dimanche 13 décembre 2020

RAISINS de la PLAINE, CHÂTAIGNES des VERSANTS.... les filles du Poumaïrol...


Châtaignes sur le marché d'Apt 2010 wikimedia commons Author Véronique Pagnier

La finalité du manuel scolaire parle d'autant plus d'elle même qu'elle précise "orthographe, grammaire, conjugaison..." etc, alors que nous nous proposons de continuer notre page sur un produit à part, un fruit de saison qui, après les raisins des vendanges, les coings en pâte ou en gelée, participait à la livrée de l'automne. 

Au village, seulement en montant la rue de la porte Saint-Martin, il y avait au moins quatre ou cinq épiceries proposant des cageots de châtaignes, succédant, en produits d'appel, aux caissettes rondes, en bois tendre, des alencades salées bien rangées en éventail. Ces harengs, marquant la présence des vendangeurs espagnols, exprimaient un exotisme ravigotant dans une mentalité villageoise pour le moins retranchée. Les châtaignes, elles, outre de corriger la perception qu'on avait alors de l'étendue de la plaine, accentuée par le moutonnement toujours recommencé des vignes en monoculture, alors qu'au Nord-Ouest, la vue distincte de la bordure méridionale du Massif-Central confirmant l'aspect d'amphithéâtre depuis l'Espinouse et, en descendant vers la côte, les garrigues, le Minervois, marquaient aussi la présence d'une main-d’œuvre de Mountagnols, décrochant d'un millier de mètres, plus avant dans le temps, pour la récolte des raisins, quand ce n'était pas pour d'autres travaux.   

Les filles du Poumaïrol, descendues pour les vendanges, ne remontaient dans la Montagne Noire qu'avant Noël, après les pommes, les châtaignes de l'Argent-Double, et en bas, les olives et parfois les premiers sarments à ramasser !  

Châtaigne Cévennes wikimedia commons Author historicair 29 décember 2006 UTC 15 h18
 

P. Andrieu-Barthe parle d'elles dans le numéro 156 de la revue Folklore (hiver 1974) : 

"... Les Châtaignaisons duraient une grande partie du mois d'octobre et parfois de novembre 

Portant un grand tablier de sac relevé en sacoche, des mitaines aux mains, elles ramassaient les châtaignes tombées à terre, armées d'un petit marteau de bois, "le massot", pour ouvrir les bogues piquantes.../... Le soir à la veillée, elles rangeaient la récolte du jour à l'aide d'un grand tamis "la clais" suspendu au plafond, dont le fond grillagé calibrait les fruits. Les jours de pluie, elles triaient les haricots secs, les petits "moungils" réputés ou "enfourchaient" les oignons, c'est à dire les liaient par douze sur des tresses de paille de seigle. C'était, avec les pommes-de-terre et les navets noirs, la principale nourriture du pays. 

La récolte des olives était redoutée à cause du froid et celle des sarments aussi car le vent glacé de Cers balayait la plaine. Elles attachaient solidement "la caline" sur leur tête et glissaient sur leurs vêtements des blouses de grosse toile. Les voyageurs étrangers qui passaient, remarquaient avec étonnement ces femmes qui paraissaient en chemise, en plein hiver, dans les vignes.../

... Ces filles du Poumaïrol étaient réputées pour leur vaillance à l'ouvrage ; robustes et fraîches, leur gaieté résonnait en chansons et plaisanteries, parfois d'une rustique verdeur. Les gars des villages, émoustillés par leur venue, se livraient à des farces d'usage, faisant enrager les employeurs, qui se croyaient, à cette époque, responsables de la vertu de leurs employées. 

Mais, depuis la guerre de 14, le plateau du Poumaïrol s'est lentement dépeuplé, les belles haies de hêtres sont retournées au taillis, les prairies se plantent de sapins et les filles sont descendues vers les usines du Tarn où leur gaieté n'est plus si sonore. On ne mange plus de châtaignes et de haricots, la diététique moderne les ayant rendus suspects, à leur place croissent les genêts et la broussaille, et qui se souvient encore des chansons des châtaigneuses ? 

"... Barraquet eit mort
Eit mort en Espagno
E l'en enterrat amé de castagnos 
Ah ! qui pouyen trouba
Per la Barraquetto
Ah ! qui pouyen trouba 
Per la marida
Las castagnos et le bi noubel 
Fan dansa las fillos, 
Fan dansa las fillos. 
Las castagnos et le bi noubel 
Fan dansa las fillos et lou pandourel."

 

jeudi 10 décembre 2020

Le séchoir à châtaignes / Ferdinand Fabre.

 Le  séchoir  aux  châtaignes.

Le séchoir est une maisonnette carrée, percée d’une porte et d’une fenêtre sur l’une de ses faces ; sur les trois autres, de plusieurs ouvertures très longues et très étroites appelées caréyéïros dans le pays. Un grand feu de charbon de terre brûle constamment au milieu du séchoir, et c’est par les caréyéïros, toujours ouvertes, que la fumée, après avoir pénétré les couches profondes de châtaignes, sort enfin en nuage opaque et noir Celui qui, n’en ayant pas l’habitude, resterait un quart d’heure dans ces trous tapissés de suie et de toiles d’araignée, peuplés de mulots et de campagnols, courrait risque d’y mourir asphyxié. Cependant les paysans y passent deux mois de l’année sans en être incommodés.

C’est surtout l’économie qui pousse le montagnard cévenol à passer sa vie dans les séchoirs. Obligé d’allumer du feu pour préparer ses châtaignons, il éteint, comme inutile, celui de sa cheminée, et envoie sa femme avec ses enfants faire bouillir la soupe au brasier du séchoir. Lui-même, chassé par le froid, rejoint bientôt sa famille, apportant près du foyer commun une hache et de longues lattes de châtaignier sauvage, dont il fait à son gré des cerceaux de barrique ou des corbeilles pour la cueillette des olives.

Dès cet instant le séchoir devient le centre de toutes les réunions. Là se réfugie désormais toute la vie du village. Les paysans pauvres, qui ne possèdent pas de séchoir, ne récoltant pas de châtaignes, s’installent dès l’aube dans celui de leur voisin avec leur marmite et leur ouvrage.

Oh ! alors, quel mouvement ! quels rires ! quelles chansons ! quelles histoires ! Tandis que les hommes tressent des paniers, que les femmes tricotent des filets pour les pêcheurs de la rivière d’Orb, ou broient le chanvre à grand renfort de batteuses, quelque vieillard, figure vénérable perdue dans la fumée, raconte des histoires merveilleuses aux assistants ébahis. Le plus souvent, les revenants, les loups-garous, le Drac, défrayent ces récits pleins de poésie, de caractère, d’originalité.

La vie se continue ainsi jusqu’à Noël. A cette époque, on éteint le feu ; la fenêtre du séchoir, au-dessus de la porte, s’ouvre, et les châtaignes desséchées, mais encore enveloppées d’une gousse roussâtre très âpre au goût, sont battues dans des sacs par quatre bras robustes sur de hautes pierres plates ou sur des billots de chêne.

Quand les châtaignes sortent du sac des batteurs, dépouillées de toute pellicule, jaunes comme l’or et dures comme le roc, elles sont vendues sous le nom de châtaignons à des charretiers voyageurs qui, tous les ans, font exprès leur tournée dans les Cévennes méridionales.

Ferdinand FABRE.

                 Les Courbezon. [Fasquelle, édit.] 

Correspondance François Dedieu, novembre 2012. 

Clèdo, séchoir à châtaignes, Castanet-le-Haut wikimedia commons Author Castanet


Secadou, séchoir à châtaignes châtaigne à Mons-la-Trivalle wikimedia commons Author Samuel loiseau