dimanche 24 janvier 2021

FEU & TISANO DE GAVELS / Feu de sarments et vin du Minervois

Serge : Hum, ces huîtres, c'est quelque chose... 

Roger : aphrodisiaques ! 

Serge : fallait me le dire dix ans en arrière ! 

Minerve et sa Tour wikimedia commons Author Commune minerve


Roger : Hé ! n'engoulis pas tout que je monte au Poumaïrol demain ! Et Lacarrière à Minerve, avec tout ça ? En premier lieu, la croisade des Albigeois, les 180 Parfaits qui préférèrent se jeter dans le feu plutôt que d'abjurer ; le site ensuite "... acropole au milieu des gorges...". Et quoi encore ? Que c'est désert en hiver mais pas mort comme La Couvertoirade ou Sainte-Enimie : une trentaine d'habitants encore en 1971, un petit musée, deux cafés ; dans le premier, une vitrine de livres sur l'Histoire, l'Occitanie ; il dit à la dame que c'est bien de proposer les livres à l'endroit dont ils parlent ; du coup, elle va bien vouloir le dépanner, quand son mari arrivera, même si les deux seules chambres disponibles sont occupées par les ouvriers qui travaillent au musée ; il est invité : 

"... je partagerai leur repas, arrosé d'un vin épais, rouge sombre mais délicieux  (que le vigneron vendange et fait lui-même) mon premier vin de vigneron du Minervois..." (1)

Minerve rue des martyrs wikimedia commons Author Commune minerve


Ils lui ouvrent une maisonnette de vendangeurs : 

"... un lit en fer, un évier et une grande cheminée..." 

Il va faire un grand feu et commencer "L'Histoire de l'Occitanie" d'Henri Espieux, acheté au café. 

"... je suis dans un lieu éphémère où pourtant je me sens chez moi.../... plus j'avance en pays d'oc, plus j'y trouve, avec la joie claire des sarments, ce pour quoi on part sur les routes : découvrir, rencontrer des inconnus qui, pour un soir, cessent de l'être..."

Feu de sarments wikimedia commons Author Olivier Colas

   

Serge :  un feu de sarments ne dure pas longtemps, c'est symbolique... et on faisait attention de ne pas provoquer de grandes flammes dans le conduit, des fois que la suie prenne... Les sarments ? il fut un temps où on les ramassait, où on les ramassait tous ou presque. D'ailleurs, après les châtaignes et les olives, les filles du Poumaïrol trouvaient à se faire embaucher pour les gavels et les boufanelos (sarments et fagots de sarments) :

 "... La récolte des olives était redoutée à cause du froid et celle des sarments aussi car le vent glacé de Cers balayait la plaine. Elles attachaient solidement "la caline" sur leur tête et glissaient sur leurs vêtements des blouses de grosse toile. Les voyageurs étrangers qui passaient, remarquaient avec étonnement ces femmes qui paraissaient en chemise, en plein hiver, dans les vignes... "

Roger : et oui, on dit "vestit coumo un poudaïré", habillé comme un tailleur puisque c'est un travail d'hiver à la vigne mais pour les ramasser aussi il fallait être bien couvert non seulement parce que le Cers fait pénétrer le froid mais aussi parce que les bises (les sarments) grafignent jusqu'au sang... 

Serge : on les ramassait, coupés sous bonne lune, sinon attaqués par les quessouns (insectes rongeurs) ils ne tenaient pas. Chaque famille avait sa provision de boufanelos pour les grillades... 

Roger : et quand il n'y avait que la cheminée pour se chauffer et cuisiner, ils prévoyaient même une réserve de petits fagots pour allumer le feu... je ne sais plus le nom...

Serge : puis, quand ils ne les brûlaient pas, ils les ont entassés au bord des vignes, on pouvait encore se servir... L'été, pour les grillades à Saint-Pierre, j'allais à Bouisset (2), à une vigne de Jeannot je crois... Puis ils les ont broyés manière de fumer la terre... Mon pauvre Roger, en racontant ça je me fais l'effet d'un préhistorique !.. Le temps passe vite et la vie nous presse d'aller de l'avant... 

"... Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !.." (3)

Sinon il est gentil avec nous ton Lacarrière... Tu me le prêteras ce livre...

Roger : plus il trouve cette hospitalité amicale, dans le Sud, tu veux dire, mais ça ne l'empêche pas de fustiger aussi le racisme lié au vin, les viandards... Ne va pas croire mais c'est un homme bon... tu sais combien j'y suis sensible... il est sincère, ses écrits traduisent bien qui il est... et si je critique c'est aussi pour intégrer et admettre qu'on me critique, ce que j'en dis rejoint ce que je te rappelais tout à l'heure sur Marcel Pagnol... mais tu le liras toi-même...

Serge : On verra, on a à découvrir en marchant... Ne traînons pas et puis mange tes huîtres, macarel ! que tout ce qui te monte à la tête te bouffe la testostérone... 

Roger : tu sais que même de ce point de vue, il nous en apprend Lacarrière... 

Serge : Oh ! c'est vrai ? 

Roger : qu'est-ce que tu veux, il marche, il rencontre des gens, il leur parle et parmi ces gens il y a des femmes pardi... alors... rien n'arrive et tout peut arriver...  

Serge : pas possible ! prête-le moi ce bouquin que j'ai envie de m'instruire !   

(1) et son cassoulet à Octon "arrosé du vin de sa vigne" ? ou alors c'est qu'il situe mieux le Minervois que lors de son arrivée sur les rives du lac de Salagou... 

(2) Bouisset est un tènement de garrigue mité de quelques vignes, en haut de la route en corniche des Cabanes-de-Fleury. 

(3) Tristesse d'Olympio.Victor Hugo.    


samedi 23 janvier 2021

A la recherche du Poumaïrol perdu (7). MINERVE, AVEC LACARRIERE et PAGNOL.

Minerve, une visite s'impose pour nos deux amis en goguette. 

Roger : écoute, il est encore tôt pour dîner mais rien n'empêche une collation, le déjeuner au travail, comme à la vigne, pour les vendanges, qui vaut pratiquement un repas. 

Serge : tu as raison, on a les huîtres, du pâté, du fromage... on peut même boire un peu puisqu'une marche de huit kilomètres nous attend. 

Roger : Regarde, le parking est vide... toute la place qu'on veut. Et les huîtres, même en hiver, vaut mieux pas que ça traîne ! Mais j'y pense, avant de mouiller mes doigts, laisse-moi chercher dans le casier des cartes, livres et papiers, un de mes bouquins préférés, "Chemin Faisant" de Jacques Lacarrière. A pied, au début des années 70, il a traversé la France depuis les Vosges, en quatre mois. Venant de Saint-Chinian, il est passé par Minerve...

Serge : Vas-y, regarde pendant que je les ouvre, les huîtres... 

Roger : Voilà, j'y suis, avec même un feuillet et des notes... Ah ! page 254, un contresens sur le Cers... C'est vrai que je m'en suis retrouvé désappointé, ennuyé vraiment. Que veux-tu, ce qui arrive quand quelqu'un dont tu admires l'intelligence se plante sur un sujet moins anodin qu'il n'y paraît. 

Serge : Ah ? Et qu'est-ce qui t'a contrarié ? 

Taille vigne wikimedia commons Author Véronique Pagnier


Roger : Il voit des vignerons qui taillent les vignes et entassent les sarments. Un vent du Nord penche les silhouettes, plisse les yeux et veut emporter les chapeaux ; ils se saluent mais les bourrasques emportent les mots : "... ce mistral qui, d'après les prophètes locaux, devrait souffler trois jours encore..." Alors le marcheur qui voyage aussi dans sa tête, déclame presque tous les noms de vents qui lui viennent... Passons sur les alizés, les zéphyrs, aquilons et autres tramontanes. Pour le mistral, c'est plausible puisqu'il parle du Salagou, du village d'Octon. Avec l'autan hou là là, il déraille, il le fait venir de haute mer, "embrun de l'infini", apportant "l'effluve salé"... Sauf erreur de ma part, aux abords de la Méditerranée, c'est du Marin qu'il s'agit, l'autan c'est à l'intérieur des terres, vers le Lauragais, l'Ariège ou le Tarn, une fois qu'il s'est délesté de son humidité ! Le Grec il aurait dû en parler, lui qui a tant aimé et tant écrit sur la Grèce. Et le Cers, on y arrive... "au lieu du cers, ce vent marin, doux et humide, qui apporte, l'hiver, aux Corbières, la tempérance de la mer, c'est le mistral qui m'emporte...". Comment laisser passer ? Enfin, le Cers petit frère du Mistral, généré de façon comparable et qu'on retrouve le long d'un autre grand fleuve l'Ebre ! Il en a parlé avec les gens ; la marche aide à communiquer sauf qu'il a mal compris, qu'il a noté de travers. Un piège classique pour ceux qui sont d'ailleurs... 

Serge : hé bé ! Et toi qui boycotte allègrement, tu ne l'a pas banni de ton panthéon ? 

Roger : Ah non ! Faut faire la part des choses ! sa peccadille n'a rien d'un cas pendable ! ce n'est pas comme ce Wilson fils dont le prénom à lui seul écorcherait mes lèvres depuis que, rouge de colère, cet imbécile a craché sur la Marseillaise, pour lui "raciste et xénophobe". Pauvre abruti imbu de théâtralité mais qui, coupable d'un contresens impardonnable, n'a rien compris au "sang impur" recouvrant les sillons. Ce n'est pas parce que le père lui a fait un nom que ce fils à papa a le droit d'étaler son crétinisme. Et le comble, faire du fric en se mettant dans la peau de De Gaulle parce qu'il a un pif compatible ! De Gaulle qui lui, oui, représente vraiment la France ! Là tu peux être sûr : je les ai dans le nez et Wilson et le film ! Déjà que comme acteur il ne m'a pas marqué... Est-ce que je suis teigneux ? Ou est-ce seulement essayer de rester lucide, de ne pas me retrouver une fois de plus, mêlé au bon peuple pêchant d'avoir la mémoire courte, trop groupie ou si crédule dans la virginité retrouvée des politicards qui le manipulent, enthousiaste bien que roulé comme toujours dans la farine ! 

Serge : Ho ! ne t'emballe pas ! bois un coup de vin blanc ! sinon tu ne lui en veux pas à Lacarrière ? 

Roger : et non, c'est juste humain de se planter... cela me refait penser à un petit garçon plaçant très haut son père, tu sais, Marcel magnifiant l'auteur de ses jours dans ses contradictions, fier de poser avec son doublé de bartavelles alors que pour son collègue paradant avec une rascasse énorme, il avait été pour le moins léger de juger : « Se faire photographier avec un poisson ! Quel manque de dignité ! »

Serge : Et alors ?

Roger : Et alors je me sens comme Pagnol qui aime son père, je reste tel que moi-même pour les gens que j’estime, surtout écrivains et artistes avec quelques exceptions politiques, je reste transparent pour ceux qui m'indiffèrent mais très réactif, tu me connais, si leurs mots les rend odieux, je pense à Séguela et à son rapport avec une montre de luxe... 

Serge : Séguéla... quand on est con on est con, le temps ne fait rien à l'affaire, chantait Brassens... 

Roger : Attends je me connecte pour te donner la phrase exacte, je l’ai commentée il y a peu sur internet... voilà, juste en tapant « Pagnol » : "... J'avais surpris mon cher surhomme en plein délit d'humanité : je sentis que je l'en aimais davantage..." Marcel Pagnol, La Gloire de mon Père, 1957.  

Serge : oui mais c’est bien une réflexion d’adulte dans la Gloire de mon Père et non une réaction de gosse... son point de vue a plus de soixante ans. Nos idées évoluent et mûrissent avec l’âge et de façon générale, va lire ce que tu écrivais à vingt ans et tu risques de ne pas te reconnaître. Quoi qu’il en coûte, le bon sens nous fait dire qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Roger : Lacarrière a su aussi mettre des mots sur ces questions... il est venu jusqu'à nous parce que, avec la Grèce, nous avons la Méditerranée en commun et ses colonies d'Agathois et de Phocéens... Qu'est-ce qu'il faut être con ou malhonnête pour oser dire, comme Macron, que la colonisation est un crime contre l'humanité. Qu'est-ce qu'on ne clamerait pas pour se vendre au vote de certains... 

Serge : Laissons-le celui-là avec ses manigances... 

Roger : tu as bien raison. Plutôt ceux qui en valent la peine comme Lacarrière. Je serais curieux de savoir de quelle manière il a intériorisé le peuple grec mais là, on sent qu'il est tangent à ce que nous sommes. Déjà il situe le Minervois au lac du Salagou mais il a su saisir quelques traits qui nous sont propres et son témoignage sur Minerve doit valoir mieux que sa tirade malheureuse sur les vents locaux.  


 

https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/05/15/31001-20140515ARTFIG00105-reponse-a-lambert-wilson-la-marseillaise-est-un-chant-de-guerre8230et-de-liberte.php