne, l'itinéraire des deux amis quitte le couloir de l'Aude pour gagner les causses et les garrigues du village historique de Minerve. De là, en suivant le cañon de la Cesse, ils vont monter jusqu'aux rudes reliefs du Poumaïrol ce pays méconnu oublié dans les brumes, aux mountagnoles si vaillantes, charmantes et piquantes... 

Causses de Minerve wikimedia commons Auteur Hugo Soria

 

Roger : une belle route, vraiment... une nature sauvage que nous n'avons pas trop entamée je dirais... 

Serge : c'est l'eau qui l'a entamée pour nous... regarde ces grottes rongées dans la falaise, où les humains purent s'abriter alors que la Cesse avait déjà bien creusé son cañon, je te le dis avec le ou la tilde... tu le sais qu'encore dans les années 70, certains dicos français orthographiaient comme ça, à l'espagnole ? 

Roger : elle me plait ta remarque... S'il y a une frontière, nous sommes si proches des Espagnols... 

Serge : Espagnols ? Catalans ? Tilde ou non... nous ne l'avons pas passée la frontière cette année... 

Roger : et oui, ce foutu covid... Tiens, nous devons être au niveau du Moulin de Monsieur, regarde sur la carte... 

Serge : et non, tu confonds avec le moulin d'Azam... presque Azan, le facteur je crois, tu sais celui qui apporte la lettre qui va faire partir Alphonse chez les vieux parents de son ami Maurice par un cagnard pas possible... une belle lettre depuis le Moulin de Daudet... 

Roger : décidément tu me plais ce matin... 

Serge : andouille, heureusement que personne ne t'entend, déjà qu'ils nous prennent pour ce que nous ne sommes pas ! 

Roger : tu as raison, tu crois qu'ils comprendraient que je te dis ça parce que nous sommes avant les fêtes et que ces Lettres de Daudet restent pour moi de merveilleuses histoires, une magie qui revient toujours à la même époque, je me revois enfant avec des sensations que l'âge n'arrive pas à gommer... 

Serge : et oui mais tu sais, ça les rend méchants, ceux qui sont insensibles à cette grâce... ils ont tôt fait de te cataloguer d'intellectuel... une jalousie qui les rend abjects parce qu'ils réalisent trop bien qu'un monde leur est fermé... ils ont tôt fait de donner dans les ragots et là jusqu'à l'homophobie... 

Roger : ... quand ils ne disent pas, dans l'autre sens, que ceux qui, mariés ou non, vont en Espagne, y partent pour les maisons de passe de la Junquera...    

Serge : oui, ça va, tu comprends, c'est suspect d'aimer les auteurs, c'est trop chelou d'aimer les vestiges grecs ou de ne pas vouloir oublier la page de la Retirada, si poignante et terrible... 

Roger : ah bon ? l'Histoire te touche ? Et moi qui pensais que tu passais la frontière pour partouzer !

Serge : et alors animal ? Entre personnes consentantes, c'est interdit ? 

Roger : animal, tu peux le dire, il y aurait tant à dire... et tout peut arriver, même le pire... comment expliquer, sinon, me concernant, du moins, cette peur du futur, ce remords de laisser un monde plus mauvais et par contrecoup, que je me réfugie dans le passé... 

Serge : passé, présent, avenir... Yourcenar avait dit quelque chose de bien à ce sujet mais j'ai oublié... attends, je me connecte, c'était beau, je m'en veux d'avoir oublié... 

Roger : dis on ne va quand même pas broyer du noir... 

Serge : malheureux, évite ce genre d'expression à te faire de suite passer pour le pire des racistes ! j'ai trouvé, elle a dit :

  Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar dans Les yeux ouverts (1980)

Roger : maintenant que tu le rappelles, je m'en veux aussi : cette citation avait beaucoup plu à mon pauvre père, il me l'avait relevée dans une lettre... 

Serge : sinon, nous sommes au niveau de la Grotte de l'Aldène ou de la Coquille ou encore de Fauzan, c'est la même... ils y ont trouvé de grands dessins de rhinocéros et d'ours, des empreintes humaines et de hyènes et d'ours encore, des  traces noires des torches et puis, écoute ça, un engrais phosphatique issu des os des animaux... quel cimetière puisqu'ils ont exploité le gisement pendant près de cinquante ans !

Roger : ça se visite ? 

Serge : en décembre, ça m'étonnerait... ni à la belle saison je vois, la grotte n'est pas ouverte au public... Et ton Moulin de Monsieur doit se trouver un peu plus en amont... 

Roger : on ne peut pas le dire autrement mais le lit de la Cesse est à sec sauf en cette saison : elle disparaît au niveau du Moulin de Monsieur pour ressortir à l'air libre, après peut-être une vingtaine de kilomètres sous la terre au niveau du Moulin de Madame... C'est la résurgence du Boulidou, après Agel, lors d'un dernier détour par les garrigues calcaires avant Bize, toujours dans le Minervois, et la plaine. 

Serge : tu as vu le panneau à gauche ? 

Curiosité_de_Lauriole wikimedia commons Author Pokemon59
 

Roger : oui, pour la curiosité de Lauriole, la route qui monte et qui descend... 

Serge : oui, juste une illusion et encore, suivant le point d'observation... C'est très visité... certains sont si crédules et perméables à des idées de magnétisme, de tellurisme sinon au paranormal...

Roger : à voir avec des enfants, c'est récréatif, par contre, je préfère la magie des dolmens, par dizaines dans le coin, même plus haut sur les causses de Minerve. Ils me fascinent...

Serge : tu dis la magie mais ils n'ont rien de magique, seulement des tombes... 

Dolmen de la Cigalière Cesseras wikimedia commons Author O.allegre
 

Roger : "Seulement des tombes" tu dis... Je veux bien qu'ils n'aient rien de magique mais même cassés, ils continuent de parler pour des ancêtres sur deux ou trois fois plus de temps que depuis l'an zéro. Et puis, c'est terrible, tout a été pillé, dispersé et même les locaux qui auraient voulu garder une trace n'en avaient pas la capacité... j'ai entendu dire qu'au musée de Minerve, il y avait quelques perles, quelques pointes de flèches, qu'à Olonzac le musée des écoles exposait des dents humaines...

 

 

mercredi 22 décembre 2021

CHEMIN D'ÉCOLE (4) "... Et là-haut, toujours plus haut... alors que la bêtise humaine..."

Là haut, toujours plus haut va le pauvre papillon magnétisé vers cette luminosité à la puissance cosmique. Appelle-t-elle impérativement la flammèche intérieure rallumée sur les traces de son passé ? Allons, un mirage seulement ! 

La Clape ? un milieu longtemps ratiboisé par la déforestation, les fours des potiers, des verriers et autres producteurs de chaux nécessitant beaucoup de bois à brûler. Résultat, le couvert dégradé de kermès pour remplacer les chênes verts. Cette garrigue est ensuite restée un milieu ouvert grâce ou à cause du pastoralisme, les nombreux troupeaux paissant la baouco et ne laissant aucun avenir aux jeunes arbres. Le cadre de ce chemin d'école encore présent mais vieux de quelques cent-vingt années était tout autre (encore, à ma connaissance, trois troupeaux au village à la fin des années 50). C'est seulement au bout de plusieurs siècles que, sans qu'on y prêtât attention, le paysage a radicalement changé quand les pins ont joué aux envahisseurs et encore à cause de notre espèce dont le zèle, toujours plus dangereusement libéré des lois de la nature, a imposé ses règles spécieuses basées sur le toujours plus, la concurrence, le profit. Acteurs du cercle vicieux et mortel à terme qu'ils ont promu, les hommes, en effet, violentent et essorent le milieu : ici, ils concassent le clapas (la pierraille) et vont chercher, dans un opportunisme sans scrupule, loin ou profond, une eau dont le manque, lié au changement climatique, fera sauter un jour l'enchaînement du cycle mer-ciel-terre et videra des aquifères fossiles... Que penser, par exemple, non loin de nous, et dans l'espace, de ces déserts qui firent de l'Arabie de Saoud un pays exportateur de blé ?!?! Incroyable non ? 

Revenons aux vignes de Fleury, dans la garrigue, les coteaux, la plaine, où celui qui ne met pas sa vigne sous perfusion n'est plus dans la course... Tant pis si, comme pour le pétrole ou l'atome, la question de l'eau reste encore pour ceux qui viendront après... "Après moi le déluge", et ailleurs la désertification du "je m'en lave les mains". Et que ceux qui n'ont que le fric et la dette en bouche soient bannis sur une île où ils pourraient s'entredévorer ! 

La campagne de Camplazens entourée de son vignoble.

Mais là, en voyant Camplazens campé dans son vignoble, bien sûr que nous sommes à des lieues de ces catastrophes annoncées et il s'agit de longer le plus discrètement possible, sans penser à ce goutte-à-goutte qui n'apporterait que de l'eau... Aïe, une voiture et ils sont trois à ausculter, à se consulter, dans une rangée... Plutôt aller à la rencontre que de prendre la poudre d'escampette tel un suspect potentiel. 

"Bonjour messieurs, vous préparez les vendanges ? 

~ Oh ce ne sera pas terrible cette année... " 

Ils sont aimables, souriants, pas sur la défensive, à l'image du domaine sans clôture, sans panneau d'exclusion. Je demande comment rejoindre la barre. Ils ne sauraient me dire sinon, vaguement, qu'il faut aller plus haut, toujours plus haut, vers le soleil du matin, sans préciser avec hauteur que je pénètre leur bien, une propriété privée... Justement, entre la garrigue et les souches, un large no man's land défriché mais qu'il serait peu productif de planter, monte vers une éminence. 

... toujours plus haut vers le soleil du matin...
 
Le radôme du Plan de Roques au loin.

Curiosité et espoir de la bonne surprise interfèrent : on voit la ligne de la barre, côté pente douce, sous un ciel plus aveuglant encore et, à droite, pour se situer, le radôme de l'armée au Plan de Roques. Plus bas, un chemin à gauche devrait permettre de contourner sans traverser les vignes, sans abuser de l'amabilité ambiante. Bonne idée avec un soleil qui, avec les heures, ne fait pas semblant : le long de ce chemin en transversale, des pins et une garrigue touffue en tempèrent l'ardeur. Au bout, hélas, caché dans les broussailles, les épines, un ravin à sec, de ces ruisseaux excessifs, rageurs seulement lors d'un orage ou épisode méditerranéen. Passer en force n'est pas envisageable : je n'ai plus ni l'âge, ni la motivation ni la tenue pour... même les sangliers se ménagent des pistes. L'obstacle oblige à presque un retour en boucle, par le bord des vignes qui plus est... Même hors de vue de la campagne, il n'est pas bon d'abuser du bon vouloir des possédants. 

Fleurs...

... et fréjal.

 En amont, peut-être à un kilomètre, pourtant, un accès marqué par un passage de roues. Un raidillon ponctué régulièrement par les abris de pierres ou de palettes des chasseurs de palombe lors des passes d'automne. On comprend mieux pour les roues, celles des "quaquatre" comme le dit Nadau, le troubadour des Pyrénées, en présentant "Saussat", sa chanson en occitan (voir "Chemin d'école", épisode 3). Dans les clapasses, les pierriers, quelques fleurs compensent, de leurs touches de couleur, la grise sévérité du fréjal.   

Et là haut, toujours plus haut, cette lumière puissante, tant sur le paysage que sur mon passé...