mercredi 10 mars 2021

A LIRE ET RELIRE "Le Vin Bourru" de J.-C. Carrière

 Te comprendre, t’accepter sans condition mais, et c'est contradictoire, parce que tu satisfis à la condition justement, en commettant ce Vin Bourru écrit fortuitement, un peu comme si tu n’avais eu rien d’autre en train alors, pour chercher, tu dis, si cassure il y avait entre l’enfant qui fut et l’homme qui va son chemin. T’aimer puisque tu as décrit ta vie fondue «dans la masse vivante à laquelle j’appartiens». T’aimer parce qu’un livre comme le Vin Bourru, présenté comme anecdotique est d’une force incroyable, il a le don de rapprocher ceux qui peuvent se reconnaître dans cette vie commune, de nous réunir, par-delà la naissance ou la mort... je ne reprends que tes mots...    

En ce moment j’entends ma mère qui n’en finit pas de s’extasier sur la vie exceptionnelle de Romain Gary et justement, a contrario, je pense avec toi «... la description d’une vie n’a d’intérêt que si cette vie est commune, que si d’autres peuvent s’y reconnaître...». Comment ne pas ressentir cette pointe contestable d’irritabilité à cause de «Au nom de tous les miens» de Martin Gray, rescapé de Treblinka et perdant une autre fois sa famille dans l’incendie du Tanneron. J'ai honte mais je ne veux pas compâtir... Est-ce un vieil instinct, aussi antédiluvien et naturel qu'animal qui pousse à abandonner à son sort celui plus vers la mort que la vie ? Je pense à une harde de chevaux sauvages en Australie, abandonnant à son sort celui qui a une patte cassée et qui finalement ne peut plus suivre...  

Ma mauvaise conscience médite Musset "... Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur..." et Balzac aussi : "Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui." Honoré de Balzac --Le Père Goriot (1835). Une vie dite exceptionnelle rabaisserait-elle les autres ? Une dernière pour alimenter la réflexion, bien que datant de la discrimination sexiste, tant par l'époque que par la personnalité de Jules Michelet, son auteur : " Chaque homme est une humanité, une histoire universelle."

Revenons au livre qui, sans égard aucun pour ton talent tous azimuts, arrive par hasard parce qu'en te promenant, pour meubler un dimanche peut-être, tu as visité un faux village écomusée. Un livre pour raconter tout ce que tu appris, tant de choses qui ne servirent à rien... mais qui restent si précisément dans ta mémoire... Certes tu ne provoques pas mais de ton ton calme, posé et souriant, tu aimes bien titiller, agacer, déstabiliser... une façon pour toi d'esquiver les flatteurs vains et indigents en retour. Que représente-t-il celui-là, parmi les quelques dizaines de ta main ? Oh plus, beaucoup plus que tu ne veux en laisser paraître ! Et dans ta longue carrière d'écrivain touche à tous les domaines ton Vin Bourru revient sans cesse, en fil conducteur, tant lors de tes entretiens que lorsqu'on veut un aperçu des couvertures de tes ouvrages... 

Puisque j'ose aimer, honorer et pleurer un enfant du Languedoc qui est nous (une démarche pouvant toutefois ouvrir sur les autres nombreuses facettes de ta personne), relisons-le ensemble ton Vin Bourru !  

 



vendredi 5 mars 2021

ET QUAND J'ARRIVERAI, JE LIRAI SUR TA TOMBE, Lou Doublidaïre de Jean CAMP...

 Malheur, je croyais l'avoir dans le classeur qui me suit partout... J'ai dû le laisser là où un de mes pieds s'accroche à sa terre, à Fleury, au village, entre les vignes, le fleuve, la garrigue et la mer... Mais j'en ai plusieurs versions dont une à la main, appliquée... mais où ? Sinon une photocopie de sa découverte originelle, mêlant chapiteaux corinthiens et guirlandes spiralées dans les lettres, mais laquelle parmi les 175 reçues ? 

Et puis, pourquoi ne pas oser en retrouver les vers de mémoire ? Dans un cahier, à l'ancienne, au crayon car il faudra corriger... Sur deux colonnes... 

Bilan, une fois la copie retrouvée dans la 70ème lettre : la quatrième stance oubliée, la sept et la neuf mélangées, la huit revenue à la fin... ne plus oublier que ce sont douze strophes avec un envoi de deux vers en fin de ballade... Quelques hémistiches perdus mais qui par chance reviennent... Tout le monde n'est pas Alain Peyrefitte déclamant tous les jours ses classiques, pendant la toilette. 


LOU DOUBLIDAÏRE

Es él, tu, ieu,... un dal pais                 Tout lou passat qu'es entarrat
Que trapo la terro trop basso,             Joust lou ciprissié que négréjo, 
E viren l'espallo à la jasso,                 Toutis lous seus qu'an demourat
Partis, un jour, capo Paris.                  Al pais, lou cor sans envejo,  

Aqui, fa de genre, s'installo,              Se se levaboun dal tombeu
Porto de gants, causits sous mots      Et se vesion sa descendenso, 
E pren uno fenneto pallo                   De que dirion al que, tan leu, 
Que se met de rouge sus pots.           Daisso soun pais de naissenço ? 

S'an un drolle, paure mainage,              De que dirion al rénégat
Que, malgrat soun noum, saura pas      Lous de la vinho e de l'alaire, 
So qu'es uno bise, un bartas               S'as doublidat toun bèl terraire, 
E qu'a jamai vist' un village.             Ses pas mai das nostris, goujat ! 

Toutis lous nouses soun coupats      Parlo pounchut, seguis la modo, 
Que l'estacaboun al terraire                 Frégo-te amé lous Milords, 
Lou paire èro pas qu'un lauraire       Nous autris gardaren la blodo
E lou filh... semblo'n deputat !             E lou capèl a larjes bords, 

Couneis lou Metro, lou teatre,         L'oustal, tout so que te derrengo, 
Mes couneis pas Mir ni Mistral...       Las tradicius, fèstos ou dols, 
La Clapo e l'Aric ? Nou Mountmartre   Gardaren subre tout la lengo
Es so que vei de soun oustal !           Que nous an après lous aujols. 

E la raço de sous papetos                      Es él lou paraulis sans taco 
Qu'aro soun bressats per la mort,        Que sentis bou lou fé, lou mèl, 
Lous brassiès que fouchaboun l'ort        La garrigo, lou vi nouvèl
E que grefaboun las pourretos.               E l'orgo caudo de la raco

Es lou fial d'or que nous estaco
A nostro terro, a nostre cè! ! 

JEAN CAMP.
 
L'Aude à Salles-d'Aude wikimedia commons Author Patrick Nouhailler's

Et quand j'arriverai, je lirai sur ta tombe...