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dimanche 23 septembre 2018

UNE JOURNÉE DE VENDANGES vers 1960 / Fleury d'Aude en Languedoc.

A mon père, resté fils de la vigne, qui chaque année ne manquait pas d'exprimer sa nostalgie des vendanges passées.   

Papa, 2004.

Un fidèle lecteur demande où en sont les vendanges 2018 à Fleury. 
Mais c’est qu’on n’en sait rien ! Et s’il n’y avait l’Internet, ce serait moins que rien.



"... l'ensemble du vignoble audois..." touché "… par le mildiou, mais aussi la grêle, une pluviométrie historique et une canicule qui dure. La récolte audoise devrait s'élever à 3,5 millions d'hectolitres..." (12 millions d’hectos pour le Languedoc soit 20 % de plus que l’année dernière mais en dessous des années 2013-2016).



Rien en liant les noms des villages (Fleury, Salles, Coursan, Cuxac…) à l’entrée « vendanges » ! Ah si ! A Armissan, le dimanche 7 octobre, une foire aux vendanges avec vide-grenier et marché aux puces, que ça ! 
Au détour d’un site une offre d’emploi apparait, pour trois semaines de vendanges dans le Narbonnais, datant de 10 jours. 
A Embres-et-Castemaure, un monsieur de 56 ans, vendangeur de toujours, qui a commencé début août à Fitou, précise qu’il aura trois mois de travail et qu’à présent, même les jeunes n’en veulent pas. 
 

Emblématiques de la vie sinon de la survie, le pain et le vin ont perdu valeur de symbole. Les moissons et les vendanges qui valaient bien une fête une fois à l'abri, ne relèvent plus désormais que des chiffres de l’agro-alimentaire ! Et il faut un natif d’un pays de vignes, déjà d’un âge certain, pour évoquer des vendanges si essentielles dans une ronde des saisons elle-même occultée, presque et passée au second plan sinon niée par un libéralisme au comble de sa logique, mortifère !



Le matin à la vigne. Début des années 60. Le chariot prend place, toujours au même endroit, là où il sera plus pratique de charger les coustals, les comportes pleines (80 kilos en moyenne dites aussi portoires) :



« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que lanço » 
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui lance[1]) Achille Mir. 

 
Même les amis participent "Petito ajeudo fa gran be" (une petite aide fait grand bien). A gauche le plateau permettant de monter les comportes sur le chariot... fallait pas se manquer ! Photo François Dedieu

Pas si vite ! Avant de commencer, tonton qui a déjà placé le plateau de maçon en plan incliné montant sur le chariot, dispose les semals (comportes vides) dans le passage aménagé tous les quatre rangs. Mamé protège et couvre bien son grand panier à l’ombre d’une grosse souche... les chiens auraient tôt fait de nous flamber le dîner. Peut-être pose-t-elle dessus la bonbonne pour l’eau. Sous une branche, une bouteille emmaillotée, tenue humide se balance au vent pour garder le vin frais. Papé fait le tour du propriétaire, perdu dans des pensées qu'il ne partage guère. 


La journée commence. Le tablier n’est pas de trop pour les coupeuses avec le mouillé. Je ne me souviens plus si au bout de la rangée on s’arrête pour déjeuner ou si c’est sur le pouce… La cole sort au moins un voyage de 16 ou 17 comportes (1280 – 1360 kilos environ), parfois 24. 
 
Mamé a fait griller l'entrecôte. Sur le côté, dans l'herbe, la fameuse brouette ne nécessitant plus qu'un seul charrieur au lieu de deux. Photo François Dedieu

A 11 heures vieilles (le temps au soleil avec deux heures de retard sur notre heure d’été actuelle donc une sur l’heure dite d’hiver qui, avant 1976, avait cours toute l’année), le dîner à la vigne. Papé cherche quelques escargots à griller juste un peu de sel et de poivre sur les bulles de bave verte. Justement si on fait la braise c’est qu’il y a de la viande, ce qui, vu les prix, n’arrive pas souvent... l'omelette, les macaronis sont des plats communs pour manger dehors. 
 
Mamé Ernestine, coiffée de sa caline, papé Jean presque attablé... On se partage l'ombre du tamaris avec une famille de Fleury aussi...  Photo François Dedieu
Ensuite, les adultes piquent un roupillon et les enfants sont priés d’aller jouer plus loin. 


A 13 h solaires le travail reprend. Mamé a porté une bouteille de café sucré coupé d'eau, et une autre d’antésite. Aïe, une guêpe a piqué, cachée sous les feuilles ! Vite le remède miracle de l’oncle Noé : frotter le point venimeux avec trois feuilles différentes. Personne n’a marqué la journée, personne ne s’est taillé avec les sécateurs. Pas besoin d’un papier à cigarette de tonton pour arrêter le sang !  
 Pour l’enfant, même en duo (attention aux doigts), moins docile et convaincu que l’adulte, chaque cep qui courbe la tête rapproche néanmoins du bout tant espéré de la rangée. Là les grands vont aider, soulager des dernières souches. Se relever. Revenir à pas mesurés, s'essayer à la régalade avec la boisson à la réglisse, et puis, la barre de chocolat ou la vache qui rit du goûter coupent bien l’entrain perdu du matin. Traîner un peu avant que les coupeuses ne poussent à la reprise, ne houspillent le manque de détermination. Voir la mer de vignes à peine coupée par la ligne des arbres au bord de la rivière sans pressentir que cette houle de pampres viendra, bien des années plus tard, souvent et à jamais s’accorder avec le flux et le ressac d’un cœur qui bat.

 
Les pneus ont légalement remplacé les grandes roues cerclées de fer. Lami, le cheval va ramener 20 comportes pour le dernier voyage de la journée. Photo François Dedieu

Délivrance. Fin de journée. On rassemble les affaires, le panier, les bouteilles, le grill, le pull laissé ce matin sur un pied. Dernier voyage de comportes vers la cave de papé.

« C’est le moment crépusculaire… »… Avec quelle émotion, Hugo, le grand homme, a su admirablement saisir ce moment ! Le semeur est seulement devenu vigneron et, élargi jusqu’aux étoiles, le retour du chariot va bien vers « … L’ombre, où se mêle une rumeur… », vers le village qui découpe sa tour et son clocher au-dessus des toits rassemblés, la chaleur des siens et de ses semblables qui appelle, avant la nuit...

Les fers du cheval marquent la mesure sur la route « cloc cloc, cloc cloc » comme pour appeler les cloches à répondre. Un clair-obscur déjà mauve commence à monter et le rattrape depuis la plaine.

Oui, Hugo, Millet aussi avec ses tableaux de paysans collés à leur glèbe, « Retour des champs », par exemple, qui nous rapproche du chariot qui rentre, me restent plus proches et poignants que ce productivisme effréné complètement déshumanisé, potentiellement capable de programmer à terme l’extinction de notre espèce... 
 
Jean-François_Millet Le hameau Cousin Musée des Beaux-Arts Reims
Des salops me pourriraient presque le bonheur de ces sensations qui restent... Mais nos racines naturellement paysannes ne vont pas tarder à faire lever un vent de révolte qui les emportera avant l'irrattrapable ! Plus proche, c'est certain, de Hugo et Millet que d'une mondialisation imposée, amorale et aliénante !




[1] Travail à deux pour celles devant rejoindre le deuxième rang et les dernières au bord du plateau du chariot. 

Jean_François_Millet La_Récolte_des_Pommes_de_Terre) Source photographer mAEXeyHzt6O2Gg at Google Cultural Institute, zoom level maximum

PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Sinon mets "JF Dedieu". Je compte sur toi. 


jeudi 11 janvier 2018

LE CINEMA (1) / mon village en Languedoc...




Au village, les grands cafés (il ne sont plus que deux dans les années 60) rythment aussi les saisons et les jours. C’est encore plus marqué en fin de semaine avec, du samedi soir au dimanche, les trois séances de cinéma. Le même film qui passe. Hier, parce que c’est tout ce qui me reste de ces années,  j’ai regardé le Capitan sur arte et la magie a joué même si ce n’est que du cinéma... 

Le samedi, jour encore travaillé à l’époque, l’affiche est apposée sur les grandes vitres des deux cafés. Si le journal, très diffusé alors, annonce peut-être le programme, c’est cette image qui dit tout… Rien d’étonnant si les affiches, d’un genre artistique certain, font l’objet de collections (difficile d'en disposer pour illustrer cet article !). Ne dirait-elle rien, cette image, que même pour un nanar, l’essentiel est d’aller au cinéma. Le bouche à oreille a, en effet, bien du mal à assurer la cote d’un film et les acteurs connus le sont parce qu’ils apparaissent sur l’écran. Les autres, le réalisateur, la musique, c’est bon pour les puristes. 

Aller au cinéma, voilà ce qui compte… La vie se passe surtout au village ; en dehors des grandes occasions, les fêtes surtout, on ne va pas souvent en ville. Il y a bien le car comme il y eut le petit train mais la voiture, encore objet de luxe, ne permet pas encore de se déplacer à volonté. 

Qui va au cinéma ? Les jeunes, dont, plus nombreux, ceux déjà versés dans la vie active. L’école n’étant obligatoire que jusqu’à 14 ans, les apprentis sont légion. Les enfants aussi, qui paient moins cher (70 F, le prix d'une flûte de pain...) mais doivent se serrer sur les bancs des premiers rangs, à droite de l’allée centrale. 

Le cinéma ? Le local fait penser à une remise aménagée, grande, peut-être deux cents mètres carrés, avec des poutres massives au-dessus… peut-être aussi que derrière l’écran il doit y avoir une certaine surface, un ancien garage avec,  au-dessus du portail, la réclame Castrol ou Energol sinon Yacco. 
Le cinéma, c’est d’abord une odeur car il a une odeur, comme l’église ou les cafés, un peu de celle de l’école à la rentrée, un mélange poussière mouches desséchées ou plus spéciale encore, indéfinissable, mais à ne pas s'y tromper si elle venait à flotter à nouveau devant le nez… Il y a bien un sas un guichet mais la dame du patron préfère rester dans la salle, spectatrice en même temps. Pour les retardataires, elle allume sa lampe électrique à pile plate. Wonder ou Leclanché ? 


Le cinéma, c’est toute une ambiance derrière les portes battantes. Le technicien qui installe les bobines derrière les lucarnes de la cabine. Les jeunes au fond, encore ados (séance en matinée), qui chahutent et au comble de l’excitation, quand la lumière s’éteint, que l'écran s'allume, que le cliquetis étouffé de la machine s'ébranle, qui font claquer le contreplaqué moulé des assises ! Des chiffres défilent avec des croix, des hachures intercalées comme des coups de fusain de dessinateur pressé. Monsieur Balayé, le patron qui nous gendarme parfois avec son long bambou, doit aller rétablir l’ordre. Nous, les enfants, endimanchés, devant, comme des petits pingouins, on tortille d’impatience sur nos bancs de bois. Le calme revient à peu près avec les actualités fanfaronnantes et cet accent encore très parigot des speakers, comme avant guerre. Ensuite les réclames, la jeune femme en robe vichy, la ceinture large, pour une Renault Ondine ou Caravelle, Jean Mineur, le galibot qui lance son pic dans la cible et fait encore brailler la salle avec "Balzac 001, Fleury" pour ne pas dire "Paris" !  

photos autorisées commons wikimedia : 
1. film Quo Vadis (1951) Author employé(e)s MGM. 
2. réclame Wonder / photo prise en 2013 quelque part en France Author Alf van Beem.


dimanche 18 juin 2017

LES OREILLONS MOELLEUX, SENTEURS MOITES DES BEAUX JOURS... / Pézenas, école de garçons

Septembre, les vendanges, la rentrée, les sucs collants, musqués des grappes, sucres de la belle saison avant le changement de régime. Ainsi va le calendrier de l’écolier. Années 60... les coings et les châtaignes de l’automne. L’hiver : l’Espagne des grenades et des oranges. Jardins et vergers du printemps avec les fraises, les cerises.  Juin, parfum des abricots aux pommettes rougies par les premiers coups de soleil. 
  

Fin du cycle : « les cahiers au feu et les maîtres au milieu ». Dans le cartable, avant tout, un plein sac de noyaux. C’est le temps des récrés qui se prolongent. Les maîtres, en blouses grises, passent et repassent, indulgents, permissifs même si le préau et le mur d’enceinte de la cour ont des airs de kermesse. Réminiscence des foires historiques de Pézenas (1), les forains tiennent boutique, les chalands déambulent. Qui expose un petit soldat, un coureur du Tour de France ou l’hippopotame en plastique gris du fond de paquet de poudre de lessive Omo.
A trois mètres environ, une ligne à la craie. Sans mordre sur le tracé, l’intéressé vise et lance un cœur d’abricot sur le petit sujet. S’il tombe, c’est gagné, sinon le tenancier ramasse les noyaux épars. Des sacs gonflés font le tour des platanes ; les autres se voient moins et pour cause. De vrais fortunes passent de main en main... Irruption encore du Moyen-Age avec le droit de frapper monnaie. On se trimballe avec des bourses pleines. Pas d’emporte-pièce, l’atelier c’est la maison avec les abricots du dessert. « Maman, ne les jette pas ! ». Chacun amasse, thésaurise un trésor de noyaux aussi précieux que les cauris des peuplades lointaines ! Certains ont l’œil sur les composts des jardins ou les fourrent au fond des poubelles ! 

Période heureuse, même si j’assume ma solitude. Je n’ai pas de camarade attitré... Qui était dans ma classe ? Mystère... je vois seulement monsieur Carrère, serein, ni en bien, ni en mal. Je ne sais plus l’odeur de la craie, de l’encre, du papier, des crayons de couleur... Je sais seulement que la salle est orientée est-ouest avec le tableau au couchant. L’hiver, après l’étude, sans peur mais non sans reproches, je repartais dans la nuit, le long de la Peyne puis par un chemin de vignes vers la campagne du docteur Rolland, une demie-heure environ.
Mais le haut préau aux poutres massives, les grands murs gardiens de l'inconnu, les platanes, étaient mes amis ; l’éclipse totale du 15 février 1961 aussi, observée à travers des verres passés au noir de fumée. 
Est-ce pour une plaie ouverte telle celle évoquée dans le « Temps des cerises » ou peut-être parce qu’ils ont sur la peau les mêmes taches que moi sur le nez et les joues mais en avant-goût de grandes vacances, j'aimerai toujours le temps des abricots qu’on ouvre en rêvant, oreillons moelleux du parfum des beaux jours (2).    
 

(1) le marché du samedi a les mêmes origines historiques et seul le roi (peut-être à l’exception de Foix et de la Bourgogne) octroyait ce droit aux villes.   
(2) obscurantisme ? superstition ? les noyaux qui me suivent partout... 

 


NOTE : dans les hauteurs de l’Indu Kush, un peuple friand d’abricots et plus particulièrement de l’amande du noyau, ne serait pas affecté par les cancers...   


Crédit photo : 1. Abricots rouges du Roussillon en cagette Auteur Varaine.