lundi 1 août 2016

"ŠKODA LÁSKY...", une chanson de la Libération / Československo / Holoubkov, ma forêt perdue...

Ça commence avec une question pour ces champions d’un jeu télévisé où la réponse était « coda ». Papa rappelle aussitôt André Pesqui à la baguette décochant « coda, coda » pour le dernier morceau à jouer. Étonnant mais c’est la deuxième fois aujourd’hui que notre concitoyen pérignanais revient dans la conversation : ce matin, c’était pour dire combien le « directeur de la coopérative agricole » aimait, même adulte, monter des modèles du Meccano.
Comme souvent, avec les souvenirs, on passe facilement du coq à l’âne lorsque, se tournant vers maman, il fredonne « ta ta rara, tara tara tarara...(a) (1), tu te souviens, à Holoubkov, le Russe, dans les fourgons de l’armée soviétique, huit jours après les Américains, comme il n’arrêtait pas de nous la jouer à l’accordéon, on aurait pu lui seriner "coda, coda, coda" !..».

« Škoda lásky kterou jsem tobě dala,
škoda slzí které jsem vyplakala,
Moje mládí uprchlo tak jako sen
Ze všeho mi zbyla jenom v srdci mém vzpomínka jen. » 



Et moi, à l’ordinateur, cherchant à savoir si ce n’est pas une chanson américaine importée et traduite... Quelle idée même s’il y eut le swing, le jazz, « In the Mood » de Glenn Miller (b) ! Il était bien gentil le Russe de ne pas jouer que Katioucha (c), autre chant marquant la victoire !

"ŠKODA LÁSKY..." nous vient de l’Est, slave et mélancolique à souhait, une musique de 1929 de Jaromir Vejvoda, servie par des cuivres et qui à la Libération, déborda les frontières. Quelques paroles, quatre vers seulement dont les deux derniers repris à la fin :

« Dommage l’amour que je t’ai donné,
Dommage les larmes que j’ai versées
Ma jeunesse s’est évanouie comme un songe
D’elle, il ne me reste au coeur que mes souvenirs. »

Que cela ne fasse pas oublier, surtout, tous ces soldats venus de l’autre bord de l’Atlantique pas plus que ceux de la Volga et du Baïkal pour anéantir le nazisme (2)... En France, Le Temps des Cerises (d) et toute sa symbolique, plus que les airs légers, a marqué la Libération. Et j’allais oublier le destin de « Lili Marlene » (e), d’abord chant conquérant des Allemands puis retourné en quelque sorte lors de la reconquête des Alliés.  
Cette liesse collective, si on n’en retient pas seulement l’explosion de joie, exprimait sincèrement le soulagement et l’espoir projeté vers le futur tant le prix à payer fut lourd pour réduire les fascismes.

A écouter
(a) https://www.youtube.com/watch?v=jyI9Pj4CEdE
(b) https://www.youtube.com/watch?v=bR3K5uB-wMA
(c) https://www.youtube.com/watch?v=2SLvtP6KMUM
(d) http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/01_temps_des_cerises_le.htm
(e) https://www.youtube.com/watch?v=Q56QzGcAKZc
Et pour la France, Fleur de Paris http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/48_fleur_de_paris.htm

(1) pour vous donner une idée, et vraiment par charité, c’est la musique de «Frida oum papa» aux paroles si nulles, ridicules et si irrespectueuses (ce qui est parfois un mal français) de la chanson tchèque «Skoda lasky» de 1927. Le fait qu’une chanson mondialement connue ne soit reprise en France qu’au milieu des années 70 ne plaide pas pour nous non plus... Oubliez cet énième avatar de la bonne du curé et écoutez-la donc dans sa version authentique et tchèque.
Notons aussi, en flop, pour le non-respect mémoriel, «Katiusha» devenue le kazatchok par la prêtresse du bain de siège ! 
(2) ceux venus de si loin, aussi : du pays continent, de celui du long nuage blanc et ceux des colonies britanniques et françaises, et, plus proches, ces Républicains de « La Tricolor ».  

Photos : 1. carte postale. 
2 & 3 shutterstock autorisées. 
4. maman et ses deux frères.

dimanche 24 juillet 2016

LES CORBIÈRES IX / Les mondes doubles du Verdouble.


Préalable : cet article ne présentant qu’une vision extérieure non étayée sur place, les avis et corrections éventuels de participants autorisés seraient bien accueillis. 

De gorges en bassins, en surface ou sous terre, le Verdouble (1), 46.8 km, se fraie un passage vers l’est et le sud sur la fin, à travers les Corbières plissées, avant de rejoindre l’Agly, non loin d’Estagel dans les PO.
Sa discrétion sinon son mystère commencent avec sa source, quelque part sur la commune de Fourtou pour certains, pour d’autres, sur celle de Soulatgé, vers 800 mètres d’altitude, au pied de l’Aibre Naut, 836 mètres, dans le prolongement de la Serre de Bouchard (931 m.).
 
Le doute se confirme avec, dessous, la réalité d’un monde de cavités et siphons  remuant des quantités astronomiques d’eau. Un vieux proverbe l’affirme :
« Quand lou gourg de Bouchard asoundara, Camps e Cubiero empourtara (2). » F. Mistral / Trésor dau Félibrige. 
Entre les localités de Cubières-sur-Cinoble et Soulatgé, non loin du Verdouble en surface, un autre abîme d’eau est mentionné sur les cartes : le gourg de l’Antre... Ne manque que le monstre allant avec, sinon, on comprend, à voir les remous, que c’est bien une rivière souterraine dévoilée par l’effondrement de la partie supérieure d’un siphon. Ce double du Verdouble, apparemment plus puissant, ressort, un kilomètre en aval, avec l’eau tiède de la source de las Doux (considérée comme la source). 

L’eau, comme souvent, et plus encore dans le Sud, a été l’objet de tiraillements séculaires entre communautés. Elle ne fait pas de la figuration dans les œuvres de Pagnol. De même dans nos parages. Il faut tordre le cou aux idées bisounours de gentille solidarité qui vont avec un "c’était mieux avant" trop lapidaire et très discutable : quand la vie est rude, les gens aussi, et prêts à défendre âprement le peu dont ils disposent. Au pied de cette montagne de chênes verts avec des hêtres, des pins sinon des landes et des bruyères où quelques châtaigniers étaient plus qu’appréciés, Soulatgé s’est disputé à l’ouest avec Cubières pour n'en plus finir avec les chamailleries, à l'est, contre Rouffiac (3).  
Avec Cubières, on s’est mis d’accord pour que le Gourg de l’Antre marque la frontière.
Avec les gens de Rouffiac qui se sentaient lésés suite au creusement d’un canal d’irrigation depuis le Verdouble, un jugement donna lieu à un dédommagement mais sans commune mesure avec les bienfaits apportés par le canal.
Il faut savoir que vers 1900, les villages les plus reculés du vallon ont vu fondre leur population en moins de cinquante ans : Camps sur-l’Agly a perdu la moitié des habitants et Cubières-sur-Cinoble à peine moins. Si l’exode rural est moins marqué en descendant le Verdouble, l’agriculture permet seulement de survivre. En amont, si l’élevage, les prairies, le maïs dominent, à Soulatgé (4) c’est aussi le blé, les pommes de terre, les betteraves, les haricots et un peu de vin clairet, sûrement pour la buvette vu les conditions défavorables et les ravages récents du phylloxéra. Sauf qu’on devrait dire un peu de ci, un peu de ça, tant la terre est peu nourricière : « à peine pouvait-on nourrir une bête de labour par maison et dix brebis » précise l’instituteur d'alors.
Grâce à l’arrosage, les Soulatgeois passent de la survie à l’aisance surtout qu’avec le canal de la Doux et malgré les contestations de Rouffiac, la quantité d’eau apportée à la plaine de Paza est pratiquement quadruplée. Non seulement les récoltes permettent désormais de tenir un an mais les haricots et le surplus de pommes de terre sont vendus aux villages vignobles de Saint-Paul, Duilhac, Cucugnan, Tuchan et Paziols. Les betteraves, plus grosses, le maïs blanc, plus fourni, facilitent le nourrissage des bestiaux et l’engraissement des cochons. Dans sa chronique, l’instituteur ajoute «... aussi on nourrit, en moyenne, deux bêtes de labour et vingt brebis par maison... / ... Les brebis et moutons y sont de belle qualité; aussi, il n’est pas rare de voir les principaux propriétaires renouveler dans l’année deux ou trois fois leur troupeaux que les habitants des pays vignobles viennent leur acheter sur place. » 

Ah qu’on aimerait continuer avec les riches heures de Rouffiac-des-Corbières mais les Rouffiacais préfèrent visiblement vivre cachés et heureux. N’auraient-ils pas, dans ce vallon où les places fortes se succèdent, deux ou trois Cathares à promouvoir sinon un dolmen ? 
Le village se trouve au pied du château de Peyrepertuse, un des cinq fils de Carcassonne. A mi-hauteur, sur le sentier qui y mène, la Font de la Jacquette où Blanche de Castille, à en croire la légende, aurait perdu un gobelet en argent.
Le Verdouble qui depuis les bas du col d’En Guilhem, accompagne la vie des hommes, n’en est pas à une blague près. Mais où donc veut-il partir frayer alors qu’au nord-est, le Roc de Tirtacou barre l’horizon de ses 666 mètres ? Est-ce pour cela qu’une certaine source émet très sérieusement l’idée qu’il coupait jadis plus au sud ? Et ce, malgré le col de Grès, cinquante mètres plus haut ! Ou parce que les Pyrénées n’avaient pas encore soulevé le Sigle de la Rabazole (487 m.) ? 
Sur neuf kilomètres, ce premier pays de la rivière se termine deux-cents mètres plus bas (314 m.) lorsque, après deux ondulations elle s’engage plein sud au prix de belles gorges. 



(1) le nom viendrait du gaulois vernos (aulnes) et dubron (ruisseau), le «ruisseau des aulnes ».
(2) Quand le Gourg (gouffre rempli d’eau) de Bouchard débordera, Camps et Cubières seront emportés.
(3) Cubières-sur-Cinoble, Rouffiac-des-Corbières (à ne pas confondre avec Rouffiac d’Aude). Au creux du même synclinal, Camps-sur-l’Agly sort de notre propos et entre Rouffiac et Duilhac-sous-Peytepertuse, les précisions historiques, seraient-elles médisantes, seront les bienvenues. 
(4) Sources F.V. Alard instituteur public (1900). http://quaspier.unblog.fr/2010/07/11/canaux-de-paza-et-de-la-doux/ 

photos autorisées : 1. Verdouble plana de l'Aglin auteur Jolle.
2. Verdouble Col de Redoulade auteur Tybo2 
3. Verdouble -Rouffiac-des-corbieres / iha.ma