dimanche 13 février 2022

LE POUMAÏROL (13) Passage dangereux pour les mineurs !

Pour couper aux restrictions liées au covid, deux copains se sont mis d'accord pour une petite virée pas loin et pourtant dans une contrée à la vie rude, dans la Montagne Noire sauvage, à l'écart de l'axe Mazamet-Carcassonne. 
Depuis Narbonne, en passant par Minerve, ils ont suivi le cours étonnant de la Cesse avant de monter vers le Plateau du Poumaïrol.  
"ATTENTION : ces individus ne souhaitent pas révéler leurs visages, nous les avons appelés Serge et Roger ; sur quelques lignes, ils se laissent aller à un certain vocabulaire réservé aux adultes et pas encore à une jeunesse chaste, innocente et fragile... du moins à ce que l'on croit.    
Roger : avec plus d'eau, des conditions idéales pour une forêt dense, même si elle est cultivée depuis longtemps. Beaucoup de petites industries du verre dans le coin ; il en fallait du bois ! 
 
Les Verreries-de-Moussans Eglise St-Thomas wikimedia commons Author Fagairolles 34
 

Serge : et oui, les Verreries-de-Moussans... Dire que j'y suis monté en bonne compagnie à l'arrière de la 203 du copain lui aussi en couple ! 
 
Roger : hééééé tu n'en avais jamais parlé ! 
 
Serge : et oui, à propos d'amour, on ne dit jamais tout... 
 
Roger : ou l'inverse : on en dit trop quitte à en rajouter... sauf pour nous qui avons dépassé ce plafond de verre depuis longtemps ! 
 
Serge : le printemps débutait à peine... chacun dans une chambre de la maison inoccupée, de sa grand-mère, sauf l'été. Du concret, pas le virtuel des filles du Poumaïrol ! Pas même le souvenir d'avoir eu froid !

Roger : tu vas bien, c'est loin derrière nous... Être ou avoir été...
 
Serge : et oui, bien cinquante ans en arrière ! 
 
Roger : c'est sûr que tu n'as pas regardé les châtaigniers, les hêtres, les épicéas, les pins et les séquoias ! tu ne t'es pas demandé pourquoi la forêt était si dense, seule comptait la gonzesse qui avait tout pour plaire ! Qu'est-ce que ça a donné ? 
 
Serge : ah ! m'en parle pas... du plaisir, on s'aimait... c'était avec mon ex... Hélas, ces deux lettres suffisent pour résumer la suite... Que la vie passe vite quand même... 
 
Roger : ne nous plaignons pas, nous n'avons pas connu la guerre ! quel reproche injuste, définitif, trop commode de la part des parents qui n'ont pas d'autre argument ! Dans ce coin, pourtant, des familles gardent en mémoire des faits plus tragiques. On laisse à droite la route du col de Serières qui redescend, justement, vers les Verreries-de-Moussans... Dis, avec ou sans protection l'amour des années 60 ? 
 
Serge : tu es bien indiscret, animal ! Sans, si tu veux savoir... Je te renvoie à la chanson de Stromae qui a fait beaucoup de bien dans la psychologie machiste, question pureté ou impureté de la femme... "Rendez-vous aux prochaines règles..." : au moins nous savions qu'elles nous protégeaient, enfin, je n'en sais pas plus, on ne savait rien, les tabous et non-dits empêchaient tout... Je n'ai retenu que ça, comme pour les paroles de Stromae, le leitmotiv, sans rien chercher le sens profond du morceau... Il fait déjà partie des chanteurs qui comptent, une classe au moins au dessus... Hé ! ne raconte pas tout dans tes articles, attends d'écrire un jour des pages olé olé pour les plus de dix-huit ans... 
 
Roger : Holà ! faut être connu pour se le permettre ! La Fontaine, Apollinaire, sinon Miller, le seul que j'ai lu... tu vois, je ne suis pas initié...
 
Serge : c'est que dans ce domaine, la théorie peut venir après la pratique... Gare-toi un moment qu'on ne capte pas partout par ici...   
 
Roger : tu as de la chance ! Là on peut stationner, il y a un point de vue... et puis allume mon bidule, mon module, enfin mon capteur que je ne sais plus comment ça s'appelle !
 
Serge : bon, c'est encore sur Wikipedia que les références sont les plus complètes. la littérature érotique et même porno a existé de tous temps et je te dis pas les illustrations, de même que la libido des religieux des deux sexes !  Ah ! Kessel, "Belle de Jour", Léautaud, je ne savais pas, et Aragon dis, "Le con d'Irène" ! Virginie Despentes "Baise-moi" ! fallait oser !
 
Roger : et cette femme, devenue chroniqueuse, attention, pas commode, agressive, qui donne pas envie... son nom m'échappe... 
 
Serge : je la cherchais aussi : elle est marquée dans les autobiographies, ça y est, je l'ai : "La vie sexuelle de Catherine M.", Catherine Millet ! 
 

 
Roger : oui, c'est ça ! je suis d'une inculture crasse... On va le voir ce point de vue, manière de se laver l'esprit de ces pulsions lubriques ? J'y suis monté en été, dans les bruyères fleuries, un temps frais avec une brume étonnante, si près de la Méditerranée. Dans le vallon en dessous, le ruisseau, la Cesse, je l'ignorais à l'époque. Tu as regardé la carte ? le Roc Suzadou ça s'appelle, dans les sept-cents mètres à quicon proché (à quelque chose près)... 
 
 
Serge : oui, j'ai vu, ensuite ça grimpe encore mais dans deux ou trois kilomètres, ce sera le plateau du Poumaïrol d'où les filles fraîches descendaient pour les vendanges, les pommes, les châtaignes en remontant, les olives, les sarments en redescendant à nouveau dans la plaine... 
 
Roger : quelle belle histoire ! Heureusement que ce numéro de Folklore de l'hiver 1974, ils publiaient à chaque saison, nous est tombé sous les yeux ! Chez elles, une vie rustique entre huit et neuf-cents mètres d'altitude, avec le froid, la neige, les brouillards, le printemps et l'automne plus courts et seulement une paire de vaches, le foin pour l'hiver, des pommes-de-terre...
 
Serge : oui, je l'ai là, l'article, il dit aussi qu'ils cultivaient des navets noirs, des oignons qu'elles tressaient par douzaines les jours de pluie, les moungils, une variété de haricots qu'elles triaient à la veillée... ah, pour un cassoulet ! Le nôtre on l'a bien digéré, tu as vu ! Enfin, une économie de subsistance, du lait, des fromages sûrement, peut-être aussi des stères de bois de chauffage, des charbonnières... c'est sûr que les quatre sous gagnés en bas étaient les bienvenus... Ah ! je lis aussi qu'ils entretenaient des glacières remplies de neige l'hiver et qu'ils descendaient la glace l'été, pour les cafés de Carcassonne.
 
Roger : c'est sûr que les Mountagnols appréciaient de remonter avec l'argent des vendanges, ça me fait penser aux Ariégeois... la montagne était pauvre et faisait beaucoup d'enfants. 
 
Serge : c'est après la guerre de 14 que le plateau a commencé à se dépeupler... 
 
Roger : avant, peut-être, regarde, mon grand-père Jean, né en 1897, sa famille avait déjà quitté les montagnes de Montagagne, au-dessus de la haute vallée de l'Arize et de La-Bastide-de Sérou (1). 
 
(1) En 1926, 45 familles soit 285 habitants vivaient encore sur le plateau. En 1960 les familles n'étaient plus que 4 avec 18 personnes ; l'école a fermé en 1962, l'activité agricole a été abandonnée. Dans les années 70, alors qu'il ne restait que les vieux, de nouvelles familles sont venues, même si leurs visées étaient plus personnelles, apporter du sang neuf pour que le Poumaïrol ne meure pas. 

 

vendredi 11 février 2022

LE POUMAÏROL (12) un fameux cassoulet !

Décembre 2020. Roger et Serge, copains de toujours, ont décidé de faire un pied de nez au covid. Ils ne sont pas à court d'idées quand il s'agit de partir quelques jours, en célibataires. Cette fois, c'est un article de 1974 de la revue Folklore, traitant du département de l'Aude et des contrées voisines, qui les a décidés pour un pays perdu dans les brumes, aux confins du Tarn, de l'Hérault et de l'Aude, le Poumaïrol. Les filles de là-bas, aussi pimpantes qu'exotiques, descendaient s'embaucher dans la plaine, des vendanges aux olives et au ramassage des sarments de vigne...  
 
Roger : et non... à la tienne, va, que je n'en reviens pas de ton blanc, bio et pourtant bon, même si les sulfites, à faible dosage, ne donnent plus le mal de tête comme avant...

Serge : c'est le nom je crois qui fait peur, je parle des sulfites... le Saladou c'est gentil, au début d'une boucle à l'ouest de Ferrals, comme un plateau d'où la vue donne sur les Corbières et jusqu'aux Pyrénées ! Passage, ensuite, par le Serre d'Alaric, pas l'Alaric de Gaston Bonheur, à portée de l'Aude, qui change le temps qu'il fait, pas loin de Carcassonne, dans le couloir du Cers... tu les a entendus ces couillons, se gargariser de longue avec la "tramontan'" quand ça souffle à 120 km à l'heure ? 

Roger : moi je les collerais à l'oral, ces météorologues au rabais !

Serge : surtout que Météo France le reconnais, le Cers... un des plus vieux noms de vent en France quand même !  

Roger : oui mais ton Serre d'Alaric, il est au pays des filles ? 

Serge : tu es terrible, tu sais ! oui, en descendant de "la" Serre d'Alaric, plutôt, au féminin, je crois, pour dire la montagne, ça doit venir de l'occitan... on y arrive au pays du Poumaïrol, pour consoler tes pieds qui chauffent, et pas qu'eux, pour des rêves fantasmés !

Roger : à mon âge qu'est-ce qu'il me reste sinon des rêves qui font revisiter ma vie en mieux ? Quoique, tu sais, Lacarrière Jacques, cet auteur amoureux-fou de la Grèce et qui a écrit au moins deux versions de son livre "Chemin Faisant", des Vosges à Leucate, par le Massif-Central, justement, il a quand même eu au moins deux ou trois aventures amoureuses en route... je te dis pas la puissance érotique d'une rencontre dans la platitude désertique et glacée du Causse Méjean, quand il cogne à une maison, que c'est une femme seule qui lui ouvre et que tout est possible... au premier regard, ils ont su qu'il y aurait une suite...  

Serge : tu vas bien toi, il devait être bien plus jeune que nous... 

Roger : "ça c'est vrai"... 

Serge : ne nous refais pas la Mère Denis que cette pub nous ensuque d'un petit coup de vieux en prime !

Roger : si tu avais connu mamé Antoinette, une grand-mère formidable à Vinassan... un grand bol d'oxygène de penser à elle... avec son tablier, on aurait dit la mamé de la pub !

Serge : je comprends... moi j'ai eu un grand-père formidable, comme tu dis, qui finalement ne languissait pas trop de redescendre dans le Midi, la guerre finie, la première s'entend... Il racontait, m'oubliait tant il entrait dans les détails, parfois de ce qui se dit avec les yeux, mais finissait toujours par m'aviser : "Ne le dis pas à ta grand-mère !".

Roger : hum, ton cassoulet ! 

Serge : je m'y mets rarement mais si je me lance, tu me connais, il faut que ce soit bien ! D'abord tu fais tremper tes lingots toute la nuit... 

Roger : dans l'Ariège ils font avec des cocos, enfin, certains... sinon figure-toi que je me souviens d'un que je n'ai pas mangé, tellement mon père en a bien parlé, c'était à Sainte-Colombe-sur-l'Hers, un restaurant connu pour sa recette mais qui a fermé une paire d'années plus tard. Ils y sont allés pour, en janvier, enfin, en hiver... le feu dans la grande cheminée... on en oublie que le système et le foie sont devenus plus fragiles... Combien tu mets de haricots ? 

2006 photos familiales

janvier 2006. Photos familiales

janvier 2006. Photos familiales. Ste-Colombe-sur-l'Hers.

Serge : toujours pareil, que j'aie du monde ou que je congèle. Là c'est pour quatre personnes, 500 grammes de haricots. Pour la recette, que veux-tu, chacun a la sienne, je serais bien en peine de te dire si le mien rappelle Carcassonne, Toulouse ou Castelnaudary ! Dans l'eau de pluie je les laisse tremper ; le matin, je les cuis dans l'eau froide avec un pied de cochon, les couennes, un oignon piqué de clous de girofle, le bouquet garni ; quand ça a bouilli, une heure de cuisson encore, à petits bouillons... Ah, j'oubliais, je sale à mi cuisson. Ensuite je fais revenir la viande et les couennes du bouillon, je réserve, puis, dans la même cocotte, sans la laver, deux oignons hachés, quatre ou cinq gousses d'ail quand ce n'est pas carrément la tête, et les couennes ; je mets tout dans la cassole. Par-dessus,  les haricots, les tomates, quatre ou cinq, les viandes sauf les bouts de saucisse, je mouille en allongeant le jus de cuisson... au four, pour finir, à 180 degrés ; trois heures après, j'ajoute la chapelure, la saucisse et si j'y pense, je casse la croûte au moins une paire de fois. C'est comme pour la bouillabaisse, faut se lever matin !

Roger : c'est du boulot mais c'est bon... Qu'est-ce que tu as mis comme viande ? 

Serge : oh je le fais simple, sans être au top de la gastronomie, je m'arrange pour mettre un peu plus d'un kilo de viande, presque un kilo et demi disons : là je n'avais que des côtes dans l'échine et de la poitrine, pas de jarret, puis des couennes, du confit de canard, de la saucisse de Toulouse.  

Roger : avec ce rouge de Fleury, super ! 14 degrés quand même, c'est beaucoup et demain il pourrait rester des traces... En Europe de l'Est, la police contrôle de bon matin et certains sont loin du zéro réglementaire ! 

Serge : oui ! faut voir ce qu'ils picolent aussi ! Si ce n'était que la bière... et suite à une nuit courte, pardi ! 

Un petit tour du camion, sans trop s'éloigner, manière d'apprécier la nuit si tranquille dans ce coin perdu. Démarrage, au matin, vers neuf heures. Trois degrés au thermomètre : supportables. 
 
La route du Poumaïrol à la belle saison.

Serge : c'est beau, des arbres partout avec la route qui monte ! 

Roger : et là les bois sont nus ; en été par contre, quelle verdure !

Serge : et oui, à l'opposé du versant méditerranéen, ils nous étonnent ces grands arbres, un dépaysement complet... des séquoias même ! et de belle taille ! (à suivre)