jeudi 29 novembre 2018

LES ENVAHISSEURS (fin) / Fleury d'Aude en Languedoc.

Depuis la Clape et la garrigue de Fleury, vue vers le N-O, la plaine de l'Aude, les collines de Nissan, au fond la bordure du Massif-central avec les Monts de l'Espinouse.

Ce "pin d'aïci" a un potentiel vital de 150-200 ans. A Fleury, s'il existe une rue au nom de Paul Trémolières (1), dans la garrigue antédiluvienne de fréjal massif, il est un bois appelé "Pins de Trémolières". Plaisance de propriétaire terrien ? Don fait à la commune ?



Du temps où les villageois usaient de noms précis pour désigner ces bois qui n'étaient souvent que des bosquets, entre deux épisodes de Sylvain et Sylvette, nous montions goûter aux pins de Trémolières avec les bonnes sœurs... Rien de prégnant rassurez-vous... Seulement le patronage d'une divinité lointaine bien que protectrice, impliquée alors dans cette livrée admirable de ciel pur, de soleil, d'arbres majestueux dans un amphithéâtre de pierres sèches si liées aux mains opiniâtres des aïeux.
Plus effrontés, avec une paire d'années de plus, comme pour s'affranchir, nous fîmes griller des asperges sauvages lors d'un bivouac rustique pour finir en pissant sur la braise avec application ! Des racines aux bouquets hauts dans le ciel, les géants habitaient nos corps et jamais nous n'aurions laissé une provocation se muer en inconscience.




Dans les grands pins, l'âme voudrait le ciel quand les peines de cœur vous font rentrer sous terre. On écrit un prénom à l'encre bleue, esquintant à jamais sa plume sur le roc que Sisyphe laissa exprès et cinquante ans plus tard, en cherchant le rocher désormais caché par le bois pourri d'un tronc abattu dans la broussaille, on voudrait se persuader qu'on a seulement cru aimer quand ces lettres au stylo dessinent un visage qui ne veut pas s'effacer...

Le temps émousse les chagrins, la nature console, le regard remonte l'écorce crevassée d'un des derniers témoins, une queue rousse s'éclipse hors de la vue. Mais ce n'est qu'une illusion, le souvenir, le remords pour un petit écureuil, le Guerriot cher à Louis Pergaud, la pauvre bête avec encore aux dents la noisette
"... qu'elle serrait plus fort entre ses petites mâchoires raidies par l'étonnement suprême de la mort."      Louis Pergaud (1882-1915) / De Goupil à Margot (1910) / Le fatal étonnement de Guerriot.

Alors, si pour la vie qui fut,  la main vient gommer un voile embué entre les cils puis discrètement efface la perle claire au coin, ce n’est que le Cers, frère fougueux du Mistral, qui dévale vers les Baléares, qui a ma larme à l’œil.    

Le « pin d'aïci » nous habite et nous est cher. Nous ne le voyions que peu commun, remarquable car faisant rarement du vieux bois. Les spécimens vénérables portent les amputations dues aux neiges lourdes, celles qui accablent, apportées par le Grec, ce vent d’Est gorgé de trop d’humidité que Poséidon lance sans ménagement contre un front froid continental. Sinon, ce sont les brasiers de l’été attisés par un Cers impitoyable. A cause de ces incendies qui galopaient jusqu'à la mer sans qu'on n'y puisse mais, à la vue des croupes rastumées et désormais pelées, on le plaignait, ce compagnon plutôt malingre et fragile. 

Départ de feu (2014).


« C’est un assassinat, crime prémédité
Avec l’appui du temps et du vent irrités
Complices concertés d’un acte de folie…/

… Je vous ai vu mourir dans la fureur des flammes
Et partir en fumée la beauté de vos âmes
Vous, séculaires pins et vous beaux chênes verts
Qui m’inspiriez parfois une rime à mes vers…/
… Que m’importe à présent l’album de souvenirs
Dont les feuillets épars s’envolent : mes soupirs
Ne rencontreront plus l’écho de la forêt
Ni son âme en accord à mon cœur toujours prêt.
Tout est mort à présent…/…
Tout est noir… Tout est laid… Tout est plein de tristesse…
Et pas un seul espoir où luise une promesse !
Là-bas, est-ce un tocsin ?.. Pardon… je ne sais plus
Si c’est la fin d’un glas… Peut-être un angélus ? »
Pierre Bilbe, garde-forestier, possédé par la vie libre et sauvage de son coin du Midi.

Le « pin d’aïci » est très inflammable, par ses cônes, ses essences volatiles, par le sous-bois dense qu’il permet.  Le feu gagne en intensité et se propage vite. Lors d’un incendie néanmoins, les cônes sérotineux (englués de résine) libèrent des graines à fort potentiel de germination… maigre consolation en tous cas puisqu’il faut une quarantaine d’années pour que son boisement se régénère. 

Tout comme nous avons du mal à réaliser un changement climatique trop brutal pour n’être imputable qu’à la nature, nous n’avons rien vu et dans les combes, sur les hauteurs où la limite des bois demeurait, dans les friches et les vignes abandonnées, c’est toute une armée d’envahisseurs aux rangs serrés qui a occupé l’espace. Certains disent que le pin, devenu plus grand et plus gros, aurait bénéficié des moyennes de température plus chaudes mais que maintenant, avec plus de sécheresse, les conditions idéales seraient derrière lui.   

Papa est monté voir ce feu de juin 2014 qui part dans la garrigue.

Le moulin jadis presque comme au temps de l'affaire du garçon meunier (déjà racontée ici). 

La colline du moulin de Montredon aujourd'hui. 
"... Pour lui, tout a commencé par un jour sombre, le long des combes, dans les garrigues et les cultures rendues à la vie sauvage, alors qu'il cherchait des restes du cycle d’avant, il se trouva confronté à des mutations d’un nouvel ordre, à des mutants d’un nouveau monde menaçant de tout submerger, de tout mener à la catastrophe, de coloniser une planète déjà agonisante sous les plastiques, le glyphosate et désormais à la merci des métastases d’un cancer appelé « milliards » ..." 

(1)  Ce monsieur devait avoir pas mal de vignes. Il a fait construire une maison de maître en 1868, certainement grâce aux cours du vin multipliés lors de la crise du phylloxéra. Cette maison, je l'ai achetée en 1983. De lui, il me reste des courriers avec des timbres Napoléon III et une paire de lunettes, de simples loupes à monture d'écaille... 


mercredi 28 novembre 2018

LES ENVAHISSEURS / Fleury d'Aude en Languedoc.

David Vincent pour ceux qui se souviennent de ces séries made in USA d'une Amérique alors si belle et respectable : "... Pour lui, tout a commencé par une nuit sombre, le long d'une route solitaire de campagne, alors qu'il cherchait un raccourci que jamais il ne trouva..."

Juste une parenthèse, un coup de rétro pour nous replonger dans nos années 60...

Sinon, dans nos garrigues et partout où l'homme bat en retraite, sur ces laisses et terrasses abandonnées, l'envahisseur pénètre et occupe l'espace. On l'a d'autant plus favorisé qu'on le plaignait. Faut dire qu'il est un symbole fort des rives occidentales de la Méditerranée. Sans lui plus de cigalons, de cigales, et cette pénétrante senteur de résine, odeur de son pays, à inspirer à fond, les yeux fermés...

Il est là presque depuis toujours, après un pastoralisme qui a fait disparaître la forêt d'origine. Il est d'ici, bien méditerranéen, d'Espagne, d'Afrique du Nord... Pinus halepensis mais n'allez pas penser qu'il est syrien comme l'a laissé abusivement entendre le botaniste écossais à l'origine du nom. A Alep c'est un cousin, le Pinus Brutia, qui pousse surtout.

Piémont au levant de la Clape. En 2014, en bas de Moyau, le dernier des trois encore là dans les années 60. Au fond, l'étang de Pissevaches.
Chez nous, il s'approche de la mer, là où la Clape, à cause des apports de sédiments, interdite par le fleuve Aude, ne peut que rêver de calanques. Certains affirment qu'il s'accommode du vent marin, d'autres maintiennent que seuls les bourgeons à l'opposé ne sont pas brûlés par le sel. En attendant, avec le Cers qui jusqu'ici a toujours soufflé en maître, ses branches comme les bras des danseuses indiennes ne serpentent que dans le sens du vent.

Dans la descente de Saint-Pierre, Georges Chavardès tenait son agence immobilière "du Grand Pin". Chez Puisségur, deux grands arbres sur la terrasse de "l'Hôtel des Pins". Ils encadraient l'escalier, une entrée pour le bal du Fleury Olympique en bas... Aux filles, on payait le Cacolac...  

Les derniers pins de Périmont dominent encore les terres rapportées du camping et les sables salés.

En pinède, au bout de la Barre de Périmont (Saint-Pierre-la-Mer), comme il marquait les marges entre terres et marais, pionnier ou sentinelle, si beau par sa présence à l'occasion du pique-nique pascal !
Il s'est même ménagé des îlots de vie dans les sables de l’Étang de Pissevaches où le vert de ses bouquets dans les saladelles et les joncs reste du plus bel effet !

Partout on le trouve mais sans le voir vraiment, comme ces choses ordinaires dont on réalise qu'elles sont belles lorsqu'elles manquent. Le pin, souvent devant : chez Bourjade, la villa qui fait cabanon, chez Daudel l'épicier, au bout du boulevard, au bord de la vigne avec le puits de Villebrun, et au-delà, protégeant un quartier mignonnet de baraques sans prétention, de petites maisons aussi aux toits de tuiles... adulte, il m'a fallu la lumière, les couleurs de Cézanne pour que ce souvenir d'enfance endormie fermente à nouveau...     

Aux Cabanes-de-Fleury, en majesté, il régente le domaine de Saint-Louis, le château de Pesqui et encore "l'Hôtel des Pins" :

"... Nous avons bu un coup à l'Hôtel des Pins de Marie-José, fille de Marcellin et petite-fille de Gili qui piquait jadis dans les pins les lampes à acétylène, le soir, avant l'électricité dans le hameau..."
Caboujolette (2008) François Dedieu / La Mer p. 269.

Hôte de marque, il surligne les parcs ou jardins autour des campagnes, les domaines viticoles au bord de l'Aude, de l'intérieur ou du piémont de la Clape, l'allée de Boëde, Moyau, la Négly, Anglès, Mire-l’Étang...  

Sans lui, plus loin vers Gruissan, qu'en serait-il de la solennité des lieux, lorsque, depuis les hauteurs du cimetière marin des Auzils, le jade de ses houppiers sur le bleu-outremer du Golfe, et surtout un phrasé du vent dans ses aiguilles que des mots même mélodieux ne sauraient rendre, ajoutent au calme virtuel de cénotaphes en mémoire à ces marins victimes d'infortunes des mers, perdus à jamais dans les fureurs des flots et pourtant si présents ?

"... Déférence gardée envers Paul Valéry
Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris
Le bon maître me le pardonne..." 
(Supplique pour être enterré sur la plage de Sète / Georges Brassens). 
Extraordinaires, les mains de Valéry parce que les pins du cimetière marin je les ai cherchés en vain...

Paul Valéry, depuis la montagne de Sète qu'on voit là-bas, en témoigne, son cimetière serait-il moins marin que la plage de Brassens. Même compliqué sinon hermétique, le poème du bon maître, "Le Cimetière marin" commence si bien avec un ciel, un soleil, la mer au fond par-dessus les pins !

"Ce toit tranquille, où marchent des colombes, 
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !.. " 

(à suivre)