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dimanche 14 octobre 2018

VENDEMIOS VENDEMIAIRES, TOUMASSOU E POULETTE ! (1) / Vendanges et vendangeurs

 
Pied de carignan au Mourre (route des Cabanes).

Il faut savoir parfois se laisser aller à rêver, à revoir des scènes qui restent lorsque l'on a vécu l'importance au moins annuelle de la récolte des raisins, cette fièvre vitale alors pour tous nos villages viticoles... Car elle était la vie même... Habituées à l'agriculture spéculative, à une réalité de l'agro-business, aux investissements devant rapporter du profit, les générations du XXIème siècle réalisent-elles que la croissance pour la croissance ne peut que mener au désastre ? Jusque dans les années 70, las vendemios et les vendemiaires respiraient la vie sans puer le pognon...  

Calqué sur le mot latin, "vindemia" signifiant "récolter le vin", vendemia (ou bendemia) veut dire "vendanger" en occitan, las vendemios sont les vendanges, les vendemiaires les vendangeurs... 

Pau Vezian (1869 - 1952) nascut a Galargues (Gard) foguèt felibre del Vidourle. Escrivet de poesios. Aqui un estrach, la fin de "Per Vendemia" :

"... Dei Cevenos d'azur fin qu'à la Mar latina
Rajo à desbord lou vin - gloria dau bèu Miejour -
Que coungrelho la gau, lou rire, amai l'Amour !"

L'ivresse, la joie, l'amour, la jeunesse et la petite larme des vieux si proches de leurs vingt ans tant qu'ils peuvent rentrer dans les vignes et mener la rangée...  Le vin exaltant en tant que produit noble et naturel, devant être perçu à présent d'abord comme nocif et dangereux, le commandement n° 1 de la société moralisatrice si ça l'arrange étant de "consommer avec modération". Toujours diriger, régenter, penser pour les autres plutôt que de les laisser à leurs responsabilités, c'est une des caractéristiques des dictatures pour l'instant molles mises en place par une oligarchie imposant une mondialisation prétendument heureuse !
Oh comme tout se télescope ! Pour ne pas enrager à cause de cette "modération" prônée avec un zèle aussi nul qu'automatique, je préfère celle du jeune homme de sortie avec les copains et qui assure "Papa, ce sera avec parcimonie et à bon escient". Encore inquiet, le père y va encore d'un dernier conseil "... Avec l'Arménien, soit, mais méfie-toi du Corse quand même !" 

Les vignes de mon grand-père Jean, propriétaire, petit certes mais qui le mentionnait, en particulier sur la plaque bleue apposée sur le chariot ou la jardinière, rapport au danger bolchévique, le couteau entre les dents !


Cette histoire de parcimonie, était un des classiques de papa ! Se laisser aller pourrait amener à divaguer pourtant ces digressions éclairent néanmoins notre propos. D'un côté, le vin plutôt du Sud et en tant que tel critiqué, décrié, en bon français, par une élite nordiste autoproclamée. De l'autre, la transformation d'un produit de la Terre, due à l'homme parlant d'égal à égal avec Dyonisos ou Bacchus... Une magie, un prestige qu'il est inutile, dans une modernité accaparatrice de récupérer en tant qu'"alicament", une noblesse aussi altière que naturelle, portée par une langue occitane digne, elle, de n'avoir jamais conquis ou soumis des voisins par la force...

Une langue magnifique au même titre, dans sa variante languedocienne, que le ciel, le vent, la lumière du Golfe du Lion jamais loin, qu'Estieine Barraillé a su aussi faire chanter dans son poème VENDEMIOS :

"... Pes camins boun matin las colhos adraiados
Arriboun al traval avant soulel levat ; 
Dins lou felhum roussenc vite soun alignados
E lou bruch des ferrats semblo un tambour que bat..." 

Une langue vivante et plus simple aussi, de la vie de tous les jours, parfois mâtinée de français et de savoureux pidgins hispaniques (les passages sont extraits du livre "Caboujolette / Pages de vie à Fleury d'Aude 2 / 2008 / François Dedieu)  :

"... En vendange : Toumassou, dans la vigne du Prat où on trouvait près de vingt escargots par souche :
« S’en pas aïci per lous cagaraous ! (« On n'est pas là pour les escargots ! » Préméditait-il qu'il viendrait eles ramasser en premier ?)
Il lui arrivait d’en manger un, cru, à l’occasion, pour impressionner un auditoire dégoûté..." 



"... La « bana » c’est la corne (de bœuf ou d’un autre animal) et aussi la poignée (d’une comporte par exemple). Dans l’histoire, c’étaient les cornes du mari trompé. Cela me rappelle une histoire de Toumassou, pendant les vendanges, un jour où, dans l’après-midi, Paulette Sanchon était venue. 
Il lui dit : 
« Tu sais, Poulette (1), la différence entre une tartugue et un cagarot ? » Nous traduisons (tortue  et escargot). 
Non. 
Eh bé : tous les deux portent soun oustal sur l’esquino ; mais le cagarot, il a des banes. Tu as compris ?  (ils ont la maison sur le dos mais l'escargot il a des cornes)
– Ah ! ça, non, alors. 
Eh bé, serco bo, et coupo dé rasins (cherche-le et coupe des raisins). » 
Paulette 1938.

On rigolait souvent ainsi pour les vendanges…

Passi per moun prat, moun counté es acabat. Bons baisers..." 


Toumassou, un de ces personnages formant la trame d'une chronique villageoise aussi bonhomme que microcosmique :

"... A Joie (un tènement au bord de la rivière, Toumassou rentre dans le cabanon, décroche la poêle couverte de poussière et de tatiragnes (araignées), et sans plus de cérémonie, casse ses œufs :
« Bèèh ! et tu ne la frottes pas, avec tous les rats qui passent dessus !
– I jamaï qué dé rats ! (Ce ne sont jamais que des rats !) »

Toumassou prétendait, en parlant de sa femme qui en faisait quatre comme lui :
« Oh ! si se vol pas leva, tiri lou matelas et tout aco dins l’escalièr ! (si elle ne veut pas se lever je tire le matelas et tout ça dans l'escalier !)»

A tante Céline qui lui disait :
« Pas la péno de te pressa, manjaras pas aban nous autris ! (pas la peine de te presser, tu ne mangeras pas avant nous autres !)
– Oh ! savi bé qué per la maïsso ! (je sais que pour la bouffe = ce qui vous passe entre les mâchoires !) »

Toumassou (le petit Thomas) Alban Biau de Salles avec qui nous avons vendangé plusieurs années. Il travaillait parfois pour l’oncle Noé, a été également ramonet pour Henri Carrière, après Bantoure, et estropiait le français de façon plaisante :
« Je te l’avais pas fa bu ? C’est ma nebeude ! (je ne te l'avais pas montrée ? C'est ma nièce !) » (rapporté par Pujolet le peintre).
« Je l’ai compris au remènement des pots (au remuement des lèvres) »,
« Le cagarot, il a des banes »,
« Dans un obus, quand ça pète, es pas tant lou machin que fa mal, ès mai que mai lou dacòs (plus que tout, c'est le truc) (2) ! »,
« Quand eri sus la Côte d’Usure (Toumassou faisait son numéro !), vejeri qu’abion uno guerro d’azur (j'ai vu qu'ils avaient une guerre d'azur )» etc. c’était le frère de « Thomas de les huîtres ». 

Carnaval : lors des préparatifs pour carnaval, Toumassou prend place dans un cercueil (allez savoir pour quelle mascarade encore ? Nous sommes au premier étage et ses camarades qui viennent de fermer le couvercle plaisantent et parlent de le jeter par la fenêtre :
« Eh ! fasetz pas lous couillouns ! (Ne faites pas les couillons !) » se défend une voix étouffée…  

(1) En 1968, la chanson de Montand "A bicyclette" semblait avoir été écrite pour elle : 
"... On était tous amoureux d'elle
On se sentait pousser des ailes
A bicyclette..."

(2) “Dacòs” désigne un objet ou une personne dont on a oublié le nom : presta-me lo dacòs, prête-moi l’objet ; dacòs es pas vengut, un tel n’est pas venu’.