mercredi 13 décembre 2017

DU COCHON A LA VACHE



C’est le coup de gueule d’Arnaud Daguin sur l’élevage à la chaîne et pour rien de bon des cochons qui m’a lancé sur ce rituel de l’abattage, cette fête du cochon des tartufes que nous sommes. Depuis Laval, près de Quillan, avec Monsieur Reverdy, nous avons rayonné à Lavelanet avec Madame Tricoire, à Sorgeat avec des chroniqueurs qui ont bien du mérite à honorer la vie d’antan. 

J’ai gardé aussi en mémoire le sourire ravi d’un pépé de Nescus près La-Bastide-de-Sérou, encore en Ariège. Fin août, 1977 peut-être. Avec sa femme : ils arrachent des pommes de terre, à la charrue. Je me suis arrêté pour tirer le portrait de la vache, si coquette avec son cache-yeux rouge-blanc-jaune comme ces rideaux de cotons noués, frangés, montés sur les seuils de nos maisons vigneronnes, contre les mouches aussi, avec la chaleur. 


Sur les bords de l’Arize, en bas des reliefs (500 – 750 mètres), c’est déjà une lumière de fin d’été, estompée même, en cette fin d’après-midi. Calme, immobile, prenant la pose, la vache me fixe, pauvre touriste qui prend la photo. Nous échangeons quelques mots. Il est cordial, enjoué, si content de rentrer ses pommes de terre : « C’est qu’on élève le cochon ! Pas vrai mémé qu’on fait toujours le cochon ! ». Il veut partager ce bonheur avec sa vieille plus loin, il veut qu’elle confirme ! Courbée, toute à son travail, à décoller la terre sur les patates, elle se tourne à peine mais hoche un visage tout rayonnant, en réponse à l’allégresse du vieux. Ils sourient aux anges, ces deux, tels des enfants parce que le père Noël est passé ! Ils sourient aux jambons, aux saucissons pendus, au lard qui viendra si bien assabourer (1) la bonne soupe aux choux de l’hiver ! 

Ce souvenir m’habite depuis ce temps. J’ai d’abord ri  parce que leur malice m’a fait penser à ce conte de la vieille accrochée au petit vieux lui-même arcbouté sur une betterave géante difficile à arracher. Avec les années, le sentiment s’est fait plus profond. C’est beau, c’est grand, en effet, cela nous dépasse, cet hymne à la vie, ce défi à la mort de deux êtres unis depuis si longtemps, pleins d’allant tant qu’un nouveau jour voudra bien succéder à celui qui s’efface. 

Et je les vois toujours, ces deux, sortis d’une toile de Jean-François Millet avec, dans le moment crépusculaire, Victor Hugo pour réciter combien « ils doivent croire à la fuite utile des jours… », à la ronde des saisons. En musique de fond une joie qui demeure… 


En partant du cochon, j'en arrive à me demander comment s’appelle cette coquetterie si utile sur les doux yeux de vache. Il y a des années que je cherche, malgré l’Internet. Et ce matin, même si je ne sais toujours pas, sur l’écran, des cache-yeux sur des attelages de bœufs. Devinez où ? à NESCUS, petit pays perdu d’où viennent mes aïeux, de Montagagne pour être exact !


Celui qui travaille avec des chevaux, des mules, des bœufs s’appelle Olivier Courthiade. Poète, paysan, il doit jouer Franz von Suppé comme il pratique l’autre piano pour une cuisine vraie. Et, vous avez entendu sur la video ? Parlo occita ! Il parle occitan !

Travaillait-il déjà à la ferme vers 1977 ? Qui sait s’il les a connus mes petits vieux de Nescus ? Je lui porterai les diapos et du rouge du Bas-Pays !
      
(1) Assaboura = donner du goût, assaisonner

Crédit diapos de mon pauvre papa, François Dedieu : Montagagne, printemps 1968. 



mardi 12 décembre 2017

ET A SORGEAT ? Les neiges d’antan... l'abattage du cochon



  
Je reviens à Sorgeat, petit village heureux car un peu à l’écart de la route d’Ax. 
 
C’était quand déjà ? Il y a bien trois ans pour un sermon magnifique du curé parce que « mes trois curés » qui ne poussent pas la chansonnette (à Cucugnan, à Melotte, à Sorgeat) ont nourri une petite anthologie plutôt liée aux fêtes locales, avec, en prime, dom Balaguère, le chapelain des trois messes basses sur les pentes du Ventoux « Deux dindes truffées Garrigou ? »  (Alphonse Daudet).
  



 Noël qui pointe vers l’horizon de décembre me pousse sans doute à marier les nourritures terrestres et célestes… le sacrifice de l’animal en fait partie.

Le site sur Sorgeat consacre plusieurs pages à l’abattage du cochon (à voir absolument, avec des photos très parlantes).


Le préambule rappelle que la domestication de l’animal est ancienne, certainement liée aux débuts de l’agriculture, à la sédentarisation au Moyen Orient. Cela n’a rien d’anodin en ce début de troisième millénaire qui s’aveugle et perd le sens de la vie qui est la mort, qui assimile élevage et cruauté et qui, quand il ne tue pas par procuration, croit qu’on n’estourbit pas une salade en la cueillant pour la manger !
L’abattage du cochon a beaucoup compté dans l’économie paysanne, presque autarcique. Il marquait une époque où la viande du boucher s’apparentait à du luxe, où les flux financiers se limitaient au porte-monnaie et au bas-de-laine. Comme ceux qui ponctuent les saisons, un temps de solidarité villageoise regroupant plusieurs fois dans l’hiver, la communauté, les parents, les amis, les voisins, dans les travaux, les festins partagés aussi, célébration de la vie plus forte que la mort !  

A Sorgeat comme partout, le cochon qui sait que ce n’est pas l’heure de sa promenade bi-hebdomadaire, ne veut pas quitter le bien-être de la soue. Il faut cinq ou six hommes pour le sortir d’autorité, l’amener de force vers la maie retournée. Lou tuairo, le tueur l’a hameçonné sous la mâchoire avec le gantchou (1), crochet de boucher d’un côté et largement recourbé de l’autre.



Bien obligée de suivre, la bête est renversée sur la maie, la tête dans le vide. Passant la courbe du gantchou derrière la saignée du genou, les mains libres, le tueur rase la gorge offerte pour trouver puis sectionner l’artère avec son couteau pointu, la gabineto. Le sang coule au rythme des battements de cœur. Le cochon reste calme mais il faut retenir la tête et les pattes pour prévenir les spasmes de la mort.
Ensuite le porc est ébouillanté. Détail d’importance à Sorgeat, l’eau ne doit pas bouillir longtemps sans quoi les hommes en colère se fâcheraient : « I as coupat la forço ! ».
Nous ne sommes qu’à un peu plus de vingt kilomètres, à vol d’oiseau, de Lavelanet et la langue locale diffère sensiblement, de part et d'autre du massif de Tabe, du Saint-Barthélémy. La barre de bois pour pendre la carcasse s’appelle ici « la courbo » et non plus « cambalhot ». Le tueur détache alors l’anus, la « tripo dal ciul » pour éviter de souiller la carcasse.
Il ouvre le poitrail à la hachette puis l’abdomen au couteau. Il fait ensuite descendre les viscères dans une corbeille en noisetier, la desco.
Les hommes portent la tête à la fontaine pour l’ouvrir et la laver, suivis par les femmes qui ont un sacré boulot avec les tripes, la vessie, l’estomac, les doigts gourds et gercés par l’eau glacée.
  

Avec souvent la neige dehors, les températures basses permettent de laisser reposer la carcasse au moins deux jours.

Une collation et l’eau de vie, l’aïga ardent, concluent le rude travail tandis que dans la cour, la maie se vide petit à petit pour ne pas perdre les soies qui seront vendues au peilharot, le chiffonnier ambulant qui prenait aussi les peaux de lapin.   
   

Note : cette tradition du cochon se retrouve dans toute l’Europe. En Bohème, elle figure sur les tableaux de Josef Lada (ici de 1935) presque comme en Languedoc. La maie, de quoi retourner la bête, l’eau bouillante, la carcasse pendue… seule la hache bien en évidence laisse penser que la bête est exécutée avant d’être saignée. Comprenne qui voudra…  

((1)   Gancho = croc, harpon (Trésor du Félibrige / Frédéric Mistral)
 

 Photos autorisées commons wikimedia : 
1. Sorgeat, Ariège, author Jack ma.  
3. Sorgeat, fontaine, author Jack ma. 
Autres crédits : 
2. gouache tirée d'une photo du site Sorgeat. Manquent les flocons de neige ! 
4. Zabijacka, gouache de Josef Lada, 1935. 
5. détail Josef Lada.