samedi 10 janvier 2015

DE QU’ES ACO UN POUAIRE ? / Fleury d'Aude en Languedoc

Dans la littérature de terroir, si précieuse pour ce qu’elle transmet sur les traditions et la vie de nos ascendants, « Le Clos du Roi » de Marcel Scipion,"berger des abeilles" du Serre de Montdenier (04 Alpes de Haute Provence) tient une place de choix. Dans ce livre remarquable pour qui veut connaître et rester fidèle au passé des siens, apparaît le mot "pouairé" en provençal, dans le sens de seau.
« Chès » (ou "tchès" phonétiquement pour l’onomatopée indiquant qu’on est étonné, surpris voire décontenancé (1)). « Chès » donc, de qu’es aco un pouairé ? Nous autris disen  « farrat » (à l’entrée « ferrat » chez Mistral) Et de repenser à notre bon oncle Noé dans cet extrait de ‭François Dedieu, dans « Caboujolette » 2008, chapitre « Le Renouveau ». ‬

Les Allemands.‭
Lou farrat‭ (‬variante audoise de ferrat,‭ ‬le seau‭) ‬:‭ ‬Quand les Allemands occupaient Fleury,‭ ‬de la mi-novembre‭ ‬1942‭ ‬jusqu’à presque fin août‭ ‬44,‭ ‬ils avaient installé leur‭ « ‬Kommandantur‭ » ‬à la maison Campardou,‭ ‬face aux maréchaux-ferrants,‭ ‬maison actuellement occupée par Roger Andrieu l’ancien boulanger de la rue Robespierre.‭ ‬Leur infirmerie et leur docteur étaient à la maison Trémolières‭ (‬chez toi‭) ‬qui servait aussi,‭ ‬au deuxième étage,‭ ‬de prison pour leurs soldats.‭ ‬Et ils avaient mis une cuisine roulante devant la cave de‭ «‬ Chouchou‭ »‬,‭ ‬après la cour de l’oncle Noé.‭ ‬Un jour,‭ ‬un des cuisiniers y arrive,‭ ‬voit l’oncle et lui fait de grands gestes en répétant maintes fois‭ « ‬Zwiebel‭ ? » ‬de façon interrogative.‭ « ‬Je ne comprends pas ‭!‬ ‭»‬ répond l’oncle Noé.‭ ‬Alors le cuistot repart en lui disant‭ «‬ Moment ‭!‬ ‭»‬,‭ «‬ Aco ba coumprenguèri,‭ ‬racontait Noé,‭ ‬me disio d’attendré un moumént.‭ ‬E tournèt am’uno pelhofo de cébo. ‭»
« En aléman ba disoun soubén al rébès.‭ ‬Quand fa plan fréd,‭ ‬disoun que fa caud‭ (‬kalt‭)‬,‭ ‬e uno bicycléto b’apèloun un farrat‭ (‬Fahrrad‭)‬.‭ ‬Coussi boulès y coumpréné quicon !! »
Traduction : « Ça,‭ ‬je le compris :‭ ‬il me disait d’attendre un moment et revint avec une épluchure d’oignon.‭
« En allemand,‭ ‬ils disent souvent les choses à l’envers,‭ ‬quand il fait bien froid,‭ ‬ils disent qu’il fait chaud‭ (‬kalt‭)‬,‭ ‬et une bicyclette ils l’appellent un seau.‭ ‬Comment veux-tu y comprendre quelque chose ‭!!‬ ‭»

‭Marcel Scipion, lui, indique le mot « seau » dans son acception locale « pouairé ». Et dans notre jeu de pistes, le ‬Trésor du Félibrige de Mistral indique :  poudaire, pouaire (dauphinois) vigneron qui taille la vigne. L’occasion d’apprécier à y être quelques expressions curieuses sinon savoureuses :
Poudaire à la mort : homme à théories absolues, qui ne pardonne rien, qui sacrifie le bon et le mauvais.
Faudièu poudaire : tablier de vigneron Parti coume un poudaire, partir de son repos, subitement, se mettre en colère
Fai la mino d’un poudaire : il est tout renfrogné.
Poudaire. Bon buveur
Pouda a bourre e bourrihoun : tailler la vigne sur deux bourgeons.
Quau poudo au mes de febrié, N’a pas besoun de desco ni de panié.
Semeno d’ouro, poudo tard.
Se poudes ras, béuras ; se poudes loug, béuras un an ; Se poudes court, béuras toujour. Se me coupes, me poudes ; Se me brules, me fumes, dicton qu’on prête à la ronce. (celle-là, c’est Jo qui me l’a apprise !)
M’en a pouda uno, il m’en a dit une

« Dins la vigno rapugado
E pudado
Li femo fan de gavèu» (T. Aubanel)




A Fleury et certainement tout autour on dit « vestit coumo un poudaire » et en cette période, comment ne pas penser à nos viticulteurs de la modernité, moins nombreux mais plus gros, pour lesquels la taille représente le plus exigeant des travaux devant être entrepris, malgré l’assistance des ciseaux pneumatiques, en décembre sinon dès novembre ?
Pour tailler en gobelet, mon poudaire des années 60 a pris soin, sous le béret ou la casquette enfoncée (avant le bonnet ou le cache-montagne), de multiplier les couches d’habits : tricot, chemise à long panel (c’est primordial), pull et par-dessus la fameuse canadienne (2) de cuir ou de toile lourde, doublée d’une laine de mouton avec un col fourré aussi. Si nos poudaires étaient à la mode, il fallait avant tout résister au Cers d’hiver qui pénètre et qui cause cette fameuse température ressentie aujourd’hui reconnue et dont font parfois état nos météos à la télé !
Avant de faire halte sur ce chemin enchanté qui nous fait remonter le temps, dans ce jeu de piste qui nous a fait aller de « pouaire » à « poudairé », en passant par les Allemands de la dernière guerre, avec la canadienne, permettez-moi de saluer une Vinassanote au Québec, à Montréal, avec, en ce début janvier une pensée pour André, pérignanais d’origine, qui, depuis son pays de neige, gardait vivace le souvenir de l'erbo blanco (3) dans les vignes "poudées", quand sur le marge l'amandier sait si bien faire fleurir l’espérance des hommes...


‭(1) Si quaucun peut en dire davantage, sa participation sera la bienvenue.
(2) dans une question, il y a peu de Money drop....
(3) Diplotaxis fausse-rouquette. 



Photos autorisées Wikimedia et les amandiers de Fabien de Lapalme.

mardi 6 janvier 2015

« QUAND LES HOMMES VIVRONT D’AMOUR... » / Fleury d'Aude en Languedoc

Décembre, une halte sur le chemin... Je sais : nous le devons à la nature qui s’arrête un instant de respirer avant de se gonfler à nouveau pour le cycle à venir. Je me doute : c’est cette hypothèse qui nous incite à faire une pause sur ce que nous sommes et faisons là. Alors, plutôt que de vivre comme on foncerait en acceptant bêtement même l’inacceptable, arrêtons-nous au bord du chemin, pour mieux repartir, serait-ce optimiste de le voir, de le souhaiter ainsi. 
Lors de cette parenthèse méditative, l’enfance revient en force car elle nous laisse à jamais des impressions ineffaçables : je l’évoquais dans le papier sur « La Baptistino ». Qu’elles soient incomplètes, partiales et même, inexactes, elles n’en forment pas moins le point de départ du court passage de chacun au pays des vivants, une parenthèse si brève que nous l’embarrassons de la quête tri sinon unidimensionnelle « D’où venons nous ? Qui sommes-nous ? Où allons nous ? ». Si encore nous ne l’encombrions pas de la question  « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », amenant une incompréhension qui va augmentant tout au long du parcours, parce que les injustices, les horreurs par nous perpétrées, deviennent toujours plus intolérables. Portant la parole des sans voix, quelques rares écorchés vif de la solidarité généreuse ont su le dire et le chanter :  « Quand les hommes vivront d’amour...». Autant ne pas se compliquer l'existence avec la trilogie que l’on prête à nos cousins primates « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ». Entre la vie et la mort, que nous acceptions ou non de considérer le dilemme, la conclusion appartient à la voix chaude de Félix Leclerc : «... Mais nous nous serons morts mon frère...». 
Revenons à Fleury dans les années 60 lorsque, impressionné, je pénétrai, par un porche monumental, dans les dépendances intra muros d’une belle propriété viticole (1). L’enfant que j’étais veut surtout s’évader par le rêve d’une réalité encadrée par une trinité dominante : les parents, l’Église et, plus distante, la politique.
Les parents sont pour l’ordre des choses, ils acceptent les inégalités et ne voudraient pour rien au monde échanger avec la progéniture sur le sens de l’existence ; ils ne disent rien de la mort, ils auraient même tendance à en édulcorer la réalité sinon à la cacher. Les enfants sont des mineurs en puissance qu’on veut protéger de tout ce qui est sale et l’amour des parents, s’il n’est pas contestable, s’accompagne d’un paternalisme marqué par la normalité éducative des châtiments corporels et l’irrespect aussi profond qu’institutionnel pour une progéniture en mutation « C’est comme ça et c’est pour ton bien ! », « Tu comprendras plus tard ! ». Tant que l’âge de raison n’est pas atteint (il ne correspond pas forcément au statut de majeur à 21 ans révolus), il n’y a pas à dialoguer avec sa descendance présumée incapable de comprendre le monde des grands. Et dire que l’Église, elle, il est vrai dans un autre registre et dans le cadre de la soumission à un dieu, professe des valeurs contraires puisque dès le stade fœtal, sinon embryonnaire, le vivant est sacralisé en tant que création divine.

 Dom Helder Camara / wiki.en (england).
L"abbé Pierre / wiki.ru (Russie).

Ainsi la religion incite également à se plier au nom d’une justice céleste après le passage ici-bas, promettant virtuellement aux petits « les premiers seront les derniers ». Elle s’engage pour plus tard, complice qu’elle est, depuis longtemps, des puissants qu’elle laisse faire. Pour preuve, la place qui est faite, en bien, à quelques hommes (2) d’Église (rares aussi) comme l’abbé Pierre en France ou  Dom Helder Camara, « l’évêque rouge » du Nordeste brésilien, « l’agitateur » qui lui-même se désignait comme le "petit âne de Jésus": « Quand je donne de la nourriture aux pauvres, on m'appelle un saint. Quand je demande pourquoi ils sont pauvres, on m'appelle un communiste ». Je me dois d’ajouter que la générosité solidaire de Dom Helder, soutenue par l’amitié du pape Paul VI, fut la cible d’un laminage rancunier de la part de Jean-Paul II qui n’aura de cesse de neutraliser le contre-pouvoir mis en place par l’évêque de Recife (3)... C’est une chose d’exécrer le communisme mais cela n’est pas très chrétien d’en arriver à soutenir le fascisme... Je n’ai pas dit « très catholique » et ce serait digresser que d’évoquer la place qui est faite, en mal, à Von Papen, par exemple, et, par-dessus lui, au pape Pie XII, pour ses silences sur le nazisme... dans parler des réseaux qui permirent à de nombreux criminels de guerre de fuir notamment vers l'Amérique du Sud.
( A suivre LES PROMESSES N’ENGAGENT QUE CEUX QUI LES GOBENT...).

(1) propriétaire aussi de la campagne de Laquirou, un beau domaine dans la Clape. Les logements des ouvriers agricoles semblaient des verrues tant la place allouée à l’exploitation prévalait. Honorine et sa vieille mère habitaient là, mes voisins de quartier et camarades Jean-Paul, Momon, Néné et Éliane ainsi que leurs parents, aussi.
(2)  Où sont les femmes victimes d’une discrimination machiste ordinaire, dominées mais consentantes, supplétives mais prosélytes, dont la complicité parfois active aide à ce que les choses ne changent pas ? Ainsi,  à côté de l’Abbé Pierre et de Dom Helder Camara, je pense (en espérant ne pas tomber dans l’anachronisme) aux bonnes âmes telles sœur Thérésa à Calcutta et sœur Emmanuelle auprès des chiffonniers du Caire, qui veulent apporter un soulagement aux misères dans une acceptation résignée des malheurs et surtout sans l’incitation à la révolte seule capable de faire évoluer le statu quo. 
(3) lire http://www.liberation.fr/monde/1999/08/30/la-mort-de-l-eveque-rougel-agitateur-bresilien-dom-helder-camara-combattait-misere-et-dictature_280330

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