mardi 25 octobre 2016

LES CORBIÈRES XV / VERDOUBLE / Padern, des moutons, des vignes, des mines...


 Est-ce la présence, comme chez les voisins cucugnanais, de toutes ces sources et fontaines, qui expliquerait les nombreuses bergeries dispersées sur le territoire dont celles du Bourdicou, du Mouillet, du Renard, de Grazels, du Crès, de Témézou, de la Lauze, du Parazol, des gorges du Grau. On peut penser que la plupart des ruines en nombre, mentionnées sur la carte IGN (géoportail), étaient aussi des bergeries. Pour celles de la Parade, au pied du Pech de Frayssé, sommet altier du Mont Tauch, il faut lire le joli article de la Gazette « De Torgan en Verdouble » (1) qui fait revivre Pierre Soucaille, le berger, né en 1866, qui montait pieds nus vers ses moutons pour économiser les souliers. Dans les gorges du Grau, au pied des falaises, ce sont des bergeries troglodytes... ne manquent plus qu’Ulysse et le cyclope Polyphème ! 



Quant aux vignes, « elles courent dans la forêt, le vin ne sera plus tiré... ».  Je me répète, radotant, telle une rengaine, la chanson de Ferrat, en pensant à un autre, l'auteur, justement, de la rengaine mais pour un autre air en valant la peine... gardons le pour la fin... Une grande partie des vignes s’efface avec le dépeuplement des campagnes et l’arrachage systématique trop bien promu par Bruxelles ! Une analyse et un réquisitoire n’ayant pas leur place ici, disons seulement « Merci l’UE » ! Ce que l’on voit, ce sont ces paysages chamboulés. La garrigue plus ouverte, aménagée par des siècles de pastoralisme, n’en finit pas de disparaître et les friches issues des vignes arrachées se couvrent de genêts pionniers avant  un couvert forestier à venir qui ne sera pas plus limité par le pâturage que par les coupes, le chauffage au bois étant délaissé.
Je crois avoir lu, sur la Gazette, il y a des chances, que la mairie aurait signé un accord pour recevoir des moutons... certainement pas trois mille comme jadis mais ce devrait être très positif pour prévenir les incendies... le dernier, de début septembre a été terrible !
Et comme les histoires d’eau, de moutons, de vignes s’imbriquent, le feu dévoile nombre de murets en pierre sèche retenant des terrasses cultivées...

«... Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline... » 
Jean Ferrat "La Montagne" 1964. 

... Et pas d’hier puisque les pentes du Tauch ont accueilli des populations dès le néolithique ! Une volonté tenace de plusieurs millénaires, souvent pour les plus humbles, libres de mettre en valeur les pentes rocailleuses quand la plaine est confisquée par la loi des plus forts. 
... Et celles de l’Âge du fer ont dû aussi avoir de l’ouvrage et si les Corbières me font l’effet d’un joyau, elles recèlent, accessoirement, bien des inclusions qui, contrairement à celles du diamant, ont, de toujours, servi les hommes.
L’agate, le quartz, la vipérine, la barytine cachent leurs éclats colorés dans nos montagnes. On trouve aussi du marbre, des schistes et nombre de minerais, de soufre, de cuivre censé éloigner les rhumatismes, l’antimoine (métalloïde), le manganèse, l’argent, l’or bien sûr... Les histoires multiples de fées ou mitounes, de trésors, d’Arche d’Alliance, de faux-monnayeurs sont loin d’être infondées pour le quadrilatère des Corbières !
A Padern, après le cuivre et le plomb, c’est le minerai de fer de Cascastel ou d’Albas qui était notamment travaillé dans les forges catalanes des gorges du Grau où l’eau, force motrice, actionnait les martinets. L’usine a ensuite servi à nouveau pour le cuivre puis pour distiller le thym, la lavande, le romarin avant, finalement, de sombrer dans le passé.
Tout comme le moulin à blé non loin, l’installation est aujourd’hui en ruines mais l'usine hydroélectrique fonctionne toujours (2)... une micro-centrale, certes mais qui ne peut qu’étonner avec ce que nous savons des débits du Verdouble serait-il bien aidé par le Torgan...
De l’eau, des moutons, des vignes, des mines et des hommes surtout.
La bibliographie, les sites consultés, dont la Gazette, laissent, plus que pour les communes, en amont, trop dépendantes du tourisme, une grande impression d’humanité. La Cabède, une des signatures sinon la plume de la Gazette, assortit parfois ses sujets de chansons de circonstance.
Pour un village qui va son chemin dans le bon et le mauvais de la modernité, sans effacer le passé, en essayant de rassembler ceux qui gardent leurs racines ou qui veulent venir les fixer, Serge Lama aurait pu chanter

«... Là-bas, Marie-Louise et le vieux cheval
Là-bas, lisent mon nom dans le journal,
Là-bas, je vis loin d'eux mais je suis près quand même..."
« Souvenir, attention, danger » (1980). (3)
 
(1) http://padern.free.fr/gazette/hiver2016/hiver2016.html 
(2) https://cascastelvillage.sharepoint.com/Documents/La-Forge-de-Padern.pdf
(3) https://www.youtube.com/watch?v=QC2utkZIMps

NB : pour les moutons, c’est bien la Gazette du printemps 2016 qui titre « Bêêê » mais qui signale aussi la présence de patous... mefi quand même ! 

photos autorisées : 
1. Depuis le Château de Padern commons wikimedia Author Vinckie 
2 & 3. Les bergeries troglodytes auteur La Cabède (Gazette de Padern).

lundi 24 octobre 2016

LA CIGALO NARBOUNESO / VENDANGES / Fleury d'Aude en Languedoc.


Il faut lire :
Pour vos Vendanges
Un produit vendu à coup de réclame intensive et coûteuse (toujours payée par la clientèle) ne prouve pas qu’il soit meilleur qu’un autre. Ce fait prouve simplement qu’il faut qu’il soit vendu plus cher.
 
Tel n’est pas le cas du - PHOS-SULFITE-
des Etablissements P. Grapin & Cie
72, Avenue Gambetta, 72 - BEZIERS

Il ne fait pas de bruit, mais par sa composition et ses résultats il égale ceux considérés les meilleurs, et... il coûte moins cher.
J. SOUCAILLE. Agent à Ouveillan 

Certes, elle ne date pas d’hier cette pub d’août-septembre 1927 des numéros jumelés 114 & 115 de La Cigalo Narbouneso mais son fond reste d’une grande actualité.

 

Toujours sur le thème des vendanges, le périodique publie aussi un poème de Jean Camp (1891 - 1968), l’auteur sallois connu pour ses pièces de théâtre, ses romans « Jep le Catalan », « Vin Nouveau », ses recueils de poèmes avec « Les voici revenues, Coursan, tes grandes heures...» ainsi que « Le doublidaïre » pour ceux qui comme lui et sa famille, sont "montés à Paris"(1). 

La Moussenho.

Per tant vièlho que siogue, es lou cap de jouvent
De la colho e partits l travalh la prumièiro,
Lou pèd laugè, toujours davant, meno la tièiro
E lou darriè ferrat l’a pas visto souvent.

Ajudo as maïnajous e buto las mametos.
Sous ciseùs valentiùs coupoun aissi, ala.
Jamai boun limouniè refuso lou coula ;
Jamai bouno moussenho a roubilhat serpetos.

Fa doublida l’soulel, lous mouissals, lou banhat
Quand de sus pots risents fusoun las coutaralhos.
D’un mot viù a fissat la jouve que varalho
E sap respoundre as capounados d’un goujat.

Quand veï parpalheja proche elo las galinos
Coumo un gaujous eissam d’alos de passerats,
Se leva, se coulca as dessus das ferrats,
Uno simplo fiertat i couflo la poutrino

E quand, al vèspre, a fait soun counte de semals,
Lous rens cansats, lou cor countent, dintro al vilage,
Dejoust soun cos de sac gardo prou de courage
Per entouna ‘n couplet das darriès Carnavals.
Jan Camp. 


Traduction proposée :


La moussègne (a).
Pour vieille qu’elle soit, elle mène l’ardeur
De la colle et part au travail la première.
Le pied léger, toujours devant, elle mène sa rangée
Et le seau de derrière ne l’a pas souvent vue.

Elle aide les jeunes enfants et presse les grands-mères
Ses vaillants ciseaux coupent ici et là.
Jamais bon limonier ne refuse le collier.
Jamais bonne moussègne ne "laisse en repos" (b) ses serpettes.

Elle fait oublier le soleil, les moustiques, le mouillé
Quand de ses lèvres rieuses "elle ne veut en démordre" (c)
Elle a cinglé d’un mot vif la jeune qui papillonne
Et sait "répondre aux caponages" (d) d’un gars.

Quand elle voit, proches d’elle, voleter les galines
Comme un joyeux essaim d’ailes de passereaux
Elle se lève "comme si elle couvait" (e) les seaux
Une satisfaction lui gonflant la poitrine.

E quand le soir elle a son compte de comportes (f),
Les reins las, le cœur content, elle entre au village,
"Sous ses hardes de sac" (g), elle garde assez de courage
Pour entonner un couplet des derniers carnavals.  

(a) la meneuse, la chef des vendangeurs, celle qui donne le rythme et que personne n’a le droit de dépasser.
De mossenh n. m. (s.   XII.) monsieur (onorific) (cf. sénher)
mossénher n. m.(s.   XII.) 1.   monseigneur 2. chef de groupe de travailleurs agricoles (cf.monsenhor)
http://www.academiaoccitana.eu/diccionari/DGLO.pdf
(b) de roupilhar : roupiller ?
(c) coutaire, acoutaire : celui qui aime soutenir le contraire (Mistral).
(d) de capounot -oto, friponneau, libertin / le caponage consiste à barbouiller par surprise les jeunes gens (plutôt les filles) qui auraient oublié un grappillon de plus de sept grains... La moussègne que l’âge et le respect dus à son rang protègent peut, à la rigueur, contrôler ces débordements à partir du moment où ils compromettraient le rendement de l’équipe.  
(e) se colcar = se coucher... Problème, le poète nous dit qu'elle se lève, se relève de sa souche... Quitte à faire un contre-sens, je propose « couver », En occitan « clocar », qui irait avec l’image des gélines ou poules. Comment un simple «l» avant ou après le «o» peut tout changer !
(f) Dans ce cas ce serait en fonction d’un rendement à tenir suivant la grosseur des grappes et ce que donnent les ceps. Quoi qu’il en soit, en fin de journée, tout le monde a son content de comportes !
(g) D’une âme charitable j’attends la proposition...

(1) Pour en savoir davantage
http://www.la-bonne-entente-salloise.fr/salles/Jean%20Camp.pdf
et le livre du canton de Coursan (Vilatges al Pais).



Photos autorisées : 
1. Réclame de La Cigalo Narbouneso.
Photos autorisées commons wikimedia :  
2. Vendanges Colle_de_vendangeurs-Corbières
3. Vendanges I GP Côte Vermeille, rajoles des vendangeurs à Banyuls-sur-Mer, 1925 Auteur Teresa Grau Ros