lundi 14 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (7) La Mule du Pape.

Force est de constater que le petit âne gris du mas et des transhumances passe avant la mule du pape. Ma foi avec tout le pastis que nous ont causé ces souverains pontifes, toutes les richesses dont ils ont abusé aux dépens des humbles, plutôt parler de la Mule avant de parler de leurs saintetés. En cela, n'oublions pas Joseph, père de Marcel Pagnol, héros de La Gloire de mon Père, anticipant de montrer sa largeur d'esprit à l'oncle Jules : 

« ... Non, je ne lui parlerai pas de l'Inquisition, ni de Calas, ni de Jean Huss, ni de tant d'autres que l'Église envoya au bûcher ; je ne dirai rien des papes Borgia, ni de la papesse Jeanne !... » La Gloire de mon Père, 1957, Marcel Pagnol. 

Carte_du_Comtat_Venaissin.svg 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Auteur Oie blanche


De même, de mon côté, je ne parlerai pas du Comtat Venaissin volé au Comte de Toulouse (1274) pour récompenser l'Église de sa croisade barbare contre les Bons Hommes (Albigeois). Rien non plus sur Avignon la ville, achetée par les papes en 1348. Que ce choix de ne pas vulgariser soit exprimé avec un grand respect pour les professeurs agrégés d'Histoire (un des concours les plus durs qui soient et si mal payé en retour...), dans le secondaire puis le supérieur sinon en tant qu'historiens... Qu'on me pardonne si je me cantonne à seulement citer Henri Virlogeux jouant Jean XXII dans Les Rois Maudits à la télé (1972). 

Les Lettres de mon Moulin 1954... pardon, les ayant-droits pour le © écorné... 

Autant rappeler Daudet encore, Alphonse, avec ses Lettres de mon Moulin. Avant le film de Pagnol, Trois Lettres de mon Moulin, 1954, plus tard au cinéma du village, le livre m'avait ravi. Il se déguste par tranches, à chacun des âges de la vie, la Mule du pape venant bien après la Chèvre de Monsieur Seguin et le Secret de maître Cornille... d'ailleurs, hier seulement, j'ai découvert dans le prologue « Ce que c'était que mon moulin », que le moulin emblématique de ses Lettres n'avait jamais été à lui... Le charme continue d'agir... les illustrations de Pierre Belvès (1909-1994) y ont une part magnifique.  

Sinon, d'après Daudet, le pape de la mule, Boniface (1), était du genre débonnaire et aimable. Il l'aimait sa mule, la soignait, lui portait tous les soirs un bol de vin aux aromates. Tistet Védène, un galopin du cru, pour se faire bien voir, à l'idée du rapport qu'il pourrait en tirer, se mit, auprès du pontife, à brosser la mule dans le sens du poil. Promu dans la maîtrise papale où n'entraient que les Grands, la charge du bol de vin lui échut sauf que la mule n'en sentait plus que l'odeur. Tistet et sa bande vidaient le bon vin puis grisés taquinaient, montaient la mule, tirant sa queue ou ses oreilles. N'en voulant qu'à Tistet, la bête prenait sur elle. Le jour où ce vaurien la fit monter en haut d'un clocheton, lui, la méchanceté succéda aux taquineries. Il fallut des cordes, un palan, une civière pour redescendre la mule humiliée. Parti à Naples, devenu bel homme, Tistet revint néanmoins en Avignon demander la succession de la charge de moutardier... De la part du bon Saint-Père, comment refuser à celui qui continuait à tant aimer sa mule ? 

Tistet vu par Pierre Belvès... magnifique... à en paraître ici sans respect du copyright... 

Belle cérémonie en effet. Sur le point de monter recevoir ses insignes auprès du pape, Tistet ne manqua pas de coller deux tapes amicales sur la croupe de la mule en bas des marches, prête à partir ensuite à la vigne de Château-Neuf, prête aussi à se venger enfin. 

« [...] Et elle vous lui détacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que de Pampérigouste même on en vit la fumée, un tourbillon de fumée blonde où voltigeait une plume d'ibis ; tout ce qui restait de l'infortuné Tistet Védène ! [...] celle-ci était une mule papale [...] elle le lui gardait depuis sept ans... » Lettres de mon Moulin, La Mule du Pape, 1869, Alphonse Daudet.        

Ah ! mercredi je regarde Michel Piccoli dans Habemus Papam ! un pape avec au moins autant d'humanité que Boniface...     

(1) Pas un Boniface n'ayant été pape à Avignon, Daudet le présente non sans finesse :  «... Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… Oh ! celui-là, que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort !... » Lettres de mon Moulin 1869. 





jeudi 10 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (6) LE PETIT ÂNE GRIS (3)

1968, Hugues Aufray chante Le Petit Âne Gris : Provence, moutons, transhumance, santons... soit autant de poncifs à présent qu'une vie toujours plus moderne fatigue le besoin d'évasion, phagocyte le merveilleux des enfants.  Corde sensible : se réveillent en moi Francis Jammes, Brassens, Cazal et sa carriole. 

« Le fond d'une étable... Tout seul il s'est couché... Pauvre bête de somme... Il a fermé les yeux... Abandonné des hommes, Il est mort sans adieux... » (paroles d'Hugues Aufray). Images de vie, images de mort d'un animal qui, contrairement à l'humain, n'a rien à se faire pardonner mais meurt tout de même ; tous les paramètres d'un ressenti débordant de désarroi sont réunis, parfois jusqu'aux larmes. On fond et en fond se nourrit ce sentiment d'impuissance parce que la vie d'avant, toute pas facile qu'elle ait été, se dissout et avec elle, toute en compassion, cette proximité perdue avec les animaux plus domestiques que familiers, chiens, chats, chevaux, mulets, ânes, poules, canards, pigeons, lapins... 

Comtesse de Ségur_Mémoires-d'un-âne 1869 illustration Horace Castelli  (1825–1889)


La vie d'avant, après Brassens, Irénée c'est aussi, pour quelqu'un de mon âge, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, Jacky le copain de classe car on l'a promené sous les grands pins du parc, le petit âne du domaine de Grange Rouge, la propriété de ses grands-parents Lapointe. 
    
Décennie 90, lors de la promenade dite digestive suite aux libations du jour de l'an, sur du bien être sans nuages, la terrible rencontre avec une charogne. De quoi ne plus être dans l'estomac trop chargé suite à un bon menu. Bien que loin de Baudelaire, par un jour gris d'entrée maritime, après la Clape, en bordure de l'ancien étang de Fleury, sans la pestilence, sans les légions de mouches et de larves, la peau encore sur les côtes en cerceaux, le cadavre d'un pauvre âne mort d'abandon, de manque de soin, sinon de vieillesse... Je crois bien sinon j'imagine l'avoir vue bien vivante, la pauvre bête, libre et peut-être satisfaite dans ce grand terrain. L'endroit ? je peux le montrer tant ce triste souvenir marque, au croisement du chemin des Arbres Blancs avec celui pas plus promu de Marmorières mais si emprunté depuis que les GPS, dans leur logique simpliste, le recommandent pour aller à Saint-Pierre-la-Mer, depuis Vinassan. 

Le petit âne, nous le retrouverons avec une même tendresse grâce à R-L Stevenson (1850-1894) dans son « Voyage avec un âne dans les Cévennes » (1879), si plein de remords et d'émotion après coup, d'avoir négocié la vente de Modestine, tout comme le père Adam qui en pleurant lui avait vendu l'ânesse ; nous le retrouverons sous la plume d'Henri Bosco (1888-1976), natif d'Avignon, familier de la Durance, il est « L'Âne Culotte » qui, l'hiver, porte des pantalons aux pattes de devant et qui vient seul prendre livraison au village du pain et de l'épicerie commandé(e)s par un homme vieux et solitaire dans un mas de la montagne, nimbé de mystères. Constantin, un enfant, échappant à la garde de sa grand-mère Ernestine, va braver l'interdit et partir un jour sur l'âne (pardon d'en dire trop, serait-ce prétentieux, mais Ernestine était la mienne de mamé [1896-1976], avec toujours une gourmandise détournée au fond des grandes poches de son tablier).  



Le petit âne, je l'ai retrouvé ce jour de balade à la Pointe de Vignals. De son enclos il m'a vu venir de loin... C'est vrai qu'ils ne s'aiment pas solitaires et que la compagnie d'un mouton, d'une chèvre, d'un chien, d'une poule aident à leur bon moral. Je lui ai dit de rester vigilant, que l'endroit s'appelle Nego Saumo, du temps où la perte d'une ânesse marquait les esprits... d'ailleurs, à Salles-d'Aude aussi, le long de l'ancien cours de l'Aude, un ténement porte aussi le nom de « Nègue Saume ». Mystère quant aux circonstances de ces noyades...  

Le petit âne, il est à Coursan, avec ces photos déjà anciennes, échouées dans nos vieux papiers (celui ou celle qui illustre J'aime l'âne de Francis Jammes dans le précédent article). De nos jours, toujours à Coursan, l'Asinerie du Rivage honore les ânes ; par le biais de savons, cosmétiques, laits d'ânesses, d'ânons à adopter, l'élevage contribue à la conservation de l'âne des Pyrénées, catalan, de grande taille sinon gascon, plus petit. 

Wikimedia commons Auteur Cocollector

Avec l'évocation pastorale d'une vie avant, en Provence comme en Languedoc, j'étais loin de réaliser la place et la portée de ces grands yeux doux et paisibles, relevés de khôl, qui n'en finissent pas de me regarder... Dans la grande incertitude de ce qui nous attend, avant tout, de ce que les générations nouvelles ont et auront à affronter, chamboulé par un présent morose, des lendemains crispants, comment ne pas s'accrocher, pour survivre, sûrement, à ces racines encore vives, à ce vécu concret dont il faut témoigner...