mercredi 23 décembre 2015

DANS LA MONTAGNE, DES LUMIÈRES QUI MARCHENT... / Noël occitan


DANS LA MONTAGNE, DES LUMIÈRES QUI MARCHENT...
Parlant de ses parents, Joseph Delteil rappelle toutes ces lanternes qui avancent par les chemins vers la messe de minuit. Aussitôt, un conte de Noël vient cogner au portail, d’Alphonse Daudet, dans « Les Lettres de mon Moulin », un livre qui compte et fédère autour de nos identités occitanes... Comme quoi tous les méridionaux qui "montaient à Paris" n’y perdaient pas tous leurs âmes... Dans ce sens, Daudet a certainement contribué à la défense de l'esprit, de la culture occitane, et ce, dès l'enfance. Pourrait-il en être autrement avec le secret de Maître Cornille, la chèvre de Monsieur Seguin, le curé de Cucugnan... Si j’aime à jamais Les Vieux pour la chaleur de l’été et le thème douloureux de l’absence, la magie de Noël, l’évocation des tables chargées pour les fêtes me ravissent également. Et puis il y a l’hiver, le froid et la neige, les veillées idéalisées qui réunissent la famille autour du feu, du moins pour des gosses, libres encore du réalisme de l'âge adulte. Aussi, dans « Les Trois Messes Basses », les petits se trouvent vite pris dans la magie et les mystères des "Noëls Blancs". Suivons Daudet qui situe ce conte au pied du Mont Ventoux, « en l’an de grâce mil six cent et tant » :

 «... Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l’ombre au flanc du Mont Ventoux, en haut duquel s’élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C’étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou de six, le père en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s’abritaient. Malgré l’heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allègrement, soutenu par l’idée qu’au sortir de la messe, il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, le carrosse d’un seigneur précédé de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage :
~ Bonsoir, bonsoir maître Arnoton !
~ Bonsoir, bonsoir, mes enfants !
La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige... » 




Notes : en plus du livre, le film de 1954 est passé à Fleury, au cinéma Balayé. Je pense aussi à Paul Préboist, acteur marseillais dans l’élixir du père Gaucher mais dans un autre film puisque Rellys tenait le rôle dans la production de Pagnol... Toi qui sais, si tu me lis...
Hier sur la 3, une très belle reprise de Marius par Daniel Auteuil, très réussie. mardi prochain ils donnent Fanny !Si ce n’est pas dans l’ambiance de Noël, notre Méditerranée est bien présente : ce serait dommage de s’en passer... 



Photos : 1. le Ventoux wikipedia england.
2. Le Ventoux depuis ST-Trinit le 4 décembre 2010 / commons wikipedia / auteur Véronique Pagnier. 
3. Daudet jeune (Les Lettres de mon Moulin, écrites avec Paul Arène,  datent de 1865 (l’auteur avait 25 ans).
4. Le Moulin de Daudet à Fontvieille.

mardi 22 décembre 2015

LES LUMIÈRES DE NOËL / Sud, Languedoc, Aude.

                             Église St-Paul de Villar-en-Val (Val de Dagne) / auteur Tournasol7.
 
« Les nuits de France-Culture... jusqu’à 6 heures du matin... »
Je pense aux noctambules, aux insomniaques, à ceux qui se sentent abandonnés ou ne sont pas, sinon plus, accompagnés. Moins seuls, retrouvent-ils un peu de cette chaleur humaine avec ces discussions, comme au coin du feu, dans l’intimité qu’une émission de  radio peut offrir ?
Dans ce monde que nous accélérons à l’excès, tout défile et nous fait passer trop vite à autre chose, serait-ce à une autre émotion. Pour ceux qui ménagent des pauses et ont la sagesse de faire halte pour retenir ce que la méditation a de fugace et d’évanescent, l’essentiel de ces sept petites, toutes petites minutes avec Joseph Delteil...  

« Si vous passez par Villar-en-Val, au sud de Carcassonne, prenez donc le chemin de poésie, vous passerez devant la maison où naquit le poète Joseph Delteil. Joseph Delteil mena une vie d’écrivain paysan... /...  Mais enfant il vivait à Pieusse entre Carcassonne et Limoux, en plein milieu des vignes. C’est là qu’il passait Noël avec ses parents comme il le racontait à Frédéric Jacques Temple, en 1970. »  

« Joseph delteil, qu’est-ce que c’est la Noël pour vous ?
~ La Noël, comme toutes ces grandes fêtes, c’est d’abord quelque chose de très banal, il n’y a pas de choses extraordinaires ; il faut pouvoir à travers ce mot de Noël,  retrouver les choses qui sont inscrites dans nos moelles, ancestralement, initialement...
~ ... Noël est par conséquent la fête la plus ancienne et la plus moderne à la fois...
~ Oui, en même temps, l’un dans l’autre. A Pieusse c’était pas considérable. Ce qu’il y avait tout de même c’était la bûche. Papa qui était bûcheron n’oubliait jamais de préparer une assez belle bûche, de chêne. Il fallait que ça dure de la Noël à la nuit du premier janvier. Il faut que ce soit une bûche qui dure huit jours
~  Vous alliez à la messe de minuit...
~  Naturellement j’allais à la messe de minuit. Nous faisions un petit réveillon, mais vous savez,minuscule. D’ailleurs quand je pense à la Noël je ne vois pas tellement la Noël de Pieusse, j’y ajoute inconsciemment tout ce qu’il y a dans mes yeux. Au mois de Noël : mes yeux s’ouvrent et voient un spectacle et dans ce spectacle il y a notamment ce que papa et maman me racontaient de la Noël dans leur pays d’Ariège : ils habitaient du côté de Montségur. Comme ils habitaient une ferme dans les hauts plateaux, ils me racontaient qu’en allant à la messe de minuit, chacun y allait avec une lanterne, et alors, de colline en colline, de montagne en montagne, tout ça fourmillait de lanternes qui marchaient, portées par les gens qui allaient à la messe. Ce n’est pas le spectacle que j’ai vu mais pour moi j’ai l’impression que je l’ai vu, je pourrais jurer que je l’ai vu à travers papa et maman. Peut-être beaucoup des choses que nous avons, que nous portons, que nous écrivons, quelquefois, sont non pas de nous mais de toute notre famille, de toute notre lignée. 

                                           Paysage autour de Montségur / auteur Panoramio.
 
~ Et si vous le racontez c’est que vous vous en souvenez, que vous l’avez vécu...
~ Je m’en souviens justement parce que je l’ai vécu, ça s’est fixé dans mes moelles comme le cholestérol se fixe dans les artères.
~ A propos de cholestérol quels étaient les plats typiques du réveillon ?
~ Les plats typiques, chez nous, d’abord la prière de papa, ça c’est tout à fait le rite. Il devenait très solennel, ce qui n’était pas tellement son habitude et il nous disait en tâchant de ne pas avoir le sourire, de garder la voix très noble : « Mes enfants vous savez que la nuit de Noël, le chef de famille doit faire la prière avant le repas...»
A part ça il y avait un petit repas qui comprenait... ça commençait toujours avec la salade de betteraves rouges, après ça nous avions la morue aux tomates, il fallait la sauce tomate, qui était assez bonne, après ça il y avait des haricots à l’huile, un toupinat (1) de haricots. Tout ça nous paraissait excellent, c’était plein de saveurs.
Ensuite on ne pliait pas la table : en pliant les quatre coins, on laissait quelques plats en plus en cas que le petit Jésus passerait par là. 
Morue à la raita / auteur JPS68

Comme toujours, j’ai le plus grand respect pour ces rites parce que j’ai toujours l’impression que ces rites ils répondent à des choses très originelles, très originales; les premiers hommes les ont créés parce qu’ils avaient cette mission, cette notion de l’humanité. Et même maintenant, le jour de Noël, chez nous je tiens beaucoup à ce que ce soit une répétition de ces choses-là. Ce jour-là Marie vient chez nous ; elle prépare le même menu ; ma sœur n’y manque pas, elle confectionne les mêmes aliments et nous avons, une fois par an, à la Noël, exactement, le repas qu’il y avait à Pieusse, à Montségur, de père en père et qu’il y a dû avoir, à quelque chose près, de toute antiquité. » 

(1) le toupin, en languedocien, le pot en grès ou en terre mijotant souvent à la limite du cercle de chaleur autour du feu / mot aussi employé en Suisse.

Notes : Frédéric Jacques Temple, écrivain, poète, né à Montpellier le 18 août 1921.
Rappel : Joseph Delteil est un écrivain et poète français né le 20 avril 1894 à Villar-en-Val dans l'Aude et mort le 16 avril 1978 à Grabels dans l'Hérault.

Photos Commons Wikipedia.