mardi 11 octobre 2016

LES CORBIÈRES XIII / VERDOUBLE / Du pain, et dans la cruche en pierre, du vin !


Il y a bien le curé de Cucugnan et je ne peux que vous renvoyer à une recherche web dont, entre parenthèses, les trois articles de ce blog ne donnant pas, je l’espère, dans un mauvais folklore (1).
Cette histoire, indissociable de Daudet (2), révélatrice du poids de la religion d’une vie de tous les jours enfermée dans un cilice sinon un carcan communautaire, nous ouvre à une tradition, à une culture aussi provençale que languedocienne, catalane même, profondément sudiste, occitane, ne nous en cachons pas, n’en déplaise aux barons du Nord toujours aussi jacobins ! Dans ce cadre et plus précisément en haut de la colline, le moulin d’Omer vient nous le rappeler. Tout beau, tout neuf, entièrement restauré, il a tout du sujet de la crèche aux santons plaisant tant aux touristes des marchés de Noël ! Surtout ne vous laissez pas attraper !.. Parce qu’il est plus qu’authentique ce moulin, autorisé, dans le respect de la réglementation, à produire son contingent de mouture ! 


Alors, s’il est connu, si les télés multiplient les reportages, il le mérite bien. Comment vous en parler ? C’est l’histoire d’un ingénieur en technologie de pointe à Paris, cadre ainsi que sa compagne, qui, se laissant guider par une intuition, une idée folle, laisse tout tomber pour un moulin en ruines, dans le Midi. Il revient donc dans ce Sud qui le vit naître et dont il a gardé l’accent (3). Et son discours a tout d’une atmosphère, de vent, de farine et d’eau. Imprégné de Daudet, de Pagnol, sans rien dire des galères, sans s’attarder sur les mauvais ferments qui ont dû lever en autant de doutes et découragements avant qu’il n’arrive à l’aboutissement du projet, il nous fait partager sa passion pour un pain mythique venu des tréfonds de l’humanité. Le pain, alchimie mystérieuse, magnifique, de sel, d’eau, de farine, de levain. Les pains des « Maîtres de mon Moulin » (le boulanger, maître meunier, se cache derrière un pluriel) sont à base de céréales bio, de blés « de population », de grand épeautre, de « barbu du Roussillon », et de ce petit épeautre de Haute-Provence connu des hommes depuis 12.000 ans !
En bouche, un goût de pain millénaire. Des miettes sur la table, autour de ton verre des tâches de vin... oui, comme dans la chanson de Reinhard (Frédérik) Mey (1968)... Tiens je ne savais pas qu’il s’inviterait celui-là, au bord du Verdouble et qu’en cherchant l’année de « La cruche en pierre », il me mettrait mal pour Etienne, son copain des vacances en Ardèche, fauché à douze ans par une voiture, pour son fils Maximilian, né en 1982, mort en 2014 après cinq ans de coma.
Ce ne sont pas les tâches de vin qui font pleurer. Il réchauffe au contraire, réconforte et témoigne de ce que les hommes ont de bon. Comme le pain, il est le résultat d’une magie d’eau, de sucre, de tanin, de levure, entre autres éléments. Au même titre que les moissons, les vendanges marquent autant le calendrier des saisons que l’horloge biologique des humains. A Cucugnan, terminons comme nous avions commencé, dans les vignes, pour les vendanges. Au domaine du Verdouble, un vigneron-conteur, raconte une fois encore ces cycles vitaux qui nous transportent, serait-ce par le biais de photos publiées sur le Net. Faire défiler ses « tronches de vendangeurs », c’est communier dans un culte pudique où la passion du terroir se conjugue avec celle des êtres, sur fond de cet "amour infini montant dans l’âme" dont Rimbaud fut un sublime médium (Sensations). 


« ... Ainsi naissent des vins naturels riches de la terre et de la mémoire des hommes » Laurent Battist, vigneron-conteur, Cucugnan   


Aimer sa terre, aimer les autres... Faute de quoi, sans cet Amour, la Terre, elle aussi majuscule continuera de tourner mais sans nous.           
(1) https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2014/05/corbieres-mysteres-v-suite-2-le-sermon.html
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2014/05/fleury-languedoc-corbieres-mysteres-v.html
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2014/05/fleury-en-languedoc-corbieres-mysteres.html     
(2) Marcel Pagnol aussi a aussi puisé dans un mesclun de références sudistes, comme, entre autres, l’oncle Jules qui vient réellement du Roussillon, de même que l’ingénieur des eaux (le regretté Ticky Holgado), roulant les « R », de Manon des Sources. Pagnol a aussi tourné trois des lettres de mon Moulin... Bouclons la boucle.
(3) Laurent Feuillas, le boulanger de Cucugnan https://www.franceinter.fr/emissions/partir-avec/partir-avec-15-mars-2015 
(4) Laurent Battist https://www.facebook.com/laurent.battist/media_set?set=a.10210942873786808.1073741836.1202300262&type=3&pnref=story 

photos autorisées commons wikimedia : 
1. Cucugnan_(France)_Route_des_vins Author Serbus  
2. Cucugnan Moulin d'Omer Author Stanislav Doronenko
4. Cucugnan vignes Author Stanislav Doronenko

photo autorisée 
3. Laurent Battist album "tronches de vendangeurs". 


samedi 8 octobre 2016

UNO BESTIO INTELLIGENTO / La Cigalo Narbouneso

Chronique sur une bête intelligente, en languedocien de chez nous.
Et chez nous, dans le Fleury d’une époque que les moins de... 40 ans ne peuvent pas connaître, le chien de Lulu (Pilule2) était connu pour aller chercher le journal tous les matins et, à l’occasion, porter le papier « pour frotter cucu à Lulu ». Elle me revient malgré moi en mémoire, cette histoire... C’est qu’ils n’engendraient pas la mélancolie, les trois Pilule, les trois frères (1) qui étaient nos proches voisins, en haut de la rue Neuve, la dernière maison avant la vigne de Perrucho (les tennis et le lotissement initial des années 70), au pied des amandiers et azeroliers de Caboujolette, le coteau.


Au contentement de voir enfin apparaître une « Arlésienne », « La Cigalo Narbouneso », une revue mensuelle parue tant bien que mal entre 1911 et peut-être 1948 (LA CIGALO NARBOUNESO XXIme annado N° 235 Janviè 1947) (2) (3) (4) (5), ajoutons le plaisir de citer l’histoire qui nous rappelle tant l’ami Lulu ! Nous la trouvons, page 11 de la revue, sous le titre « UNO BESTIO INTELLIGENTO ». 

«... Soun mai intelligentos que fosso mounde, diguèt la Filomèno de Closcou, uno vièlho fillo qu’èro toujour estado pleno de devouciu pes gats.
Un jouvent mençounèt l’estariganho de Pelissou : sabets aquelo que venio chuca las mouscos sur la ma dal prisouniè ?
Lou Victor dal Gueine nous parlèt d’un gousset qu’abio a l’epoco e qu’anabo querre lou journal cado jour :
~  I balhabi un sou que prenio al cais, e al cap d’un pauc reçabio ma gazeto. Un jour me troumpèri, i balhèri uno peço falso ; la brabo bestio se metèt a jaupa, a sauteja, mès pas res a faire per la faire parti ! A forço de cerca, de lanterneja, coumprenguèri la causo. Lou brabe gousset s’èro avisat que la mièjo-soldo abio pas cours... »

Traduction proposée :
« Elles sont plus intelligentes que bien du monde (fosso = force ?), dit la Philomène de Closcou (fille de Closcou ?), une vieille fille qui avait toujours été pleine de dévotion pour les chats.
Un jeune homme mentionna l’araignée de Pélisson (6) : vous savez, celle qui venait sucer les mouches sur la main du prisonnier ?
Le Victor du Gueine (guèine = renard en Rouergue) nous parla d’un petit chien qu’il avait à l’époque et qui, chaque jour, allait chercher le journal :
~ Je lui donnais un sou qu’il prenait entre les dents et sous peu je recevais ma gazette. Un jour je me suis trompé (le passé composé est-il plus spontané que le passé simple en français ?), je lui ai donné une pièce fausse ; la brave bête se mit à aboyer, à sautiller mais pas moyen de la faire démarrer ! A force de chercher, de lanterner, je compris la cause. le brave petit chien avait remarqué que la demi-solde n’avait pas cours... »

Et si chaque variante de la langue d’Oc avait cours plutôt que de se voir dévalorisée par une norme aussi déshumanisée que jacobine et qui n’est pas sans rappeler la domination vexatoire du français sur l’occitan justement ? Reconnaissons que la lecture en languedocien, si naturelle pour un originaire de la Clape, s’avère d’autant plus agréable qu’elle ne nécessite pas de devoir ouvrir un dictionnaire à tout moment !

1. Jojo, Lulu, Gégé... les trois petits qui trônaient sur un char lors de la cavalcade de 1948 peut-être. Ai-je entendu aussi que tout le monde connaissait le grand chapeau de Jacques, le père, quand il montait à son peyral (sa carrière) ? Je crois même voir des papillons autour du chapeau mais ce doit être encore mon imagination de gamin qui revient me jouer ses tours...
2. https://culture.cr-languedocroussillon.fr/ark:/46855/OAI_FRB340325101_KI3_frb340325101_ki3_1947_0235/v0013.simple.highlight=cigalo%20narbouneso.articleAnnotation=h::b40b522b-69da-47c4-9e7a-1b6ff9dda435.selectedTab=thumbnail
3. Mon père s’était abonné en 1948 pour se faire envoyer la publication à Prague (n° 445) ! Mais entre les spasmes littéraires (arrêt de la parution ?) et les soubresauts de l’histoire (Coup de Prague février 1948), la trace de La Cigalo Narbouneso était pour nous perdue...
4. Une bonne surprise ne venant jamais seule, entre les nombreuses cigales du Midi, « La Cigalo Lengadouciano » cymbalise aussi à Béziers où parut également « Lou Camèl », vous l’auriez deviné !
5. Mystère néanmoins lorsque, pour la disparition d’André Mècle, décédé en sa maison de Coursan, le 29 janvier 2012 et inhumé à Narbonne, son lieu de naissance, le blog mentionne dans son hommage : « ... C’est ainsi qu’entre 1945 et 1970, il est un membre actif de la société félibréenne La Cigalo Narbouneso... » 
http://academiedesartsetdessciencesdecarcassonne.blogs.midilibre.com/tag/jean+fouri%C3%A9 
6. https://books.google.com/books?id=aRpcAAAAQAAJ&pg=PA325&lpg=PA325&dq=araign%C3%A9e+de+P%C3%A9lissou&source=bl&ots=3GWdEH17cJ&sig=kM3gO-b2o18rUy0Y6Cm3gmoZzcA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjZwaTuhbnPAhUGMhoKHWpqAjkQ6AEIJzAC#v=onepage&q=araign%C3%A9e%20de%20P%C3%A9lissou&f=false


 Photos autorisées :
1. Celui qui vous parle / auteur François Dedieu / derrière, la cour, la cuisinette des trois frères, au fond, le portail donnant sur la vigne.
2. Mon pauvre cousin Jacky jouant à recevoir du courrier devant le grillage de la vigne.
3. flickr.fr