samedi 17 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (4) Relief, pluie et vent.

Brodequins lacés, sac au dos, avec les David à l'horizon, la Montagne Noire s'offre entre le bassin de Castres et les plaines de l'Aude. 

Copié sur le travail de Roger Bels, instituteur / En pensant à mon prof de quatrième, Monsieur Sinsollier... La coupe part de Saint-Amans-Soult, kilomètre 0 et finit du côté de Pennautier. dans l'impossibilité de situer précisément les cuestas calcaires, je ne me suis pas risqué à faire figurer les points particuliers à cette coupe : Pradelles-Cabardès, le Mont Simel, La Combe-du-Saut, Villegailhenc,   

Au nord, le plateau chute brusquement sur la coupure du Thoré, bien arrosée par les pluies atlantiques, la pente porte de sombres et profondes forêts lui valant son nom ; le Sud, au contraire, au climat plus méditerranéen, offre un paysage de côtes exposé au soleil. À l'est, si André David mentionne le col de la Fenille (451 m. entre La-Bastide-Rouairoux dans le Tarn et Courniou dans l'Hérault), la vallée du Thoré, remonte, elle, au-delà des Verreries-de-Moussans. 
À propos du réseau hydrographique, le travail de l'auteur s'adresse comme pour le reste, aux spécialistes, référence faite à la géologie par exemple, aux cycles d'érosions. Rien n'empêche, néanmoins, d'en retirer une vulgarisation tous publics. 

Sur les 38 figures de l'ouvrage, les dessins au nombre de 19, sont du père Léo David. Ici la n° 17, la plaine éventrée de Castans. 

Relevé hydrographique d'André David. 


Dès lors, non s'en nous en excuser, comparons passé et devenir géologiques des reliefs et rivières par un biais anthropomorphique au vocabulaire déjà utilisé par David. Singulière, la ligne de partage des eaux raconte que, plus rapprochée du Nord, avançant plus loin, l'érosion méditerranéenne a fait gagner le Sud. Oui mais, partant du factuel, la science du jeune géographe est capable d'anticiper l'évolution d'une situation non figée. Le Nord reste cependant sur deux batailles gagnées, celles du Sor et de l'Arnette ; le Sor a capté les affluents du Lampy du coup raccourci, décapité ; de même, l'Arnette primitivement liée à l'Orbiel, a été capturée par le Nord. Sauf que, désireux de se venger, l'Orbiel annonce sa revanche prochaine... Déjà, tel un allié, le Clamoux (“ la ” pour l'IGN) a amputé l'Arnette de ses sources : le Sud est dans une dynamique de reconquête... Et la plaine de Pradelles-Cabardès étant appelée à disparaître, c'est à se croire dans l'épisode de l'enlèvement de la belle Hélène, prélude à la Guerre de Troie ! Chapeau l'artiste... je veux dire « André David » ! 
Pour ne rester que “ grand public ”, laissons le spécialiste à son talent d'enquêteur, retenons cependant que pour alimenter le Canal du Midi, les noms de Paul Riquet et Vauban sont liés aux Rigoles de la Montagne et de la Plaine (60 km environ pour l'ensemble), dédiées au captage des eaux nécessaires au Canal, entre les versants méditerranéen et atlantique. 

Relevé par André David. 

Pleuvait-il davantage, un siècle passé en arrière ? 
Lors de son étude, André David disposait de peu de ressources à propos de la pluviométrie ; c'est qu'à l'époque, l'appellation “ Montagne Noire ” va du Sidobre à Bédarieux, Avant-Monts compris. Si, à l'inverse du relief, les courbes se resserrent au sud, le plus étonnant relève du flou sur les abords de Nore où le schéma ne traduit pas l'abondance des pluies (le pic se retrouve souvent noyé de brume alors que le Cabardès est sous le soleil). 
Une vingtaine d'années plus tard, dans une étude sur « Les Conditions climatiques et la Végétation de la Montagne Noire » et des relevés plus étoffés, J. Dougados (1) note que les récoltes sèchent à Cabrespine « ...pendant que ceux de Pradelles maudissent les longues journées pluvieuses... ». 

Préfacé par A. Cuttoli, directeur de l'École Normale d'Instituteurs de Carcassonne. 

1966, le fascicule de haut niveau pour le public du primaire auquel il était destiné voit Roger Bels proposer une carte très lisible de la pluviosité annuelle du département avec les secteurs les plus arrosés du massif (entre 1300 et 1600 mm des secteurs de Laprade-Lacombe [dont la prise d'eau d'Alzeau à destination du Canal du Midi ], ainsi que celui de Nore entre Pradelles et Castans). 

Enfin, liés aux nuages porteurs de pluies, les vents. 

Comme c'est le cas pour le Cers qui se déleste dans les Corbières pour devenir la Tramontane (2) du Pays Catalan, André David mentionne ce vent amenant la pluie sur le versant nord de la Montagne Noire suivi d'une Tramontane en Bas-Languedoc. Sinon c'est le Marin humide et calme au sud devenant l'Autan violent, chaud et sec (E. de Martonne parle d'un effet de föhn). Le relief et la ligne de partage des eaux détermine cette réalité. Au début du XXème siècle, les vents d'ouest dominaient deux jours sur trois... Qu'en est-il à présent qu'une bascule semble avoir fait des vents venus de la mer des dominants... (Une quête vaine dit néanmoins [site de Montbrun-Corbières]que l'ensoleillement de la région narbonnaise dépasse les 3000 h/an alors qu'au dessus de 2800 h/an ne sont mentionnées que les villes de Marseille, Toulon et Nice...) Sur nos vents, faute d'éléments, ce n'est qu'un ressenti ; maintenant si quelqu'un peut préciser, son aide sera la bienvenue.   

(1) Pas moyen de faire la part entre Jules François Camille Dugados et François Jules Camille Dugados donnés pour être nés en 1855... un même ingénieur sorti de Polytechnique peut-être...  

(2) David met la majuscule aux noms des vents. 

Marcel Sinsollier (1932-2024)

En hommage à Roger Bels (1921 ?-2001 ? Carcassonne ?), instituteur, et toujours mon émotion pour Monsieur Sinsollier (1932-2024), Marcel de son prénom, la trentaine quand je l'ai eu en quatrième comme professeur d'Histoire-géographie et qui m'a instinctivement accompagné quand j'ai dessiné et colorié le schéma emprunté à R. Bels. 

jeudi 15 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE, André DAVID (3 et fin)

André David, tout comme son père Léo David, sont de Saint-Germain-de-Marencennes5, en Charente-Maritime. De venir trois étés de suite sur les traces d'André relève donc du pèlerinage, du voyage consacré à la mémoire de l'enfant, du fils perdu... 

« Vois-tu, je sais que tu m'attends [...] Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » 

« Demain dès l'aube », « Les Contemplations » 1856, Victor Hugo. 

Emmanuel_de_Martonne Photo antérieure à 1929. Domaine public. Čeština  byl francouzský geograf :  l'Europe Centrale est concernée par les frontières qu'il a contribué à tracer.  Auteur anonyme

Nous livrant à bien des prolongements, le livre sur la Montagne Noire est préfacé par Emmanuel de Martonne (1873-1955), professeur à la Sorbonne, éminent géographe et traceur de frontières. Loin de mettre en avant la technicité géographique brute du sujet entrepris, cette préface s’attache avant tout à la conjoncture humaine qui a tant su nous toucher. De Martonne nous apprend d’emblée qu’une balle allemande a abattu « un des espoirs les plus sûrs de l’école géographique française ». Il connaît personnellement André David, pour reprendre ses mots, plutôt frêle mais d’une bonne résistance physique, timide mais concentré, d’une puissance de travail remarquable, hardi dans ses idées et la verve de ses propos.  

Admis à l’École Normale Supérieure en 1912, à peine un an plus tard, son travail sur la Montagne Noire stupéfie ses éminents superviseurs au point de presque lui conseiller de garder cette production de débutant sous le coude, comme thèse de doctorat. Visiblement ému par ce destin hors normes, l’universitaire accompagne la publication du livre de sa chaleureuse humanité ; il nous confie que deux camarades qui l’aimaient avaient promis de finaliser les chapitres à peine ébauchés… Le premier s’écrasa avec son avion en Macédoine, le second, blessé à maintes reprises, finit aussi par mourir sur le front. Alors ce fut Mademoiselle Marre, amie d’enfance d’André et professeur au Puy qui s’est chargée des passages et même des chapitres incomplets. 

Page de titre.

La Société d’Études Scientifiques de l’Aude a bien voulu concrétiser tous ces efforts conjugués ; son imprimeur attitré, Bonnafous6, 50 rue de la Mairie à Carcassonne, a assumé le tirage du livre.

Ô armoire « ...du vieux temps, tu sais bien des histoires, […] Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires » (Le Buffet, Arthur Rimbaud) sur les livres couverts de bleu aux belles étiquettes… la 102 pour André David et la Montagne Noire, la 113, sobrement intitulée « Poésies », toutes de Rimbaud… 

Au milieu, ces exemplaires blancs dépareillent, d'où la fausse bonne idée de les ranger par côté et ce, à cause du crochet de fermeture du battant gauche de l'armoire. 

Et si mon père habite toujours la maison de vie d’où j’écris, en ouvrant l’armoire aux livres, comme Nougaro, j’entends plus fort encore « la voix de papa ».

Suite à ce long avant-propos, suite au recueillement, ne perdons pas de vue l'intérêt initial pour notre Montagne Noire jusque là abordée aussi fortuitement que légèrement, suite à une “ leste motivation ”, disons, fomentée par la trouvaille fortuite d’un article de la revue Folklore « Les filles du Poumaïrol ». 

Depuis_le_pic_de_Nore, vue sur la plaine audoise 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Lucas Destrem. Là où nous croyons tout voir, la vue globale fait heureusement l'impasse sur les vallées encaissées et un plateau de vie cachée comme Le Poumaïrol... 


5 Dans Wikipédia notamment, je ne comprends pas l’absence d’entrées  pour André et Téo David, et qui plus est sur la page de Saint-Germain-de-Marencennes, leur village natal pourtant. Personne, à ce jour, ne s’est chargé d’honorer leurs mémoires… 

Saint-Germain-de-Marencennes se situe à près de 500 kilomètres de la Montagne Noire. 

6 Imprimerie fondée en 1776, mise en liquidation en 2011 suite au décès brutal de Georges Bonnafous 59 ans ; six employés au chômage.